Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
Edito du Passant n°42 - Le corps
[septembre 2002 - octobre 2002]
Il est au plus près de soi, palpable et visible, et parfois trop. Pesanteur, tripes, os, sang, souffle, orgasme... lautre !
Pourquoi parler du corps ? Pour ne pas participer au culte qui lentoure et le magnifie, ladule, le déifie, lérige en but ultime, comme dans ce narcissisme envahissant qui y voit lexpression la plus parfaite de soi, le lieu par excellence de lindividualité, sur lequel seul sexercerait notre propre responsabilité. Pourquoi parler du corps ? Parce que le corps est ce carrefour de lindividu et du collectif, de lintime et du social, que ciblent et triturent les pouvoirs. Parce que, toujours, la vie et encore plus le corps, deviennent enjeu politique.
Enjeu politique car le corps donne lieu à une
mise en spectacle marchandisée de nous-mêmes (Geneviève Azam), alors quil est par ailleurs soumis à lenfermement (Bérénice Héléna) et à la grande exclusion (Djémila Zénédi), lobjet des pires dominations sexuées (Attiya Dawood, Cédric Jaburek). Le corps est également loccasion dune résistance à lexclusion (Loïc Wacquant) et aux images standardisées de soi (Sergio Guagliardi, Hélène Mohone). Plus généralement, le corps embarrasse et risque toujours de sécarter des normes (Jean-Marc Lachaud), de subvertir les usages les mieux intériorisés (Stella Duffy), de faire obstacle aux dominations les plus ordinaires (Jean-Philippe Deranty).
Enjeu politique encore, puisque décrire ce que devient le corps aujourdhui, cest se demander quel corps fabrique quelle société ou quelle société fabrique quel corps. Quels hommes et femmes voulons-nous être, dans quelle société voulons-nous vivre, lorsque nous oscillons entre ces deux représentations : le corps comme plastique efficace dont peut senorgueillir son propriétaire, loutil performant de lêtre fort, ou bien le corps comme prison biologique dont il convient de sévader, lobstacle organique qui inciterait à le dépasser en se dépassant soi (Patrick Baudry, David Le Breton, Loïc Wacquant) ? Une issue à cette alternative ferait du corps le lieu même de lexpérience et de la connaissance de ce que nous sommes et de ce que nous voulons devenir (Stella Duffy).
Enjeu politique enfin, parce que certaines maladies du corps révèlent de lourdes pathologies sociales. Le Passant sest souvent employé à décrire celles du temps présent, en déplorant le recours systématique à lanesthésie comme unique remède (Alain Brossat). Il persévère ; puisquil faut bien admettre que sous le gouvernement Raffarin, jamais les soporifiques nauront été aussi bien distribués. Et pourtant, le sommeil nempêche pas le mal dempirer, et lactualité internationale nous rappelle quil est des situations où aucun opium ne parvient plus à satisfaire le peuple (Olivier Voirol).
Pourquoi parler du corps mais aussi comment en parler ? Comment en parler quand celui de lun dentre nous vient de le trahir ? Sergio est parti. Corps et esprit. Esprit dans le corps. Rien ne reste ? Pour que son message, son uvre, sa poésie, son humour, ses éclats, ses éclairs survivent, il nous
faut continuer de construire et reconstruire. Maçonnons. Nos corps et nos têtes, nos amours et nos vies, nos espoirs et nos luttes. Ciao Sergio. Avanti !