Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
Edito du Passant n°34 - Silence on souffre !
[avril 2001 - mai 2001]
Silence, on souffre ! Voici que vient le temps du grand brasier social. A limage de ces campagnes où sont sacrifiées des centaines de milliers danimaux sur lautel de lindustrie agro-alimentaire, partout, dans le champ du travail social, de la santé, de léducation, naissent des feux désespérés. Nous vivons à la fois la tragique main-mise de léconomique sur un secteur qui avait jusque-là réussi à sen préserver (peut-être une conséquence dun splendide isolement), et les prémisses dun mouvement de fond qui, au-delà des particularismes toujours vivaces, fait converger les luttes et les remises en question dun ordre social dans lequel même la souffrance devient marchandise. Les sages-femmes sont en lutte depuis le début de lannée et déclinent les revendications communes à lensemble des acteurs du travail social : manque de moyens, absence de perspectives, soumission à une « rationalisation » aveugle des programmes et des pratiques, interrogations sur les valeurs que cette première ligne dintervenants est censée défendre (que protège-t-on en « soignant » les marges du système ?), charge de travail sans cesse accrue, désaffection générale des métiers du travail social, etc. Sait-on que pour la première fois depuis des années, le nombre de candidats(tes) à lexamen dentrée dans les écoles dinfirmiers(res) était en 2000 à peu près égal au nombre de places proposées ? Dans cinq ans, on va manquer de profs, déducateurs, on manque déjà de psychiatres, danesthésistes, de pédiatres. Dans les institutions, on navigue entre cynisme, fatalisme, et profond découragement individuel et collectif. Que de vies et defforts gaspillés ! Les masques tombent, il faut bien que tout ça crie fort puisquon commence à entendre, à travers les murs de lasile, des maisons de retraite, des centres médico-sociaux, la souffrance de ceux qui y sont et de ceux qui y travaillent Le Passant se doit davoir loreille fine. Cest un numéro de témoignages sur des pratiques, des interrogations quotidiennes, et nous avons demandé aussi à Castoriadis, à Jeanson, à Buin, Dabitch, Faure, Baudry et quelques autres, de nous proposer des éclairages sur ce conflit du médico-social et du politique. Le travail social, longtemps considéré comme un enjeu mineur au regard des luttes dans le champ de la production, devient maintenant comme un symptôme cruellement présent du délitement de notre organisation collective et de la destruction de nos liens sociaux, de nos vies intimes. Cest le mur du silence quil convient de briser. Ce que dit aussi ce numéro, cest le formidable appel de tant de travailleurs sociaux qui restent lucides, opposés au grand nivellement des (bonnes) consciences. Désir dune convergence des luttes, dun échange fécond au-delà des amertumes individuelles. Echange et solidarité dabord et aussi avec ceux qui, derrière les barreaux de lasile et des prisons, au fond de leur lit médicalisé, otages de leur traitement/camisole, vivent dans leurs corps la galère et langoisse de tous les jours. Le Passant marche avec tous ceux-là. Cest peut-être le chemin pour réapprendre à (se) parler et faire que le monde bouge enfin vers moins de souffrance. Au travail !