Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°50 [octobre 2004 - décembre 2004]
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par Judith Butler
Imprimer l'articleFaire et défaire le genre
Dire que le genre procède du « faire », quil est une sorte de « pratique » [a doing], cest seulement dire quil nest ni immobilisé dans le temps, ni donné davance ; cest indiquer également quil saccomplit sans cesse, même si la forme quil revêt lui donne une apparence de naturel pré-ordonné et déterminé par une loi structurelle. Si le genre est « fait », « construit », en fonction de certaines normes, ces normes mêmes sont celles quil incarne et qui le rendent socialement intelligible. Si, en revanche, les normes de genre sont également celles qui bornent lhumain, cest-à-dire quelles déterminent la manière dont le genre doit être construit afin de conférer à un individu la qualité dhumain, alors les normes de genre et celles qui constituent la personne sont intimement liées. Se conformer à une certaine conception du genre équivaudrait alors précisément à garantir sa propre lisibilité en tant quhumain. À linverse, ne pas sy conformer risquerait de compromettre cette lisibilité, de la mettre en danger.
Je voudrais ici poser une question normative relativement simple que je formulerai ainsi : que se passe-t-il si lon « défait » les conceptions normatives et restrictives de la vie sexuelle et genrée ? Il peut arriver quune conception normative du genre « défasse », « déconstruise », la « personne » [personhood] et lempêche, à long terme, de persévérer dans sa quête dune vie vivable. Il peut aussi arriver quen déconstruisant une norme restrictive, on déconstruise du même coup une conception identitaire préalable, pour tout simplement inaugurer une nouvelle identité dont le but sera de sassurer une meilleure viabilité.
Si le genre est une sorte de pratique, une activité qui saccomplit sans cesse et en partie sans quon le veuille et quon le sache, il na pour autant rien dautomatique ni de mécanique. Bien au contraire. Il sagit dune sorte dimprovisation pratiquée dans un contexte contraignant. De plus, on ne « construit » pas son genre tout seul. On le « construit » toujours avec ou pour autrui, même si cet autrui nest quimaginaire. Il peut arriver que ce que jappelle mon genre « propre » apparaisse comme le produit de ma création et comme une de mes possessions. Mais le genre est constitué par des termes qui sont, dès le départ, extérieurs au soi et qui le dépassent, ils se trouvent dans une socialité qui na pas dauteur unique (et qui met dailleurs radicalement en cause la notion même dauteur).
Si lappartenance à un certain genre nimplique pas nécessairement que le désir prenne une direction définie, il existe néanmoins un désir qui est constitutif du genre lui-même. Cest pourquoi opérer un clivage entre vie de genre et vie de désir nest ni facile ni rapide. Que veut le genre ? Si la question peut paraître étrange, ce sentiment satténue lorsquon réalise que les normes sociales qui constituent notre existence sont porteuses de désirs qui ne sont pas fondateurs de notre individualité. Le probléme se complique encore du fait que la viabilité de notre individualité dépend essentiellement de ces normes sociales.
Dans la tradition hégélienne, le désir est lié à la reconnaissance. Le désir est toujours un désir de reconnaissance et ce nest que par le biais de cette expérience de reconnaissance que chacun se constitue en tant quêtre socialement viable. Cette conception a, certes, son charme et sa vérité mais deux éléments importants lui échappent. Les termes qui permettent notre reconnaissance en tant quhumains sont socialement organisés et modifiables. Il arrive parfois que les termes mêmes qui confèrent la qualité dhumain [humanness] à certains individus sont ceux-là mêmes qui privent dautres dacquérir ce statut, en introduisant un différentiel entre lhumain et le « moins-quhumain ». Ces normes ont des effets considérables sur notre compréhension du modèle de lhumain habilité à bénéficier de droits ou ayant sa place dans la sphère participative du débat politique. Lhumain est appréhendé différemment en fonction de sa race, de la lisibilité de cette race, de sa morphologie, de la possibilité de reconnaître cette morphologie, de son sexe, de la possibilité de vérifier visuellement ce sexe, de son ethnicité, du discernement conceptuel de cette ethnicité. Certains humains sont reconnus comme étant moins quhumains et cette forme de reconnaisance amoindrie ne permet pas de mener une vie viable. Certains humains nétant pas reconnus en tant quhumains, cette non-reconnaissance les engage à mener un autre type de vie invivable. Si ce que le désir veut en partie, cest dêtre reconnu, alors le genre, dans la mesure où il est animé par le désir, voudra également être reconnu. Mais si les schèmes de reconnaissance dont nous disposons sont ceux qui « défont » la personne en conférant de la reconnaissance, ou encore qui « défont » la personne en lui refusant cette reconnaissance, alors celle-ci devient un lieu de pouvoir par lequel lhumain est produit de manière différentielle. Ce qui signifie que, dans la mesure où le désir est impliqué dans les normes sociales, il est intimement lié à la question du pouvoir et à celle de savoir qui a la qualité dhumain reconnu comme tel et qui ne la pas.
Autre question : si jappartiens à un certain genre suis-je quand même considéré/e comme faisant partie des humains ? Est-ce que l« humain » sétendra jusquà minclure dans son champ ? Si mon désir va dans un certain sens, aurai-je la possibilité de vivre ? Y aura-t-il un lieu pour ma vie et sera-t-il reconnaissable pour ceux dont dépend mon existence sociale ?
Il existe, bien sûr des avantages à demeurer en deçà de toute intelligibilité, si celle-ci est comprise comme le produit dune reconnaissance dépendant des normes sociales dominantes. Il faut bien dire que si les options qui me sont offertes me semblent détestables, si je néprouve pas le désir dêtre reconnu/e au sein dun certain système de normes, le sentiment de ma survie dépendra de la possibilité déchapper à lemprise des normes par lesquelles cette reconnaissance est conférée. Il se peut que, de ce fait, mon sentiment dappartenance sociale soit affaibli par la distance que je prends, mais pour autant, cette distanciation reste préférable à un sentiment dintelligibilité conféré par des normes qui par ailleurs ne feraient que meffacer. En fait, pouvoir développer une relation critique vis-à-vis de ces normes présuppose de sen écarter, de pouvoir en suspendre ou en différer la nécessité quand bien même elles resteraient lobjet dun désir qui permette de vivre. Létablissement de cette relation critique dépend également dune capacité, toujours collective, darticuler une version alternative et minoritaire de normes ou didéaux consistants me permettant dagir. Si je suis quelquun qui ne peut être sans faire, alors les conditions pour que je fasse recouvrent en partie les conditions mêmes de mon existence. Si ce que je fais dépend de ce qui mest fait, ou plutôt, des façons dont je suis « fait/e » par les normes, alors la possibilité de ma persistance en tant que « je » dépend de ma capacité à faire quelque chose de ce qui est fait de moi. Ce qui ne signifie aucunement que je puisse refaire le monde pour en devenir le créateur. Ce fantasme de pouvoir quasi-divin nest que le refus des façons dont nous sommes constitués, toujours et dès lorigine, par ce qui nous est antérieur et extérieur. Ma capacité dagir ne consiste pas à refuser cette condition de ma constitution. Si jai une quelconque capacité dagir, elle sélargit du fait même que je suis constitué/e par un monde social qui ne relève en aucune façon de mon choix. Que ma capacité dagir soit clivée par un paradoxe ne signifie pas quelle soit impossible. Cela signifie seulement que le paradoxe est la condition de sa possiblilité.
De ce fait, le « je » que je suis se trouve simultanément constitué par des normes et assujetti à ces normes. Mais il sefforce également de vivre en maintenant une relation critique et transformatrice avec elles. Ce qui na rien de facile, car ce « je » devient jusquà un certain point « indéchiffrable ». Il est menacé de non-viabilité et de déconstruction totale sil nincorpore plus ces normes de manière à rendre ce « je » pleinement reconnaissable. Il faut une certaine rupture avec lhumain pour initier le processus de re-création de lhumain et je risque davoir le sentiment de ne pas pouvoir vivre sans une certaine forme de reconnaissance. Mais il est également possible que les termes mêmes qui permettent cette reconnaissance me rendent la vie invivable. Cest de ce point de jonction que la critique émerge, cest là quelle devient une mise en question des termes qui contraignent la vie pour élargir la possibilité de modes de vie différents. Et ceci, non pour célébrer la différence en tant que telle, mais pour établir des conditions plus diversifiées et favorables à la protection et au maintien de la vie tout en résistant aux modèles dassimilation.
Il me semble que les travaux les plus importants effectués par les études gay et lesbiennes ont surtout porté sur les réglements en vigueur dans les domaines juridique, militaire, psychiatrique et bien dautres. Les questions ainsi posées de manière «savante» mettent plutôt en cause la codification du genre, la manière dont ce code a été imposé et celle dont il a été intégré et vécu par les sujets à qui on limpose. Mais codifier le genre nimplique pas simplement de le soumettre à la force extérieure dune réglementation1. Si le genre devait pré-exister à sa codification, nous pourrions le choisir comme thème et, de là, énumérer les diverses sortes de règlementations auquel il est assujeti et les modalités de son assujetissement. Mais le problème, pour nous, est plus aigu. Existe-t-il, après tout, un « genre » qui pré-existe à sa codification, ou est-ce, au contraire, en étant soumis à une codification que le sujet genré émerge au sein et par lentremise de cette modalité dassujetissement ? Lassujetissement nest-il pas le processus par lequel les codifications produisent, justement, le genre ?
Avancer que le genre est une « norme » nécessite de creuser notre argumentation. Une norme nest pas une règle et ce nest pas non plus une loi2. La norme fonctionne au cur des pratiques sociales en tant que critère implicite de normalisation. Si une norme peut être distinguée de manière analytique des pratiques dans lesquelles elle est « enchâssée », elle peut également résister à toute tentative visant à la décontextualiser de son fonctionnement. Les normes peuvent être explicites, ou ne pas lêtre. Lorsquelles opèrent en tant que principe normalisateur de la pratique sociale, elles demeurent en général implicites, difficiles à déchiffrer et ne sont clairement et manifestement décernables que par les effets quelles produisent.
Que le genre soit une norme implique quil est toujours, quoique de manière ténue, incarné par tout acteur social dans sa singularité. La norme régit lintelligibilité sociale de laction, or elle-même diffère de laction quelle régit. La norme paraît indifférente aux actions quelle régit, cest-à-dire que tout simplement, elle paraît avoir un statut et un effet indépendant des actions quelle gouverne. Cest la norme qui régit lintelligibilité, elle autorise certaines formes de pratiques et daction à se manifester en tant que telles en imposant une grille de lecture sur le social, en définissant les paramètres de ce qui se manifestera ou ne se manifestera pas dans le champ du social. La signification dune position extérieure à la norme est un paradoxe pour la réflexion. En effet, si la norme rend le champ social intelligible et quelle nous le normalise, alors être en dehors de la norme cest, dans un certain sens, être encore défini dans un rapport avec elle : ne pas être tout à fait masculin ou tout à fait féminin cest encore être compris exclusivement en termes de relation au « totalement masculin » ou au « totalement féminin ».
Dire que le genre est une norme ne revient pas tout à fait à dire quil existe des conceptions normatives de la féminité et de la masculinité, même si manifestement ces conceptions normatives existent. Le genre ne se définit pas exactement par ce que lon « est » ni par ce que lon « a ». Le genre est lappareillage par lequel se produisent simultanément production et normalisation du masculin et du féminin et les formes interstitielles dordre hormonal, chromosomique, psychique et performatif qui sont adoptées par le genre. Soutenir que le genre signifie toujours et exclusivement « la matrice » du « féminin » et du « masculin » cest précisément manquer le point le plus crucial du débat : en effet, la production de ce binôme cohérent est contingente, elle a un certain coût et les permutations de genre non-conformes au binôme relèvent autant du genre que son occurence la plus normative. En alliant la définition du genre à son expression normative, on reconsolide par inadvertance le pouvoir de la norme afin de contraindre la définition du genre. Si le genre est le mécanisme par lequel la notion de masculin et de féminin est produite et naturalisée, il pourrait tout autant être lappareillage par lequel ces termes sont déconstruits et dénaturalisés. Il se peut, en réalité, que lappareillage même qui vise à établir la norme soit également celui qui sape cet établissement lui-même, qui serait pour ainsi dire, incomplet dans sa définition. Séparer le terme de « genre » de la masculinité ou de la féminité, cest sauvegarder une perspective théorique permettant dexpliquer comment le binôme masculin-féminin vient épuiser le champ sémantique du genre. Les références au trouble du genre [gender trouble] au mixage du genre [gender blending], aux notions de « transgenre » ou de « genre croisé » suggèrent déjà que le genre a le moyen de dépasser ce binôme naturalisé. Lalliance du genre avec le couple masculin-féminin, homme-femme, mâle-femelle, opère donc cette naturalisation même que la notion de genre est censée empêcher.
Ainsi donc, un discours restrictif sur le genre qui se sert du binôme « homme » et « femme » comme outil exclusif de compréhension du champ du genre accomplit une opération de pouvoir dordre régulateur car elle naturalise cette occurence hégémonique en excluant la possibilité de sa perturbation.
Cependant, comme le remarque Pierre Macherey, loin dêtre des entités ou des abstractions autonomes et autosuffisantes les normes doivent être comprises comme des formes daction. En sappuyant sur luvre de Spinoza et de Foucault, Macherey dit clairement que les normes nexercent pas un type transitif de causalité, mais bien un type de causalité immanent. « Penser limmanence de la norme, cest bien sûr renoncer à considérer son action de manière restrictive, comme une repression formulée en termes dinterdit, sexercant à lencontre dun sujet donné préalablement à cette action, et qui pourrait lui-même se libérer ou être libéré dun tel contrôle : lhistoire de la folie, comme celle des pratiques pénitentiares, comme aussi celle de la sexualité, montre bien quune telle libération, loin de supprimer laction des normes, la renforce au contraire. Mais on peut aussi se demander sil suffit de dénoncer les illusions de ce discours antirépressif pour leur échapper : ne risque-t-on pas de les reproduire à un autre niveau, où elles ont cessé dêtre naïves, mais où, pour être devenues instruites elles nen restent pas moins décalées par rapport au contenu quelles semblent viser. »3 En soutenant que la norme ne persiste que dans et par ses actions, Macherey fait de laction le lieu de lintervention sociale. « De ce point de vue, il nest plus possible de penser la norme elle-même avant les consequences de son action, et en quelque sorte en arrière delles ; mais il faut penser la norme telle quelle agit précisément dans ses effets, de manière, non à en limiter la réalité par un simple conditionnement, mais à leur conferer le maximum de réalité dont ils sont capables. »4 (Je souligne)
Jai dit ci-dessus que la norme ne peut se réduire à aucune de ses occurrences mais je voudrais ajouter ceci : la norme ne peut pas être non plus totalement dégagée de la manifestation de ses occurences. La norme ne se situe pas en dehors de son champ dapplication. Non seulement, suivant Macherey, est-elle responsable de la production de son champ dapplication, mais la norme se produit elle-même dans la production de ce champ. La norme est un producteur de réel actif ; ce nest en vérité quen vertu de son pouvoir réitéré à conférer du réel quelle se constitue comme norme.
Si lon prend en compte la notion de norme telle que je viens de la définir, on pourrait dire que le champ du réel produit par les normes de genre constitue le contexte dans lequel celui-ci vient manifester en surface et dans ses dimensions idéalisées. Mais comment faut-il comprendre la formation historique de tels idéaux et leur persistence dans le temps, comment comprendre leur lieu comme la convergence complexe de significations sociales qui ne sont pas immédiatement perceptibles comme relevant du genre ? Dans la mesure où les normes de genre sont reproduites, elles sont invoquées et en quelque sorte citées par des pratiques corporelles qui ont elles aussi la capacité de les modifier tout en les citant. Dresser un compte-rendu exhaustif de lhistoire citationnelle de la norme savère une tâche impossible : en effet, non seulement la normativité sattache à dissimuler sa propre historicité, mais il est impossible de retracer une « origine » unique de la norme.
Une signification importante de ce concept de régulation résulte du fait que les individus sont réglementés par le genre et que ce type de réglementation est la condition de lintelligibilité de chacun. Sécarter de la norme de genre, cest produire lexemple aberrant dont les pouvoirs régulateurs (médical, psychiatrique et juridique, pour nen citer que quelques uns) risquent de se servir immédiatement pour consolider largumentation qui justifie leur zèle permanent. Une question subsiste tout de même : quelles ruptures davec la norme seraient donc autre chose quune excuse ou un argument pour la maintenir ? Quelles ruptures davec la norme parviennent à perturber le processus de réglementation lui-même ?
Considérons par exemple la question des « corrections » chirurgicales effectuées sur les enfants intersexués. Largument donné en général dans ce cas est quil faut « corriger » ces enfants nés avec des caractéristiques sexuelles « déviantes » [irregular] pour leur permettre de sadapter, dêtre plus à laise et datteindre à la normalité. Bien que ces interventions chirurgicales « forcées » se pratiquent parfois avec laccord des parents et au nom de la normalisation, on a prouvé leur coût psychique et physique énorme pour ceux qui ont été soumis, pour ainsi dire, au scalpel de la norme.5 Les corps que produit cette application régulatrice de la norme sont des corps douloureux, stigmatisés par la violence et la souffrance. Dans ce cas, lidéalité de la morphologie genrée est littéralement gravée dans la chair.
Le genre est donc une norme régulatrice, mais cest également une norme produite au service dautres types
de régulations. Par exemple, les mesures contre le harcèlement sexuel supposeraient, selon Catherine MacKinnon, que le harcèlement fût un assujetissement systématique des femmes sur le lieu de travail, là où les hommes occupent en général la position de harceleurs et les femmes celle de harcelées. Pour MacKinnon, lorigine du harcèlement se trouve dans la sujétion sexuelle des femmes à un niveau plus fondamental. Or ces mesures, dont lobjet est déviter les comportements dégradants sur le lieu de travail, sont également porteuses de normes de genre implicites. Dans un sens, la régulation implicite du genre passe par lintermédiaire dune régulation explicite de la sexualité.
Pour MacKinnon, le genre est le produit de la structure hiérarchique de lhétérosexualité dans laquelle
les hommes sont compris comme subordonnant les femmes : « Saisie comme un attribut attaché à une personne, linégalité sexuelle assume la forme du genre, en se déplaçant elle devient une relation inter-individuelle et prend la forme de la sexualité. Le genre émerge comme la forme figée de la sexualisation de linégalité entre hommes et femmes.»6
Si le genre est la forme saisie que prend la sexualisation de linégalité, alors celle-ci précède le genre et le genre en est un effet. Serait-il possible, à vrai dire, de conceptualiser la sexualisation de linégalité sans sappuyer sur une conception préalable du genre ? Peut-on soutenir que les hommes assujettissent sexuellement les femmes sans avoir a priori une idée de ce que sont les hommes et les femmes ? Il me semble que MacKinnon soutient que le genre ne peut se constituer en dehors de ce cadre et, par implication, en dehors de cette définition de la sexualité comme assujetissante et exploitante.
En proposant de réglementer le harcèlement sexuel par le recours à ce type danalyse, cest-à-dire à celle du caractère systématique de la subordination sexuelle, MacKinnon institue une régulation dun autre type : avoir un genre, cest être déjà impliqué/e dans une relation de subordination hétérosexuelle. De ce fait, aucun individu ne se situerait en dehors de telles relations, il nexisterait pas de relations hétérosexuelles qui ne soient pas assujetissantes, il nexisterait pas de relations non-hétérosexuelles ni de harcèlement au sein du même sexe.
Au sein de la queer theory contemporaine, cette réduction du genre à la sexualité a provoqué deux types de démarche distinctes, mais qui se recoupent. La première consiste à opérer un clivage entre sexualité et genre de sorte que, dune part, avoir un genre ne présuppose pas un engagement quelconque dans telle ou telle pratique sexuelle et que, dautre part, lengagement dans une pratique sexuelle donnée, anale, par exemple, ne présuppose pas lappartenance à un genre déterminé7. Dans la seconde démarche (liée à la première), le genre nest pas réductible à une hétérosexualité hiérarchisée et prend donc des formes différentes dans un contexte de sexualités homosexuelles [queer]. En échappant au cadre hétérosexuel, la binarité sexuelle ne peut donc plus être considérée comme allant de soi. Par ailleurs, le genre lui-même étant marqué par une certaine instabilité interne, les vies transgenrées sont la preuve dune rupture de toutes les chaînes de déterminisme causal qui lient sexualité et genre. La discordance entre genre et sexualité se voit donc affirmée à partir de deux perspectives différentes : lune cherche à ouvrir des possibilités de sexualité non contraintes par le genre, en vue de briser le caractère causal et réducteur des arguments qui lient les deux termes, la seconde veut ouvrir au genre des possibilités non prédéterminées par des formes dhétérosexualité hégémoniques8.
Si les mesures anti-harcèlement sont fondées sur la thèse selon laquelle le genre est un effet caché de la subordination sexuelle dans la relation hétérosexuelle, le problème est que tout raisonnement concomittant viendra renforcer les définitions du genre et de la sexualité données. Dans la théorie de MacKinnon, le genre est produit dans le cadre de la subordination sexuelle, cest-à-dire quen réalité, le harcèlement sexuel devient lallégorie de la production du genre. À mon avis et dans ce cas, les mesures antiharcèlement sexuel servent elles-mêmes à reproduire les normes de genre.
Ne sous-estimons pas la violence exercée par ces normes, surtout quand elles en viennent à distinguer ce qui est une vie vivable de ce qui ne lest pas. Parmi les sanctions sociales appliquées aux transgressions de genre je citerai, par exemple, la « correction » chirurgicale des personnes intersexuées, la pathologisation médicale et psychiatrique et la criminalisation des personnes souffrant de « dysphorie du genre » [gender dysphoric] dans plusieurs pays, dont les États-Unis, le harcèlement des personnes ayant des « troubles du genre » [gender troubled] dans la rue ou au travail, la discrimination à lembauche et la violence.
Cest pourquoi, si lon croit que ces normes régulatrices nagissent pas par la force, mais quelles sont une violence exercée par souci dhumanité ou même une forme atténuée de la violence elle-même, on se trompe. Pour moi, il ny a pas dautre manière de comprendre la violence exercée contre les minorités de genre et de sexe : il sagit en effet toujours de limposition forcée dun système normatif. Lassassinat dhommes dapparence féminine, de femmes dapparence masculine ou de personnes transgenrées doit nous interroger : quelle est donc cette anxiété intolérable provoquée par lapparition publique dune personne ouvertement gay, de quelquun dont le genre nest pas conforme aux normes, de quelquun dont la sexualité défie linterdit public qui lui est intimé, de quelquun dont le corps nest pas conforme à certains idéaux morphologiques ? À quoi donc obéissent ceux qui en viennent à tuer quelquun au prétexte de son homosexualité ou à menacer quelquun parce quil ou elle est intersexué/e ?
Le désir de tuer quelquun ou lacte lui-même par lequel cette personne refuse de se conformer à la norme de genre qui devrait réguler sa vie laissent à penser que, dune part, la vie elle même exige lexistence de normes protectrices et que, dautre part, se situer et vivre en dehors de cette norme cest tout simplement sexposer à la mort. Lauteur/e de menaces dune telle violence obéit à une croyance apeurée et rigide lui faisant redouter une désintégration radicale du sens du monde et de soi si un tel être, inclassable, avait lautorisation de vivre au cur du monde social. La négation, par la violence, de ce corps est un effort vain et violent pour restaurer lordre, pour renouveler le monde social sur la base dun genre donné comme intelligible, elle tend à refuser le défi de repenser ce monde comme étant autre que naturel ou nécessaire. Ceci nest pas très éloigné de la menace de mort ou même des assassinats de transsexuels perpétrés dans différents pays et de la perception dhommes gay comme « féminins » ou de lesbiennes comme « masculines ». Ces crimes ne sont pas toujours immédiatement reconnus comme actes criminels. Ils sont parfois dénoncés par certains gouvernements ou organismes internationaux, mais il arrive quils ne soient pas inclus dans la liste des crimes lisibles ou « réels » commis contre lhumanité dressée par ces institutions elles-mêmes.
Si nous nous opposons à cette violence, au nom de quoi le faisons-nous ? Quelle est lalternative à cette violence, et quelle transformation du monde social revendiquons-nous ? Cette violence surgit en fait dun profond désir de conserver le caractère naturel ou nécessaire de lordre binaire du genre, den faire une structure, soit naturelle, soit culturelle, ou les deux, à laquelle aucun humain ne puisse sopposer et ceci en restant humain. Quiconque soppose à ces normes, non seulement en exprimant son opposition, mais en intégrant cette opposition à son corps, à son style corporel, en la rendant lisible, sexpose à une violence lui intimant de défaire cette lisibilité, de mettre en cause sa possibilité, de la rendre irréelle et impossible en dépit dune apparence qui le dément. Rien ne sépare clairement ces différents points de vue. Contester, par la violence, une opposition « incarnée » cest dire de manière concrète que ce corps, ce défi à une version patentée du monde est et demeure impensable. Pour appliquer les limites de ce qui sera considéré comme réel, il faudra tenir à distance ce qui est contingent, fragile et susceptible de transformations fondamentales dans lordre genré des choses.
De cette analyse surgit une interrogation dordre éthique : comment aborder cette différence qui conteste notre grille dintelligibilité sans pour autant forclore le défi quelle produit ? Que signifierait dapprendre à vivre avec langoisse née de ce défi, de sentir la certitude épistémologique et ontologique partir à la dérive tout en acceptant, au nom de lhumain, que lhumain devienne autre chose que ce quil est traditionnellement supposé être ? Il nous faudrait alors apprendre à vivre, à embrasser à la fois la destruction et la désarticulation de lhumain au nom dun monde plus accueillant et finalement moins violent, renoncer à connaître à lavance la forme précise que prend et prendra notre qualité dhumain, tout en restant ouvert à sa permutation et ceci au nom de la non-violence.
Lorsque nous voulons définir ce qui rend une vie vivable, nous nous interrogeons sur certaines conditions normatives qui doivent être remplies pour que la vie devienne « une vie ». Il y a donc au moins deux sens à la vie, dune part, celui qui fait référence à sa forme biologique minimale et de lautre, celui qui intervient à la source, qui établit les conditions minimales dune vie vivable au regard dune vie humaine9. Ce qui nimplique pas que nous puissions écarter le simple fait dêtre vivant [living] en faveur dune « vie vivable », mais plutôt que nous devons demander, tout comme nous lavons fait pour la violence du genre, ce que les humains requièrent pour maintenir et reproduire les conditions de leur propre capacité de vivre [livability]. Quels choix politiques nous permettraient détablir, dune manière ou dune autre, la vivabilité au plan conceptuel en même temps que nous lassurerions au plan institutionnel ?
Le sens de cette question sera toujours un objet de discorde et les partisans dune orientation politique unique choisie en vertu de cet engagement se tromperaient lourdement. Il en est ainsi parce que vivre, cest vivre une vie politique en relation avec le pouvoir et avec autrui, cest accepter sa part de responsabilité dans la construction dun avenir collectif. Mais attention, prendre une responsabilité pour lavenir, ne signifie aucunement en connaître lorientation à lavance, puisque lavenir et en particulier lavenir avec et pour autrui, exige une certaine ouverture et lacceptation dun état dignorance, cela implique la participation à un processus dont aucun sujet ne peut prédire lissue. Cela implique également lacceptation dune certaine forme de conflit et mise en cause de lorientation à prendre. La contestation est la condition indispensable dune vie politique démocratique. La démocratie ne parle pas dune seule voix, les airs quelle produits sont dissonants et il est nécessaire quils le soient. Il ne sagit pas dun processus prévisible, mais dun processus qui doit être vécu au même titre quune passion doit être vécue. La vie elle-même risque dêtre forclose si lon décide à lavance de ce quest la voie juste, si lon impose ce qui est juste à tout un chacun sans le moyen de pénétrer une communauté qui permette de découvrir le « juste » au cur de la traduction culturelle. Il peut se faire que le « juste » et le « bon » impliquent de rester ouvert aux tensions qui assaillent les catégories les plus essentielles que nous exigeons, en acceptant un état dignorance au cur même de notre savoir et de nos besoins, en sâchant reconnaître la manifestation de la vie dans ce que nous subissons sans pour autant avoir de certitude sur ce qui adviendra.
Je voudrais ici poser une question normative relativement simple que je formulerai ainsi : que se passe-t-il si lon « défait » les conceptions normatives et restrictives de la vie sexuelle et genrée ? Il peut arriver quune conception normative du genre « défasse », « déconstruise », la « personne » [personhood] et lempêche, à long terme, de persévérer dans sa quête dune vie vivable. Il peut aussi arriver quen déconstruisant une norme restrictive, on déconstruise du même coup une conception identitaire préalable, pour tout simplement inaugurer une nouvelle identité dont le but sera de sassurer une meilleure viabilité.
Si le genre est une sorte de pratique, une activité qui saccomplit sans cesse et en partie sans quon le veuille et quon le sache, il na pour autant rien dautomatique ni de mécanique. Bien au contraire. Il sagit dune sorte dimprovisation pratiquée dans un contexte contraignant. De plus, on ne « construit » pas son genre tout seul. On le « construit » toujours avec ou pour autrui, même si cet autrui nest quimaginaire. Il peut arriver que ce que jappelle mon genre « propre » apparaisse comme le produit de ma création et comme une de mes possessions. Mais le genre est constitué par des termes qui sont, dès le départ, extérieurs au soi et qui le dépassent, ils se trouvent dans une socialité qui na pas dauteur unique (et qui met dailleurs radicalement en cause la notion même dauteur).
Si lappartenance à un certain genre nimplique pas nécessairement que le désir prenne une direction définie, il existe néanmoins un désir qui est constitutif du genre lui-même. Cest pourquoi opérer un clivage entre vie de genre et vie de désir nest ni facile ni rapide. Que veut le genre ? Si la question peut paraître étrange, ce sentiment satténue lorsquon réalise que les normes sociales qui constituent notre existence sont porteuses de désirs qui ne sont pas fondateurs de notre individualité. Le probléme se complique encore du fait que la viabilité de notre individualité dépend essentiellement de ces normes sociales.
Dans la tradition hégélienne, le désir est lié à la reconnaissance. Le désir est toujours un désir de reconnaissance et ce nest que par le biais de cette expérience de reconnaissance que chacun se constitue en tant quêtre socialement viable. Cette conception a, certes, son charme et sa vérité mais deux éléments importants lui échappent. Les termes qui permettent notre reconnaissance en tant quhumains sont socialement organisés et modifiables. Il arrive parfois que les termes mêmes qui confèrent la qualité dhumain [humanness] à certains individus sont ceux-là mêmes qui privent dautres dacquérir ce statut, en introduisant un différentiel entre lhumain et le « moins-quhumain ». Ces normes ont des effets considérables sur notre compréhension du modèle de lhumain habilité à bénéficier de droits ou ayant sa place dans la sphère participative du débat politique. Lhumain est appréhendé différemment en fonction de sa race, de la lisibilité de cette race, de sa morphologie, de la possibilité de reconnaître cette morphologie, de son sexe, de la possibilité de vérifier visuellement ce sexe, de son ethnicité, du discernement conceptuel de cette ethnicité. Certains humains sont reconnus comme étant moins quhumains et cette forme de reconnaisance amoindrie ne permet pas de mener une vie viable. Certains humains nétant pas reconnus en tant quhumains, cette non-reconnaissance les engage à mener un autre type de vie invivable. Si ce que le désir veut en partie, cest dêtre reconnu, alors le genre, dans la mesure où il est animé par le désir, voudra également être reconnu. Mais si les schèmes de reconnaissance dont nous disposons sont ceux qui « défont » la personne en conférant de la reconnaissance, ou encore qui « défont » la personne en lui refusant cette reconnaissance, alors celle-ci devient un lieu de pouvoir par lequel lhumain est produit de manière différentielle. Ce qui signifie que, dans la mesure où le désir est impliqué dans les normes sociales, il est intimement lié à la question du pouvoir et à celle de savoir qui a la qualité dhumain reconnu comme tel et qui ne la pas.
Autre question : si jappartiens à un certain genre suis-je quand même considéré/e comme faisant partie des humains ? Est-ce que l« humain » sétendra jusquà minclure dans son champ ? Si mon désir va dans un certain sens, aurai-je la possibilité de vivre ? Y aura-t-il un lieu pour ma vie et sera-t-il reconnaissable pour ceux dont dépend mon existence sociale ?
Il existe, bien sûr des avantages à demeurer en deçà de toute intelligibilité, si celle-ci est comprise comme le produit dune reconnaissance dépendant des normes sociales dominantes. Il faut bien dire que si les options qui me sont offertes me semblent détestables, si je néprouve pas le désir dêtre reconnu/e au sein dun certain système de normes, le sentiment de ma survie dépendra de la possibilité déchapper à lemprise des normes par lesquelles cette reconnaissance est conférée. Il se peut que, de ce fait, mon sentiment dappartenance sociale soit affaibli par la distance que je prends, mais pour autant, cette distanciation reste préférable à un sentiment dintelligibilité conféré par des normes qui par ailleurs ne feraient que meffacer. En fait, pouvoir développer une relation critique vis-à-vis de ces normes présuppose de sen écarter, de pouvoir en suspendre ou en différer la nécessité quand bien même elles resteraient lobjet dun désir qui permette de vivre. Létablissement de cette relation critique dépend également dune capacité, toujours collective, darticuler une version alternative et minoritaire de normes ou didéaux consistants me permettant dagir. Si je suis quelquun qui ne peut être sans faire, alors les conditions pour que je fasse recouvrent en partie les conditions mêmes de mon existence. Si ce que je fais dépend de ce qui mest fait, ou plutôt, des façons dont je suis « fait/e » par les normes, alors la possibilité de ma persistance en tant que « je » dépend de ma capacité à faire quelque chose de ce qui est fait de moi. Ce qui ne signifie aucunement que je puisse refaire le monde pour en devenir le créateur. Ce fantasme de pouvoir quasi-divin nest que le refus des façons dont nous sommes constitués, toujours et dès lorigine, par ce qui nous est antérieur et extérieur. Ma capacité dagir ne consiste pas à refuser cette condition de ma constitution. Si jai une quelconque capacité dagir, elle sélargit du fait même que je suis constitué/e par un monde social qui ne relève en aucune façon de mon choix. Que ma capacité dagir soit clivée par un paradoxe ne signifie pas quelle soit impossible. Cela signifie seulement que le paradoxe est la condition de sa possiblilité.
De ce fait, le « je » que je suis se trouve simultanément constitué par des normes et assujetti à ces normes. Mais il sefforce également de vivre en maintenant une relation critique et transformatrice avec elles. Ce qui na rien de facile, car ce « je » devient jusquà un certain point « indéchiffrable ». Il est menacé de non-viabilité et de déconstruction totale sil nincorpore plus ces normes de manière à rendre ce « je » pleinement reconnaissable. Il faut une certaine rupture avec lhumain pour initier le processus de re-création de lhumain et je risque davoir le sentiment de ne pas pouvoir vivre sans une certaine forme de reconnaissance. Mais il est également possible que les termes mêmes qui permettent cette reconnaissance me rendent la vie invivable. Cest de ce point de jonction que la critique émerge, cest là quelle devient une mise en question des termes qui contraignent la vie pour élargir la possibilité de modes de vie différents. Et ceci, non pour célébrer la différence en tant que telle, mais pour établir des conditions plus diversifiées et favorables à la protection et au maintien de la vie tout en résistant aux modèles dassimilation.
Il me semble que les travaux les plus importants effectués par les études gay et lesbiennes ont surtout porté sur les réglements en vigueur dans les domaines juridique, militaire, psychiatrique et bien dautres. Les questions ainsi posées de manière «savante» mettent plutôt en cause la codification du genre, la manière dont ce code a été imposé et celle dont il a été intégré et vécu par les sujets à qui on limpose. Mais codifier le genre nimplique pas simplement de le soumettre à la force extérieure dune réglementation1. Si le genre devait pré-exister à sa codification, nous pourrions le choisir comme thème et, de là, énumérer les diverses sortes de règlementations auquel il est assujeti et les modalités de son assujetissement. Mais le problème, pour nous, est plus aigu. Existe-t-il, après tout, un « genre » qui pré-existe à sa codification, ou est-ce, au contraire, en étant soumis à une codification que le sujet genré émerge au sein et par lentremise de cette modalité dassujetissement ? Lassujetissement nest-il pas le processus par lequel les codifications produisent, justement, le genre ?
Avancer que le genre est une « norme » nécessite de creuser notre argumentation. Une norme nest pas une règle et ce nest pas non plus une loi2. La norme fonctionne au cur des pratiques sociales en tant que critère implicite de normalisation. Si une norme peut être distinguée de manière analytique des pratiques dans lesquelles elle est « enchâssée », elle peut également résister à toute tentative visant à la décontextualiser de son fonctionnement. Les normes peuvent être explicites, ou ne pas lêtre. Lorsquelles opèrent en tant que principe normalisateur de la pratique sociale, elles demeurent en général implicites, difficiles à déchiffrer et ne sont clairement et manifestement décernables que par les effets quelles produisent.
Que le genre soit une norme implique quil est toujours, quoique de manière ténue, incarné par tout acteur social dans sa singularité. La norme régit lintelligibilité sociale de laction, or elle-même diffère de laction quelle régit. La norme paraît indifférente aux actions quelle régit, cest-à-dire que tout simplement, elle paraît avoir un statut et un effet indépendant des actions quelle gouverne. Cest la norme qui régit lintelligibilité, elle autorise certaines formes de pratiques et daction à se manifester en tant que telles en imposant une grille de lecture sur le social, en définissant les paramètres de ce qui se manifestera ou ne se manifestera pas dans le champ du social. La signification dune position extérieure à la norme est un paradoxe pour la réflexion. En effet, si la norme rend le champ social intelligible et quelle nous le normalise, alors être en dehors de la norme cest, dans un certain sens, être encore défini dans un rapport avec elle : ne pas être tout à fait masculin ou tout à fait féminin cest encore être compris exclusivement en termes de relation au « totalement masculin » ou au « totalement féminin ».
Dire que le genre est une norme ne revient pas tout à fait à dire quil existe des conceptions normatives de la féminité et de la masculinité, même si manifestement ces conceptions normatives existent. Le genre ne se définit pas exactement par ce que lon « est » ni par ce que lon « a ». Le genre est lappareillage par lequel se produisent simultanément production et normalisation du masculin et du féminin et les formes interstitielles dordre hormonal, chromosomique, psychique et performatif qui sont adoptées par le genre. Soutenir que le genre signifie toujours et exclusivement « la matrice » du « féminin » et du « masculin » cest précisément manquer le point le plus crucial du débat : en effet, la production de ce binôme cohérent est contingente, elle a un certain coût et les permutations de genre non-conformes au binôme relèvent autant du genre que son occurence la plus normative. En alliant la définition du genre à son expression normative, on reconsolide par inadvertance le pouvoir de la norme afin de contraindre la définition du genre. Si le genre est le mécanisme par lequel la notion de masculin et de féminin est produite et naturalisée, il pourrait tout autant être lappareillage par lequel ces termes sont déconstruits et dénaturalisés. Il se peut, en réalité, que lappareillage même qui vise à établir la norme soit également celui qui sape cet établissement lui-même, qui serait pour ainsi dire, incomplet dans sa définition. Séparer le terme de « genre » de la masculinité ou de la féminité, cest sauvegarder une perspective théorique permettant dexpliquer comment le binôme masculin-féminin vient épuiser le champ sémantique du genre. Les références au trouble du genre [gender trouble] au mixage du genre [gender blending], aux notions de « transgenre » ou de « genre croisé » suggèrent déjà que le genre a le moyen de dépasser ce binôme naturalisé. Lalliance du genre avec le couple masculin-féminin, homme-femme, mâle-femelle, opère donc cette naturalisation même que la notion de genre est censée empêcher.
Ainsi donc, un discours restrictif sur le genre qui se sert du binôme « homme » et « femme » comme outil exclusif de compréhension du champ du genre accomplit une opération de pouvoir dordre régulateur car elle naturalise cette occurence hégémonique en excluant la possibilité de sa perturbation.
Cependant, comme le remarque Pierre Macherey, loin dêtre des entités ou des abstractions autonomes et autosuffisantes les normes doivent être comprises comme des formes daction. En sappuyant sur luvre de Spinoza et de Foucault, Macherey dit clairement que les normes nexercent pas un type transitif de causalité, mais bien un type de causalité immanent. « Penser limmanence de la norme, cest bien sûr renoncer à considérer son action de manière restrictive, comme une repression formulée en termes dinterdit, sexercant à lencontre dun sujet donné préalablement à cette action, et qui pourrait lui-même se libérer ou être libéré dun tel contrôle : lhistoire de la folie, comme celle des pratiques pénitentiares, comme aussi celle de la sexualité, montre bien quune telle libération, loin de supprimer laction des normes, la renforce au contraire. Mais on peut aussi se demander sil suffit de dénoncer les illusions de ce discours antirépressif pour leur échapper : ne risque-t-on pas de les reproduire à un autre niveau, où elles ont cessé dêtre naïves, mais où, pour être devenues instruites elles nen restent pas moins décalées par rapport au contenu quelles semblent viser. »3 En soutenant que la norme ne persiste que dans et par ses actions, Macherey fait de laction le lieu de lintervention sociale. « De ce point de vue, il nest plus possible de penser la norme elle-même avant les consequences de son action, et en quelque sorte en arrière delles ; mais il faut penser la norme telle quelle agit précisément dans ses effets, de manière, non à en limiter la réalité par un simple conditionnement, mais à leur conferer le maximum de réalité dont ils sont capables. »4 (Je souligne)
Jai dit ci-dessus que la norme ne peut se réduire à aucune de ses occurrences mais je voudrais ajouter ceci : la norme ne peut pas être non plus totalement dégagée de la manifestation de ses occurences. La norme ne se situe pas en dehors de son champ dapplication. Non seulement, suivant Macherey, est-elle responsable de la production de son champ dapplication, mais la norme se produit elle-même dans la production de ce champ. La norme est un producteur de réel actif ; ce nest en vérité quen vertu de son pouvoir réitéré à conférer du réel quelle se constitue comme norme.
Si lon prend en compte la notion de norme telle que je viens de la définir, on pourrait dire que le champ du réel produit par les normes de genre constitue le contexte dans lequel celui-ci vient manifester en surface et dans ses dimensions idéalisées. Mais comment faut-il comprendre la formation historique de tels idéaux et leur persistence dans le temps, comment comprendre leur lieu comme la convergence complexe de significations sociales qui ne sont pas immédiatement perceptibles comme relevant du genre ? Dans la mesure où les normes de genre sont reproduites, elles sont invoquées et en quelque sorte citées par des pratiques corporelles qui ont elles aussi la capacité de les modifier tout en les citant. Dresser un compte-rendu exhaustif de lhistoire citationnelle de la norme savère une tâche impossible : en effet, non seulement la normativité sattache à dissimuler sa propre historicité, mais il est impossible de retracer une « origine » unique de la norme.
Une signification importante de ce concept de régulation résulte du fait que les individus sont réglementés par le genre et que ce type de réglementation est la condition de lintelligibilité de chacun. Sécarter de la norme de genre, cest produire lexemple aberrant dont les pouvoirs régulateurs (médical, psychiatrique et juridique, pour nen citer que quelques uns) risquent de se servir immédiatement pour consolider largumentation qui justifie leur zèle permanent. Une question subsiste tout de même : quelles ruptures davec la norme seraient donc autre chose quune excuse ou un argument pour la maintenir ? Quelles ruptures davec la norme parviennent à perturber le processus de réglementation lui-même ?
Considérons par exemple la question des « corrections » chirurgicales effectuées sur les enfants intersexués. Largument donné en général dans ce cas est quil faut « corriger » ces enfants nés avec des caractéristiques sexuelles « déviantes » [irregular] pour leur permettre de sadapter, dêtre plus à laise et datteindre à la normalité. Bien que ces interventions chirurgicales « forcées » se pratiquent parfois avec laccord des parents et au nom de la normalisation, on a prouvé leur coût psychique et physique énorme pour ceux qui ont été soumis, pour ainsi dire, au scalpel de la norme.5 Les corps que produit cette application régulatrice de la norme sont des corps douloureux, stigmatisés par la violence et la souffrance. Dans ce cas, lidéalité de la morphologie genrée est littéralement gravée dans la chair.
Le genre est donc une norme régulatrice, mais cest également une norme produite au service dautres types
de régulations. Par exemple, les mesures contre le harcèlement sexuel supposeraient, selon Catherine MacKinnon, que le harcèlement fût un assujetissement systématique des femmes sur le lieu de travail, là où les hommes occupent en général la position de harceleurs et les femmes celle de harcelées. Pour MacKinnon, lorigine du harcèlement se trouve dans la sujétion sexuelle des femmes à un niveau plus fondamental. Or ces mesures, dont lobjet est déviter les comportements dégradants sur le lieu de travail, sont également porteuses de normes de genre implicites. Dans un sens, la régulation implicite du genre passe par lintermédiaire dune régulation explicite de la sexualité.
Pour MacKinnon, le genre est le produit de la structure hiérarchique de lhétérosexualité dans laquelle
les hommes sont compris comme subordonnant les femmes : « Saisie comme un attribut attaché à une personne, linégalité sexuelle assume la forme du genre, en se déplaçant elle devient une relation inter-individuelle et prend la forme de la sexualité. Le genre émerge comme la forme figée de la sexualisation de linégalité entre hommes et femmes.»6
Si le genre est la forme saisie que prend la sexualisation de linégalité, alors celle-ci précède le genre et le genre en est un effet. Serait-il possible, à vrai dire, de conceptualiser la sexualisation de linégalité sans sappuyer sur une conception préalable du genre ? Peut-on soutenir que les hommes assujettissent sexuellement les femmes sans avoir a priori une idée de ce que sont les hommes et les femmes ? Il me semble que MacKinnon soutient que le genre ne peut se constituer en dehors de ce cadre et, par implication, en dehors de cette définition de la sexualité comme assujetissante et exploitante.
En proposant de réglementer le harcèlement sexuel par le recours à ce type danalyse, cest-à-dire à celle du caractère systématique de la subordination sexuelle, MacKinnon institue une régulation dun autre type : avoir un genre, cest être déjà impliqué/e dans une relation de subordination hétérosexuelle. De ce fait, aucun individu ne se situerait en dehors de telles relations, il nexisterait pas de relations hétérosexuelles qui ne soient pas assujetissantes, il nexisterait pas de relations non-hétérosexuelles ni de harcèlement au sein du même sexe.
Au sein de la queer theory contemporaine, cette réduction du genre à la sexualité a provoqué deux types de démarche distinctes, mais qui se recoupent. La première consiste à opérer un clivage entre sexualité et genre de sorte que, dune part, avoir un genre ne présuppose pas un engagement quelconque dans telle ou telle pratique sexuelle et que, dautre part, lengagement dans une pratique sexuelle donnée, anale, par exemple, ne présuppose pas lappartenance à un genre déterminé7. Dans la seconde démarche (liée à la première), le genre nest pas réductible à une hétérosexualité hiérarchisée et prend donc des formes différentes dans un contexte de sexualités homosexuelles [queer]. En échappant au cadre hétérosexuel, la binarité sexuelle ne peut donc plus être considérée comme allant de soi. Par ailleurs, le genre lui-même étant marqué par une certaine instabilité interne, les vies transgenrées sont la preuve dune rupture de toutes les chaînes de déterminisme causal qui lient sexualité et genre. La discordance entre genre et sexualité se voit donc affirmée à partir de deux perspectives différentes : lune cherche à ouvrir des possibilités de sexualité non contraintes par le genre, en vue de briser le caractère causal et réducteur des arguments qui lient les deux termes, la seconde veut ouvrir au genre des possibilités non prédéterminées par des formes dhétérosexualité hégémoniques8.
Si les mesures anti-harcèlement sont fondées sur la thèse selon laquelle le genre est un effet caché de la subordination sexuelle dans la relation hétérosexuelle, le problème est que tout raisonnement concomittant viendra renforcer les définitions du genre et de la sexualité données. Dans la théorie de MacKinnon, le genre est produit dans le cadre de la subordination sexuelle, cest-à-dire quen réalité, le harcèlement sexuel devient lallégorie de la production du genre. À mon avis et dans ce cas, les mesures antiharcèlement sexuel servent elles-mêmes à reproduire les normes de genre.
Ne sous-estimons pas la violence exercée par ces normes, surtout quand elles en viennent à distinguer ce qui est une vie vivable de ce qui ne lest pas. Parmi les sanctions sociales appliquées aux transgressions de genre je citerai, par exemple, la « correction » chirurgicale des personnes intersexuées, la pathologisation médicale et psychiatrique et la criminalisation des personnes souffrant de « dysphorie du genre » [gender dysphoric] dans plusieurs pays, dont les États-Unis, le harcèlement des personnes ayant des « troubles du genre » [gender troubled] dans la rue ou au travail, la discrimination à lembauche et la violence.
Cest pourquoi, si lon croit que ces normes régulatrices nagissent pas par la force, mais quelles sont une violence exercée par souci dhumanité ou même une forme atténuée de la violence elle-même, on se trompe. Pour moi, il ny a pas dautre manière de comprendre la violence exercée contre les minorités de genre et de sexe : il sagit en effet toujours de limposition forcée dun système normatif. Lassassinat dhommes dapparence féminine, de femmes dapparence masculine ou de personnes transgenrées doit nous interroger : quelle est donc cette anxiété intolérable provoquée par lapparition publique dune personne ouvertement gay, de quelquun dont le genre nest pas conforme aux normes, de quelquun dont la sexualité défie linterdit public qui lui est intimé, de quelquun dont le corps nest pas conforme à certains idéaux morphologiques ? À quoi donc obéissent ceux qui en viennent à tuer quelquun au prétexte de son homosexualité ou à menacer quelquun parce quil ou elle est intersexué/e ?
Le désir de tuer quelquun ou lacte lui-même par lequel cette personne refuse de se conformer à la norme de genre qui devrait réguler sa vie laissent à penser que, dune part, la vie elle même exige lexistence de normes protectrices et que, dautre part, se situer et vivre en dehors de cette norme cest tout simplement sexposer à la mort. Lauteur/e de menaces dune telle violence obéit à une croyance apeurée et rigide lui faisant redouter une désintégration radicale du sens du monde et de soi si un tel être, inclassable, avait lautorisation de vivre au cur du monde social. La négation, par la violence, de ce corps est un effort vain et violent pour restaurer lordre, pour renouveler le monde social sur la base dun genre donné comme intelligible, elle tend à refuser le défi de repenser ce monde comme étant autre que naturel ou nécessaire. Ceci nest pas très éloigné de la menace de mort ou même des assassinats de transsexuels perpétrés dans différents pays et de la perception dhommes gay comme « féminins » ou de lesbiennes comme « masculines ». Ces crimes ne sont pas toujours immédiatement reconnus comme actes criminels. Ils sont parfois dénoncés par certains gouvernements ou organismes internationaux, mais il arrive quils ne soient pas inclus dans la liste des crimes lisibles ou « réels » commis contre lhumanité dressée par ces institutions elles-mêmes.
Si nous nous opposons à cette violence, au nom de quoi le faisons-nous ? Quelle est lalternative à cette violence, et quelle transformation du monde social revendiquons-nous ? Cette violence surgit en fait dun profond désir de conserver le caractère naturel ou nécessaire de lordre binaire du genre, den faire une structure, soit naturelle, soit culturelle, ou les deux, à laquelle aucun humain ne puisse sopposer et ceci en restant humain. Quiconque soppose à ces normes, non seulement en exprimant son opposition, mais en intégrant cette opposition à son corps, à son style corporel, en la rendant lisible, sexpose à une violence lui intimant de défaire cette lisibilité, de mettre en cause sa possibilité, de la rendre irréelle et impossible en dépit dune apparence qui le dément. Rien ne sépare clairement ces différents points de vue. Contester, par la violence, une opposition « incarnée » cest dire de manière concrète que ce corps, ce défi à une version patentée du monde est et demeure impensable. Pour appliquer les limites de ce qui sera considéré comme réel, il faudra tenir à distance ce qui est contingent, fragile et susceptible de transformations fondamentales dans lordre genré des choses.
De cette analyse surgit une interrogation dordre éthique : comment aborder cette différence qui conteste notre grille dintelligibilité sans pour autant forclore le défi quelle produit ? Que signifierait dapprendre à vivre avec langoisse née de ce défi, de sentir la certitude épistémologique et ontologique partir à la dérive tout en acceptant, au nom de lhumain, que lhumain devienne autre chose que ce quil est traditionnellement supposé être ? Il nous faudrait alors apprendre à vivre, à embrasser à la fois la destruction et la désarticulation de lhumain au nom dun monde plus accueillant et finalement moins violent, renoncer à connaître à lavance la forme précise que prend et prendra notre qualité dhumain, tout en restant ouvert à sa permutation et ceci au nom de la non-violence.
Lorsque nous voulons définir ce qui rend une vie vivable, nous nous interrogeons sur certaines conditions normatives qui doivent être remplies pour que la vie devienne « une vie ». Il y a donc au moins deux sens à la vie, dune part, celui qui fait référence à sa forme biologique minimale et de lautre, celui qui intervient à la source, qui établit les conditions minimales dune vie vivable au regard dune vie humaine9. Ce qui nimplique pas que nous puissions écarter le simple fait dêtre vivant [living] en faveur dune « vie vivable », mais plutôt que nous devons demander, tout comme nous lavons fait pour la violence du genre, ce que les humains requièrent pour maintenir et reproduire les conditions de leur propre capacité de vivre [livability]. Quels choix politiques nous permettraient détablir, dune manière ou dune autre, la vivabilité au plan conceptuel en même temps que nous lassurerions au plan institutionnel ?
Le sens de cette question sera toujours un objet de discorde et les partisans dune orientation politique unique choisie en vertu de cet engagement se tromperaient lourdement. Il en est ainsi parce que vivre, cest vivre une vie politique en relation avec le pouvoir et avec autrui, cest accepter sa part de responsabilité dans la construction dun avenir collectif. Mais attention, prendre une responsabilité pour lavenir, ne signifie aucunement en connaître lorientation à lavance, puisque lavenir et en particulier lavenir avec et pour autrui, exige une certaine ouverture et lacceptation dun état dignorance, cela implique la participation à un processus dont aucun sujet ne peut prédire lissue. Cela implique également lacceptation dune certaine forme de conflit et mise en cause de lorientation à prendre. La contestation est la condition indispensable dune vie politique démocratique. La démocratie ne parle pas dune seule voix, les airs quelle produits sont dissonants et il est nécessaire quils le soient. Il ne sagit pas dun processus prévisible, mais dun processus qui doit être vécu au même titre quune passion doit être vécue. La vie elle-même risque dêtre forclose si lon décide à lavance de ce quest la voie juste, si lon impose ce qui est juste à tout un chacun sans le moyen de pénétrer une communauté qui permette de découvrir le « juste » au cur de la traduction culturelle. Il peut se faire que le « juste » et le « bon » impliquent de rester ouvert aux tensions qui assaillent les catégories les plus essentielles que nous exigeons, en acceptant un état dignorance au cur même de notre savoir et de nos besoins, en sâchant reconnaître la manifestation de la vie dans ce que nous subissons sans pour autant avoir de certitude sur ce qui adviendra.
Le texte publié, ici, a été lu par lauteure lors de sa venue en France en mai dernier où elle était linvitée du Centre de recherches sur lart (CRÉART-Phi) à lUniversité Paris X Nanterre. Cette allocution était introduite et présentée par Etienne Balibar.
1 Voir Carol Smart, Regulating Women.
2 Voir François Ewald, «Norms, Discipline and the Law»,»A Concept of Social Law», «A Power Without an E
1 Voir Carol Smart, Regulating Women.
2 Voir François Ewald, «Norms, Discipline and the Law»,»A Concept of Social Law», «A Power Without an E