Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°50 [octobre 2004 - décembre 2004]
© Passant n°50 [octobre 2004 - décembre 2004]
par Emmanuel Halais
Imprimer l'articleSexe et conformisme gay
Entrez dans la pénombre, longez les couloirs, repoussez les rideaux, croisez ces corps, effleurez-les et laissez-les vous effleurer. Echangez des regards, des sourires. Si lun vous plaît, si deux ou plus vous plaisent, laissez-vous aller, laissez-les faire, laissez-vous faire. Touchez, caressez, embrassez, prenez du plaisir et donnez-en. Avec qui vous voulez, et qui vous veut. Avec qui veut voir ou ne pas voir. Ou : entrez dans le brouillard et repérez ces formes. Faites lamour dans un nuage. Faites ce que vous voulez. Ou : prenez un sac à dos et partez en forêt, rencontrez dautres randonneurs. Ou : partez à la plage, et derrière les dunes
il y a tellement de possibilités. Tellement de choses que lon peut expérimenter. Avec tellement de personnes. Cest peut-être ça, la liberté. Ou le début de sa compréhension.
Comme mon frère me la fait remarquer, les back-room pour hétéros, ça nexiste pas. Il le regrette profondément. Effectivement, ça nexiste pas, mis à part les clubs échangistes, mais il ne sagit pas de la même chose. Il y a quelque chose dincroyable, dinestimable, dans le fait que lon peut aller dans des endroits ou plusieurs, parfois des dizaines de personnes, font lamour à coté ou ensemble. Quelque chose denvoûtant, quelque chose de mystérieux. Il y a une grande force dans cette idée, elle recouvre à la fois lidée dune démesure fantastique (une chaîne sans fin dêtre humains nus qui donnent et reçoivent du plaisir) et dune liberté totale (choisissez vos attachements, nouez-les et dénouez-les, multipliez-les à lenvie). Il sy passe des choses étranges, toutes sortes de comportements et denvies, de fantasmes se croisent. On peut vivre des évènements extraordinaires, avec une ou deux (ou plus) personnes. Des événements que lon oubliera jamais, et avoir une idée de lextase sexuelle comme une des choses les plus belles qui soient données à lhomme déprouver. Sentir cette force et cette liberté. Pour reprendre la belle expression dun acteur porno, on peut y « tomber amoureux sexuellement », ou pourquoi pas sentimentalement. On peut aller avec des gens, faire ce dont on a envie, et ne plus jamais les revoir après et ceux qui parlent de casual sex (sexe sans lendemain) en termes méprisants, ceux qui disent « quils ne donnent pas là-dedans » sont des envieux frustrés qui nosent pas se lancer et se vengent sur ceux qui osent. Doù vient alors le sentiment que quelque chose cloche dans cette si belle invention ? Que quelque chose est raté ? Doù vient lidée de quelque chose de pitoyable, qui côtoie cette liberté sauvage ? Est-ce dans le fait que beaucoup de ces gens shabillent pareils, quils sont coiffés pareils (rasés), quils semblent tous sniffer leur poppers pour atteindre un plaisir incertain, quils tirent des têtes pas possibles, à qui sera le plus sinistre ? Est-ce dans le fait que, justement, ils nont en fait aucune idée de la chance qui leur est donnée ; quils « font du sexe » comme ils feraient autre chose, par ennui, par peur de la mort, par peur de vieillir, ou tout simplement parce quils en ont la possibilité ?
La liberté sexuelle semble un acquis. Or cest complètement raté parce que, paradoxalement, cela revient à banaliser le sexe. En ce sens, le sexe devient une partie de la structure sociale dégénérée, qui sy entend pour récupérer ce quelle exclut. Alors, ils font ça en troupeau, au lieu de faire ça en individus. En consommateurs, au lieu dexprimer leur flamme. Ils avaient une chance. La chance de voir quil y a quelque chose de spécifique dans la sexualité poussée à son terme, qui exprime quelque chose dinfini en termes de possibilités : le fait de voir cela à propos dune des activités les plus importantes de nos vies, le sexe, devrait rejaillir sur toutes les autres : activités sociales, le travail, les relations avec les amis et les proches, lexpression artistique ou autre. Ouvrir limagination. Mais non. Le sexe est finalement étouffé, il est cloisonné, dans les lieux mêmes où il pourrait sexprimer et augmenter lhomme tout entier.
Ainsi, souvent, le sexe gay nest pas plus excitant que le sexe hétérosexuel. Il ny a peut-être finalement pas tant de quoi sen étonner. Après tout, les gens sont par nature conformistes. Si la société impose la stabilité, ce nest pas tout à fait par hasard. Il est difficile de savoir comment réagir par rapport à la question des « droits » des homosexuels, par exemple. Des gens continuent à être persécutés et à mourir parce quils sont homosexuels. Cest horrible. Mais ce nest pas une raison pour verser dans cette propagande ridicule, cet égalitarisme à tout crin défendu par la soi-disant « communauté » gay. Le simple fait de sériger en « communauté » est devenu complètement grotesque. Beaucoup de gays se laissent stigmatiser dans des postures de folles, postures dexcentriques ; et en même temps cherchent à se marier. Comme si la revendication la plus importante au monde était la structure décadente petit-bourgoise, justement celle quelle aurait pu remettre en question. Il ny a rien de mal à cela ; si deux personnes veulent se marier, quelles le fassent. Heureusement, ce nest pas la seule possibilité.
Peut-être quau-delà de la question du mariage gay, cest sur lidée même du couple quil faut revenir. On peut considérer une « certaine idée de lamour » comme étant une invention de la société pour nous canaliser. Ce qui est terrible avec lhomosexualité, cest que certaines caricatures hétérosexuelles se révèlent sous un jour encore plus cru. Il ny a rien de plus risible quun couple de pédés promenant son chien dans le marais. Cest en soi un cliché. On entend souvent adresser aux gays le reproche de singer les hétéros, et cest bien sûr ce quils font. Cela étant, ils ne peuvent pas non plus seulement recopier trait pour trait le modèle de couple hétérosexuel. Il y a cette question du sexe. Cette question des partenaires mutiples. Partagés entre la crispation hétérosexuelle sur le couple et la révélation (cela devrait être une évidence) quune vie sexuelle épanouie est une vie sexuelle avec plusieurs personnes, la solution prend la forme dun compromis, que certains ne manqueront pas de qualifier noblement de « nouveau modèle » relationnel. Linvention typiquement gay est alors la suivante : une forme de couple « libérale », du genre : on est ensemble tous les deux et rien ne détruira notre unité, ça nempêche pas de baiser à droite et à gauche ça na rien à voir avec lamour. Quand on le fait, on se raconte nos expériences et puis on passe à autre chose. Ainsi, la question de la fidélité semble se poser en des termes nouveaux, inédits. Certains sexciteront sur ce quils verront comme un nouveau « concept » de fidélité et sinterrogeront longuement sur son contenu. Mais outre le caractère en trompe-lil de ce nouveau concept franchement, ce quon appelle une infidélité na de sens que par rapport à la notion de couple, on est infidèle quand on va voir ailleurs, point. À partir de là, on peut louvoyer tant quon veut le problème est que cela ne résout rien. Une fois encore, si les gens veulent vivre comme ça et sont heureux comme ça, tant mieux pour eux. Le problème, cest quand certaines pratiques en viennent à sériger en normes. Or ce concept est bancal. Il lest, déjà parce que dans lhistoire, il y en a forcément un des deux qui « profite » plus de la carte je-vais-voir-ailleurs-mais-tout-est-normal-mon-chéri ; et du coup un des deux qui en souffre. Mais à mon avis ce nest même pas le vrai problème. Le vrai problème, cest lidée de lamour qui est véhiculée, lidée dun amour qui na plus rien à voir avec le sexe. Si en ayant une vie de couple, je peux aller « tirer mon coup » quand jen ai envie et que ça ne change rien à ma relation, cela veut dire que, une fois encore, le sexe est complètement neutralisé. Rangé dans sa boîte. Et lamour aussi est neutralisé.
Si lidée est quon va rencontrer quelquun, coucher avec, se voir dabord un peu puis de plus en plus souvent, puis sinstaller chez la personne ou elle chez vous, puis prendre un appartement ensemble, partir en vacances ensemble, faire un emprunt ensemble, acheter un terrain ensemble, faire construire la maison, acheter un lave-vaisselle, une tondeuse à gazon, recevoir les autres couples gay, plus le copin célibataire qui na pas encore réussi à se caser mon dieu ! cest quil nest plus tout jeune ! vieillir ensemble, éventuellement adopter des gosses, et finir par mourir à peu près ensemble, elle nest pas très originale. Elle correspond à cette vieille idée terrible que lon « construit » quelque chose. Elle signifie juste que vivre cest « vivre à deux », avec la dimension de routine et dennui que cela suppose, lidée quen définitive la somme de plaisir doit lemporter un peu sur celle de déplaisir ; aussi avec le confort que cela apporte. Parce que cest bien de cela quil sagit : de confort. Dans la vision que jai présentée tout à lheure, celle où les gens font lamour dans un tourbillon incessant, un mélange de corps, de cris, dâmes, celle de la sexualité comme sans limites et incontrôlable, et comme signe dêtres sans limites et incontrôlables, il ny a pas de confort.
Comme mon frère me la fait remarquer, les back-room pour hétéros, ça nexiste pas. Il le regrette profondément. Effectivement, ça nexiste pas, mis à part les clubs échangistes, mais il ne sagit pas de la même chose. Il y a quelque chose dincroyable, dinestimable, dans le fait que lon peut aller dans des endroits ou plusieurs, parfois des dizaines de personnes, font lamour à coté ou ensemble. Quelque chose denvoûtant, quelque chose de mystérieux. Il y a une grande force dans cette idée, elle recouvre à la fois lidée dune démesure fantastique (une chaîne sans fin dêtre humains nus qui donnent et reçoivent du plaisir) et dune liberté totale (choisissez vos attachements, nouez-les et dénouez-les, multipliez-les à lenvie). Il sy passe des choses étranges, toutes sortes de comportements et denvies, de fantasmes se croisent. On peut vivre des évènements extraordinaires, avec une ou deux (ou plus) personnes. Des événements que lon oubliera jamais, et avoir une idée de lextase sexuelle comme une des choses les plus belles qui soient données à lhomme déprouver. Sentir cette force et cette liberté. Pour reprendre la belle expression dun acteur porno, on peut y « tomber amoureux sexuellement », ou pourquoi pas sentimentalement. On peut aller avec des gens, faire ce dont on a envie, et ne plus jamais les revoir après et ceux qui parlent de casual sex (sexe sans lendemain) en termes méprisants, ceux qui disent « quils ne donnent pas là-dedans » sont des envieux frustrés qui nosent pas se lancer et se vengent sur ceux qui osent. Doù vient alors le sentiment que quelque chose cloche dans cette si belle invention ? Que quelque chose est raté ? Doù vient lidée de quelque chose de pitoyable, qui côtoie cette liberté sauvage ? Est-ce dans le fait que beaucoup de ces gens shabillent pareils, quils sont coiffés pareils (rasés), quils semblent tous sniffer leur poppers pour atteindre un plaisir incertain, quils tirent des têtes pas possibles, à qui sera le plus sinistre ? Est-ce dans le fait que, justement, ils nont en fait aucune idée de la chance qui leur est donnée ; quils « font du sexe » comme ils feraient autre chose, par ennui, par peur de la mort, par peur de vieillir, ou tout simplement parce quils en ont la possibilité ?
La liberté sexuelle semble un acquis. Or cest complètement raté parce que, paradoxalement, cela revient à banaliser le sexe. En ce sens, le sexe devient une partie de la structure sociale dégénérée, qui sy entend pour récupérer ce quelle exclut. Alors, ils font ça en troupeau, au lieu de faire ça en individus. En consommateurs, au lieu dexprimer leur flamme. Ils avaient une chance. La chance de voir quil y a quelque chose de spécifique dans la sexualité poussée à son terme, qui exprime quelque chose dinfini en termes de possibilités : le fait de voir cela à propos dune des activités les plus importantes de nos vies, le sexe, devrait rejaillir sur toutes les autres : activités sociales, le travail, les relations avec les amis et les proches, lexpression artistique ou autre. Ouvrir limagination. Mais non. Le sexe est finalement étouffé, il est cloisonné, dans les lieux mêmes où il pourrait sexprimer et augmenter lhomme tout entier.
Ainsi, souvent, le sexe gay nest pas plus excitant que le sexe hétérosexuel. Il ny a peut-être finalement pas tant de quoi sen étonner. Après tout, les gens sont par nature conformistes. Si la société impose la stabilité, ce nest pas tout à fait par hasard. Il est difficile de savoir comment réagir par rapport à la question des « droits » des homosexuels, par exemple. Des gens continuent à être persécutés et à mourir parce quils sont homosexuels. Cest horrible. Mais ce nest pas une raison pour verser dans cette propagande ridicule, cet égalitarisme à tout crin défendu par la soi-disant « communauté » gay. Le simple fait de sériger en « communauté » est devenu complètement grotesque. Beaucoup de gays se laissent stigmatiser dans des postures de folles, postures dexcentriques ; et en même temps cherchent à se marier. Comme si la revendication la plus importante au monde était la structure décadente petit-bourgoise, justement celle quelle aurait pu remettre en question. Il ny a rien de mal à cela ; si deux personnes veulent se marier, quelles le fassent. Heureusement, ce nest pas la seule possibilité.
Peut-être quau-delà de la question du mariage gay, cest sur lidée même du couple quil faut revenir. On peut considérer une « certaine idée de lamour » comme étant une invention de la société pour nous canaliser. Ce qui est terrible avec lhomosexualité, cest que certaines caricatures hétérosexuelles se révèlent sous un jour encore plus cru. Il ny a rien de plus risible quun couple de pédés promenant son chien dans le marais. Cest en soi un cliché. On entend souvent adresser aux gays le reproche de singer les hétéros, et cest bien sûr ce quils font. Cela étant, ils ne peuvent pas non plus seulement recopier trait pour trait le modèle de couple hétérosexuel. Il y a cette question du sexe. Cette question des partenaires mutiples. Partagés entre la crispation hétérosexuelle sur le couple et la révélation (cela devrait être une évidence) quune vie sexuelle épanouie est une vie sexuelle avec plusieurs personnes, la solution prend la forme dun compromis, que certains ne manqueront pas de qualifier noblement de « nouveau modèle » relationnel. Linvention typiquement gay est alors la suivante : une forme de couple « libérale », du genre : on est ensemble tous les deux et rien ne détruira notre unité, ça nempêche pas de baiser à droite et à gauche ça na rien à voir avec lamour. Quand on le fait, on se raconte nos expériences et puis on passe à autre chose. Ainsi, la question de la fidélité semble se poser en des termes nouveaux, inédits. Certains sexciteront sur ce quils verront comme un nouveau « concept » de fidélité et sinterrogeront longuement sur son contenu. Mais outre le caractère en trompe-lil de ce nouveau concept franchement, ce quon appelle une infidélité na de sens que par rapport à la notion de couple, on est infidèle quand on va voir ailleurs, point. À partir de là, on peut louvoyer tant quon veut le problème est que cela ne résout rien. Une fois encore, si les gens veulent vivre comme ça et sont heureux comme ça, tant mieux pour eux. Le problème, cest quand certaines pratiques en viennent à sériger en normes. Or ce concept est bancal. Il lest, déjà parce que dans lhistoire, il y en a forcément un des deux qui « profite » plus de la carte je-vais-voir-ailleurs-mais-tout-est-normal-mon-chéri ; et du coup un des deux qui en souffre. Mais à mon avis ce nest même pas le vrai problème. Le vrai problème, cest lidée de lamour qui est véhiculée, lidée dun amour qui na plus rien à voir avec le sexe. Si en ayant une vie de couple, je peux aller « tirer mon coup » quand jen ai envie et que ça ne change rien à ma relation, cela veut dire que, une fois encore, le sexe est complètement neutralisé. Rangé dans sa boîte. Et lamour aussi est neutralisé.
Si lidée est quon va rencontrer quelquun, coucher avec, se voir dabord un peu puis de plus en plus souvent, puis sinstaller chez la personne ou elle chez vous, puis prendre un appartement ensemble, partir en vacances ensemble, faire un emprunt ensemble, acheter un terrain ensemble, faire construire la maison, acheter un lave-vaisselle, une tondeuse à gazon, recevoir les autres couples gay, plus le copin célibataire qui na pas encore réussi à se caser mon dieu ! cest quil nest plus tout jeune ! vieillir ensemble, éventuellement adopter des gosses, et finir par mourir à peu près ensemble, elle nest pas très originale. Elle correspond à cette vieille idée terrible que lon « construit » quelque chose. Elle signifie juste que vivre cest « vivre à deux », avec la dimension de routine et dennui que cela suppose, lidée quen définitive la somme de plaisir doit lemporter un peu sur celle de déplaisir ; aussi avec le confort que cela apporte. Parce que cest bien de cela quil sagit : de confort. Dans la vision que jai présentée tout à lheure, celle où les gens font lamour dans un tourbillon incessant, un mélange de corps, de cris, dâmes, celle de la sexualité comme sans limites et incontrôlable, et comme signe dêtres sans limites et incontrôlables, il ny a pas de confort.