Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°50 [octobre 2004 - décembre 2004]
© Passant n°50 [octobre 2004 - décembre 2004]
par Noël Mamère
Imprimer l'articleRetour sur le mariage homosexuel
Une expérience politique
Si lon me demandait de procéder à une sélection parmi les événements qui ont le plus marqué ma vie politique depuis quinze ans, je placerais au tout premier plan le
5 juin 2004, date du mariage de deux personnes de même sexe à la mairie de Bègles. Moins en raison du battage médiatique intense auquel il a donné lieu que pour ce quil a révélé de blocages et de tabous dont souffre aujourdhui la société française.
Personne ne me croit lorsque jaffirme ne pas avoir mesuré lamplitude que prendrait la polémique au moment où jai pris la décision de célébrer ce mariage. Je nimaginais pas que la société, de la base au sommet, semparerait aussi vite du sujet et avec autant de passion. Avec le recul, la raison est simple à comprendre : en disant « nous marions », nous avons pris de court les filtres politiques et associatifs qui habituellement (comme ce fut le cas au moment du PACS) régulent les débats et les organisent « au nom » de la société. Une annonce, une date (et pas mal de détermination !) ont suffi à allumer le feu qui a brûlé les ailes de toutes les institutions, sans exception. Comme si nous avions activé une bombe à retardement. Dans laffolement général et toutes affaires cessantes (souvenons-nous des interventions publiques de Perben, Raffarin, Chirac... et Jospin !), le ban et larrière-ban des politiciens français sest retrouvé dos au mur, ce quils détestent au plus haut point, obligé de se prononcer sur une question de société, légalité des droits, sans en avoir fixé lui même lagenda. Faute de réponses politiques des partis à lexception des Verts qui avaient voté à une large majorité de leur CNIR (parlement vert) louverture du mariage à des personnes de même sexe nous avons assisté, mi-amusés, mi-consternés, à un ballet de danseurs mondains un peu coincés dans leurs costumes ; ceux de droite qui paraient subitement le PACS de toutes les vertus cinq ans après nous avoir annoncé un cataclysme pour la France si la Gauche votait cette loi... Et ceux de gauche qui disaient oui au mariage... Mais après un débat parlementaire (avec près de quatre cents députés de droite on connaît lissue dun tel débat !), parce quil faut « respecter la loi ». Sous-entendu : « Mamère est un hors-la-loi ». Finalement, chacun est resté dans son rôle : la droite ne sest pas coupée de la frange la plus conservatrice de son électorat en défendant les « valeurs de la Famille » contre les subversifs qui veulent les mettre à mal et le PS, fidèle au principe de « léquilibre » si cher à Jospin, a tenté de ménager toutes les composantes de son électorat en soufflant le chaud et le froid. Ce qui nengage à rien, mais qui ne mène à rien ! En matière dhypocrisie, notre classe politique sest surpassée à cette occasion. Dailleurs, quand je fais le compte des soutiens politiques sans faille, le bilan est maigre : le 5 juin, à Bègles, autour de moi, dans la salle des mariages, en dehors des élus et militants verts, des représentants du « manifeste pour légalité des droits », il ny avait que Clémentine Autain, adjointe au maire de Paris, apparentée PCF, des élus béglais de la société civile, quelques militants communistes, mais pas un seul de leurs représentants au conseil municipal et pas un seul élu socialiste de Bègles ou dailleurs... Ils ont sans doute appliqué le principe de précaution politique consistant à ne pas se montrer en mauvaise compagnie dans un lieu qui sent le soufre pour éviter de perdre des électeurs... Tout ce monde a couru courageusement aux abris. En croyant se protéger, il na fait que contribuer à creuser un peu plus le fossé qui sépare les politiques des citoyens. Ce quils veulent, ce sont des responsables de la vie publique qui prennent le risque douvrir le débat démocratique et non des petits notables qui fuient leurs responsabilités.
Au fond, ce sont les psychiatres, les psychanalystes, quelques intellectuels et sociologues, un petit nombre de journalistes qui avaient saisi les vrais enjeux de ce mariage, qui ont réellement contribué à animer le débat que les politiques nont pas voulu prendre en charge. Et cest sans doute la principale leçon politique quil faut tirer de cet épisode : notre société politique est figée. Elle refuse de regarder en face les problèmes qui risquent de la déstabiliser. Au lieu de promouvoir une société ouverte, gage de vitalité démocratique, elle se recroqueville sur ses préjugés et sur ses peurs. Dans une sorte de schizophrénie permanente, elle freine le progrès de nos libertés tout en vantant leurs mérites de tribune en estrades. Cest cette contradiction quEllul avait analysée dans LIllusion politique1, cautionnant cette idée dangereuse selon laquelle la politique ne servirait à rien, sinon à remplir les poches de ceux qui en vivent, et naurait aucune prise sur un monde qui sait très bien se passer delle, ou sen servir, pour ses petites et grandes affaires. Mais Ellul savait aussi et il lécrivait que la politique conçue comme un outil au service des libertés reste la meilleure arme pour lutter contre lignorance et la peur de soi, les deux proies les plus prisées de tous les conservatismes.
Cest cette idée-là de la politique que jai voulu défendre le 5 juin à Bègles. Dans la lignée dun certain nombre dautres combats pour les libertés menés depuis longtemps, bien avant de me retrouver dans la peau dun homme politique. En pratiquant la « désobéissance institutionnelle », en tenant jusquau bout, quelles que soient les pressions et les menaces, jai voulu démontrer que la politique peut être « utile » pour faire avancer des causes que lon croit justes et que désobéir face aux conservatismes est une forme de civisme. Jai voulu montrer que le combat pour légalité des droits et pas seulement sur la question de lorientation sexuelle doit demeurer une priorité permanente, quil ny a pas de moment ni de calcul électoral pour la faire avancer parce que, même dans une société démocratique, les libertés ne se donnent pas, elles se conquièrent.
Pouvait-on rester dans le seul ordre de la compassion après ce qui était arrivé à Sebastien Nouchet, atrocement brûlé par quelques individus parce quil est homosexuel ? Un tel geste ne nous concernait-il pas tous ? Comme doivent tous nous concerner les profanations de tombes juives et musulmanes. Cest à partir de cet événement que sest constitué « le manifeste pour légalité des droits », à linitiative de quelques intellectuel-le-s gay et lesbiennes qui se sont adressés à des centaines de personnalités de tous horizons. Nous avons été nombreux à répondre présents et à nous engager sur un certain nombre de points (cf. Le Monde du 17 mars 2004) dont louverture du mariage à des personnes de même sexe comme symbole de légalité des droits. Nous savions quune telle proposition mettait en cause la famille, le mariage traditionnel, la filiation, la sexualité... Autant de sujets tabous quil ne fallait pas avoir peur daffronter pour faire franchir un pas décisif à la lutte contre lhomophobie et, partant, au combat contre toutes les formes de discrimination. Cest donc en toute connaissance de cause que jai tenu mon engagement qui navait rien à voir avec une initiative individuelle et isolée.
Le débat a eu lieu au-delà de toutes nos espérances et nous nous sommes attachés, en permanence, à le resituer dans un combat global pour les libertés, à lintégrer dans un contexte européen, en expliquant que la Belgique et la Hollande nont pas sombré dans le chaos en ouvrant, sans crise, le mariage à des personnes de même sexe, en expliquant que le mariage de deux hommes (ou de deux femmes) est moins une menace pour la société que la montée des communautarismes et lethnicisation qui la ronge... Et que, accessoirement, un élu vert nest pas condamné à ne soccuper que de fleurs et des petits oiseaux. Lavenir de la planète passe aussi par légalité des droits et la conquête des libertés.
Après avoir reçu tant et tant de lettres haineuses, après avoir entendu le 5 juin, devant les grilles de ma Mairie : « les pédés en camp de concentration », je sais pourquoi je fais de la politique et je connais mieux le sens de mon engagement: lutter contre lignorance et la peur de soi qui produisent la haine, une seconde souffrance.
En terminant ce témoignage, je pense à cette phrase de René Char: « impose ta chance/ sers ton courage/ va vers ton risque/ à te regarder ils shabitueront ». Et à ne jamais se taire, il faut se contraindre.
5 juin 2004, date du mariage de deux personnes de même sexe à la mairie de Bègles. Moins en raison du battage médiatique intense auquel il a donné lieu que pour ce quil a révélé de blocages et de tabous dont souffre aujourdhui la société française.
Personne ne me croit lorsque jaffirme ne pas avoir mesuré lamplitude que prendrait la polémique au moment où jai pris la décision de célébrer ce mariage. Je nimaginais pas que la société, de la base au sommet, semparerait aussi vite du sujet et avec autant de passion. Avec le recul, la raison est simple à comprendre : en disant « nous marions », nous avons pris de court les filtres politiques et associatifs qui habituellement (comme ce fut le cas au moment du PACS) régulent les débats et les organisent « au nom » de la société. Une annonce, une date (et pas mal de détermination !) ont suffi à allumer le feu qui a brûlé les ailes de toutes les institutions, sans exception. Comme si nous avions activé une bombe à retardement. Dans laffolement général et toutes affaires cessantes (souvenons-nous des interventions publiques de Perben, Raffarin, Chirac... et Jospin !), le ban et larrière-ban des politiciens français sest retrouvé dos au mur, ce quils détestent au plus haut point, obligé de se prononcer sur une question de société, légalité des droits, sans en avoir fixé lui même lagenda. Faute de réponses politiques des partis à lexception des Verts qui avaient voté à une large majorité de leur CNIR (parlement vert) louverture du mariage à des personnes de même sexe nous avons assisté, mi-amusés, mi-consternés, à un ballet de danseurs mondains un peu coincés dans leurs costumes ; ceux de droite qui paraient subitement le PACS de toutes les vertus cinq ans après nous avoir annoncé un cataclysme pour la France si la Gauche votait cette loi... Et ceux de gauche qui disaient oui au mariage... Mais après un débat parlementaire (avec près de quatre cents députés de droite on connaît lissue dun tel débat !), parce quil faut « respecter la loi ». Sous-entendu : « Mamère est un hors-la-loi ». Finalement, chacun est resté dans son rôle : la droite ne sest pas coupée de la frange la plus conservatrice de son électorat en défendant les « valeurs de la Famille » contre les subversifs qui veulent les mettre à mal et le PS, fidèle au principe de « léquilibre » si cher à Jospin, a tenté de ménager toutes les composantes de son électorat en soufflant le chaud et le froid. Ce qui nengage à rien, mais qui ne mène à rien ! En matière dhypocrisie, notre classe politique sest surpassée à cette occasion. Dailleurs, quand je fais le compte des soutiens politiques sans faille, le bilan est maigre : le 5 juin, à Bègles, autour de moi, dans la salle des mariages, en dehors des élus et militants verts, des représentants du « manifeste pour légalité des droits », il ny avait que Clémentine Autain, adjointe au maire de Paris, apparentée PCF, des élus béglais de la société civile, quelques militants communistes, mais pas un seul de leurs représentants au conseil municipal et pas un seul élu socialiste de Bègles ou dailleurs... Ils ont sans doute appliqué le principe de précaution politique consistant à ne pas se montrer en mauvaise compagnie dans un lieu qui sent le soufre pour éviter de perdre des électeurs... Tout ce monde a couru courageusement aux abris. En croyant se protéger, il na fait que contribuer à creuser un peu plus le fossé qui sépare les politiques des citoyens. Ce quils veulent, ce sont des responsables de la vie publique qui prennent le risque douvrir le débat démocratique et non des petits notables qui fuient leurs responsabilités.
Au fond, ce sont les psychiatres, les psychanalystes, quelques intellectuels et sociologues, un petit nombre de journalistes qui avaient saisi les vrais enjeux de ce mariage, qui ont réellement contribué à animer le débat que les politiques nont pas voulu prendre en charge. Et cest sans doute la principale leçon politique quil faut tirer de cet épisode : notre société politique est figée. Elle refuse de regarder en face les problèmes qui risquent de la déstabiliser. Au lieu de promouvoir une société ouverte, gage de vitalité démocratique, elle se recroqueville sur ses préjugés et sur ses peurs. Dans une sorte de schizophrénie permanente, elle freine le progrès de nos libertés tout en vantant leurs mérites de tribune en estrades. Cest cette contradiction quEllul avait analysée dans LIllusion politique1, cautionnant cette idée dangereuse selon laquelle la politique ne servirait à rien, sinon à remplir les poches de ceux qui en vivent, et naurait aucune prise sur un monde qui sait très bien se passer delle, ou sen servir, pour ses petites et grandes affaires. Mais Ellul savait aussi et il lécrivait que la politique conçue comme un outil au service des libertés reste la meilleure arme pour lutter contre lignorance et la peur de soi, les deux proies les plus prisées de tous les conservatismes.
Cest cette idée-là de la politique que jai voulu défendre le 5 juin à Bègles. Dans la lignée dun certain nombre dautres combats pour les libertés menés depuis longtemps, bien avant de me retrouver dans la peau dun homme politique. En pratiquant la « désobéissance institutionnelle », en tenant jusquau bout, quelles que soient les pressions et les menaces, jai voulu démontrer que la politique peut être « utile » pour faire avancer des causes que lon croit justes et que désobéir face aux conservatismes est une forme de civisme. Jai voulu montrer que le combat pour légalité des droits et pas seulement sur la question de lorientation sexuelle doit demeurer une priorité permanente, quil ny a pas de moment ni de calcul électoral pour la faire avancer parce que, même dans une société démocratique, les libertés ne se donnent pas, elles se conquièrent.
Pouvait-on rester dans le seul ordre de la compassion après ce qui était arrivé à Sebastien Nouchet, atrocement brûlé par quelques individus parce quil est homosexuel ? Un tel geste ne nous concernait-il pas tous ? Comme doivent tous nous concerner les profanations de tombes juives et musulmanes. Cest à partir de cet événement que sest constitué « le manifeste pour légalité des droits », à linitiative de quelques intellectuel-le-s gay et lesbiennes qui se sont adressés à des centaines de personnalités de tous horizons. Nous avons été nombreux à répondre présents et à nous engager sur un certain nombre de points (cf. Le Monde du 17 mars 2004) dont louverture du mariage à des personnes de même sexe comme symbole de légalité des droits. Nous savions quune telle proposition mettait en cause la famille, le mariage traditionnel, la filiation, la sexualité... Autant de sujets tabous quil ne fallait pas avoir peur daffronter pour faire franchir un pas décisif à la lutte contre lhomophobie et, partant, au combat contre toutes les formes de discrimination. Cest donc en toute connaissance de cause que jai tenu mon engagement qui navait rien à voir avec une initiative individuelle et isolée.
Le débat a eu lieu au-delà de toutes nos espérances et nous nous sommes attachés, en permanence, à le resituer dans un combat global pour les libertés, à lintégrer dans un contexte européen, en expliquant que la Belgique et la Hollande nont pas sombré dans le chaos en ouvrant, sans crise, le mariage à des personnes de même sexe, en expliquant que le mariage de deux hommes (ou de deux femmes) est moins une menace pour la société que la montée des communautarismes et lethnicisation qui la ronge... Et que, accessoirement, un élu vert nest pas condamné à ne soccuper que de fleurs et des petits oiseaux. Lavenir de la planète passe aussi par légalité des droits et la conquête des libertés.
Après avoir reçu tant et tant de lettres haineuses, après avoir entendu le 5 juin, devant les grilles de ma Mairie : « les pédés en camp de concentration », je sais pourquoi je fais de la politique et je connais mieux le sens de mon engagement: lutter contre lignorance et la peur de soi qui produisent la haine, une seconde souffrance.
En terminant ce témoignage, je pense à cette phrase de René Char: « impose ta chance/ sers ton courage/ va vers ton risque/ à te regarder ils shabitueront ». Et à ne jamais se taire, il faut se contraindre.
1 Jacques Ellul, LIllusion politique, rééd. Table ronde, Paris, 2004. N.D.L.R.