Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°50 [octobre 2004 - décembre 2004]
© Passant n°50 [octobre 2004 - décembre 2004]
par Megan Lee Comfort
Imprimer l'articleToi, moi et le pénitencier font trois
Lincarcération de masse et la transformation dune idylle
Pour des millions de couples vivant aux Etats-Unis, il est un troisième élément qui entre en jeu dans lexpression au quotidien de la relation de couple et dans lévolution à long terme du dévouement, du désir et de lattente amoureuse. Le coupable nest pas dans ce cas un beau-parent ou un nouveau-né mais plutôt un système judiciaire qui met sous les barreaux 715 habitants pour 100 000 (contre 98 pour 100 000 en France) dont la majorité est pauvre et afro-américaine ou hispano-américaine.
Pour ceux des 2,1 millions de détenus qui essaient de maintenir une relation amoureuse depuis leur geôle, les autorités judiciaires deviennent de facto des chaperons qui gèrent et contrôlent les lettres quéchangent les couples, leurs coups de téléphone et leurs visites. Même quand les gens sortent de prison et sont libres de rejoindre leur partenaire dans le monde « libre », linstitution judiciaire les poursuit, en la personne dagents de probation ou de conditionnelle qui sont autorisés à perquisitionner domiciles et véhicules personnels à toute heure du jour et de la nuit, et à mettre fin à tout moment à la liberté dun être aimé pour le motif le plus futile. Il nest pas surprenant que certains couples ne puissent résister à ces pressions et choisissent de mettre fin à leur liaison, alors que dautres ne parviennent à survivre quen payant le prix fort, et retirent de leur expérience un profond sentiment damertume, dhumiliation et de tristesse.
Cependant il y a dautres couples pour lesquels étant donné la carence de lEtat-providence américain lintrusion de linstitution judiciaire dans leur vie personnelle apporte un « soulagement » paradoxal face à lensemble des problèmes et des pressions socio-économiques qui mettent leur lien en péril. Tel est le cas dErica, lune des cinquante femmes que jai interrogées lors dune étude ethnographique sur limpact de la politique demprisonnement des USA sur les femmes dont le partenaire est incarcéré. Comme on le voit dans le portrait détaillé ci-dessous, cette afro-américaine débrouillarde et pleine de ressources, na pu trouver aucun service social pour laider à faire face à la toxicomanie et à la violence conjugale de son mari Leon. Peu à peu, elle a appris à faire intervenir la police quand elle navait plus prise sur le comportement de son époux, ce qui aboutit à son incarcération pour une courte période, offrant ainsi à Erica un répit face à un compagnon brutal et destructeur quelle continue pourtant daimer.
Il est important de souligner quErica na pas à porter plainte pour obtenir la détention de Leon car, selon le système de liberté conditionnelle californien, une personne met fin à sa mise en liberté conditionnelle si la police est appelée en
cas dinconduite, et elle doit retourner en
prison même si elle na commis aucun délit nouveau, au motif quune condition administrative de sa remise en liberté a été violée. Ce qui permet à Erica de faire figure de spectatrice passive lors des arrestations de Leon, et de lassurer de sa loyauté envers lui, alors même quil la vole et la maltraite jusquà la pousser à se placer sous la protection de la police. À travers le récit de leur longue histoire commune (établie à partir dentretiens et de notes de terrain étalés sur une période de cinq ans), on prend conscience que pour ce couple-là, le système judiciaire fonctionne à la fois comme « filet de sécurité » en labsence dautres services sociaux et comme mécanisme perpétuant la relation en ménageant de véritables périodes de répit pendant lesquelles Erica et Leon peuvent raviver leur amour et faire le point sur ce quils représentent lun pour lautre.
Depuis toutes ces années que nous nous connaissons, Erica a toujours soutenu avec véhémence quelle a « entre trente et quarante ans » (« Je nai pas encore passé le cap des quarante ! ») et quelle fait « partie de la race humaine quoique selon la société je sois une femme afro-américaine. » Elle et son mari Leon sont ensemble depuis 1983 et se sont mariés au début des années 1990 ; bien quelle ne mait jamais raconté leur rencontre, elle ma montré une fois la photo dun jeune couple élégant posant devant le portail dune prison avec le commentaire suivant : « Voilà comment ça a commencé: moi et lui en prison. »1 Tout effort visant à recenser le nombre de fois où Leon a été jeté en prison depuis le début de leur relation naboutit quà des réponses aussi vagues que peu convaincantes, la réponse la plus vraisemblable étant plus souvent que ce quErica veut bien se rappeler. Mince comme un fil, sujette à de soudains sursauts dénergie, Erica se lance, dans bon nombre de nos entretiens, dans de longues diatribes enflammées sur son repris de justice de mari et les dysfonctionnements de linstitution judiciaire, assorties de grandes gesticulations, de chutes théâtrales, de bruyantes allées et venues ou demphatiques sorties. Avec le temps je me suis rendu compte quen général elle me téléphonait quand elle avait besoin de se défouler, et jai remarqué, au cours de la restranscription de nos entretiens, que son mode de participation préféré était de me faire la morale en élevant la voix et en me tutoyant comme si elle sadressait à Leon, créant ainsi un substitut conjugal soumis et attentif qui non seulement boit chacune de ses paroles mais les enregistre même sur cassette.
Le discours dErica est parsemé dexpressions toutes faites tirées douvrages de vulgarisation psychologique, de divers talk-shows dans le style dOprah, des sermons dominicaux de son prédicateur, et des différents groupes de parole autour de la drogue ou de lalcool auxquels elle se rend régulièrement (une fois, après mavoir déclaré sur un ton impétueux quun « un homme, un vrai » devrait éviter de répéter les mêmes erreurs et ne devrait pas « refaire constamment la même chose et sattendre à des résultats différents », elle a ajouté en me faisant un clin dil espiègle : « tiens, au fait, ça, ça vient des A.A. [Alcooliques Anonymes] »). Quand Leon est en prison, ces structures de soutien et cette rhétorique de lépanouissement personnel ont un grand impact sur Erica, qui sy entend à merveille pour décrocher du travail payé au-dessus du salaire minimum dans les télécommunications, souvent en tant quopératrice téléphonique ou responsable de centres dappels pour des compagnies de téléphonie sans fil. Avoir du travail est primordial dans la conception du monde dErica et dans la validation du sentiment de sa valeur personnelle. « Parce que tu vois, les entreprises se fondent aujourdhui sur ton intégrité pour tengager. Pas seulement sur tes aptitudes ! Ta moralité, tes principes. Cest comme ça que jobtiens tous mes jobs. » Sans parler du fait que cela lui est indispensable pour se loger et se nourrir puisquelle vit dun salaire sur lautre, sans jamais pouvoir épargner. En plus des emplois quelle conserve de manière stable tout au long des périodes de trois à neuf mois où son mari nest pas là, Erica va dordinaire à léglise et aux réunions de son « programme en 12 étapes », voit des amis, et passe du temps avec leur fille âgée de sept ans et placée sous la garde de la mère dErica.
Les choses changent du tout au tout quand Leon sort de prison et rentre à la maison. Comme à son habitude, Erica utilise ses nombreuses relations de travail pour dénicher un emploi à son mari, et comme à son habitude, Leon perd ce travail quelques semaines plus tard pour cause dinsubordination ou par son incapacité à sastreindre à un horaire régulier. Seul à la maison toute la journée, se sentant désuvré et déprimé, il se remet à prendre de la drogue quil paye en mettant des objets au clou : « Il est allé vendre sa veste, il sest mis à vendre sa montre, la montre quil ma achetée. Tout y passe. Tout dun coup je rentre à la maison, et tout a disparu. Cest comme ça que jai su quil sétait remis au crack. » Souvent, pour Leon, létape suivante consiste à voler la voiture de sa femme et à disparaître pendant des jours ou des semaines entières, ce qui fait quErica perd son propre travail faute de moyen de transport ou pour cause de maladies liées au stress. Arrivée à ce stade, Erica demande en général de laide à la police, mais elle sait très bien pourquoi son cas ne fait pas partie de leurs priorités : « [Leon] a disparu pendant deux mois. Vu ? Pas un mot, rien. Nous avons signalé sa disparition au bout de trente jours seulement. Parce que cest ce quil faisait dhabitude, disparaître trente jours... Cétait pas dans mes intentions dy aller, tu vois, aller chercher un drogué dans les bas-fonds de la ville [San Francisco]. Je lai déjà fait. Et je suis sûre que je ne suis pas la seule. Mais cen était arrivé au point où, merde alors, je vais pas mettre ma vie en danger à rechercher cet homme. Cest la police qui est censée faire ça. Mais qui va samuser à rechercher un ex-taulard drogué ? Vous rigolez ! Il y a des enfants qui disparaissent, pigé ? »
À partir du moment où elle se retrouve sans travail, sans voiture, sans les biens vendus par Leon (comme son téléphone portable et son pager), obsédée par la quête de son mari, la vie dErica commence à seffilocher. Elle sendette, perd le contact avec sa fille, ses amis et son église, et retombe parfois dans lalcool et la consommation de drogues, surtout si elle avait déjà commencé à en prendre avec Leon quand il était chez eux. Et puis son mari finit par sonner à la porte, lui téléphone de la prison du comté, ou lui fait savoir où il se trouve. Un jour, Erica a été informée par une connaissance que Leon vivait dans un campement pour les sans-abri dans la proche banlieue de San Francisco ; alors, aux premières heures de lan 2000, après une nuit de fête, elle a pris la décision daller le chercher.
« On aurait dit un mélange de James Brown et de Mordicus dans 1, Rue Sésame ! Il avait terriblement maigri. Il aurait pu porter mes pantalons à moi, et je pèse 57 kilos... Il puait, il schlinguait, cétait répugnant ; je suis sûre que lUnabomber2 sentait pareil ! En fait [elle bat des mains en se tordant de rire], il avait lair de faire vraiment partie de la famille de lUnabomber ! Je veux dire, il était [avec insistance] affreux, tu vois, tout simplement affreux. [Elle rit] Et me voilà toute belle, super bien sapée, sortant de ce club chic à 15 dollars lentrée, tu sais, [prenant une voix excitée de présentateur-télé] cest lan 2000, un nouveau millénaire et tout le tralala et quest-ce quon rigole ! [Elle rit bruyamment] Tu vois le truc ? Et toi, là-bas en train de croupir, rue du crack. Y a quelque chose qui cloche là-dedans. Houston, nous avons un problème... Je lui ai dit : où est-ce que tu traînais, bordel de merde ! Désolée pour le langage, mais jai pété les plombs !3 Alors il a dit : Jveux rentrer à la maison. Je fais : À la maison ? Cest quoi, ça ? Cest ici, ta maison ! Il avait du fric dans sa poche, ce qui lui restait de largent pour acheter la drogue, quelque chose comme cinq dollars, quil ma montrés. Mais moi jen voulais pas de son argent. Je lai regardé, et jai eu pitié de lui. Je jarrivais pas à croire que cétait lhomme que javais épousé. Je pouvais tout simplement pas le croire ! Et puis mon coeur sest rempli de tristesse pour lui, à cause de Jésus qui vit en moi même si, cest vrai, je dis des gros mots, je demande à Dieu de me le pardonner mais bon, Dieu est en moi. Passque Dieu est dans ton coeur. Mais le fait est que je lai regardé, tu vois, Megan et ça ma complètement chamboulée. »
Après ces disparitions, Leon réintègre un foyer à la situation précaire : Erica est au chômage, elle a des difficultés financières, elle ne peut pas lui trouver du travail, et au moins lun des deux est complètement retombé dans la drogue. Les esprits séchauffent, et la violence ne tarde pas à suivre. Erica, qui admet volontiers avoir fait de la prison pour coups et blessures infligés à Leon, expose la façon dont elle pare les attaques de son mari : « Je mets Mary J. Blige4. (Elle chante dune voix rauque) : Jaurais déjà dû te plaquer mille fois ! Oh, jvais pas pleurer, jvais pus pleurer ! Et je mets le volume à fond la caisse ! Au maximum, vu ? Et jai un plancher en bois ! Tu piges ? Ça résonne [elle se lève et tape du pied en riant]. Jai foutu le bazard dans mon appartement ! pour sauver ma peau. Passque tu vois, on est pas censé faire tout ce foin. Tu peux te faire jeter dehors pour ce genre de pagaille [elle veut dire quelle peut être expulsée de son immeuble pour tapage]. Mais bon, cest comme ça que je retourne la situation à mon avantage. [Farouchement] Je vais men sortir, moi ! Je men sortirai !5 Vu ? Cest ça que les femmes ne savent pas faire, attirer lattention sur elles, faire en sorte que la police vienne avant que quelquun leur fasse la peau. Ce type est sous lemprise du crack et Dieu sait quoi dautre. Moi, je sais pas ce quil va me faire ! Cest pas mon mari, cest pas lhomme que jai épousé ! Je vais même pas essayer de lui parler dans cet état-là ! Mais je savais, [dune voix neutre] jai pris un couteau, javais pas ma bombe lacrymo, mais jai pris un couteau, et jai mis de leau à bouillir. Et jai mis du, euh, de la mélasse dedans, passque ma mman mdisait : Si tas pas de bouillie de maïs, ébouillante-le juste avec de la mélasse et, tu verras, ça va lui coller dessus et ça va sacrément le réveiller et il te foutra la paix ! Alors sil y a un indésirable chez toi, fais toujours chauffer de leau, mets du sirop dedans et ébouillante son..., enfin tu sais quoi, et tu pose des petits pièges dans la maison, pour que... pour que son scénario vire au cauchemar. »
Pour Erica, il importe de réussir à faire suffisamment de raffut pour pousser les voisins à appeler la police, car elle dit ne composer le 911 [police secours] quen dernier recours : « Si jappelais la police moi-même et quil me voie ? Ça voudrait dire quil faut que jaille te voir, quil faut que je te rende visite [rendre visite à Leon quand ce dernier est incarcéré]. Et cest moi qui tai envoyé en prison. Alors là, je dis non. Il faut pas faire ça... Passquen fait cest justement ça quils veulent que tu fasses. Pour que tu te sentes obligée daller les voir. Oui, oui ! Alors ils montent un scénario, ils vous obligent à appeler la police passquils savent que de toute manière, faudra bien quils retournent en prison, passquils ont violé les conditions de leur mise en liberté, tu vois le truc ? Alors ils essaient de TE piéger. Mais moi, on my prend pas. » Dune manière ou dune autre, la loi finit par sappliquer et Leon est emmené à la maison darrêt du comté pour violation de sa liberté conditionnelle, puis à la prison voisine de San Quentin pour purger trois à neuf mois au cours desquels il sassagit, fait une cure de désintoxication, et sexcuse auprès dErica, la suppliant de lui accorder une autre chance. Erica qui arrive toujours à se procurer une voiture (peut-être en gagnant de largent dans léconomie souterraine : elle reconnaît se livrer à la prostitution durant certaines périodes), et pour finir un emploi rémunéré fait aussi son mea culpa, se reprochant de ne pas être assez tolérante envers son compagnon et de ne pas le soutenir suffisamment. « Je me conduisais tout simplement comme une fichue égoïste, cest tout, je pensais quà moi et à ce quy mavait fait. Alors quen fait, dun point de vue religieux, jaurais dû prier pour lui, prier pour quil soit délivré de ses problèmes, délivré de tout ce quil endurait. » Empêchés de se faire mal physiquement par lintercession des gardiens et des barreaux, et grâce aux périodes de séparation qui leur permettent de réfléchir à leurs erreurs et de souffrir de labsence de lautre, au moment où Leon ressort, tous deux ont réglé leurs différends et souhaitent ardemment être réunis.
Selon la phase du cycle où elle se trouve, Erica apporte des réponses différentes à cette question cruciale : Pourquoi simplique-t-elle encore dans cette relation, notamment quand dautres soupirants se disputent ses faveurs ? Malgré lair bravache quelle prend pour raconter ses disputes conjugales, la violence de Leon et ses crises de jalousie récurrentes la font douter comme il est clairement apparu lors dun entretien au cours duquel Erica sest elle-même reproché de laisser son mari revenir dans sa vie, tout en insinuant quelle craignait que Leon ne la tue si elle le rejetait : « Je suis vraiment furieuse contre moi-même ! En fait, euh, je suis mal à laise parce que, euh, à cause du fait que... je continue [long silence], enfin, ça va durer combien de temps ?... Ce que jattends maintenant cest que lui..., je lui laisse la corde assez longue pour quil sy accroche et pour survivre moi aussi. Maintenant, il y a des gens qui sont morts [silence, elle pèse soigneusement ses mots] après avoir rompu [sur un ton inquiétant] de manière pas convenable. » Cependant Erica reconnaît aussi continuer à se mettre en danger en maintenant le contact avec Leon quand il est en prison, en allant à sa recherche quand il a disparu, en lui donnant les clés de son appartement, et de manière générale en essayant de partager sa vie avec lui. Dans un moment dintrospection, elle commente sa situation en invoquant une explication, glanée dans son livre favori, Ces femmes qui aiment trop6 : « Nous [les femmes] nous focalisons plus sur ce que nous voulons quil advienne dans la relation, et pas sur ce qui se passe dans la réalité. Autrement dit on est aveugles, en quelque sorte, tu suis ? Et cest pour ça quil y a des membres de notre famille qui, eux, ne sont pas amoureux de ces hommes, et qui nous disent : Tu peux trouver mieux. » Ceci recoupe point par point une scène décrite par Mai, amie de longue date dErica : « Je connais Erica depuis avant quelle soit amoureuse de Leon. Et je crois que cette relation, cest lenfer, parce que ça lui apporte que de la douleur, du désarroi, et des drames. Alors quel plaisir elle peut bien en tirer ? Vous comprenez ? Et je lui ai déjà demandé, mais je me rappelle ce quelle ma dit, elle avait une petite figurine, et celle-ci représentait un homme assis cétait une famille afro-américaine un homme assis dans un fauteuil, la femme avec son bras autour de lui, et la petite fille par terre. Et elle la prise, et elle sest mise à pleurer, et elle sest mise à hurler comme une dingue : Voilà ce que je voulais ! Cest tout ce que je voulais ! Et je lai regardée et jai dit [dune voix étouffée] : Mais ce nest pas ce que tu as. Ce nest pas ce que tu as. Ça fait treize ans que tu es avec lui, ton enfant a trois ans, ce nest pas ce que tu as, alors laisse tomber. »
Au lieu de « laisser tomber » cet idéal, Erica continue à croire que son attachement aux idéaux chrétiens et sa volonté sans faille lui permettront de se rendre éventuellement maîtresse de sa destinée. « Je prends ma vie en charge aujourdhui ! Et cest ce que jessaie de lui dire. [Frappant des mains pour plus demphase] Prends-toi en mains ! Sois un homme ! Je suis une femme, je prends ma vie en charge ! Je ne laisse pas les gens le faire pour moi ! Je ne laisse pas les gens prendre des décisions à ma place aujourdhui ! » Doù sa conviction que Leon peut se réformer si seulement il veut sen donner la peine, ainsi que les nombreux reproches dont elle saccable de navoir pas été la « femme quil fallait » pour aider son mari lors de ses libérations précédentes, et le fait quelle sinvestisse à nouveau dans leur vie commune à chaque période dincarcération : « Je veux être avec mon mari. Je veux être avec lhomme qui est le père de mon bébé. Je veux donner à cet homme la possibilité dêtre un membre productif de la société et de soccuper de son enfant. Si je le laisse maintenant, il va tout simplement régresser, il va empirer. Et moi aussi. » Ainsi, quand arrivera la date de la prochaine libération conditionnelle de Leon, le cur dErica se sera adouci, son espoir renouvelé, et sa porte lui sera de nouveau ouverte : « Tout ce temps et ces efforts, et largent, et lamour quon a investis ça vaut plus que de lor. Parce que quand on a été ensemble aussi longtemps, on peut pas laisser tomber comme ça. Cest quelque chose, cest juste que, [avec une grande émotion] on ne peut tout simplement pas laisser tomber ça. »
Pour ceux des 2,1 millions de détenus qui essaient de maintenir une relation amoureuse depuis leur geôle, les autorités judiciaires deviennent de facto des chaperons qui gèrent et contrôlent les lettres quéchangent les couples, leurs coups de téléphone et leurs visites. Même quand les gens sortent de prison et sont libres de rejoindre leur partenaire dans le monde « libre », linstitution judiciaire les poursuit, en la personne dagents de probation ou de conditionnelle qui sont autorisés à perquisitionner domiciles et véhicules personnels à toute heure du jour et de la nuit, et à mettre fin à tout moment à la liberté dun être aimé pour le motif le plus futile. Il nest pas surprenant que certains couples ne puissent résister à ces pressions et choisissent de mettre fin à leur liaison, alors que dautres ne parviennent à survivre quen payant le prix fort, et retirent de leur expérience un profond sentiment damertume, dhumiliation et de tristesse.
Cependant il y a dautres couples pour lesquels étant donné la carence de lEtat-providence américain lintrusion de linstitution judiciaire dans leur vie personnelle apporte un « soulagement » paradoxal face à lensemble des problèmes et des pressions socio-économiques qui mettent leur lien en péril. Tel est le cas dErica, lune des cinquante femmes que jai interrogées lors dune étude ethnographique sur limpact de la politique demprisonnement des USA sur les femmes dont le partenaire est incarcéré. Comme on le voit dans le portrait détaillé ci-dessous, cette afro-américaine débrouillarde et pleine de ressources, na pu trouver aucun service social pour laider à faire face à la toxicomanie et à la violence conjugale de son mari Leon. Peu à peu, elle a appris à faire intervenir la police quand elle navait plus prise sur le comportement de son époux, ce qui aboutit à son incarcération pour une courte période, offrant ainsi à Erica un répit face à un compagnon brutal et destructeur quelle continue pourtant daimer.
Il est important de souligner quErica na pas à porter plainte pour obtenir la détention de Leon car, selon le système de liberté conditionnelle californien, une personne met fin à sa mise en liberté conditionnelle si la police est appelée en
cas dinconduite, et elle doit retourner en
prison même si elle na commis aucun délit nouveau, au motif quune condition administrative de sa remise en liberté a été violée. Ce qui permet à Erica de faire figure de spectatrice passive lors des arrestations de Leon, et de lassurer de sa loyauté envers lui, alors même quil la vole et la maltraite jusquà la pousser à se placer sous la protection de la police. À travers le récit de leur longue histoire commune (établie à partir dentretiens et de notes de terrain étalés sur une période de cinq ans), on prend conscience que pour ce couple-là, le système judiciaire fonctionne à la fois comme « filet de sécurité » en labsence dautres services sociaux et comme mécanisme perpétuant la relation en ménageant de véritables périodes de répit pendant lesquelles Erica et Leon peuvent raviver leur amour et faire le point sur ce quils représentent lun pour lautre.
Depuis toutes ces années que nous nous connaissons, Erica a toujours soutenu avec véhémence quelle a « entre trente et quarante ans » (« Je nai pas encore passé le cap des quarante ! ») et quelle fait « partie de la race humaine quoique selon la société je sois une femme afro-américaine. » Elle et son mari Leon sont ensemble depuis 1983 et se sont mariés au début des années 1990 ; bien quelle ne mait jamais raconté leur rencontre, elle ma montré une fois la photo dun jeune couple élégant posant devant le portail dune prison avec le commentaire suivant : « Voilà comment ça a commencé: moi et lui en prison. »1 Tout effort visant à recenser le nombre de fois où Leon a été jeté en prison depuis le début de leur relation naboutit quà des réponses aussi vagues que peu convaincantes, la réponse la plus vraisemblable étant plus souvent que ce quErica veut bien se rappeler. Mince comme un fil, sujette à de soudains sursauts dénergie, Erica se lance, dans bon nombre de nos entretiens, dans de longues diatribes enflammées sur son repris de justice de mari et les dysfonctionnements de linstitution judiciaire, assorties de grandes gesticulations, de chutes théâtrales, de bruyantes allées et venues ou demphatiques sorties. Avec le temps je me suis rendu compte quen général elle me téléphonait quand elle avait besoin de se défouler, et jai remarqué, au cours de la restranscription de nos entretiens, que son mode de participation préféré était de me faire la morale en élevant la voix et en me tutoyant comme si elle sadressait à Leon, créant ainsi un substitut conjugal soumis et attentif qui non seulement boit chacune de ses paroles mais les enregistre même sur cassette.
Le discours dErica est parsemé dexpressions toutes faites tirées douvrages de vulgarisation psychologique, de divers talk-shows dans le style dOprah, des sermons dominicaux de son prédicateur, et des différents groupes de parole autour de la drogue ou de lalcool auxquels elle se rend régulièrement (une fois, après mavoir déclaré sur un ton impétueux quun « un homme, un vrai » devrait éviter de répéter les mêmes erreurs et ne devrait pas « refaire constamment la même chose et sattendre à des résultats différents », elle a ajouté en me faisant un clin dil espiègle : « tiens, au fait, ça, ça vient des A.A. [Alcooliques Anonymes] »). Quand Leon est en prison, ces structures de soutien et cette rhétorique de lépanouissement personnel ont un grand impact sur Erica, qui sy entend à merveille pour décrocher du travail payé au-dessus du salaire minimum dans les télécommunications, souvent en tant quopératrice téléphonique ou responsable de centres dappels pour des compagnies de téléphonie sans fil. Avoir du travail est primordial dans la conception du monde dErica et dans la validation du sentiment de sa valeur personnelle. « Parce que tu vois, les entreprises se fondent aujourdhui sur ton intégrité pour tengager. Pas seulement sur tes aptitudes ! Ta moralité, tes principes. Cest comme ça que jobtiens tous mes jobs. » Sans parler du fait que cela lui est indispensable pour se loger et se nourrir puisquelle vit dun salaire sur lautre, sans jamais pouvoir épargner. En plus des emplois quelle conserve de manière stable tout au long des périodes de trois à neuf mois où son mari nest pas là, Erica va dordinaire à léglise et aux réunions de son « programme en 12 étapes », voit des amis, et passe du temps avec leur fille âgée de sept ans et placée sous la garde de la mère dErica.
Les choses changent du tout au tout quand Leon sort de prison et rentre à la maison. Comme à son habitude, Erica utilise ses nombreuses relations de travail pour dénicher un emploi à son mari, et comme à son habitude, Leon perd ce travail quelques semaines plus tard pour cause dinsubordination ou par son incapacité à sastreindre à un horaire régulier. Seul à la maison toute la journée, se sentant désuvré et déprimé, il se remet à prendre de la drogue quil paye en mettant des objets au clou : « Il est allé vendre sa veste, il sest mis à vendre sa montre, la montre quil ma achetée. Tout y passe. Tout dun coup je rentre à la maison, et tout a disparu. Cest comme ça que jai su quil sétait remis au crack. » Souvent, pour Leon, létape suivante consiste à voler la voiture de sa femme et à disparaître pendant des jours ou des semaines entières, ce qui fait quErica perd son propre travail faute de moyen de transport ou pour cause de maladies liées au stress. Arrivée à ce stade, Erica demande en général de laide à la police, mais elle sait très bien pourquoi son cas ne fait pas partie de leurs priorités : « [Leon] a disparu pendant deux mois. Vu ? Pas un mot, rien. Nous avons signalé sa disparition au bout de trente jours seulement. Parce que cest ce quil faisait dhabitude, disparaître trente jours... Cétait pas dans mes intentions dy aller, tu vois, aller chercher un drogué dans les bas-fonds de la ville [San Francisco]. Je lai déjà fait. Et je suis sûre que je ne suis pas la seule. Mais cen était arrivé au point où, merde alors, je vais pas mettre ma vie en danger à rechercher cet homme. Cest la police qui est censée faire ça. Mais qui va samuser à rechercher un ex-taulard drogué ? Vous rigolez ! Il y a des enfants qui disparaissent, pigé ? »
À partir du moment où elle se retrouve sans travail, sans voiture, sans les biens vendus par Leon (comme son téléphone portable et son pager), obsédée par la quête de son mari, la vie dErica commence à seffilocher. Elle sendette, perd le contact avec sa fille, ses amis et son église, et retombe parfois dans lalcool et la consommation de drogues, surtout si elle avait déjà commencé à en prendre avec Leon quand il était chez eux. Et puis son mari finit par sonner à la porte, lui téléphone de la prison du comté, ou lui fait savoir où il se trouve. Un jour, Erica a été informée par une connaissance que Leon vivait dans un campement pour les sans-abri dans la proche banlieue de San Francisco ; alors, aux premières heures de lan 2000, après une nuit de fête, elle a pris la décision daller le chercher.
« On aurait dit un mélange de James Brown et de Mordicus dans 1, Rue Sésame ! Il avait terriblement maigri. Il aurait pu porter mes pantalons à moi, et je pèse 57 kilos... Il puait, il schlinguait, cétait répugnant ; je suis sûre que lUnabomber2 sentait pareil ! En fait [elle bat des mains en se tordant de rire], il avait lair de faire vraiment partie de la famille de lUnabomber ! Je veux dire, il était [avec insistance] affreux, tu vois, tout simplement affreux. [Elle rit] Et me voilà toute belle, super bien sapée, sortant de ce club chic à 15 dollars lentrée, tu sais, [prenant une voix excitée de présentateur-télé] cest lan 2000, un nouveau millénaire et tout le tralala et quest-ce quon rigole ! [Elle rit bruyamment] Tu vois le truc ? Et toi, là-bas en train de croupir, rue du crack. Y a quelque chose qui cloche là-dedans. Houston, nous avons un problème... Je lui ai dit : où est-ce que tu traînais, bordel de merde ! Désolée pour le langage, mais jai pété les plombs !3 Alors il a dit : Jveux rentrer à la maison. Je fais : À la maison ? Cest quoi, ça ? Cest ici, ta maison ! Il avait du fric dans sa poche, ce qui lui restait de largent pour acheter la drogue, quelque chose comme cinq dollars, quil ma montrés. Mais moi jen voulais pas de son argent. Je lai regardé, et jai eu pitié de lui. Je jarrivais pas à croire que cétait lhomme que javais épousé. Je pouvais tout simplement pas le croire ! Et puis mon coeur sest rempli de tristesse pour lui, à cause de Jésus qui vit en moi même si, cest vrai, je dis des gros mots, je demande à Dieu de me le pardonner mais bon, Dieu est en moi. Passque Dieu est dans ton coeur. Mais le fait est que je lai regardé, tu vois, Megan et ça ma complètement chamboulée. »
Après ces disparitions, Leon réintègre un foyer à la situation précaire : Erica est au chômage, elle a des difficultés financières, elle ne peut pas lui trouver du travail, et au moins lun des deux est complètement retombé dans la drogue. Les esprits séchauffent, et la violence ne tarde pas à suivre. Erica, qui admet volontiers avoir fait de la prison pour coups et blessures infligés à Leon, expose la façon dont elle pare les attaques de son mari : « Je mets Mary J. Blige4. (Elle chante dune voix rauque) : Jaurais déjà dû te plaquer mille fois ! Oh, jvais pas pleurer, jvais pus pleurer ! Et je mets le volume à fond la caisse ! Au maximum, vu ? Et jai un plancher en bois ! Tu piges ? Ça résonne [elle se lève et tape du pied en riant]. Jai foutu le bazard dans mon appartement ! pour sauver ma peau. Passque tu vois, on est pas censé faire tout ce foin. Tu peux te faire jeter dehors pour ce genre de pagaille [elle veut dire quelle peut être expulsée de son immeuble pour tapage]. Mais bon, cest comme ça que je retourne la situation à mon avantage. [Farouchement] Je vais men sortir, moi ! Je men sortirai !5 Vu ? Cest ça que les femmes ne savent pas faire, attirer lattention sur elles, faire en sorte que la police vienne avant que quelquun leur fasse la peau. Ce type est sous lemprise du crack et Dieu sait quoi dautre. Moi, je sais pas ce quil va me faire ! Cest pas mon mari, cest pas lhomme que jai épousé ! Je vais même pas essayer de lui parler dans cet état-là ! Mais je savais, [dune voix neutre] jai pris un couteau, javais pas ma bombe lacrymo, mais jai pris un couteau, et jai mis de leau à bouillir. Et jai mis du, euh, de la mélasse dedans, passque ma mman mdisait : Si tas pas de bouillie de maïs, ébouillante-le juste avec de la mélasse et, tu verras, ça va lui coller dessus et ça va sacrément le réveiller et il te foutra la paix ! Alors sil y a un indésirable chez toi, fais toujours chauffer de leau, mets du sirop dedans et ébouillante son..., enfin tu sais quoi, et tu pose des petits pièges dans la maison, pour que... pour que son scénario vire au cauchemar. »
Pour Erica, il importe de réussir à faire suffisamment de raffut pour pousser les voisins à appeler la police, car elle dit ne composer le 911 [police secours] quen dernier recours : « Si jappelais la police moi-même et quil me voie ? Ça voudrait dire quil faut que jaille te voir, quil faut que je te rende visite [rendre visite à Leon quand ce dernier est incarcéré]. Et cest moi qui tai envoyé en prison. Alors là, je dis non. Il faut pas faire ça... Passquen fait cest justement ça quils veulent que tu fasses. Pour que tu te sentes obligée daller les voir. Oui, oui ! Alors ils montent un scénario, ils vous obligent à appeler la police passquils savent que de toute manière, faudra bien quils retournent en prison, passquils ont violé les conditions de leur mise en liberté, tu vois le truc ? Alors ils essaient de TE piéger. Mais moi, on my prend pas. » Dune manière ou dune autre, la loi finit par sappliquer et Leon est emmené à la maison darrêt du comté pour violation de sa liberté conditionnelle, puis à la prison voisine de San Quentin pour purger trois à neuf mois au cours desquels il sassagit, fait une cure de désintoxication, et sexcuse auprès dErica, la suppliant de lui accorder une autre chance. Erica qui arrive toujours à se procurer une voiture (peut-être en gagnant de largent dans léconomie souterraine : elle reconnaît se livrer à la prostitution durant certaines périodes), et pour finir un emploi rémunéré fait aussi son mea culpa, se reprochant de ne pas être assez tolérante envers son compagnon et de ne pas le soutenir suffisamment. « Je me conduisais tout simplement comme une fichue égoïste, cest tout, je pensais quà moi et à ce quy mavait fait. Alors quen fait, dun point de vue religieux, jaurais dû prier pour lui, prier pour quil soit délivré de ses problèmes, délivré de tout ce quil endurait. » Empêchés de se faire mal physiquement par lintercession des gardiens et des barreaux, et grâce aux périodes de séparation qui leur permettent de réfléchir à leurs erreurs et de souffrir de labsence de lautre, au moment où Leon ressort, tous deux ont réglé leurs différends et souhaitent ardemment être réunis.
Selon la phase du cycle où elle se trouve, Erica apporte des réponses différentes à cette question cruciale : Pourquoi simplique-t-elle encore dans cette relation, notamment quand dautres soupirants se disputent ses faveurs ? Malgré lair bravache quelle prend pour raconter ses disputes conjugales, la violence de Leon et ses crises de jalousie récurrentes la font douter comme il est clairement apparu lors dun entretien au cours duquel Erica sest elle-même reproché de laisser son mari revenir dans sa vie, tout en insinuant quelle craignait que Leon ne la tue si elle le rejetait : « Je suis vraiment furieuse contre moi-même ! En fait, euh, je suis mal à laise parce que, euh, à cause du fait que... je continue [long silence], enfin, ça va durer combien de temps ?... Ce que jattends maintenant cest que lui..., je lui laisse la corde assez longue pour quil sy accroche et pour survivre moi aussi. Maintenant, il y a des gens qui sont morts [silence, elle pèse soigneusement ses mots] après avoir rompu [sur un ton inquiétant] de manière pas convenable. » Cependant Erica reconnaît aussi continuer à se mettre en danger en maintenant le contact avec Leon quand il est en prison, en allant à sa recherche quand il a disparu, en lui donnant les clés de son appartement, et de manière générale en essayant de partager sa vie avec lui. Dans un moment dintrospection, elle commente sa situation en invoquant une explication, glanée dans son livre favori, Ces femmes qui aiment trop6 : « Nous [les femmes] nous focalisons plus sur ce que nous voulons quil advienne dans la relation, et pas sur ce qui se passe dans la réalité. Autrement dit on est aveugles, en quelque sorte, tu suis ? Et cest pour ça quil y a des membres de notre famille qui, eux, ne sont pas amoureux de ces hommes, et qui nous disent : Tu peux trouver mieux. » Ceci recoupe point par point une scène décrite par Mai, amie de longue date dErica : « Je connais Erica depuis avant quelle soit amoureuse de Leon. Et je crois que cette relation, cest lenfer, parce que ça lui apporte que de la douleur, du désarroi, et des drames. Alors quel plaisir elle peut bien en tirer ? Vous comprenez ? Et je lui ai déjà demandé, mais je me rappelle ce quelle ma dit, elle avait une petite figurine, et celle-ci représentait un homme assis cétait une famille afro-américaine un homme assis dans un fauteuil, la femme avec son bras autour de lui, et la petite fille par terre. Et elle la prise, et elle sest mise à pleurer, et elle sest mise à hurler comme une dingue : Voilà ce que je voulais ! Cest tout ce que je voulais ! Et je lai regardée et jai dit [dune voix étouffée] : Mais ce nest pas ce que tu as. Ce nest pas ce que tu as. Ça fait treize ans que tu es avec lui, ton enfant a trois ans, ce nest pas ce que tu as, alors laisse tomber. »
Au lieu de « laisser tomber » cet idéal, Erica continue à croire que son attachement aux idéaux chrétiens et sa volonté sans faille lui permettront de se rendre éventuellement maîtresse de sa destinée. « Je prends ma vie en charge aujourdhui ! Et cest ce que jessaie de lui dire. [Frappant des mains pour plus demphase] Prends-toi en mains ! Sois un homme ! Je suis une femme, je prends ma vie en charge ! Je ne laisse pas les gens le faire pour moi ! Je ne laisse pas les gens prendre des décisions à ma place aujourdhui ! » Doù sa conviction que Leon peut se réformer si seulement il veut sen donner la peine, ainsi que les nombreux reproches dont elle saccable de navoir pas été la « femme quil fallait » pour aider son mari lors de ses libérations précédentes, et le fait quelle sinvestisse à nouveau dans leur vie commune à chaque période dincarcération : « Je veux être avec mon mari. Je veux être avec lhomme qui est le père de mon bébé. Je veux donner à cet homme la possibilité dêtre un membre productif de la société et de soccuper de son enfant. Si je le laisse maintenant, il va tout simplement régresser, il va empirer. Et moi aussi. » Ainsi, quand arrivera la date de la prochaine libération conditionnelle de Leon, le cur dErica se sera adouci, son espoir renouvelé, et sa porte lui sera de nouveau ouverte : « Tout ce temps et ces efforts, et largent, et lamour quon a investis ça vaut plus que de lor. Parce que quand on a été ensemble aussi longtemps, on peut pas laisser tomber comme ça. Cest quelque chose, cest juste que, [avec une grande émotion] on ne peut tout simplement pas laisser tomber ça. »
1 Même si Erica utilise de manière interchangeable les termes « prison » et « maison darrêt », ceux-ci renvoient à deux institutions bien distinctes. Les maisons darrêt sont des établissements locaux qui détiennent des personnes en attente de procès ou condamnées pour une période inférieure à un an. Les prisons sont des établissements dEtat qui incarcèrent des gens ayant violé leur liberté conditionnelle ou ayant été condamnés pour une période dépassant une année.
2 Théodore Kaczinski dit « Unabomber », brillant mathématicien et ancien professeur à luniversité de Berkeley aux Etats-Unis, fut incarcéré en 1996 pour avoir adressé durant 18 ans (entre 1978 et I995) 16 colis piégés à des professeurs duniversité et à des informaticiens en particulier, faisant 3 morts et 23 blessés chez ces personnes quil jugeait responsables dune évolution technologique destructrice pour lhumanité et la nature. Il confectionnait ses colis piégés dans sa cabane du Montana où il vivait en reclus depuis 25 ans. N.D.T.
3 En anglais « I went fifty-one fifty », littéralement « 51 50 », en référence au code en usage dans la police de San Francisco pour désigner lincarcération dun individu atteint de troubles psychiques. Lexpression en argot signifie « fou ». N.D.T.
4 Célèbre chanteuse de hip-hop. N.D.T.
5 En anglais : « Im gonna survive ! I will survive ! », en référence à la chanson culte de Gloria Gaynor. N.D.T.
6 Women Who Love Too Much : When You Keep Wishing and Hoping Hell Change, (Pocket Books, 1991), « un ouvrage remarquable, vendu à des millions dexemplaires et déjà un classique » (à en croire la quatrième de couverture) de Robin Norwood qui se penche sur celles pour qui « aimer signifie souffrir » et qui promet que « les femmes qui aiment trop peuvent sen sortir lorsquelles trouvent la force de saimer elles-mêmes. »
2 Théodore Kaczinski dit « Unabomber », brillant mathématicien et ancien professeur à luniversité de Berkeley aux Etats-Unis, fut incarcéré en 1996 pour avoir adressé durant 18 ans (entre 1978 et I995) 16 colis piégés à des professeurs duniversité et à des informaticiens en particulier, faisant 3 morts et 23 blessés chez ces personnes quil jugeait responsables dune évolution technologique destructrice pour lhumanité et la nature. Il confectionnait ses colis piégés dans sa cabane du Montana où il vivait en reclus depuis 25 ans. N.D.T.
3 En anglais « I went fifty-one fifty », littéralement « 51 50 », en référence au code en usage dans la police de San Francisco pour désigner lincarcération dun individu atteint de troubles psychiques. Lexpression en argot signifie « fou ». N.D.T.
4 Célèbre chanteuse de hip-hop. N.D.T.
5 En anglais : « Im gonna survive ! I will survive ! », en référence à la chanson culte de Gloria Gaynor. N.D.T.
6 Women Who Love Too Much : When You Keep Wishing and Hoping Hell Change, (Pocket Books, 1991), « un ouvrage remarquable, vendu à des millions dexemplaires et déjà un classique » (à en croire la quatrième de couverture) de Robin Norwood qui se penche sur celles pour qui « aimer signifie souffrir » et qui promet que « les femmes qui aiment trop peuvent sen sortir lorsquelles trouvent la force de saimer elles-mêmes. »
Megan Lee Comfort