Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
© Passant n°49 [juin 2004 - septembre 2004]
Retiens la nuit
Vous commencez à me connaître : je ne plaisante pas quand on me confie une mission.
Les Passants mont dit : « Mickey, va falloir que tu tintéresses à la Nuit. Quimporte la nuit, comme le flacon, etc. »
Je me suis demandé par quel bout la retenir
cette putain de Nuit. Au début ? Pendant ? A la fin ?
Cest que jai un sérieux problème : la nuit, jai tendance à roupiller ! Profondément, vertigineusement, lourdement (y a quà voir le paquet dadverbes
). Sur les deux oreilles.
Plus jeune, bien entendu, je faisais partie de la confrérie très éveillée des « Guetteurs de laube ». Nous surveillions lobscurité que dis-je ? lobscurantisme, captions la moindre information traversant lEther « Tes au courant ? Tas entendu ? ». On nallait pas nous la faire !
Ah ! Ah ! La Mort, lennemi ne nous surprendraient pas ! Surtout pas dans le sommeil ! « Pas dormir, les gars ! »
Il y a bien longtemps, par ailleurs, que jai découplé obscurité et sexualité
Faut bien reconnaître que lon ny voit goutte, et, à tâtonner, il arrive que lon se trompe mutuellement
Enfin, le temps passant, les valoches sous les trous à regards prenant de plus en plus de poids, jai commencé de rêver la nuit, comme il convient, appréciant de mabstraire souvent (eh beh, oui, quoi ! Histoire de se mettre en retraite de ce monde ! Cela étant dit, un monde pas plus, pas moins délirant que les précédents ou que ceux à venir
Et qui se trouve être mien : je lai, direct, toute la journée, dans lobjectif zoom, optique ou numérique seamless. Et, surtout, sous la pogne
Ça vous maintient en responsabilité, pas besoin dune allumette sous la paupière pour garder lil ouvert). Par ailleurs, jajouterai que je désire garder la forme, le tonus nécessaire, le subconscient malin, non mais, tiens
Je sais bien que le jour viendra où un autre personnage sinstallera dans la case, piquant du même coup mon phylactère
Sans doute sera-t-il en 3D, moins crayonné, plus pixellisé
Daucuns, attentionnés, diront : « Cest plus pareil ! Cest plus du vrai Mickey ! », mais pas de vaine nostalgie : quand on a connu le coup de gomme, loblitération sur papier, en faisant un petit effort de mémoire, on sait bien que ce nétait pas plus tendre auparavant. La mine pouvait tourner triste, la pointe se briser, et
Schtok ! Dans la corbeille à papier
Eho ! Ohé ! Vous mécoutez, jeunes Passants ? Si vous, vous travaillez comme il faut lordinaire, croyez-moi, vous nallez pas vous emmerder ! Comme dhab, il reste tout à vivre, à faire, à risquer. Il ny a que la consommation et les peurs qui ont changé
Bon, revenons à la nocturne
Je pouvais me la jouer façon jeu de mots : « Nycthémère », « nyctalope », « nuit dencre », « chat noir, chat gris », etc.
Trop fastoche.
Je décidai lexpérience. Un truc quasi scientifique. Je voulais expérimenter
Tiens : la « nuit noire » par exemple
pas simplement la nuit sans lune, non, non ! La « nuit noire », labsence de lumière, le Black hole pour ainsi dire
Pour la « nuit blanche », on verrait après.
Je menfermai aussi sec dans la penderie. Au plus profond.
Cest là que Ghislaine ma trouvé, en attrapant son manteau
Jvous dis pas
Jai bien parlé « dexpérimentation », de « reportage » en clignant des yeux
Nempêche, elle a répété : « Que fais-tu là, mon chéri ? » Et je peux vous dire que ce « mon chéri » répétitif nétait pas de bon augure
Un « branque » ! Voire pire, que je décodai dans son regard hagard (pourquoi se gêner dans lallitération amusante ?).
Ghislaine ma parlé trop gentiment pendant quelques minutes. Jen frissonnai. Elle sinquiétait vraiment. Que jexplose les voitures, la télé, que je dise nimporte quoi, O.K., elle connaissait
Mais là ?
Quand jai insisté en déclarant que je testais la « nuit noire », jai vite compris que jajoutais du malentendu
Prenant, au hasard, un manteau à mon tour, je me suis donc carapaté rapido pour la deuxième phase de mon programme de recherche.
Une heure plus tard (Vous savez bien, le tramway qui doit simplifier la circulation
), jai parqué mon C15 dans le quartier nord de Bordeaux. A Bacalan.
Javais prévu le retard. Il faisait nuit à présent. Cétait parfait. Javais cependant un jour davance sur mon planning
Et je me suis mis à arpenter les trottoirs de Bordeaux, direction le centre ville ! Nach Zentrum ! La dérive psycho-géographique des Situs ! On allait voir ce que lon allait voir ! Back to the future !
ça sest gâté cinq minutes plus tard. Quand jai réalisé la teneur de mon accoutrement
Mestounes que javais chaud ! Dans la précipitation, javais enfilé le manteau de fourrure de Ghislaine ! Du vrai lapin de Poméranie
Un achat improbable dun autre temps.
ça na pas tardé : une bande de jeunes ma reluqué et ils se sont mis, joyeux, à memboîter le pas.
Il ne me manquait que la flûte
« Eh, David Croquette ! Tu chasses la grouse ou la grosse ? »
« Tu trappes raquette ou tapette ? »
Manifestement, le quartier était conformiste et très conservateur, bien quavant-gardiste dans le propos (on ne se rend pas assez compte du travail de lEducation nationale dans ces quartiers-là)
Je révisai vite fait mon « Parfait de Jiu-jitsu », surtout le chapitre : « Comment affronter une douzaine dadversaires et survivre dignement », quand, soudain, je me rappelai du « coup du lapin »
Courant en zigzags, claquant des dents et des talons, je détalai, men foutant des pléonasmes, effectuant des petits bonds à chaque tentative de tacle de mes poursuivants
Et, IIIIRRRRRKKKHHH
Boum ! Je fonçai dans Rachid Dupont, mon jeune et charmant voisin, qui manifestement pratiquait à ce sombre instant la mécanique urgentiste sur un scooter qui faisait une tentative de suicide, suspendu à un antivol attaché à un lampadaire
« Monsieur Mickey ! Vous ! Si loin de Bègles ! »
Jeté à terre, Rachid demeura princier :
« On ne tire pas la queue du Mickey ! Cest mon voisin, cest mon cousin ! Autrement vous allez avoir affaire à « El Baïja », le seul, le vrai, que voici, que voilà, ici bas ! »
Mektoub !
Un garçon influent et respecté.
Il mavait sauvé de lhumiliation
Ghislaine, quémandée, est venue plus tard me chercher. Shanghai Lilux, notre enfant, qui laccompagnait, me parla tristement : « mon père
pauvre hare1
tenterais-tu de me faire rater le bac ? De me turlupiner le narcissisme, avant mon grand départ de la maison familiale ? »
Que dire, que répondre ?
« Votre papa, y a pas à dire
» rajouta, rêveur, Rachid.
Plus tard, je récupérai mon C15, une vitre en moins. Quelquun avait fait son marché. On mavait embarqué de même la serrure de la porte arrière. Le reste était demeuré en létat.
La nuit, tous les C15 sont gris