Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°49 [juin 2004 - septembre 2004]
© Passant n°49 [juin 2004 - septembre 2004]
par Giosuè Calaciura
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Ils arrivent au coucher du soleil qui signale le début du tapin à la Marine, transportés par la nostalgie de leur musique, lun joue du violon pendant que laveugle laccompagne à laccordéon en le suivant à loreille le long de la piste désarticulée et malaisée du baisodrome, ils vont contournant les fossés pleins des ondées, les rochers comme un siège pour les positions damour, les chiens grondants qui aboient en bordure, se mettant en garde réciproquement des pièges du terrain, signalant une latte, accélérant le rythme, répétant un couplet ad libitum et quand ils ne parviennent pas à se comprendre dans lobscurité nécessaire aux couples se dérobant aux regards, ils modulent de vrais sons de danger comme une note. Et ils nous suivent tournant et virant lors de nos passages de tapineuses, comme une valse tournant et virant, nous accompagnant jusque dans lencadrement de la fenêtre de voiture pour dicter le temps de la tractation, puis ils nous escortent sur un tango jusquaux haies des passes debout, se tenant à dix pas de pudeur, laissant aux clients lintimité concentrée sur la taille de leur pine et en même temps la sensiblerie de cette baise sur un air du Parrain. Ceux qui napprécient pas les chassent par une grossièreté et ces derniers séloignent, continuant à jouer, sans craquer, sans rancur, mettant petit à petit la sourdine de léloignement. Mais même ceux qui napprécient pas à la fin dune pipe laissent le pourboire de la satisfaction à laveugle qui saisit la générosité avec la main dotée de son propre champ de vision tout en continuant à jouer de lautre une seule note aveugle, dans le souffle de laccordéon. Ils jouent les airs originels des alliés américains qui, avec la liberté, ont laissé sur les plages les partitions de fox-trot et de boogie-party, telle est leur vieillerie musicale et les plus jeunes préfèrent le silence car ils veulent entendre leur souffle rassurant, mais ils savent adapter pour le public en attente du turbin à la Marine les divertissements des conquérants de caserne de lorchestre de Miller qui nous chatouille des pas de danse à peine esquissés et déjà interrompus pour des raisons de travail, et sur ce rythme le temps sécoule plus vite. Cest devenu économique de mesurer le turbin à la cadence des instruments, un morceau une passe, précise et sans dépassement, un bouffe-chatte vingt mille, on a mesuré la durée de chaque prestation et ça colle avec nos désirs de rapidité, ils jouent les chansons du Festival1, ils jouent Volare tandis quon me besogne comme pour se libérer dun poids, dune nostalgie, ils jouent des valses du Danube et des mazurkas de légèreté, ils jouent les tourments lyriques de lOpéra pour clore la journée et achèvent en chantant à minuit la ronde du plaisir2, ils ramassent les dernières pièces de monnaie et bras dessus bras dessous pour ne pas se perdre ils sescortent jusquaux silences des ruelles et dans dautres rues sans musique.
Au duo claudiquant se sont joints les virtuoses dautres commerces de la Marine, les gastronomies rapides de lantichambre de lattente, les graines mastiquées des flâneurs, les divertissements de repli et tout le marché sans lois qui profite de notre chatte pour empocher puisque la journée sest écoulée dans lhabituelle pénurie des récréations décole qui font mal au cur car chaque sonnerie de fin de cours devient pour les marchands embusqués aux grilles comme les cloches de Pâques, une promesse vaine. Et le sfincionaro3 empoche, agitant lobscénité de sa langue pour nous offenser et en fait cest un réconfort, à lodeur pourrie de ses caries sajoute le relent doignon mal digéré de son assaisonnement, puis le vendeur de frittole4 empoche, lui qui na jamais parlé ni fait un mauvais geste mais sest trouvé un bout de trottoir personnel en loccupant pour toujours avec les avis de propriétés privées accordées depuis la Création, comme les Empires, le panellaro5 empoche avec ses océans dhuile bouillante qui martyrisent ses doigts montrés aux clients qui ont déjà trouvé satisfaction derrière les buissons et demandent un remontant frit bien chaud tout en se targuant du mensonge de mavoir tringlée trois fois au prix dune pipe soldée, et je fais signe que oui, pour le satisfaire, trois fois il ma tringlée, en me défonçant comme le font seulement les champions affamés, comme les ogres de la nuit, les King Kong des périphéries aux longues mesures de bras, donne-lui une belle focaccia pour bien se régaler; le marchand de réglisse et de cannelle empoche et trime, jouant des coudes comme dans le tumulte des jours de fête, couvrant toutes les odeurs et les parfums, purifiant lair des odeurs de friture, reconditionnant en paradis la puanteur de la Marine, et même ma chatte à la fin du tapin émane des lueurs de bonbon et mes seins ont un parfum de beignet qui rend les clients encore plus langoureux et pendant quils remplissent le préservatif, ils essaient de me déshabiller de mon papier cadeau et plongent leur langue dans la crème. Et empoche aussi le comptoir ambulant des boissons fraîches pour ceux qui se bercent de romantismes et me vouvoient en moffrant une limonade parce que cela désinfecte lappareil digestif et tout en sirotant un chinotto, ils me regardent fixement dans les yeux, pour menjôler, me séduire et ils me paient de mauvaise grâce lavance car prend fin lillusion dune nuit damour rien que pour leurs beaux yeux.
Les manèges de la foire sont arrivés, au flair ils ont perçu dans nos défilés nocturnes une marge de gains sans contrôle. Ils ont monté les engins de la magie électrique qui illumine la nuit avec le bruit des générateurs des barques somnambules et le claquement de train des autos tamponneuses, ils étirent des barbes à papa qui engluent les mains des clients et on les sent sur nos hanches comme autant dempreintes digitales qui tachent, lorsquils abandonnent par fatigue la douceur du palais et veulent tremper leur pine dans le régal de notre source et il nous faut toute la force des lavages de chambrée pour en effacer les traces. Il y a le stand de tir au fusil à air comprimé, le punching-ball qui dit qui est un homme véritable et qui est une mauviette selon la rage du poing, et qui gagne a une passe gratuite, il y a la grande roue pour les amoureux des bancs décole qui décollent de terre et depuis les cachettes du baisodrome on les voit en haut, dans les halos de lumière de la foire. Ils se touchent une main gardée sous le manteau et avec lautre ils se montrent lun à lautre les bateaux qui partent, les phares lointains des promontoires, les signaux colorés de navigation, et plus ils montent, plus loin sexercent leurs joutes pour imaginer les silhouettes formées par les ombres des nuages sur la mer, et ils admirent tout le panorama aérien inaccessible depuis notre perspective dagenouillement. De leur hauteur, ils reconnaissent la géographie suspendue de la ville et avec émerveillement, ils découvrent les routes connues depuis lenfance, regarde, regarde ma maison, comme sils la voyaient pour la première fois, regarde larrêt de bus de notre première rencontre, regarde le château sur la colline qui a perdu la lourdeur de son devoir de plomb quand il scande cruellement sept heures du matin, regarde les incendies se reflétant sur les étendues lointaines des bois et il est possible de compter les arbres un par un pendant quils prennent feu. Et cest magnifique, se confient-ils, pendant que la roue oscille à la brise de terre et continue son tour jusquà les ramener en bas dans la chaleur bruyante de la foule, où les attendent ces mêmes pierres qui se sont adaptées et émoussées par amour à toutes les formes de leur âge, depuis les jeux de cache-cache quand elles se faisaient accueillantes comme des tanières et participaient à leurs frissons de plaisir et de peur avant dêtre découverts, depuis les annonces de cruauté précoce laissant émerger les vers de terre pour létonnement de la torture inexperte de petites mains de jeu, jusquà sassouplir en devenant matelas dans le dos pour les premiers ébats amoureux, devenant silencieuses et atones sous les pas des fugues adolescentes pour que personne ne découvre les sentiers secrets, elles devenaient concaves comme des coupes pour recueillir les premières larmes qui éveillaient à lépouvante de la déception. Et cest magnifique de les écouter isolant leurs voix du grésillement métallique de la foire et du ahan asthmatique du client dauto tamponneuse qui sécroule sur moi pendant quil vient en levrette.
Au duo claudiquant se sont joints les virtuoses dautres commerces de la Marine, les gastronomies rapides de lantichambre de lattente, les graines mastiquées des flâneurs, les divertissements de repli et tout le marché sans lois qui profite de notre chatte pour empocher puisque la journée sest écoulée dans lhabituelle pénurie des récréations décole qui font mal au cur car chaque sonnerie de fin de cours devient pour les marchands embusqués aux grilles comme les cloches de Pâques, une promesse vaine. Et le sfincionaro3 empoche, agitant lobscénité de sa langue pour nous offenser et en fait cest un réconfort, à lodeur pourrie de ses caries sajoute le relent doignon mal digéré de son assaisonnement, puis le vendeur de frittole4 empoche, lui qui na jamais parlé ni fait un mauvais geste mais sest trouvé un bout de trottoir personnel en loccupant pour toujours avec les avis de propriétés privées accordées depuis la Création, comme les Empires, le panellaro5 empoche avec ses océans dhuile bouillante qui martyrisent ses doigts montrés aux clients qui ont déjà trouvé satisfaction derrière les buissons et demandent un remontant frit bien chaud tout en se targuant du mensonge de mavoir tringlée trois fois au prix dune pipe soldée, et je fais signe que oui, pour le satisfaire, trois fois il ma tringlée, en me défonçant comme le font seulement les champions affamés, comme les ogres de la nuit, les King Kong des périphéries aux longues mesures de bras, donne-lui une belle focaccia pour bien se régaler; le marchand de réglisse et de cannelle empoche et trime, jouant des coudes comme dans le tumulte des jours de fête, couvrant toutes les odeurs et les parfums, purifiant lair des odeurs de friture, reconditionnant en paradis la puanteur de la Marine, et même ma chatte à la fin du tapin émane des lueurs de bonbon et mes seins ont un parfum de beignet qui rend les clients encore plus langoureux et pendant quils remplissent le préservatif, ils essaient de me déshabiller de mon papier cadeau et plongent leur langue dans la crème. Et empoche aussi le comptoir ambulant des boissons fraîches pour ceux qui se bercent de romantismes et me vouvoient en moffrant une limonade parce que cela désinfecte lappareil digestif et tout en sirotant un chinotto, ils me regardent fixement dans les yeux, pour menjôler, me séduire et ils me paient de mauvaise grâce lavance car prend fin lillusion dune nuit damour rien que pour leurs beaux yeux.
Les manèges de la foire sont arrivés, au flair ils ont perçu dans nos défilés nocturnes une marge de gains sans contrôle. Ils ont monté les engins de la magie électrique qui illumine la nuit avec le bruit des générateurs des barques somnambules et le claquement de train des autos tamponneuses, ils étirent des barbes à papa qui engluent les mains des clients et on les sent sur nos hanches comme autant dempreintes digitales qui tachent, lorsquils abandonnent par fatigue la douceur du palais et veulent tremper leur pine dans le régal de notre source et il nous faut toute la force des lavages de chambrée pour en effacer les traces. Il y a le stand de tir au fusil à air comprimé, le punching-ball qui dit qui est un homme véritable et qui est une mauviette selon la rage du poing, et qui gagne a une passe gratuite, il y a la grande roue pour les amoureux des bancs décole qui décollent de terre et depuis les cachettes du baisodrome on les voit en haut, dans les halos de lumière de la foire. Ils se touchent une main gardée sous le manteau et avec lautre ils se montrent lun à lautre les bateaux qui partent, les phares lointains des promontoires, les signaux colorés de navigation, et plus ils montent, plus loin sexercent leurs joutes pour imaginer les silhouettes formées par les ombres des nuages sur la mer, et ils admirent tout le panorama aérien inaccessible depuis notre perspective dagenouillement. De leur hauteur, ils reconnaissent la géographie suspendue de la ville et avec émerveillement, ils découvrent les routes connues depuis lenfance, regarde, regarde ma maison, comme sils la voyaient pour la première fois, regarde larrêt de bus de notre première rencontre, regarde le château sur la colline qui a perdu la lourdeur de son devoir de plomb quand il scande cruellement sept heures du matin, regarde les incendies se reflétant sur les étendues lointaines des bois et il est possible de compter les arbres un par un pendant quils prennent feu. Et cest magnifique, se confient-ils, pendant que la roue oscille à la brise de terre et continue son tour jusquà les ramener en bas dans la chaleur bruyante de la foule, où les attendent ces mêmes pierres qui se sont adaptées et émoussées par amour à toutes les formes de leur âge, depuis les jeux de cache-cache quand elles se faisaient accueillantes comme des tanières et participaient à leurs frissons de plaisir et de peur avant dêtre découverts, depuis les annonces de cruauté précoce laissant émerger les vers de terre pour létonnement de la torture inexperte de petites mains de jeu, jusquà sassouplir en devenant matelas dans le dos pour les premiers ébats amoureux, devenant silencieuses et atones sous les pas des fugues adolescentes pour que personne ne découvre les sentiers secrets, elles devenaient concaves comme des coupes pour recueillir les premières larmes qui éveillaient à lépouvante de la déception. Et cest magnifique de les écouter isolant leurs voix du grésillement métallique de la foire et du ahan asthmatique du client dauto tamponneuse qui sécroule sur moi pendant quil vient en levrette.
Romancier italien auteur, entre autres, de Malacarme (Baldini & Castoldi, 1998) et de Sgobbo (Baldini & Castoldi, 2002). Malheureusement, il nest pas encore traduit en français. Le texte publié ici est extrait de Sgobbo.
(1) Il sagit du Festival de San Remo qui est le principal événement de chanson populaire italienne.
(2) Chanson très connue.
(3) Sfincionaro : marchand de pizza palermitaine.
(4) Frittole : restes de viande bouillie et passée à la poêle avec un peu de graisse.
(5) Panellaro : vendeur de panelle, friture à base de farine de pois chiche coupée en lamelles que lon mange en cornets ou insérée dans du pain façon sandwiches.
(1) Il sagit du Festival de San Remo qui est le principal événement de chanson populaire italienne.
(2) Chanson très connue.
(3) Sfincionaro : marchand de pizza palermitaine.
(4) Frittole : restes de viande bouillie et passée à la poêle avec un peu de graisse.
(5) Panellaro : vendeur de panelle, friture à base de farine de pois chiche coupée en lamelles que lon mange en cornets ou insérée dans du pain façon sandwiches.