Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
© Passant n°49 [juin 2004 - septembre 2004]
Chemins de nuit
A Marie-Christine
I
Jaimerais pouvoir écrire une phrase qui dirait la nuit. Toute la nuit. Qui ne serait quelle en chacune de ses hésitations et parfois ses langueurs. Une phrase de méandres et de pas inéluctablement perdus, de vagues comme de ces basses eaux entre deux îles où lon marche sans trop savoir pourquoi, parce quelles émergent à peine peut-être et qualler ainsi au gré du vent qui sest levé ou de ce ventre frémissant, se fourvoyer, même pas, mais longer la grève, franchir et refranchir lindécise frontière dalgues et de débris mêlés qui crissent sous ses pieds, reviendrait à tromper lattente au moins, et la mort, et cette obscurité de tout à quoi, saison après saison, le monde ressemble davantage. Une phrase longue. Beaucoup plus longue que la pente sinueuse qui minvite à la suivre sans trêve, que cette plage, indolente là-bas en son anse et dissimulée par le moutonnement des dunes, où un oiseau planerait les ailes déployées au-dessus des flots en poussant des cris déchirants, une phrase où ce serait cela, la mélancolie, quelque mouette en plein ciel qui simmobilise un instant avant de disparaître dans la brume ou de fondre sur sa proie de lumière. Une phrase dont je nespèrerais rien si ce nest quelle suspendît le temps, rêvant de my couler tout de même, my confondre au point de néprouver que la durée sans faille ni cassure des heures caressantes, dabolir, fût-ce illusoirement, au sein du mouvement décrire leur emploi machinal et me glisser en elles. Partir. Ou le briser, ce cercle. Comme des émeutiers jadis tirèrent sur les horloges
Une phrase de nuit. Noire. Blanche1. Une phrase interminable.
Sans doute entre-t-il dans ce rêve tout un vrac de clichés affreusement littéraires. Des réminiscences aussi. Ou cette part de moi qui ne sest jamais affranchie du sol charbonneux de lenfance comme des années où je croisais encore, au petit matin, des hommes à la peau tatouée dune fine poussière bleuâtre, qui rentraient silencieux de leur voyage au centre de la terre et portaient cette autre nuit dans leur poitrine, quils crachaient, vomissaient quelquefois lorsque, les jours de beuveries, langoisse les étreignait, et la rage, le dégoût, la colère. Or, je ne rêve pas. Ou ne rêve quemporté par des eaux dont je ne sais retenir le flux, dans ce corps de mots maladroits je le crains, la nuit, ma nuit maintenant ne me rappelant guère lespèce de zone interstitielle où, en compagnie dincertains camarades, il marriva comme tout un chacun de brûler ma jeunesse. Une nuit sale. Une nuit lente, qui décline et sembourbe parmi des alluvions que le courant ne parvient à charrier plus avant, sorte de vasière spongieuse où seul sentend le battement sourd de la ville alors que tout dort et que le temps senglue dans lespace. Une nuit dont le jour ne surgit pas. Dont il suinte. Huileux. Fatigué déjà.
Je me souviens dune aube grise sur Lyon. Dune aurore qui gardait en elle un peu de la blancheur morose qui lavait précédée. Jétais seul à marcher le long du Rhône et ne distinguais quaux reflets dun fort chiche éclairage lobscurité liquide, toute de remous, de serpents senroulant sous les ponts, les écoutant qui chuintaient et rampaient près des piles tandis que jhésitais, marrêtais un instant, incapable de dénicher la moindre issue par le labyrinthe où je déambulais et regardant le fleuve comme si la nuit ne devait plus cesser. Javais mal. Javais froid. Ne souhaitais ni nattendais personne, marmonnant des bribes de poèmes ou les paroles prononcées dune voix étrangement douce par le comte Dracula dans le film de Werner Herzog, qui sont de Hölderlin, souvent, plus que de Bram Stocker, râlant, murmurant la plainte de qui vit éternellement sans amour et que la lumière tue, qui hante à sa lisière le versant second de la nuit et propage en ses noces la peste des déshérités. Jétais là. Près du fleuve. Pensant aux lônes qui loin dans la banlieue sabandonnent et croupissent. Aux crues de printemps ou dautomne. Vain. Meurtri. Sans objet ni désir que ce manque auquel on remet alors sa précaire tentation dexister.
II
La nuit nest pas un jeu. Moins encore le retrait provisoire des codes ou des lois où tout deviendrait possible, boire, fréquenter des voyous, changer de peau, trafiquer des idées dangereuses, se battre et se repaître enfin dinterlopes rencontres
Cest du temps. Un peu de temps en fragile équilibre comme la passerelle au-dessus du Rhône où, pris de vertige, ivre probablement, je métais, jambes brinquebalant dans le vide, assis, fumant cigarette sur cigarette, cependant que vers le Parc de la Tête dOr la clarté vaporeuse dun jour pareil à tous les jours nimbait les arbres, morne, inconsistante. Je repris mon chemin. Poussai la porte dun bistrot dont le serveur balayait sur le plancher la sciure de la veille, bus deux ou trois cafés tout en grignotant un croissant. Je rejoignis ensuite la piaule assez minable où, faute de chambre disponible dans létablissement du quartier dAinay dont lenseigne Hôtel Baudelaire mavait attiré, je métendis sans pouvoir massoupir, les yeux fixés sur une fente çà et là suggestive lézardant le plafond. Jécrivais à lépoque une manière dépuisante lettre damour à lAurélia, la Nadja qui viendrait peut-être, que je reconnaîtrais ou non puisque tout serait noir, le ciel, leau, les montées descaliers sur les pentes de la Croix-Rousse, ne soupçonnant pas quelle passait fréquemment près de mon gîte afin de se rendre chez une amie dans la très nervalienne rue Lanterne, place Saint-Nizier aussi, dont jappréciais la quiétude autant que les boutiques désuètes et où, dans le troquet que jai dit, javais fait halte ce matin-là. Au reste, je néprouvais ni ne manifestais quune neurasthénie boudeuse, façon dhébétude somme toute paisible, mégarant volontiers dans une ville où je navais vécu que par inadvertance. Je menfermais dans ma carrée. Sortais quand tout était sombre ou pour frotter ma solitude à celle de quelques femmes dont lune nexigea de moi que la nuit.
Je sais bien que ce récit banal, qui navoue pas grand chose des tracas ni des humiliations, du ravissement à flâner sous les marronniers de la place Bellecour pourtant ou de suivre les quais jusquaux Terreaux avant de traverser la Saône, des pluies doctobre, quand les feuillages jaunissent et quils ruissellent après laverse, de lamour même, qui me tint longtemps derrière des volets clos avant de me prendre par la main regarde, regarde, souffla-t-elle, cest un arbre, et nous le répétions ce mot : arbre
arbre
arbre
comme des enfants
, je sais bien que ce récit facile sinscrit dans une tradition qui connut ses hautes heures avec le romantisme, et que les « Nuits » de Young, de Novalis, de Victor Hugo comme de Mallarmé, de Rilke ou dAloysius Bertrand se répondent, laissant mourir sur la berge celles dont je me crus habité. Nempêche. Descendre dans la pénombre, sy engloutir jusquà létouffement et, tel le mort-vivant de la légende, hanter sa propre absence, seul, inexorablement seul, errant de square en venelle déserte ou, dans les ruines du château quon avait bâti sur des songes, saluant dinvisibles convives, ce ne fut pas se perdre, non, les aurait-on simplement effleurés de ses doigts, les lèvres comme le ventre offerts aux grandes fleurs damertume dont le parfum demeure après quelles ont fané.
III
Ce qui se lève ainsi nest pas le jour, pas tout à fait le jour mais lesquisse dun oubli. De la détresse peut-être, que demain les éboueurs chargeront dans des camions comme, avant de les abandonner, ils vident chaque matin les poubelles de la nuit. Un mot, un simple mot dès lors, jeté dans la cour dun immeuble ou peint abruptement sur le mur de la gare toute proche, il me suffit dun mot, dun prénom lancé depuis létage supérieur de cette même gare et qui appelle de lautre côté de la rue un frère ou un amant, lequel répond, gesticule, ne bouge pas, replonge tout à coup derrière les barreaux où saccrochent des sacs de matière plastique, des serviettes humides, un peu de linge propre (Saint-Paul, elle sappelle Saint-Paul, cette prison
), il me suffit de cet étranglement, cette éclaboussure
partout dans la mémoire et sur lasphalte où je traîne encore malgré lâge pour nêtre à nouveau quun gosse, qui serre les poings dans ses poches, sen va, se cache ou sanglote, un gosse que lon ne consolera plus
Lenfant à sa fenêtre naura vu que lenvers du silence. Cétait un peu de cendre, des flaques dans les jardins, des forêts sans oiseaux et, pendues aux branches, de longues chemises maculées de chagrin que la brise agitait. Il en aura pleuré. Se sera demandé pourquoi cétait si difficile, si ténébreux de vivre, on a beau dessiner à la craie des marelles, beau colorier, balafrer ses cahiers décolier dinnombrables soleils, ils servent à quoi ? Dites, les crayons de couleur que lon offre à Noël, si rien ne change et quon patiente à regarder stupidement le mélange de neige et de suie qui colle au carreau de la chambre ou les nuages qui senlisent au-dessus des collines, que lon contemple, muet, interdit. Il ne savait rien, cet enfant. Se contentait débaucher des visages dans la buée qui recouvrait la vitre. Il se taisait. Se couchait sagement dans son lit, imaginant que dans lobscurité une main secourable lui cousait les paupières. Cela coulait pourtant. Il le sentait chaque soir avec plus dintensité. Cétait visqueux où, là, là, je tassure, ça fait mal
comme une nuit gluante à lintérieur des veines. Le sommeil le fuyait, ne la dissipant pas, cette douleur inconnue, quil aimait, cette morsure infectée de tendresse au secret de sa chair. Il comptait les étoiles. Vivait de ne pas vivre. Arpentait sans mot dire le charnier où le jour entassait ses chimères.
Les choses aujourdhui ne sont guère différentes. La nuit dont je procède, qui empoissait les miens sans quaucun ne sût ni ne comprît pourquoi il devait sen vêtir, haussant les épaules : cest comme ça et pas autrement, tu verras
Cette nuit peut bien sêtre échancrée çà ou là, ils piétinent, le gamin, ladolescent, lhomme qui voudrait les rejoindre tandis quun employé lincite à quitter le jardin du Palais Saint-Pierre on ferme, monsieur
et quil regarde une dernière fois les nymphes et les muses de bronze quil nétreindra pas. Dehors, la ville est morte. De jeunes désuvrés sagglutinent un instant sur la place puis se séparent, les uns tripotant leur téléphone portatif, les autres, qui se dandinent ou parlent fort, séloignant à lintérieur du gel ou du défaut de monde quil leur faut accepter. Je pense à Rodanski. Aux mots que dans une lettre de 1953 il adressait à Claude Tarnaud : « Laube, cest tout ce que je cherche. Ma chanson de gestes est faite avec des ombres, du silence et ma mort ». Lannée suivante, il entrait volontairement à Saint-Jean de Dieu, lhôpital psychiatrique quil ne quitterait plus. Il y vécut deffrois, décarts somnambules et dâpres inconvenances : on ne badine pas avec les séductions de la nuit.
IV
Elle avait résidé rue de la Loge, à Saint-Jean, celle qui me parla des arbres. Le quartier navait pas encore été transformé en sentine touristique et les fils de famille, férus de Vaneigem mais quand même, nen menaient pas tout à fait large quand ils sencanaillaient dans les bars louches à côtoyer des immigrés et des prolétaires. Elle y avait fréquenté de drôles de types sans avoir dautre envie que de sasseoir près des fontaines, croyant que cétait en elle, dans ses yeux et ses membres, sous sa peau que londe pleurait ou susurrait parfois (reste, reste
), cependant quattablés aux terrasses printanières de futurs professeurs à Sciences-Po et des dealers dacides prétendaient vivre, sans temps mort ni entrave, la liberté des sexes comme les joies sulfureuses de leurs petits commerces. Je haïssais ces gens. Promenais mon cafard en bordure de Saône, mes pas mentraînant jusquau soir sur lîle Barbe, où je me réfugiais. Je bouquinais, installé sur un banc. Faisais semblant de lire plutôt, me bornant à observer lécume boueuse de la rivière avant de rebrousser chemin. Il faisait noir. Des lueurs rougeâtres léchaient les rideaux ou les stores des fenêtres, des taches bleutées çà et là, noyées dans des cuisines, des salons, des salles à manger. Les fleurs se refermaient. Les grappes des lilas ségouttaient à proximité de maisons où les hommes froissaient par habitude létoffe dun plaisir dont leurs partenaires sabsentaient. Dans le petit appartement que javais fini par louer, je rouvrais LAmour fou et les Élégies de Duino, notant au fil des pages les rêveries dont jétais consumé. « La nuit se tenait dans les chambres », avait écrit Rainer Maria Rilke2, « comme un animal blessé que nous aurions transpercé de douleur ». Nous dormions sans dormir : cet animal, nous lavions elle et moi longuement caressé
Les drôles de types sen étaient pris à un fourgon de police après sêtre disputé les fruits dun dernier casse. Lun engrangeait des diplômes en prison. Un autre, qui était une montagne, y crevait à petit feu. Le troisième ne sarrimait plus quau fric dont il accusait les premiers de lavoir spolié. Ils sortiraient bancals, donneraient des cours de sociologie à la fac ou lâcheraient la rampe comme des chiens, écrasés. Jhébergerais un temps le plus mal en point, qui ne se pardonnait pas davoir voulu me « percer » de sa lame après une bagarre où je navais été pour rien. Mon calme le rassurait. Mon calme
Je lui filai un peu dargent. Le conduisis comme convenu dans un troquet de la rue des Tables Claudiennes où le théoricien de la bande, qui parlait trop, lui asséna une sévère leçon de morale. Tout ça ne tenait pas debout. Les réseaux, le butin dun braquage qui avait défrayé la chronique, ce café miteux où ils avaient autrefois picolé, le calibre sous la veste, les inévitables querelles
Jétais loin. Leurs discours appris dans les romans de Jean-Patrick Manchette et leurs poses de flingueurs memmerdaient.
Jignorerai toujours si cest la nuit, une nuit profonde mais comme étale à sa surface dencre délavée par le jour que lon découvre quand on croise un visage. Si ce qui nous émeut savère être simplement en autrui la trace fuligineuse dun sentiment à fleur de peau, quelques rides, cette bête peut-être, identique à celle qui bat à lintérieur de nos poitrines, étoile de mer frileuse, crispée, rabougrie, dont les branches saignent ou se recroquevillent sur nos enfances répudiées. Cela na plus vraiment dimportance. Un bateau mavait emporté de lautre côté de la mer, dans une bicoque infestée de mille-pattes et de cancrelats qui sentait la vaisselle mal lavée. Des couples y ronflaient. Jassistais, nauséeux, à des scènes triviales, me cachais ou courais sous des pluies lourdes, épaisses, braillant par les brusques déluges des hymnes dérisoires et des insanités
Elle était là. Flétrie ou indemne. Étrangère et presque indifférente. Incompréhensible. Bafouée. Nous avions, sans que nos mains se touchent quand nous craquions des allumettes, passé la nuit ensemble, fumant, parlant, nous regardant et, dans les très longs silences quentre deux phrases ou deux sourires dextrême lassitude nous laissions flotter alentour, jouant du bout des doigts avec le sable paresseux du temps qui sur nous sétait peu à peu déposé. Ses yeux brûlaient, comme de leau, comme du ciel. Le matin se leva. Nous prîmes un café sur le coin dune table. Lair était tiède. Nous nétions que cette heure, cet espace mouvant dans la blancheur du jour où la nuit nen finissait pas de se recommencer
V
Il existe des lieux doù lon ne revient pas. Des lieux ou des moments enkystés dans cette mixture de chairs comme de sensations, de fièvres, de bonheurs incongrus et de souvenirs auxquels on ne sarrête pourtant que de loin en loin, le zinc dun bistrot, les éclats de rire ou les larmes dune petite fille, un port, en Irlande, où lon régurgitait sa vie, une pièce à moitié sombre dont la lucarne donnait sur une avenue baptisée dun de ces noms stupides : Foch, De Lattre de Tassigny, Thiers, Édouard Herriot, Auguste Comte
Un orage dans la montagne où lon sétait aventuré, quelques mots griffonnés à la hâte sur un méchant papier ou la nuit que dans son regard celle qui naimait personne et que personne naimait ne savait avec qui partager. Des lieux, des journées en souffrance, enfouis sous les gravats de lhabitude ou dont les échardes soudain déchirent la mémoire, et puisque lon doit marcher, puisque rien par létendue des jours ne traduit plus quune obstination lancinante, ce sont eux qui nous fondent, ne serait-on après bien des errances que des voyageurs égarés. Ou bien, on les invente. Les dessine et les peint sur des toiles toujours plus noires, les raconte au gré dhistoires que lusage dit être justement à dormir debout, des chansons, des récits fabuleux, des messages versés en pâture à la solitude massive à laquelle se réduisent désormais nos étroites destinées.
Je naimais pas Lyon. Ni Bordeaux. Ni Paris. Ni Venise. Je divaguais au hasard de leurs rues sans rien voir que de tristes ou de prétentieuses façades, rêvassant près dun porche ou, penché sur leau maussade des canaux, examinant les reflets de palais dont la lèpre me paraissait encore belle. Je naimais rien, peut-être. Que ces promenades sans but par des cités malades. Ces excursions désespérantes sur des crêts rabotés par les vents dès que lhiver assiégeait
les hauteurs. Cette steppe, nue, frigorifiée, qui sétendait au-dessus de la vallée industrielle et où, par les bruyères griffant la brume éparse, javais à dix-sept ans tenté de fuir la mort enfant dont lon mavait affublé. Je meffrayais de tout, gamin. Du silence comme du bruit. Des cris non moins que du mutisme haletant épié chaque nuit dans lalcôve. De cette opacité qui me gagnait, doù jémergeais penaud, lil inquiet, la bouche frémissante. Respirer navait aucun sens. Jécoutais souvrir ou se fermer à longueur dinsomnie des centaines de portes.
Cest un arbre, tu vois
cest un arbre
chuchotait-elle. Nous avions trouvé asile dans une maison sans désunir en nous la nuit du jour. Il avait plu. Il était midi, ou neuf heures du matin, le soir déjà, laube, le lendemain, la veille
Le ciel sétait voilé de nuages dont les franges flottaient avant de seffilocher dun bord à lautre du maigre horizon. La semaine sécoula lentement. Nul ne connaissait le repaire où nous dormions enlacés, nous éveillant dheure en heure comme étonnés de vivre. Avant de regagner la ville, nous allâmes entre chien et loup boire un verre dans une petite auberge. Le temps pourrait passer maintenant. Le soleil se coucher comme une meule de foin calciné basculant dans labîme. Il faisait beau. Nous lavions appris dun regard : la nuit nest pas que le sang séché de nos rêves
(1) « Ne mattends pas ce soir, car la nuit sera noire et blanche », Gérard de Nerval, dernier billet adressé à sa tante, qui lhébergeait.
(2) Dans ses Poèmes à la nuit.