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Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
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© Passant n°49 [juin 2004 - septembre 2004]
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Michel Suret-Canale, Peintre de la nuit


L’artiste est sa propre nuit. Il surgit de la nuit et, dans son travail de nuit, reste pourtant auprès d’elle, peignant la nuit – la nuit elle-même, et pendant et au milieu. Le travail ne se produit pas seulement dans la nuit mais il provient de la nuit, comme son effet : ce que ne dit pas l’anglais painting at night, la nuit où et durant laquelle s’exerce l’activité de peindre, mais que dit, en secret, le français : peindre la nuit, c’est aussi bien peindre au cours de la nuit que la peindre elle, la nuit, en faire le thème de la peinture. Mais un thème qui se dérobe à toute thématisation selon sa propre puissance nocturne qui traverse l’artiste crayonné de traits sombres. Peindre la nuit, peindre de nuit, la peinture est un travail de nuit. Travail de nuit comme il y a un travail du rêve, non pas selon la puissance éveillée de la conscience tournée vers l’objet intentionné et visé mais le travail de la nuit, son exercice en effet, qui s’exerce à la nuit. « Peindre la nuit » se dédouble, comme les deux pans de nuit entourant l’artiste : travail de nuit, au milieu de la nuit – et nuit qu’il peint et qui le peint en retour. Le travail de l’artiste, passeur de nuit, est affecté par le travail de la nuit elle-même. Le travail n’y est plus seulement activité mais passivité accueillante où l’artiste se figure. Eprouvé par le passage de la nuit en lui, son épuisement manifeste sa condition de travailleur de nuit et dénonce l’exploitation de la nuit par le capitalisme du jour ou par la société du spectacle qui font disparaître sa fragilité ou son pudique retrait.

La nuit travaille en l’artiste : il se tient au milieu de la nuit parce que la nuit ne se montre qu’en son milieu. L’artiste retourne au milieu de la révélation de la nuit, au milieu de son recouvrement ou retrait. Il ouvre la nuit et, par sa position, sa tenue entre deux traits de nuit, laisse voir la nuit : il la laisse voir déchirée, en deux, dans l’entre-deux où elle se révèle comme nuit. L’artiste déchire la nuit, s’immisce dans son antre, entre-deux, se tient dans le retrait de la nuit et, dans sa posture, la maintient comme nuit. L’artiste n’est pas à l’avant-poste de la nuit, il se tient en son milieu, là où la nuit se donne, où la nuit pouvait se donner – don de la nuit à l’artiste qui s’y tient, non seulement au milieu, mais aussi à la promesse de sa fidélité à la nuit. La nuit se promet à celui qui s’y adonne, à l’artiste adonné à la nuit, qui se tourne vers elle pour la laisser se déployer et l’offrir aux regards affaiblis.

L’artiste retourne à la nuit, là où le sens et la lumière, portés aux choses, s’extrait de la nuit, là où les choses se tiennent encore dans leur propre ombre, se refusant à la lumière thématisante. « Le retour aux choses mêmes retourne au milieu de leur révélation ou apparition dans le sens : être là où je devais être pour être gratifié de leur apparition en terre sainte, en ceci ou cela. » écrit le poète Michel Deguy1. L’artiste de la nuit retient dans cette extraction un reste de nuit comme sa révélation : la révélation est de-la-nuit, jamais toute. La nuit n’est jamais toute, mais déchirée et, de ce déchirement, se révèle comme elle est. On n’a jamais toute la nuit. La condition de sa révélation est aussi celle de son effacement – ce qui indique aussi la révélation de la révélation ou du dévoilement ; le dé-voilement n’est jamais tout, il réserve toujours un voilement : la nuit n’est jamais toute sauf dans la peur de la nuit, dans la peur d’être englobé ou dévoré par elle selon le phantasme projeté de la totalité du moi. La révélation de la nuit advient sans parousie mais comme déchirure qui maintient la nuit et la préserve de son effacement dans le jour sans mémoire. La nuit peinte est de-la-nuit. L’artiste peint au milieu de-la-nuit, là où s’assemblent des figures de la nuit comme en un atelier nocturne2, là où se tiennent ensemble la nuit et la nuit, la nuit différante d’elle-même. Se tenant au milieu de la nuit où la nuit se révèle en son milieu, l’artiste, qui peint la nuit, se peint la nuit, se peint comme la nuit, se peint en la nuit dans un mimétique auto-portrait de la nuit.

(1) Sans retour, Galilée, 2004, p.93.
(2) Le lieu nocturne de son atelier est visitable sur le site www.suret-canale.com

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