Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°49 [juin 2004 - septembre 2004]
© Passant n°49 [juin 2004 - septembre 2004]
par Martine Maleval
Imprimer l'articleOhé mes chevaux noirs
Une authenticité fugitive
Un faux désordre règne sur scène. Du matériel sonore et électrique semble traîner et être en attente. Une femme assouplit ses articulations, expérimente la pression de lair sur sa peau, met ses muscles en mouvement. Un homme, en costume noir, nu-pieds, erre. Puis, au même rythme que sorganise la salle, la scène se met en ordre de fonctionnement et accueille, comme une salle dexposition le ferait dune uvre en cours daccrochage, cette « curiosité » conçue et scénographiée par Les Gens dUterpan : Annie Vigier et Franck Apertet. Nicolas Martz sinstalle derrière sa console acoustique. Léclairagiste, Valérie Sigward, dessine, à laide de quatre projecteurs, un carré de lux frisant le sol, de deux mètres de côté. Le duo prend place : la danseuse, Annie Vigier, et la voix, Davide Napoli. Elle évolue dans le quadrilatère, il est allongé sur le sol, prolongeant un des côtés de laire de jeu. Elle laisse venir à elle les mouvements issus de son corps dont elle sempare et quelle fait siens. Il sabandonne aux mots et aux phrases qui jaillissent dentre ses lèvres, portés par son souffle.
Ohé mes chevaux noirs, qui sannonce comme le premier volet dun triptyque, est une prestation spectaculaire en trois parties, aux rythmes et aux temporalités différentes. Bien quayant pour thème « transe et saturation », jamais la proposition ne sombre dans le rituel gratuit ou dans un mysticisme sclérosant. Elle travaille sur le paradoxe qui consiste à représenter léphémère et, en ce sens, sapproche de la performance plastique. Elle met à luvre la répétition comme outil de laltération aux mains dun hasard aléatoire. Une répétition rassurante et aliénante dans laquelle on senferme et dont on cherche à se libérer. Une répétition qui, simultanément, abandonne et crée, et fait avancer la proposition sur des terrains mouvants où léquilibre est en suspens.
Les productions en danse contemporaine nous font, actuellement, partager les questionnements qui parcourent cet art. Les interrogations « comment danser ? », « avec quels matériaux ? », entre autres, conduisent des chorégraphes à travailler dans la « référence ». Ainsi, les choix formels, les projets thématiques, sont abordés en relation étroite avec le répertoire constitué au cours de ces vingt dernières années. Dautres expérimentent la confrontation avec des technologies, nouvelles ou pas, et tentent des croisements, des métissages. Dans Ohé mes chevaux noirs, aucune compromission ne vient parasiter lintention ; nous assistons plus à l« exposition » active dune danse qui « est ! », donnée en soi et pour soi. Celle-ci saffiche brute, tout à la fois ancrée et instable. Elle est enracinée dans le corps dAnnie Vigier, doù jaillissent des gestes inscrits depuis léternité, forgés par lévidence de lexpérience. Elle est fragile parce que frôlant les limites de la matérialité. Elle se développe en parallèle à lénonciation dune production textuelle assumée par Davide Napoli, qui éructe des cavalcades de mots. Deux corps distincts, présents simultanément, évitant tout contact, prennent possession de la matière quils travaillent jusquà lusure, jusquà livresse, jusquà lépuisement. « Il sagit ici de tenter de comprendre pourquoi les enfants aiment tourner sur eux-mêmes jusquà ce quils tombent ». Nous assistons à une mise en exergue de la séparation du geste et de la parole. Ceux-ci se trouvent métamorphosés par cette confrontation. Véritables matériaux plastiques, ils emplissent lespace et semparent du temps. Cest au travers de leur présence malléable, de leur imbrication qui se réalise dans un au-delà des corps, que sétablissent les échanges entre les partenaires. Les gestes murmurent leur propre histoire, et la parole entraîne le corps dans des débordements effrénés. Le rythme, maître douvrage, joue un rôle prépondérant. Il porte lénergie, la fait sourdre, vibrer, exploser. Malgré ses excès, ses velléités de domination, il reste contenu et maîtrisé ; seule sa perspiration est un indice de son devenir. Sil est le catalyseur des débits de gestes et de paroles, il peut, notamment lors de la deuxième partie, en être aussi le guide, la charpente. Ainsi, il soumet la dramaturgie à sa nature cyclique et obsédante. Les spectateurs, suivant leur propre état, risquent de se perdre dans une litanie répétitive, comme égarés ; ils doivent accepter derrer dans la prestation lancinante, peut-être y prendre un plaisir jubilatoire, ou bien se laisser saisir par un fou rire complice né de labsurdité de la proposition.
Lexplosion finale agit comme une clé. Alors, nous prenons conscience de la progressive disparition des cadres, au-delà peut-être, des conventions, des marques du temps, des empreintes des habitus. Sous la pression des forces en présence qui agissent jusquà la dégradation du sens, se révèlent la nature souterraine des gestes et des mots qui habitaient déjà lespace, et qui se dénudent à la recherche dune authenticité fugitive.
Ohé mes chevaux noirs, qui sannonce comme le premier volet dun triptyque, est une prestation spectaculaire en trois parties, aux rythmes et aux temporalités différentes. Bien quayant pour thème « transe et saturation », jamais la proposition ne sombre dans le rituel gratuit ou dans un mysticisme sclérosant. Elle travaille sur le paradoxe qui consiste à représenter léphémère et, en ce sens, sapproche de la performance plastique. Elle met à luvre la répétition comme outil de laltération aux mains dun hasard aléatoire. Une répétition rassurante et aliénante dans laquelle on senferme et dont on cherche à se libérer. Une répétition qui, simultanément, abandonne et crée, et fait avancer la proposition sur des terrains mouvants où léquilibre est en suspens.
Les productions en danse contemporaine nous font, actuellement, partager les questionnements qui parcourent cet art. Les interrogations « comment danser ? », « avec quels matériaux ? », entre autres, conduisent des chorégraphes à travailler dans la « référence ». Ainsi, les choix formels, les projets thématiques, sont abordés en relation étroite avec le répertoire constitué au cours de ces vingt dernières années. Dautres expérimentent la confrontation avec des technologies, nouvelles ou pas, et tentent des croisements, des métissages. Dans Ohé mes chevaux noirs, aucune compromission ne vient parasiter lintention ; nous assistons plus à l« exposition » active dune danse qui « est ! », donnée en soi et pour soi. Celle-ci saffiche brute, tout à la fois ancrée et instable. Elle est enracinée dans le corps dAnnie Vigier, doù jaillissent des gestes inscrits depuis léternité, forgés par lévidence de lexpérience. Elle est fragile parce que frôlant les limites de la matérialité. Elle se développe en parallèle à lénonciation dune production textuelle assumée par Davide Napoli, qui éructe des cavalcades de mots. Deux corps distincts, présents simultanément, évitant tout contact, prennent possession de la matière quils travaillent jusquà lusure, jusquà livresse, jusquà lépuisement. « Il sagit ici de tenter de comprendre pourquoi les enfants aiment tourner sur eux-mêmes jusquà ce quils tombent ». Nous assistons à une mise en exergue de la séparation du geste et de la parole. Ceux-ci se trouvent métamorphosés par cette confrontation. Véritables matériaux plastiques, ils emplissent lespace et semparent du temps. Cest au travers de leur présence malléable, de leur imbrication qui se réalise dans un au-delà des corps, que sétablissent les échanges entre les partenaires. Les gestes murmurent leur propre histoire, et la parole entraîne le corps dans des débordements effrénés. Le rythme, maître douvrage, joue un rôle prépondérant. Il porte lénergie, la fait sourdre, vibrer, exploser. Malgré ses excès, ses velléités de domination, il reste contenu et maîtrisé ; seule sa perspiration est un indice de son devenir. Sil est le catalyseur des débits de gestes et de paroles, il peut, notamment lors de la deuxième partie, en être aussi le guide, la charpente. Ainsi, il soumet la dramaturgie à sa nature cyclique et obsédante. Les spectateurs, suivant leur propre état, risquent de se perdre dans une litanie répétitive, comme égarés ; ils doivent accepter derrer dans la prestation lancinante, peut-être y prendre un plaisir jubilatoire, ou bien se laisser saisir par un fou rire complice né de labsurdité de la proposition.
Lexplosion finale agit comme une clé. Alors, nous prenons conscience de la progressive disparition des cadres, au-delà peut-être, des conventions, des marques du temps, des empreintes des habitus. Sous la pression des forces en présence qui agissent jusquà la dégradation du sens, se révèlent la nature souterraine des gestes et des mots qui habitaient déjà lespace, et qui se dénudent à la recherche dune authenticité fugitive.