Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
© Passant n°49 [juin 2004 - septembre 2004]
La nuit disparaît
Poésie journalière(aliénée du Journal du soir, le soir réel du 30.10 2003,
imaginairement (re)-daté (ment-daté) du jour du 31.10.2003)
(sous-titrée, Le polémos de la vie nocturne et de la technique, soutirée au jour du titre « Le duel des lucioles et des réverbères pour conquérir la nuit »)
Pré-liminaire : la nuit davant le jour
Prose journalière théorico-philosophique : méditation de la nuit qui disparaît.
Si la modernité sest nommée elle-même comme le temps de la sortie des ténèbres dans les Lumières, la réalisation de la
modernité dans lépoque de la technique accomplit la disparition de la nuit. Lâge technologique tire lhumanité hors de la nuit des temps, comme si la temporalisation du temps provenait de la nuit, où la nuit a toujours partagé avec le jour le temps naturel, selon son alternance du jour et de la nuit. Il désigne le temps de labsence de la nuit, de son absentement progressif et rendu inaperçu dans lattirance du regard pour la visibilité lumineuse.
La nuit est bien toujours là mais trouée de lumière, zébrée de faisceaux, réduite à lextrémité du halo lumineux de la puissance éclairante de la méga-pôle, repoussée aux limites de la conscience perceptive. La nuit, retrait du monde, se retire du monde ; la technique tire un trait sur le retrait nocturne, gardien du jour du monde. La technique a-journe la nuit, la fait disparaître comme réserve du jour et secret du jour : le jour est sans secret, observé sans cesse sous les objectifs de la visibilité. La nuit ne dit plus rien au jour qui, dans la disparition de la nuit, disparaît comme jour du monde, comme monde journalier, hospitalier depuis sa réserve de nuit. La technique monopolise le jour.
Prose catastrophico-prophétique : la nuit de lhumanité et la catastrophe de lhumanité sans nuit.
La transformation de lhumanité advient dans la disparition de la nuit ; lhumanité nocturne, en lutte avec sa propre nuit, disparaît sous lhumanité diurne, oublieuse, affairée au spectacle du monde. La nuit accueille la pensée et lhumanité pensante. Il faut penser la nuit. Comme lécrivait le philosophe tchèque Jan Patocka :
« Ce dont notre époque tardive qui a atteint le comble de la destruction et de la nuit sera peut-être la première à se rendre compte : quil faut comprendre la vie non pas du point de vue du jour, du point de vue du simple vivre, de la vie acceptée, mais aussi du point de vue du conflit, de la nuit, du point de vue du polemos », (Essais hérétiques, « le début de lhistoire », p.57).
Dans le déni de la nuit, une autre nuit, aveuglante, se fait jour.
Prose journalière politico-alternative : méditation de la disparition de lalternance de la nuit et du jour
Pour une alter-nuit ! Un autre monde est possible ? Est-ce la nuit ? Le monde nocturne ou le monde qui laisse être encore la nuit ? La mondialisation éteint la nuit et étend sa nuit.
La disparition de la nuit se révèle dans la simultanéité mondiale du jour : le monde globalisé est la généralisation du jour (non seulement il y a toujours un endroit du monde où il fait jour , mais le jour lui-même reluit à la surface telé-technique où la nuit se pense comme jour.) Lextension du travail de nuit dans le capitalisme révolutionnaire et destructeur de la barrière du jour et de la nuit amplifie lexploitation de la nuit au grand jour.
Le monde du travail ajourne la nuit où se réserve le travail dans le repos : le monde du travail est sans nuit. Et parfois le capitaliste se souvient de la nuit, mais pour y déménager ses usines à l« invu » de ses travailleurs. La mondialisation du spectacle le spectaculaire comme horizon du capitalisme spectacularise
la nuit pour la rendre visible, et ainsi invisible. Le spectacle est lexpulsion exorbitante de la nuit. Même le monde de la nuit, des noctambules est celui des lumières vers lesquelles se précipitent les noctambules ébahis ou hébétés. Le capitalisme nihiliste a produit la fin de la nuit, tout comme le communisme soviétique, qui pour Lénine égalait les Soviets + lélectricité !
Il pensait à la fin de la « nuit des prolétaires » quil a précipités dans sa nuit, sans réserve de nuit pour le rêve.
Prose journalière utopique : la nuit est-elle la nouvelle utopie ?
Nous sommes à une nouvelle époque des lumières : le destin de lépoque des Lumières est de sachever dans lépoque des réverbères et des chiens qui y pissent, à leur pied dans une irrévérencieuse provocation qui, dans la domesticité de lanimal sans crocs, conserve la nuit pour les aboiements à la lune.
La technique, qui dans un ultime sursaut reprenant la réserve de sa puissance, pourra-t-elle garder la nuit, la préserver dans linvention dun nouveau projecteur, gigantesque à sa propre démesure, qui néblouit pas la nuit et la fait fuir ? Le salut de la nuit proviendra-t-il de la technique ? Ou de lart, capable de laisser apparaître la nuit comme nuit ?
Qui nous rendra la nuit ?
La poétisation de la parole prosaïque du jour énoncée dans le journal ?
Poétisation de la prose du jour (sans plagiat de nuit)
Le Triomphe du jour saccomplit dans le Journal, dans la puissance nihiliste de son tirage vers le jour. Pourtant le grand Journal, qui est un journal du soir, entre chiens et loup (aboyant lui-même avec les loups, devançant les loups et parfois sy substituant ), mais qui semble honteux de sa parution nocturne quil dissimule dans lédition datée du jour suivant (le journal du soir fait disparaître la nuit), le Grand journal aurait le remords de la disparition de la nuit et sinquièterait de ladisparition de la nuit (ou sinquiète-il seulement de la condition de sa distribution qui a lieu à la tombée du jour ??).
Méthode de poétisation : Mettre en nuit, sans spectacle, le texte du journaliste Benoît Hopquin du Monde. Espacer le jour, le noircir. Dilater les polices, les noircir. Répéter les mots au grand jour dans lécho de la nuit. Ouvrir une parenthèse pour suspendre le cours du jour et offrir à la nuit un refuge. Barrer la nuit pour la laisser apparaître comme nuit.
Les lucioles,
dont les vols nuptiaux
brillent dans le ciel
et les souvenirs denfance,
sont en voie dextinction,
décimées par dimpitoyables :
les réverbères.
La multiplication multiplication multiplication multiplication multiplication des éclairages artificiels prive linsecte de son milieu naturel : LA NUIT
Le halo brun orangé qui recouvre aujourdhui presque toute la France nocturne (méfions nous du brun qui menace de recouvrir de sa nuit la France toute entière crainte dune nuit) éclipse la luminescence du coléoptère, jusquaux yeux de sa belle, et lempêche de se reproduire.
Doù une chute des populations constatée par les entomologistes,
Sept millions déclairages urbains
Des millions, millions, millions de
lampadaires, candélabres ou boules lumineuses,
entretiennent un clair-obscur jusque dans les villages les plus reculés.
La consommation des lumières publiques a plus que doublé en vingt ans, pour atteindre 6 milliards de kilowattheures.
Sur tous nos réacteurs nucléaires, il y en a 2,5 qui ne servent quà éclairer le ciel, estime Frédéric Bardin, technicien à lobservatoire de Marseille et membre de lAssociation nationale pour
la protection du ciel nocturne (ANPCN).
Les astronomes ont été les premiers à donner lalarme. oh ! Oh ?-
Ces têtes-en-lair avaient de plus en plus de mal à distinguer les étoiles.
Le phénomène inquiète aujourdhui les naturalistes.
De nombreuses espèces sont perturbées :
les lucioles et les vers luisants, mais également les chouettes effraies, les chauves-souris ou les papillons de nuit.
Les éclairages nocturnes perturbent aussi la migration de nuit des oiseaux.
Les gigantesques foyers de lumière brouillent leur o rientation, les attirent ou, au contraire, forment une barrière infranchissable, comme sur les côtes.
Les arbres des villes seraient touchés eux aussi, nayant plus de repère pour distinguer le jour de la nuit dans leur activité de photosynthèse.
Certaines communes mettent en place des éclairages plus directionnels, moins violents.
Paris,
la Ville-Lumière, essaye de réduire son halo qui se distingue jusquà 150 kilomètres de la tour Eiffel.
Même lillumination des monuments peut être maîtrisée grâce à de nouvelles techniques, estime Michel Peret, responsable de la division éclairage à la Ville de Paris.
Ainsi la Mairie jure ses grands dieux que les nouveaux projecteurs qui mettent en valeur Notre-Dame nempêcheront pas de contempler les cieux.