Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
par Xavier Daverat
Imprimer l'articleIntermittence et politique culturelle
Un étrange échange a ouvert lune des soirées du dernier festival de Marciac. Comme à chaque fois, les concerts sont précédés de la lecture dune déclaration des intermittents, assortie dune projection du texte sur grands écrans. Tout y passe. Même la Constitution : comment perdre une cause dans un amphigouri cabotin
Puis vient le présentateur attitré des soirées gersoises, André Francis, naguère voix du jazz à la radio. Soit donc quelquun qui fit carrière dans laudiovisuel public, violemment dénoncé quelques instants auparavant comme usager de faux intermittents. On a les logiques que lon peut
Steve Coleman entre en scène. Quelques mots pour dire quil comprend mais que, aux Etats-Unis, les musiciens ne bénéficient daucune aide. Un regard vers ses musiciens : whats the translation for bullshit ? Sous lingénuité du jazzman un peu éloigné du problème français des intermittents, le mot nest finalement pas si mal choisi.
On sait quelles sont les grandes lignes de la réforme du statut de lindemnisation du chômage des intermittents. Selon laccord du 26 juin dernier, les 507 heures de travail permettant de bénéficier dune allocation pendant un an devront désormais être réalisées sur dix mois pour percevoir une allocation dune durée de huit mois.
Labaissement du niveau des prestations offertes par un système dindemnisation devenu coûteux procède pour une part, comme cela a été maintes fois rappelé, dun dévoiement du système. Il est constant que le secteur de laudiovisuel a été utilisateur de faux intermittents, par recours au contrat de travail à durée déterminée pour employer des salariés en réalité attachés de façon permanente aux entreprises. Javais signalé, il y a déjà quelques années, la décision du Conseil de prudhommes de Bordeaux requalifiant en contrat à durée indéterminée la série de contrats à durée déterminée conclue par un animateur de Radio France1. La Cour dappel de Dijon vient de se prononcer dans le même sens à lissue dune carrière à France 3 ponctuée de 104 contrats à durée déterminée en une vingtaine dannées2. La Cour de cassation elle-même avait opté pour la requalification des contrats dun animateur de radio au motif quil « avait assuré sans interruption pendant trois ans [ ] toutes les émissions de la chaîne » et donc quil avait « occupé un emploi relevant de lactivité permanente et normale de lentreprise »3.
Mais, tant quà viser les abus, le spectacle vivant nest pas en reste. On sait en particulier que les périodes dindemnisation, intervenant entre des cycles de représentation, permettent la préparation de nouveaux spectacles. Or, les répétitions constituent un travail qui devrait être rémunéré comme tel (elles rentrent bien dans les services dun musicien dorchestre, ou, pour choisir un exemple très différent, sont comprises dans le volume de rémunération globale dans certains contrats de laudiovisuel). Logique-ment, les charges occasionnées par la préparation dun projet devraient être budgétées dans le coût de sa production et participer des dépenses justifiant in fine le volume daides demandées. En leur substituant la perception dallocations de chômage par les intervenants, on fait supporter au régime dindemnisation des charges indues, on transforme une prestation sociale en subvention. Vu dans cette perspective, laccord du 26 juin est aussi le coup de semonce dune UNEDIC qui pallie de fait les déséquilibres budgétaires de la création. Or, on ne peut pas défendre le statut des intermittents au nom de cette aide, même si elle est substantielle (et souvent vitale) : il ny a pas de détournement béni dun système opposable aux détournements honnis. La question de léconomie
des créations renvoie alors à une responsabilité collective, tant des pouvoirs publics que des opérateurs.
On ajoutera quand même que, si lUNEDIC se trouve en charge de lindemnisation des intermittents, cest à lorigine que le législateur a choisi de manière plutôt péremptoire dintroduire une présomption dactivité salariée des artistes du spectacle4 au mépris des critères alors retenus pour conclure à lexistence dun contrat de travail. Certes, lobjectif daccorder des avantages sociaux était légitime, mais la voie choisie suspecte de renverser lordre naturel des choses : cest parce quon a la qualité de salarié que souvrent les avantages liés au travail, et non pour bénéficier des avantages que lon décide si une catégorie professionnelle doit relever du salariat On ne refera pas lhistoire, mais évoquer la genèse dun montage fictionnel est significatif dans lamoncellement (bullshit ?) des problèmes engendrés par le statut en cause.
Laugmentation du nombre des intermittents et limportance des bénéficiaires de lindemnisation ont malmené le système. Elles découlent à la fois de lexpansion des différents secteurs de laudiovisuel et dune politique menée en faveur de la création artistique et du spectacle vivant, qui ont marqué les années 80. On ne saurait revenir sur les acquis fondamentaux de cette période, marquée par la libéralisation de laudiovisuel (même si cest au prix dune conception marchande) et par une diversification sans précédent des formes dintervention artistique libérées désormais du carcan dune culture officielle et des canons de formes artistiques dites nobles (développement dune culture populaire : spectacles de rue, cirque ). Mais, il faut désormais entrer dans une phase de consolidation politique et financière Autrement dit, après le décuplement du soutien financier de lÉtat et linfiltration du culturel dans des lieux et des formes nouvelles sous les ministères Lang, se pose la question de la pérennité dun développement voulu et qui, même si lon peut toujours rester réservé sur certaines dun « tout culturel », était de toute manière indispensable dans son ensemble eu égard au retard quavait pris la France en ce domaine. La multiplication des intermittents, artistes et techniciens, nen constitue que la conséquence directe.
Il ne sagit pas seulement dune question financière. En appeler à un engagement de lÉtat (prolongation des Centres dramatiques ou chorégraphiques, des Scènes, des Orchestres ou Opéras de province qui sont nationaux), souhaiter une décentralisation culturelle (au risque dune porosité accrue du culturel face au politique : chacun sait comment les domaines de la culture ont pu être transformés en baronnies de province par de petits maîtres de laccès à lespace public) ou prêcher pour des participations croisées entre public et privé (au risque dune multiplication des intérêts particuliers) réduisent trop souvent la question à celle du financement, comme si le débat devait se limiter à la reprise dune réplique de Jack Palance, dérivée dune autre de sinistre mémoire : « Quand jentends le mot culture, je sors mon portefeuille »5. Il en va de choix clairs dans une politique culturelle dont les axes, aujourdhui, restent à définir, hors de tendances éparses et irréfléchies. Bien mesquines, par exemple, sont les simples modifications dans linstruction des dossiers en exigeant des partenariats avant doctroyer des aides à la production, comme garantie hypothétique de fiabilité du dossier. Bien inconséquente est cette tendance à multiplier les filières artistiques dans léducation, des séries artistiques du baccalauréat aux formations diplômantes à luniversité (des gestionnaires de la culture pour quel développement et des artistes et techniciens diplômés pour quels emplois ?).
Lampleur de la question rend du même coup plus aberrante la sanction brutale et ponctuellement dirigée vers les intermittents qua constitué laccord du 26 juin, pour au moins trois raisons. Dune part, il ne vise quun effet induit, et renverse lordre des facteurs : lindemnisation du chômage est toujours une pathologie et son approche ne peut se faire quen considération de ce qui cause laccroissement de celle-ci. Dautre part, les circonstances ayant entouré la signature de laccord, en terme stratégique, témoignent dune volonté dallumer une contestation : précipitation dans lintervention (tous les accords UNEDIC doivent faire lobjet dune nouvelle négociation en 2005), accord passé avec des syndicats minoritaires, exclusion du syndicat majoritaire meurtri par son échec sur la réforme des retraites et dès lors enclin à radicaliser une action, choix du moment où souvre une période intense dactivité estivale Enfin, il est indéniable que lon a engagé un processus de discrédit à lencontre des professionnels du spectacle en favorisant de manière insidieuse limpopularité dune contestation en misant sur la déception du public privé des manifestations quil attendait, laspect contre-productif dune revendication aux formes bigarrées et aux discours pas toujours assurés, limage dune division générée par lhétérogénéité des statuts et des intérêts, et lentretien de lidée
que lindemnisation est trop vite accordée (quest-ce que 507 heures par rapport à un salarié « normal » ? Ou, selon une variante bien éloignée de la réalité : cest à peine trois mois de travail pour un an dindemnisation ! Voire, à la manière de Flaubert, dans son Dictionnaire des idées reçues : « artistes : Ce quils font ne peut sappeler « travailler »6). Bullshit prend ici son sens figuré : « foutaises » De sorte que lon peut y voir aussi lexpression dun vieux fond revanchard par remise en cause dune politique passée autant que, diminuant le nombre des intermittents indemnisés et de fait des professionnels pouvant exercer pleinement leur activité, un acte de censure larvée car, si les intermittents sont réduits en nombre, une part de la création culturelle est en même temps réduite au silence.
On sait quelles sont les grandes lignes de la réforme du statut de lindemnisation du chômage des intermittents. Selon laccord du 26 juin dernier, les 507 heures de travail permettant de bénéficier dune allocation pendant un an devront désormais être réalisées sur dix mois pour percevoir une allocation dune durée de huit mois.
Labaissement du niveau des prestations offertes par un système dindemnisation devenu coûteux procède pour une part, comme cela a été maintes fois rappelé, dun dévoiement du système. Il est constant que le secteur de laudiovisuel a été utilisateur de faux intermittents, par recours au contrat de travail à durée déterminée pour employer des salariés en réalité attachés de façon permanente aux entreprises. Javais signalé, il y a déjà quelques années, la décision du Conseil de prudhommes de Bordeaux requalifiant en contrat à durée indéterminée la série de contrats à durée déterminée conclue par un animateur de Radio France1. La Cour dappel de Dijon vient de se prononcer dans le même sens à lissue dune carrière à France 3 ponctuée de 104 contrats à durée déterminée en une vingtaine dannées2. La Cour de cassation elle-même avait opté pour la requalification des contrats dun animateur de radio au motif quil « avait assuré sans interruption pendant trois ans [ ] toutes les émissions de la chaîne » et donc quil avait « occupé un emploi relevant de lactivité permanente et normale de lentreprise »3.
Mais, tant quà viser les abus, le spectacle vivant nest pas en reste. On sait en particulier que les périodes dindemnisation, intervenant entre des cycles de représentation, permettent la préparation de nouveaux spectacles. Or, les répétitions constituent un travail qui devrait être rémunéré comme tel (elles rentrent bien dans les services dun musicien dorchestre, ou, pour choisir un exemple très différent, sont comprises dans le volume de rémunération globale dans certains contrats de laudiovisuel). Logique-ment, les charges occasionnées par la préparation dun projet devraient être budgétées dans le coût de sa production et participer des dépenses justifiant in fine le volume daides demandées. En leur substituant la perception dallocations de chômage par les intervenants, on fait supporter au régime dindemnisation des charges indues, on transforme une prestation sociale en subvention. Vu dans cette perspective, laccord du 26 juin est aussi le coup de semonce dune UNEDIC qui pallie de fait les déséquilibres budgétaires de la création. Or, on ne peut pas défendre le statut des intermittents au nom de cette aide, même si elle est substantielle (et souvent vitale) : il ny a pas de détournement béni dun système opposable aux détournements honnis. La question de léconomie
des créations renvoie alors à une responsabilité collective, tant des pouvoirs publics que des opérateurs.
On ajoutera quand même que, si lUNEDIC se trouve en charge de lindemnisation des intermittents, cest à lorigine que le législateur a choisi de manière plutôt péremptoire dintroduire une présomption dactivité salariée des artistes du spectacle4 au mépris des critères alors retenus pour conclure à lexistence dun contrat de travail. Certes, lobjectif daccorder des avantages sociaux était légitime, mais la voie choisie suspecte de renverser lordre naturel des choses : cest parce quon a la qualité de salarié que souvrent les avantages liés au travail, et non pour bénéficier des avantages que lon décide si une catégorie professionnelle doit relever du salariat On ne refera pas lhistoire, mais évoquer la genèse dun montage fictionnel est significatif dans lamoncellement (bullshit ?) des problèmes engendrés par le statut en cause.
Laugmentation du nombre des intermittents et limportance des bénéficiaires de lindemnisation ont malmené le système. Elles découlent à la fois de lexpansion des différents secteurs de laudiovisuel et dune politique menée en faveur de la création artistique et du spectacle vivant, qui ont marqué les années 80. On ne saurait revenir sur les acquis fondamentaux de cette période, marquée par la libéralisation de laudiovisuel (même si cest au prix dune conception marchande) et par une diversification sans précédent des formes dintervention artistique libérées désormais du carcan dune culture officielle et des canons de formes artistiques dites nobles (développement dune culture populaire : spectacles de rue, cirque ). Mais, il faut désormais entrer dans une phase de consolidation politique et financière Autrement dit, après le décuplement du soutien financier de lÉtat et linfiltration du culturel dans des lieux et des formes nouvelles sous les ministères Lang, se pose la question de la pérennité dun développement voulu et qui, même si lon peut toujours rester réservé sur certaines dun « tout culturel », était de toute manière indispensable dans son ensemble eu égard au retard quavait pris la France en ce domaine. La multiplication des intermittents, artistes et techniciens, nen constitue que la conséquence directe.
Il ne sagit pas seulement dune question financière. En appeler à un engagement de lÉtat (prolongation des Centres dramatiques ou chorégraphiques, des Scènes, des Orchestres ou Opéras de province qui sont nationaux), souhaiter une décentralisation culturelle (au risque dune porosité accrue du culturel face au politique : chacun sait comment les domaines de la culture ont pu être transformés en baronnies de province par de petits maîtres de laccès à lespace public) ou prêcher pour des participations croisées entre public et privé (au risque dune multiplication des intérêts particuliers) réduisent trop souvent la question à celle du financement, comme si le débat devait se limiter à la reprise dune réplique de Jack Palance, dérivée dune autre de sinistre mémoire : « Quand jentends le mot culture, je sors mon portefeuille »5. Il en va de choix clairs dans une politique culturelle dont les axes, aujourdhui, restent à définir, hors de tendances éparses et irréfléchies. Bien mesquines, par exemple, sont les simples modifications dans linstruction des dossiers en exigeant des partenariats avant doctroyer des aides à la production, comme garantie hypothétique de fiabilité du dossier. Bien inconséquente est cette tendance à multiplier les filières artistiques dans léducation, des séries artistiques du baccalauréat aux formations diplômantes à luniversité (des gestionnaires de la culture pour quel développement et des artistes et techniciens diplômés pour quels emplois ?).
Lampleur de la question rend du même coup plus aberrante la sanction brutale et ponctuellement dirigée vers les intermittents qua constitué laccord du 26 juin, pour au moins trois raisons. Dune part, il ne vise quun effet induit, et renverse lordre des facteurs : lindemnisation du chômage est toujours une pathologie et son approche ne peut se faire quen considération de ce qui cause laccroissement de celle-ci. Dautre part, les circonstances ayant entouré la signature de laccord, en terme stratégique, témoignent dune volonté dallumer une contestation : précipitation dans lintervention (tous les accords UNEDIC doivent faire lobjet dune nouvelle négociation en 2005), accord passé avec des syndicats minoritaires, exclusion du syndicat majoritaire meurtri par son échec sur la réforme des retraites et dès lors enclin à radicaliser une action, choix du moment où souvre une période intense dactivité estivale Enfin, il est indéniable que lon a engagé un processus de discrédit à lencontre des professionnels du spectacle en favorisant de manière insidieuse limpopularité dune contestation en misant sur la déception du public privé des manifestations quil attendait, laspect contre-productif dune revendication aux formes bigarrées et aux discours pas toujours assurés, limage dune division générée par lhétérogénéité des statuts et des intérêts, et lentretien de lidée
que lindemnisation est trop vite accordée (quest-ce que 507 heures par rapport à un salarié « normal » ? Ou, selon une variante bien éloignée de la réalité : cest à peine trois mois de travail pour un an dindemnisation ! Voire, à la manière de Flaubert, dans son Dictionnaire des idées reçues : « artistes : Ce quils font ne peut sappeler « travailler »6). Bullshit prend ici son sens figuré : « foutaises » De sorte que lon peut y voir aussi lexpression dun vieux fond revanchard par remise en cause dune politique passée autant que, diminuant le nombre des intermittents indemnisés et de fait des professionnels pouvant exercer pleinement leur activité, un acte de censure larvée car, si les intermittents sont réduits en nombre, une part de la création culturelle est en même temps réduite au silence.
(1) Conseil de prudhommes de Bordeaux, 4 juillet 1997, Petites Affiches 1998, n° 43 avec mes observations. Si lon parle de secteurs dans lesquels « il est dusage constant » davoir recours au contrat à durée déterminée, Radio France (comme dautres) intitulait son contrat dengagement « contrat à durée déterminée dusage constant » : un beau cynisme dès lors que lexpression désignant une exception est reprise comme identifiant dune catégorie générique de contrats
(2) C. appel de Dijon, 5 mars 2003 : Communication Commerce électronique 2003, n° 10, p. 33, note P. Stoffel-Munck.
(3) Cass. ch. Soc., 21 mars 2000 : Droit social 2000, p. 767, note C. Roy-Loustaunau.
(4) Art. L. 762-1 C. trav. (depuis une loi du 26 décembre 1969).
(5) In J.-L. Godard, Le Mépris, 1963.
(6) G. Flaubert, Bouvard et Pécuchet, éd. C. Gothot-Mersch, Folio n° 1137, 1987, p. 490.
(2) C. appel de Dijon, 5 mars 2003 : Communication Commerce électronique 2003, n° 10, p. 33, note P. Stoffel-Munck.
(3) Cass. ch. Soc., 21 mars 2000 : Droit social 2000, p. 767, note C. Roy-Loustaunau.
(4) Art. L. 762-1 C. trav. (depuis une loi du 26 décembre 1969).
(5) In J.-L. Godard, Le Mépris, 1963.
(6) G. Flaubert, Bouvard et Pécuchet, éd. C. Gothot-Mersch, Folio n° 1137, 1987, p. 490.