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Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
par Jean-Pierre Leroy
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Intégration des Amériques, chaos ou nouvel ordre social ?


Depuis 32 ans, je parcours toutes les régions du Brésil, l’Amazonie en particulier, proche par mon travail professionnel et mon action militante de ses populations pauvres. Cette année, j’ai visité les Indiens Cinta Larga et des petits paysans dans le Rondônia, des cueilleurs des produits de la forêt et des petits pêcheurs du Xingu et de l’Amazone, des petits paysans de la Transamazonienne, des sans-terre du Pernambouc, des résidents de favelas et de quartiers populaires de Recife et de Fortaleza, des petits pêcheurs et des ramasseuses de mollusques et de crustacés du Pernambouc et du Ceará. En voici un témoignage.

En ce qui concerne le Brésil, économie se marie mieux avec désintégration qu’avec intégration. La catastrophe sociale provoquée par les impacts de la globalisation néolibérale montre à l’évidence que toute intégration économique devrait être subordonnée à des mécanismes et des institutions qui garantissent le respect et la prééminence des droits humains, économiques, sociaux et culturels. Plus encore, pour cela, toute intégration économique ne peut se construire que sur un projet politique commun.



Petites histoires

d’internationalisation



Première histoire. Il y a 30 ans, le peuple indigène Cinta Larga, vivant dans les forêts à cheval sur les Etats du Mato Grosso et du Rondônia, comptait 5 000 personnes. La convoitise des Blancs pour leurs terres, leur acajou et leurs diamants les ont réduits à 1 300. Comptant sur un appui public trop fragile, eux-mêmes ont appelé les bûcherons et ensuite les chercheurs de diamants, les garimpeiros, à travailler pour eux. À temps, ils se rendent compte qu’ils sont en train d’y perdre leur vie et leur identité. Début janvier 2003, ils réussissent à se libérer des garimpeiros, chassés du territoire indigène et maintenus à distance par la police. En août, des milliers de garimpeiros se massent aux alentours du territoire indigène qu’íls essaient d’envahir de nouveau. Le gouvernement de Rondônia les appuie en sous-main. Le gouvernement fédéral réagit mollement. Pourquoi ce plan qui pourrait les sauver n’est-il pas mis à exécution ?

Le gouvernement du Président Luis Inácio Lula da Silva, en arrivant au pouvoir en janvier 2003, a trouvé l’économie du pays dans de difficiles conditions macro-économiques : augmentation vertigineuse de la dette publique, inflation croissante, nouveaux accords draconiens signés avec le FMI et engageant le nouveau gouvernement. Il a pris une série de mesures : mise en place d’une équipe et d’une politique ultra orthodoxe au ministère des Finances et à la Banque Centrale ; définition d’une balance des paiements hors charge de la dette positive (4,38% du PIB) encore plus élevée que celle négociée à l’origine (3,75%) avec le FMI et déjà dépassée, la balance positive atteignant de janvier à septembre 5,80% ; taux d’intérêts bancaires parmi les plus hauts du monde. En 2002, seulement 2% du budget du gouvernement fédéral ont été consacrés aux investissements, alors que 8% allaient aux paiements des intérêts et charges de la dette et 45% à son amortissement.



La même situation, sinon pire, se répète cette année. Le Brésil a accumulé, entre janvier et août, une balance positive de 49,3 milliards, soit 4,91% du PIB, plus que ne l’exigeait le FMI. Dans la même période, le secteur public a payé 102,4 milliards de réaux d’intérêts de la dette (10,2% du PIB) contre 60,7 milliards (7,17% du PIB) dans la même période l’an dernier. Voilà donc des milliards dont l’Etat s’est privé, sacrifiant les politiques de développement et les politiques sociales.

Un autre volet des accords avec le FMI exigeait un contrôle strict de l’inflation. Donc, des taux d’intérêts stratosphériques qui ralentissent la croissance, mettant le pays au bord de la récession. Le chômage atteignait en août 2003, selon l’IBGE, 13 % contre 11,75% en août 2002, le nombre de travailleurs sur le marché informel grandit, dépassant 55 %. La profonde inégalité, caractéristique historique du pays, se confirme et se renforce, malgré les bonnes intentions du programme Faim Zéro.

L’argent qui manque pour éviter le second génocide des Cinta Larga est le même qui manque au ministère de la Ville pour entreprendre une politique d’habitation et d’assainissement urbain qui donnerait du travail aux jeunes chômeurs. C’est le même manque d’argent qui empêche de construire une vraie politique de sécurité qui puisse éviter que le pauvre chercheur de diamant ne tue le pauvre Indien ou ne le réduise à une loque humaine et que le jeune Noir de la favela ne tue un autre jeune Noir. Car ce sont surtout, comme le montre l’étude des 40 000 assassinats pratiqués par an au Brésil, les pauvres qui tuent les pauvres, les commanditaires qui les manœuvrent étant à l’abri.

Le gouvernement, avec cette politique, veut, d’un côté, redonner confiance aux investisseurs et les inviter ainsi à mettre leur argent dans la production et, de l’autre, diminuer la dépendance du Brésil par rapport à l’extérieur et récupérer la capacité d’investissement de l’Etat. Son mot d’ordre : croître et exporter est pour l’instant plus un mot qu’une réalité Pourtant, de fait, la balance des paiements indique le rôle important que jouent dès maintenant les exportations dans cette stratégie.

Deuxième histoire. Intérieur du Pará, Amazonie brésilienne, sur la route Transa-mazonienne et sur le Xingu, grand affluent de l’Amazone. Pêle-mêle : vol de terres publiques, coupe sauvage du bois ; rasage systématique de milliers d’hectares et brûlage, pour installer des élevages extensifs de bétail, un grand barrage hydroélectrique en prévision sur le Xingu (Belo Monte). Les bords des rivières sont occupés depuis des temps immémoriaux par des peuples indigènes et depuis des dizaines d’années, parfois même depuis le XIXe siècle, par des métis, qui vivent de la forêt et des eaux. Avec l’ouverture de la transamazonienne, il y a 30 ans, sont arrivés des colons venus de différentes régions du pays, installés là par la dictature.

Le gouvernement du président Lula veut à tout prix percer le cercle vicieux de la dépendance externe et, pour cela, mise sur la croissance et sur l’exportation. Ce message est interprété comme s’il disait : « Tout est permis ». Et, de même que les producteurs de soja du Rio Grande do Sul ont planté illégalement du soja génétiquement modifié et ont forcé ensuite le gouvernement à en autoriser la commercialisation, on se dit qu’on peut dévaster la forêt et en chasser ses habitants en toute impunité. Aux scieries et aux grileiros2 qui préparent le terrain succéderont d’honorables éleveurs – souvent les mêmes – et de gros planteurs de soja. Tout rentrera dans l’ordre.

Et le barrage ? Une étude récente a démontré que la modernisation des usines hydroélectriques et de nouveaux travaux sur les barrages existants permettraient d’augmenter la production d’énergie électrique en des proportions équivalentes à au moins deux gigantesques barrages. De plus, avec des gains d’efficience, on gagnerait l’équivalent de 20% de la consommation d’électricité. Qui a intérêt à ce barrage et à cette électricité ? Sans doute les industries d’aluminium, particulièrement énergétivores, parmi elles Alcan et Alcoa, installées dans la région et qui prévoient de construire de nouvelles usines ; les entreprises de construction civile, les élites politiques et économiques locales avides de s’enrichir, la technobureaucratie d’Etat à courte vue et aux dents longues. Plus de place donc pour la paysannerie, ni pour les peuples indigènes, pas plus que pour les populations de petits pécheurs et d’agroextrativistas3. Pire encore, quand ils questionnent le barrage, on les accuse d’être contre le progrès, de ne pas vouloir le développement qui va apporter des emplois, etc. Quelle étrange alliance entre le capital qu’on dit moderne, intégré à l’économie mondiale, des techniciens de haut niveau, les vieilles et les nouvelles oligarchies régionales, les aventuriers et les bandits. Et le doigt accusateur des autorités paraît dire : « Ils sont contre le développement. Ils sont dépassés. Vous pouvez les éliminer, il ne vous arrivera rien ». Ce qui est vrai, dans une région où l’Etat de droit est absent mais où l’Etat privatisé se fait présent sous sa pire forme : celle de la violence, de la corruption et du clientélisme.

Troisième histoire, plus ancienne. 300 000 femmes, qu’on appelle les quebradeiras de babaçu, les casseuses de la noix du palmier babaçu, vivent sur la frange sud-est de la forêt amazonienne. Quebradeiras, c’est leur identité collective, et c’est leur fierté quand elles commencent à transformer cette noix en savon, huile, farine, charbon de bois, etc. A la fin des années 90, plusieurs associations s’apprêtaient à vendre pour la première fois de l’huile quand le gouvernement, pour satisfaire les exigences de l’OMC, réduisit à presque zéro la taxe d’importation de l’huile de palme. Leurs industries naissantes ne réussiront pas à supporter cette concurrence. Elles apprennent à leurs dépens ce qu’est l’intégration. Il leur faudra longtemps pour s’en relever.

Dernier exemple. Le Protocole de Kyoto, en obligeant les pays industrialisés à réduire leurs émissions à bon compte, grâce aux astucieux Mécanismes de Développement Propre (MDP), fait que l’expérience brésilienne de production d’alcool combustible soit mise en valeur. Le Japon et les pays européens sont intéressés par l’alcool brésilien. Ça donne de l’oxygène aux usiniers et grands producteurs de canne à sucre du Nordeste brésilien qui étaient en faillite. Ils doivent à l’Etat des dizaines et des centaines de millions de dollars qu’ils ne payeront jamais. Ils ont laissé dans la misère des milliers de travailleurs. Ces sans-terre et sans-emploi voient leur espoir d’un lopin de terre se réduire à néant. Ils retourneront sous le joug des vieilles oligarchies, promues hérauts du développement durable.

Restaurer le sens de la politique



Le Brésil est donc intégré internationalement. Ce n’est pas une nouvelle surprenante, puisque son nom vient du pau-brasil, le bois-brésil, surexploité par les Français au XVIe siècle. Mais cette intégration n’est pas d’abord une intégration de l’économie productive. C’est une intégration du capital financier. A travers le service de la dette, on assiste à un énorme transfert de revenus de notre pays en direction des pays du Nord

du monde. Pourrons-nous porter plainte contre le FMI, la Banque mondiale, les grosses banques privées et les gouvernements qui les soutiennent ?

En disant cela, je n’oublie pas que la question de l’intégration ne se pose pas seulement en termes de relations internationales. Le conflit sur le sens de l’intégration se déroule aussi à l’intérieur de nos pays. Je mentionne ici les victimes brésiliennes, mais il faudrait parler par exemple des paysans du Canada, des Etats-Unis, de Belgique ou de France. Ce n’est pas pour rien que beaucoup d’entre eux, et toujours plus nombreux, réunis dans « Via Campesina », bien que ne défendant pas le protectionnisme actuel de leurs pays, qui ne bénéficie trop souvent qu’aux riches, demandent qu’ils soient protégés, au nom de leur vie, de la sécurité alimentaire de leur pays et du monde et des services qu’ils rendent à l’ensemble de la société (protection des eaux, de la biodiversité, qualité de l’alimentation, etc.).

Le discours économiste dominant nous dit que, si les populations dont j’ai parlé perdent leur mode de vie traditionnel, elles trouveront en compensation des emplois grâce à la croissance assurée par l’intégration économique. Hélas ! Si les principales activités économiques exportatrices (aluminium, papier et cellulose, sidérurgie, soja) dévorent nos ressources naturelles et surconsomment nos eaux, elles emploient en revanche peu de monde.

Si on n’arrête pas le processus accéléré d’appropriation privée et sauvage du territoire au nom du progrès et de l’insertion du Brésil dans le monde, c’est notre socio-diversité qui va disparaître avec notre bio-diversité, une sorte de génocide culturel dont seront les témoins désolés ces survivants. Est-ce inévitable ? La raison cynique va-t-elle triompher ? Que faut-il faire ? Quels seraient les préalables à une vraie intégration ?

Le professeur brésilien José Luis Fiori, dans un texte récent, Os interesses e as mudanças, rappelle John Williamson, qui, dans un article publié en 1993, intitulé La démocratie et le Consensus de Washington, affirme que la survie des régimes politiques dans les pays soumis aux politiques économiques orthodoxes libérales suppose que les principaux acteurs politiques et économiques acceptent qu’ils n’existent qu’une, et une seule, politique économique – justement celle qui est appliquée. Donc, cette politique ne serait plus objet de débat démocratique. Ainsi, n’importe quel gouvernement élu par le vote universel maintiendrait la même politique macro-économique et garantirait la crédibilité du pays devant les investisseurs.

Le secteur qu’on disait « privé » s’érige en acteur public. Ce n’est pas d’aujourd’hui, mais ce n’était pas aussi outrecuidant. Voyez, seulement dans un domaine, comment les grandes entreprises qui contribuent le plus à l’effet de serre s’autoproclament, à Johannesburg en 2002, à l’occasion des dix ans de la Conférence de Rio de Janeiro, les grands artisans de la protection de la planète et sont investis de cette mission par les gouvernements réunis là. La famine prospère ? Monsanto et ses semences génétiquement modifiées apportent la solution, avec la bénédiction du pape et des Nations unies. Le marché détruit, le marché sauve !

Est-ce pour cela que nos gouvernements se transforment trop souvent en commis-voyageurs de nos entreprises ? La consommation, réelle ou désirée et jamais atteinte, mais suffisamment proche pour ne pas engendrer la révolte, serait la mesure de la satisfaction de leurs peuples ? Fiori commente que Williamson « oublie (un) détail », que, dans cet « armistice économique » proposé, « tous les effets négatifs sont supportés par les non investisseurs, c’est-à-dire la majorité de la population qui souffre directement des effets d’une économie en stagnation et d’une société toujours plus inégale et exclusive, sans aucune perspective de mobilité sociale ».

La première réponse à apporter est donc qu’il faut restaurer le sens de la politique. Et comme on ne demande pas au pouvoir de réformer le pouvoir, il faut commencer cette réforme avec les sans pouvoir. N’est-ce pas ainsi qu’ont débuté les grandes révolutions de l’histoire ? Je ne parle pas ici de former de nouveaux partis, de disputer le terrain traditionnel de la politique, bien que ce soit important, même si le cas du Brésil montre les limites de cette stratégie. Je parle de lents et profonds cheminements qui seuls pourraient permettre que l’intégration ne soit pas un marché de dupes. En voici quelques pas, quelques facettes :



1/ Programmes publics

Commençons par permettre aux populations vulnérables de vivre comme des gens qui ont quelque chose à apporter et arrêtons de les considérer comme des assistés. C’est évidemment demander beaucoup car le pouvoir se perpétue justement parce qu’íl maintient les gens dans sa dépendance. Il faut donc que la faim soit pour qu’on ait des gens à nourrir à la petite cuiller.

Il était de bon ton, il y a peu, de critiquer les projets de développement. Pourtant, à condition qu’on ne veuille pas faire des gens des entrepreneurs capitalistes, qu’on développe une action continue, inscrite dans la longue durée, intégrant différentes dimensions, c’est payant. Comment parler de politique d’intégration sans au préalable renforcer les économies locales et régionales, assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle, garantir l’enracinement de ces populations. La Révolution française a permis que soit reconnu le droit d’aller et de venir. Une bonne partie de la population brésilienne n’a pas même conquis le droit à un petit bout de terrain. Et le poète4 disait que « la partie qui t’est réservée [à toi, qui fuis la sécheresse] dans le latifúndio », c’est ta tombe. Et encore !

Il faut donc saluer et soutenir, dans notre pays, des projets comme le Programme Pilote pour la Protection des Forêts Tropicales, soutenu par le G7, la création du Secrétariat à l’Economie Solidaire et la formation d’une économie populaire ; les actions coordonnées du ministère du Développement Agraire et de celui de l’Environnement pour réaliser une Réforme Agraire et soutenir la paysannerie dans une perspective de durabilité.



2/ Innovations de la société

La Plateforme brésilienne sur les Droits humains Economiques, Sociaux et Culturels – DhESC, le Secrétariat d’Etat aux Droits Humains, le bureau fédéral de la Défense Publique de la Citoyenneté et le Programme Volontariat de l’ONU, en lien avec les rapporteurs de sa Commission des Droits Humains, ont créé un Projet de Rapporteurs en DhESC. Un Conseil représentant ces différents secteurs a nommé un rapporteur pour chacun des droits suivants : santé, éducation, alimentation – terre rurale et eau, travail, environnement. Ces rapporteurs ont présenté leur premier rapport à Genève en avril aux rapporteurs de l’ONU. Ces rapports peuvent avoir éventuellement une influence sur les pouvoirs publics à cause de leur force symbolique. Les missions des rapporteurs de fait font du bruit quand elles ont derrière elles des mouvements sociaux, des ONG, et une partie de la presse (ça, c’est plus rare). Mais les missions des rapporteurs et leurs rapports sont surtout intéressants, à mon avis, pour leur pouvoir pédagogique.

Le droit n’est pas concédé. Il est conquis. Il est le fruit d’une lutte incessante pour plus de justice. Il faut aider ces populations à voir qu’elles sont victimes d’injustices, à comprendre qu’elles ne sont pas des pauvres, des exclus (des Noirs, des femmes, des jeunes, des Indiens, etc.) dont c’est le destin d’être dominés et vaincus.



3/ Reconstruction de la démocratie

Il est atterrant de découvrir que, selon un sondage d’opinion, 18 ans après qu’on est sorti de la dictature, la majorité des Brésiliens ne croirait pas en la démocratie et accepterait de bon gré un régime fort. Dans les deux points antérieurs, nous avons posé deux affirmations : 1/ que les gens trouvent leur dignité en s’inscrivant comme des sujets, des acteurs de la construction d’un « développement durable », ou, mieux dit, peut-être, d’« un autre monde possible », selon le mot d’ordre du Forum Social Mondial et 2/ qu’ils rencontrent leur humanité quand ils sortent de l’invisibilité à laquelle on les réduit et réclament justice.

Ces affirmations, mises en pratique, sont l’humus, le terreau sur lequel pousse l’Etat de Droit et la démocratie. Croyons-nous vraiment que l’intégration aura une dimension sociale tant que nos élites seront plus proches des intérêts des détenteurs de l’argent que de la masse de la population ?

Une vraie intégration ne pourra être fondée que sur une volonté d’intégration des peuples. Avant Davos, Porto Alegre ! Pour y arriver, il nous faut apprendre à nous écouter et à nous comprendre. Renforcer les solidarités, à sens multiples : pas seulement du Nord vers le Sud, mais du Sud vers le Nord et à l’intérieur du Sud, entre pays et entre régions. Il nous faut commencer à formuler des propositions et à réaliser des choses ensemble.

L’intégration que nous connaissons, c’est un rouleau compresseur qui met tout à plat et un mixeur qui fait une pâte molle homogène. L’intégration nivelle ou élimine, au sens figuré ou au sens… propre. Ce qui est le plus grave, dans les exemples que j’ai cités, c’est que ce sont des groupes sociaux entiers qui sont atteints dans leurs droits et qui sont menacés de disparition. Comment peut-on concevoir une intégration qui ne soit pas fondée sur la reconnaissance de la diversité sociale et culturelle de nos peuples et de nos cultures ? Ne nous reste-t-il d’autres chemins que l’homogénéisation du genre humain, dont le clonage serait l’accomplissement, ou la substitution de cette humanité rebelle et obsolète par des robots, qui seraient déjà opérationnels en 2030 ? Dans les deux cas, le marché et l’économie y feraient leur bonheur.

Utopie pour utopie, le vieil humanisme, à condition qu’il ne soit pas innocent et béat, a encore son rôle à jouer.

(1) Texte présenté au Séminaire sur la dimension sociale de l’intégration des Amériques, 5 à 7 décembre 2003, par le Département de Sciences juridiques et l’Observatoire des Amériques de l’Uqàm (Université du Québec à Montreal) et la Confédération des Syndicats Nationaux – CSN.
(2) On donne ce nom à ceux qui s’approprient des terres publiques, souvent occupées par des petits paysans et des populations traditionnelles par la force ou par la persuasion et les enregistrent dans des notariats corrompus.
(3) On donne ce nom d’extrativistas aux cueilleurs des produits de la forêt ainsi qu’aux saigneurs d’hévéas.
(4) João de Cabral de Mello Neto. Morte e vida Severina.
Jean-Pierre Leroy

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