Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
par Ugo Palheta
Imprimer l'articleDiscipline du geste, discipline du sens. Travail temporaire en entrepôt.
Premiers jours et lieu(x) de travail.
Pour ne pas commencer mal avec un retard, je suis debout à 4h45. Je nai presque pas dormi, inquiet ; je peux déjà « sentir lair dune autre planète ». Le sommeil nest pas venu faire taire cette angoisse de létrangeté. On ma dit de my présenter à 6h, il est 5h40 ; jai déjà honte de ce zèle involontaire. Je préfère attendre quelques minutes dans ma voiture. Je tente dimaginer ce que ce hangar contient. Il est 5h50 ; je me dirige vers lentrepôt. Où aller ? Dans le noir du matin et de loin, je discerne quelques « jeunes » ; je leur emboîte le pas. Me présentant à lun deux pour lui demander où madresser en tant que nouvel embauché, il mindique « le bureau » où se trouvent les « chefs » Encore quelques pas et je suis en face de ce « bureau », un rapide coup dil suffit pour apercevoir dautres jeunes gens perdus à la recherche dun appui mental ou matériel. La routine recouvrira vite lanxiété sur ces visages. Malgré langoisse du premier jour, jai le temps dobserver : il est 6h10, lentrepôt se met en branle et je métonne du jeune âge des travailleurs qui saffairent dans ce décor au premier abord absurde. On nous appelle, moi et ceux dont javais deviné la condition de « nouveaux ». Le chef sappelle Marcel, il nous convoque un par un et nous signons chacun un contrat dont personne ne lira une ligne. Je ne jouerai pas à l« intellectuel » : je signe, comme tout le monde. Nous sommes tous « CDD-étudiants ». Le chef parle vivement, sans retenue. Après quelques indications très générales, il nous conduit à la « pointeuse », dont il nous explique le fonctionnement. Pointage à 6h (début de la journée de travail), 9h30 (début de la pause), 9h51 (fin de la pause), 13h21 (fin de la journée de travail). Cela fait, nous descendons léchelle hiérarchique : deux marches et nous voilà dans les mains dun « petit chef », un chef de plus : il nous confie à un « formateur » ; il est entendu que nous sommes en « formation ».
Me voilà « placé », je suis avec Laurent. Aujourdhui, il aura pour tâche de me montrer ce que jexécuterai pendant les deux prochains mois. Ces premiers pas me permettent de découvrir lentrepôt et son fonctionnement. Sil se présente au « profane » comme un bloc, cela masque sa fragmentation en un certain nombre de « lieux » différenciés. Il ne mest possible que dévoquer le rez-de-chaussée, où je travaillais ; au premier étage sont les « bureaux », monde de la direction et des secrétaires, quon suppose plus quon ne les voit, sorte dau-delà quasi-mythique dont on napercevra jamais que des ombres et quon imagine sans grande influence sur le travail ici-bas Le premier lieu repéré est le « bureau », où les « chefs » dirigent la manuvre et où « nous », travailleurs, allons chercher les « commandes » : des listes de produits éparpillés dans lentrepôt quil nous faut réunir sur une palette. Médiatisé par une machine (le « tire-palette »), notre travail consiste à rassembler les « colis » sur une palette et à la déposer dans une « travée » déterminée. Dautres travailleurs sinquiéteront de la mener, avec dautres, à lintérieur de camions reliés à lentrepôt par une trentaine douvertures. Chaque matin, à 6h, nous commençons par nous diriger vers la salle des machines afin de nous procurer ces fameux « transpalettes », machines motorisées permettant de circuler rapidement dans lentrepôt et capables de tirer une ou deux palettes ; japprendrai vite lidentité duale de ces engins, outil de travail et instrument de jeu, technique disciplinaire et moyen éphémère de sen jouer. Le « bureau » nous assigne pour chaque journée de travail un secteur dans lentrepôt : « liquides », « entretien », « parfumerie » ; les changements sont fréquents, il est rare que lon reste plus de deux jours de suite dans un même secteur. Cest sans doute là un moyen de tuer dans luf les habitudes et les conforts qui pourraient naître et ainsi contraindre les salariés à fixer leur esprit au travail, à ne pas déléguer au corps seul la répétition des gestes et des postures. Pas question à Auchan de disjoindre lesprit du corps, ce serait évidemment sen tirer à trop bon compte.
Je métonne de la lenteur du temps dans lentrepôt ; le travail industriel semble soumettre le temps lui-même et lui imposer ses exigences propres de productivité. Dinnombrables « jeunes » aux visages fermés déambulent sur leurs transpalettes, traînant avec eux bouteilles, lessives ou couches pour bébé, mauvaise humeur, rêves arrêtés, résignation. Un regard sur la « commande », on se dirige grâce au « transpalette » vers lallée indiquée, chaque produit est signifié par une étiquette autocollante, il suffit de la détacher, de se pencher, de la placer sur le produit, que lon empoigne et pose sur la palette. « Courber léchine » nest un mot desprit que pour celui qui na pas fait lexpérience du travail routinier et de la discipline proprement corporelle quelle implique. La productivité suppose le dressage systématique du corps, sa soumission aux impératifs de rationalité imposés par lentreprise, la rectification perpétuelle des gestes en vue dune efficacité maximale. Laurent trime ici depuis six ans, cest un des plus anciens. Il parle dun ton monotone, les traits de son visage évoquent une résignation sans fard, décidément sourde à la révolte ; sans formation, il me signifie dun regard quil na pas le choix et en effet jai peine à imaginer un travail aussi déqualifié : aucun véritable « coup de main » à prendre, une machine dont la maîtrise ne nécessite que quelques heures de pratique, aucune qualité supposée. Au bout dune semaine, je serai aussi « adapté » à mon poste que ne lest Laurent, malgré ses six longues années passées à empiler chaque jour canettes de bière et caisses de vin. Nous parlons un peu football, les minutes passent puis cest la pause, il part en me disant de me trouver devant la machine à 9h50. Jy serai. Chacun se sépare, je distingue quelques groupes bien distincts qui se forment, certains se dirigent vers la « salle de pause », dautres vers le parking, je vais à ma voiture. 9h50 je pointe : le travail reprend. 13h20 :
la journée de travail est finie, aujourdhui lundi la demande était raisonnable, nous terminons dans les temps.
Le lendemain, on massigne un nouveau « formateur » : « Tu es en CDD-étudiant ? [ ] Je létais aussi. » Titulaire dun BTS, il na pas trouvé de travail après lobtention de son diplôme, alors il a continué à Auchan, depuis un an. Lentement, je crains de ne pouvoir supporter sans énervement la subordination aux hommes et aux choses. De ce côté, me dit-il, je nai pas trop à men faire, si je « fais les rendements », les « chefs » ne viendront pas mennuyer. La contrainte nest pas de lhomme sur lhomme ; mais de la quantité (140 colis par heure), et de la qualité (tolérance maximale de 3% derreurs). Si la réalisation de limpératif quantitatif est aisément mesurable (via les ordinateurs, le savoir absolu de lentreprise), lobligation de qualité ne tient quà lintériorisation de la contrainte par les travailleurs. Il y a des contrôles de palette en « travée », extrêmement rares (je ne serai contrôlé que deux fois en deux mois de travail), qui remplissent une fonction « spectaculaire » : la menace du contrôle assure lautodiscipline. Mais cette menace du dehors naurait quun pouvoir de soumission négligeable sans le soutien propre du complexe idéologique quincarne Auchan.
« Culture dentreprise » ?
Afin que le spectre du contrôle ne se réduise pas à une imprécation sans conséquence, il doit sinscrire dans un réseau de contraintes intériorisées imposant certaines règles comme naturelles. Dès le deuxième jour, notre groupe des travailleurs « en formation » est appelé au bureau, Marcel (le « chef » du monde den bas) nous emmène au ciel des bureaux pour la « formation théorique ». Une fois passées les questions de sécurité (négligées car négligeables), notre petit groupe est contraint de visionner des petits films pédagogiques : histoire enchantée dAuchan, « les sourires de la vie », une entreprise « à lécoute de ses employés », « la vie la vraie », la « famille Auchan », le « respect Auchan » Moi et mes camarades en « formation » accordons peu dintérêt à ce tissu de niaiseries. La « discipline dentreprise » passe par des voies plus subtiles, « impénétrables », nichée dans lévidence du fonctionnement réglé et régulier de lentrepôt. A côté de la dizaine de CDD-étudiants et des CDI (une dizaine également, tous caristes, cest-à-dire irremplaçables sur le champ : tout se passe comme si lentreprise « achetait » leur soumission en leur accordant le « privilège » du contrat à durée indéterminée, cest-à-dire une certaine sécurité faisant contraste avec lextrême précarité de la condition intérimaire), lentrepôt sappuie sur une véritable « armée de travailleurs temporaires » Si au sein de cette armée de nombreuses différences distinguent les modernes « mercenaires » du travail entre eux, en deçà des dissonances visibles un groupe homogène, une certaine harmonie dintérêts et de valeurs sont toutefois perceptibles. De cette harmonie ne surgit pourtant aucune unité : on chercherait en vain les traces dune conscience de soi. Ce groupe existe en négatif : loin de la perception dun destin commun, lamor fati de lintérimaire senracine dans linconscience du caractère social, généralisée à léchelle de lentreprise, de sa condition précaire.
Limpersonnalité de « rendements » strictement individuels isole et abrutit les travailleurs. Tout se passe comme si Auchan ne faisait que tirer parti de lethos spécifiquement « individualiste » des intérimaires, sortes de « monades » leibniziennes recluses, sans fenêtre ni porte vers lextérieur. « Il ny a pas daction réciproque entre les monades, une monade est seulement limitée par autolimitation ». Seulement, cette idée de « monades » nobéissant quà elles-mêmes nest à tout prendre que lidée que les intérimaires se font deux-mêmes ; chacun prétend en effet « rouler » lentreprise en croyant poursuivre son intérêt propre et en se fermant au monde du dehors, sans jamais voir que la poursuite de cet intérêt individuel supposé est la condition sous laquelle lentrepôt « tourne ». La boucle de la division du travail est bouclée. Si la discipline est acceptée si facilement par les travailleurs temporaires, cest quelle senracine dans la croyance, dans lillusion (entretenues par lentreprise et par toute une littérature visant à faire de la « flexibilité » une valeur) quau « jeu » mettant aux prises employeur et employé, tout le monde gagne. Nul besoin de recourir à quelque « culture dentreprise » pour comprendre les raisons dagir des salariés lorsquils agissent dans lintérêt de lentreprise.
La communication impossible : silence et vacarme.
Lentrepôt est le lieu dun vacarme perpétuel. Passé 6h, le ronron assommant des transpalettes règne et soumet à lui son univers. Ce lancinant poison auditif sinfiltre et édifie de manière implacable les cloisons sensorielles verrouillant dans une sorte de prison de verre les travailleurs, absurdes fourmis. Dans ce chaos de bruits et damertume, nous circulons, cramponnés à des machines qui nous contrôlent aussi bien que nous les contrôlons, presque fiers du haut de ces montures de ferraille rouillée. A la poursuite de colis paraissant chaque instant se moquer de notre insensé travail, rien ne sert de courir, il faut ramper à point. La rhétorique glacée de ces corps pressés, se baissant, empoignant, se relevant, déposant, se baissant, empoignant, se relevant, déposant, se baissant, empoignant, se relevant, déposant, répugne à « la chaleur que tisse la parole » dont parle Tzara. Cette pantomime ne saurait exprimer rien dautre que les impératifs de productivité : nulle trace dhumanité, nous voilà marionnettes tristes. Parfois quelques mots jetés au hasard et sans grand espoir dêtre entendus rompent le silence, le vacarme ; mais ce ne sont jamais que bribes, miettes de pensée, débris de calembours. De ces bouches qui se tordent en vain, cest toute limpossibilité du langage qui sourd et le dehors, intraitable, sempare des lambeaux de vie pour les avaler ; rien ne semble survivre ici sinon la solitude des choses quon accumule et des instincts quon étouffe.
Cest dans limpossibilité de la communication entre salariés quaprès quelques semaines je vois le plus sûr levier de la « discipline dentreprise ». Il est ainsi frappant quil soit possible de passer des semaines dans cet entrepôt sans jamais adresser la parole à quelquun, sinon pour quelques messages stéréotypés : « bonjour », « jai besoin de tel produit », « au revoir », etc. Des paroles sont échangées, des rires partagés, mais il faut voir là non pas la règle mais lexception, la sauvegarde dîlots de liberté en marge dun silencieux océan de discipline, îlots dautant plus précieux quils sont rares. Cette discipline molle et pourtant inexorable, sans slogans ni prohibitions, fondée sur limpersonnalité des « rendements », a pour conséquence de fragmenter la classe des travailleurs et on serait bien en peine si lon devait se mettre en quête dune « classe ouvrière », et bien plus encore, dune « conscience ouvrière ». Ce nest pourtant pas quun amour subi, sanctionné par les liens sacrés du « contrat intérimaire », viendrait unir les travailleurs temporaires à une entreprise désormais « leur » : la moindre discussion avec quelques-uns dentre eux vient dégonfler cette baudruche. On naime pas son entreprise plus quauparavant, simplement on ne se nourrit pas « danciens idéaux et de vieux mythes ». Cette dépolitisation ne peut être comprise que comme cause et effet des nouvelles formes du travail industriel, et il faut sans doute voir dans la « crise du travail » un cercle vicieux établi à la fois sur les nouvelles règles du jeu imposées par le patronat et sur ce que Michel Pialoux appelle la « crise de lhéritage ouvrier », liée à la « dévalorisation symbolique du groupe ouvrier »2.
Car durant les deux mois passés à Auchan, je nai jamais été témoin dune quelconque discussion à résonance politique, jamais je nai entendu parler de syndicats, dactions de contestation : à Auchan semble réalisé ici le rêve néoclassique dun marché du travail « libéré » de ses « rigidités ». Lentreprise adapte chaque jour sa main duvre à la demande ; la présence des indispensables caristes acquise (une dizaine dhommes), il ne reste plus quà jouer sur le nombre dintérimaires, variable dajustement. La plupart du temps, ils travailleront en début de semaine 4 heures (lentreprise ne peut légalement les faire venir pour un temps inférieur) ou 5 heures. En revanche, du jeudi au samedi, quand la demande est forte, ils pourront travailler jusquà 9 à 10 heures, la pause unique de 21 minutes comprise. Cette flexibilité/précarité nest à peu près jamais contestée puisque inscrite dans les dispositions du travailleur temporaire : il va ainsi de soi que lintérimaire obéira à lentreprise car, du fait de sa condition, il ne peut que se complaire dans lillusion du choix originel. Peu importe au fond que ce « choix » soit celui du nécessaire3 : la « vérité subjective » (le travail comme liberté) est venue recouvrir la « vérité objective » (le travail comme exploitation). Les uniques actions de révolte dont jai eu lécho nétaient nullement liées à une conscience de cette exploitation, mais à des énervements superficiels et sans consistance contre un « petit chef » trop zélé. A cela sajoute ce quon peut nommer la « dissonance des habitus » Comment ne pas voir en effet tout ce qui sépare un étudiant petit-bourgeois, qui va gagner largent nécessaire à ses projets de voyages, et un travailleur arrimé au perpétuel temporaire, pour qui Auchan constitue un horizon quasi-indépassable ? Travail saisonnier contre travail prolongé. Pour le premier, la dignité consiste à ne pas assigner de sens à son travail (« cest pas un métier »). Pour le second, lentreprise Auchan est un avenir probable (souhaité ou non), il se trouve alors dans lobligation dinjecter du sens dans son travail, de lextraire du sentiment dabsurde que létranger à ce monde de lentrepôt et aux perspectives (réelles ou imaginaires) quil propose, ressentira sans nul doute.
Il est environ 10h, le travail reprend après la pause. Une voix au micro (celle dun chef) nous intime lordre de nous rassembler autour du bureau. « Pas bon pour les rendements ça », « Quest-ce quils nous veulent encore ! ». Une fois tout le monde réuni devant le bureau, une grosse dame aux dehors rudes et à la mine concernée se
présente : « Bonjour messieurs je suis madame X., je moccupe de la Direction des Ressources Humaines. Je suis descendu vous voir car la situation est grave. Je ne suis pas venu plus tôt, mais là cen est trop ! Jen ai plein les oreilles dentendre comparer mon entrepôt à un aéroport : « un vol toutes les deux minutes » ! Donc je viens vous prévenir que parmi nous circulent des voleurs, quelques-uns de vos collègues ont déjà été renvoyés pour ce motif ces dernières semaines, et ce matin à la pause nous savons quont été volées une brosse à dents électrique ainsi quune bouteille de whisky. Alors je viens vous prévenir : à partir de maintenant tout employé surpris en train de voler, de détériorer ou de consommer sur place un produit, sera traîné au tribunal par lentreprise et il risquera lourd. Vous avez déjà vu à la télé ce que cest quune perquisition, la police qui entre chez vous et fouille votre logement, ça na rien de drôle. Donc comme je sais que la plupart dentre vous ne sont pas des voleurs, je vous exhorte à dénoncer ceux qui volent. Ces produits ne sont pas à vous, ils ne sont pas à moi, ils sont à lEntreprise. Mon numéro de poste cest le XXXXX, je vous invite donc à me communiquer des renseignements et à ne pas couvrir ceux qui mettent en cause lhonnêteté des employés de cet entrepôt, votre honnêteté. Bon, je vous laisse travailler et noubliez pas mon numéro de poste cest le XXXXX. » A cette exhortation indignée répond lindifférence. La franche exhortation à dénoncer sinsère parfaitement dans le schéma disciplinaire dessiné par les formes nouvelles dorganisation du travail : sous couvert de « responsabiliser » les salariés, il sagit avant tout de minimiser les coûts afin de maximiser les profits. Et dans le cas où cela ne « fonctionnerait » pas, reste toujours la solution évoquée par la DRH, à savoir un système de vidéo-surveillance. Cette scène qui na rien danecdotique assoit la structure disciplinaire dont la modernité tient tout entière dans la délégation aux travailleurs eux-mêmes des tâches de discipline sous la forme de lautodiscipline, portée ici par la délation pure et simple.
Ce « témoignage » nest pas une manière de ratifier le réel, ni la description désenchantée dun monde de soumission. Contre lillusion dun travail vecteur dautonomie, et à rebours des discours techniciens ne voyant dans lentreprise que « liberté » et « coopération », on ne se donnera les moyens dinventer de nouvelles solidarités et de nouveaux foyers de résistance quen donnant voix sans détour aux souffrances routinières : ce sont ces souffrances étouffées, envers dune « modernité » imbue de « rationalité », qui disent que rien nest fatal, sinon lillusion de la fatalité.
Pour ne pas commencer mal avec un retard, je suis debout à 4h45. Je nai presque pas dormi, inquiet ; je peux déjà « sentir lair dune autre planète ». Le sommeil nest pas venu faire taire cette angoisse de létrangeté. On ma dit de my présenter à 6h, il est 5h40 ; jai déjà honte de ce zèle involontaire. Je préfère attendre quelques minutes dans ma voiture. Je tente dimaginer ce que ce hangar contient. Il est 5h50 ; je me dirige vers lentrepôt. Où aller ? Dans le noir du matin et de loin, je discerne quelques « jeunes » ; je leur emboîte le pas. Me présentant à lun deux pour lui demander où madresser en tant que nouvel embauché, il mindique « le bureau » où se trouvent les « chefs » Encore quelques pas et je suis en face de ce « bureau », un rapide coup dil suffit pour apercevoir dautres jeunes gens perdus à la recherche dun appui mental ou matériel. La routine recouvrira vite lanxiété sur ces visages. Malgré langoisse du premier jour, jai le temps dobserver : il est 6h10, lentrepôt se met en branle et je métonne du jeune âge des travailleurs qui saffairent dans ce décor au premier abord absurde. On nous appelle, moi et ceux dont javais deviné la condition de « nouveaux ». Le chef sappelle Marcel, il nous convoque un par un et nous signons chacun un contrat dont personne ne lira une ligne. Je ne jouerai pas à l« intellectuel » : je signe, comme tout le monde. Nous sommes tous « CDD-étudiants ». Le chef parle vivement, sans retenue. Après quelques indications très générales, il nous conduit à la « pointeuse », dont il nous explique le fonctionnement. Pointage à 6h (début de la journée de travail), 9h30 (début de la pause), 9h51 (fin de la pause), 13h21 (fin de la journée de travail). Cela fait, nous descendons léchelle hiérarchique : deux marches et nous voilà dans les mains dun « petit chef », un chef de plus : il nous confie à un « formateur » ; il est entendu que nous sommes en « formation ».
Me voilà « placé », je suis avec Laurent. Aujourdhui, il aura pour tâche de me montrer ce que jexécuterai pendant les deux prochains mois. Ces premiers pas me permettent de découvrir lentrepôt et son fonctionnement. Sil se présente au « profane » comme un bloc, cela masque sa fragmentation en un certain nombre de « lieux » différenciés. Il ne mest possible que dévoquer le rez-de-chaussée, où je travaillais ; au premier étage sont les « bureaux », monde de la direction et des secrétaires, quon suppose plus quon ne les voit, sorte dau-delà quasi-mythique dont on napercevra jamais que des ombres et quon imagine sans grande influence sur le travail ici-bas Le premier lieu repéré est le « bureau », où les « chefs » dirigent la manuvre et où « nous », travailleurs, allons chercher les « commandes » : des listes de produits éparpillés dans lentrepôt quil nous faut réunir sur une palette. Médiatisé par une machine (le « tire-palette »), notre travail consiste à rassembler les « colis » sur une palette et à la déposer dans une « travée » déterminée. Dautres travailleurs sinquiéteront de la mener, avec dautres, à lintérieur de camions reliés à lentrepôt par une trentaine douvertures. Chaque matin, à 6h, nous commençons par nous diriger vers la salle des machines afin de nous procurer ces fameux « transpalettes », machines motorisées permettant de circuler rapidement dans lentrepôt et capables de tirer une ou deux palettes ; japprendrai vite lidentité duale de ces engins, outil de travail et instrument de jeu, technique disciplinaire et moyen éphémère de sen jouer. Le « bureau » nous assigne pour chaque journée de travail un secteur dans lentrepôt : « liquides », « entretien », « parfumerie » ; les changements sont fréquents, il est rare que lon reste plus de deux jours de suite dans un même secteur. Cest sans doute là un moyen de tuer dans luf les habitudes et les conforts qui pourraient naître et ainsi contraindre les salariés à fixer leur esprit au travail, à ne pas déléguer au corps seul la répétition des gestes et des postures. Pas question à Auchan de disjoindre lesprit du corps, ce serait évidemment sen tirer à trop bon compte.
Je métonne de la lenteur du temps dans lentrepôt ; le travail industriel semble soumettre le temps lui-même et lui imposer ses exigences propres de productivité. Dinnombrables « jeunes » aux visages fermés déambulent sur leurs transpalettes, traînant avec eux bouteilles, lessives ou couches pour bébé, mauvaise humeur, rêves arrêtés, résignation. Un regard sur la « commande », on se dirige grâce au « transpalette » vers lallée indiquée, chaque produit est signifié par une étiquette autocollante, il suffit de la détacher, de se pencher, de la placer sur le produit, que lon empoigne et pose sur la palette. « Courber léchine » nest un mot desprit que pour celui qui na pas fait lexpérience du travail routinier et de la discipline proprement corporelle quelle implique. La productivité suppose le dressage systématique du corps, sa soumission aux impératifs de rationalité imposés par lentreprise, la rectification perpétuelle des gestes en vue dune efficacité maximale. Laurent trime ici depuis six ans, cest un des plus anciens. Il parle dun ton monotone, les traits de son visage évoquent une résignation sans fard, décidément sourde à la révolte ; sans formation, il me signifie dun regard quil na pas le choix et en effet jai peine à imaginer un travail aussi déqualifié : aucun véritable « coup de main » à prendre, une machine dont la maîtrise ne nécessite que quelques heures de pratique, aucune qualité supposée. Au bout dune semaine, je serai aussi « adapté » à mon poste que ne lest Laurent, malgré ses six longues années passées à empiler chaque jour canettes de bière et caisses de vin. Nous parlons un peu football, les minutes passent puis cest la pause, il part en me disant de me trouver devant la machine à 9h50. Jy serai. Chacun se sépare, je distingue quelques groupes bien distincts qui se forment, certains se dirigent vers la « salle de pause », dautres vers le parking, je vais à ma voiture. 9h50 je pointe : le travail reprend. 13h20 :
la journée de travail est finie, aujourdhui lundi la demande était raisonnable, nous terminons dans les temps.
Le lendemain, on massigne un nouveau « formateur » : « Tu es en CDD-étudiant ? [ ] Je létais aussi. » Titulaire dun BTS, il na pas trouvé de travail après lobtention de son diplôme, alors il a continué à Auchan, depuis un an. Lentement, je crains de ne pouvoir supporter sans énervement la subordination aux hommes et aux choses. De ce côté, me dit-il, je nai pas trop à men faire, si je « fais les rendements », les « chefs » ne viendront pas mennuyer. La contrainte nest pas de lhomme sur lhomme ; mais de la quantité (140 colis par heure), et de la qualité (tolérance maximale de 3% derreurs). Si la réalisation de limpératif quantitatif est aisément mesurable (via les ordinateurs, le savoir absolu de lentreprise), lobligation de qualité ne tient quà lintériorisation de la contrainte par les travailleurs. Il y a des contrôles de palette en « travée », extrêmement rares (je ne serai contrôlé que deux fois en deux mois de travail), qui remplissent une fonction « spectaculaire » : la menace du contrôle assure lautodiscipline. Mais cette menace du dehors naurait quun pouvoir de soumission négligeable sans le soutien propre du complexe idéologique quincarne Auchan.
« Culture dentreprise » ?
Afin que le spectre du contrôle ne se réduise pas à une imprécation sans conséquence, il doit sinscrire dans un réseau de contraintes intériorisées imposant certaines règles comme naturelles. Dès le deuxième jour, notre groupe des travailleurs « en formation » est appelé au bureau, Marcel (le « chef » du monde den bas) nous emmène au ciel des bureaux pour la « formation théorique ». Une fois passées les questions de sécurité (négligées car négligeables), notre petit groupe est contraint de visionner des petits films pédagogiques : histoire enchantée dAuchan, « les sourires de la vie », une entreprise « à lécoute de ses employés », « la vie la vraie », la « famille Auchan », le « respect Auchan » Moi et mes camarades en « formation » accordons peu dintérêt à ce tissu de niaiseries. La « discipline dentreprise » passe par des voies plus subtiles, « impénétrables », nichée dans lévidence du fonctionnement réglé et régulier de lentrepôt. A côté de la dizaine de CDD-étudiants et des CDI (une dizaine également, tous caristes, cest-à-dire irremplaçables sur le champ : tout se passe comme si lentreprise « achetait » leur soumission en leur accordant le « privilège » du contrat à durée indéterminée, cest-à-dire une certaine sécurité faisant contraste avec lextrême précarité de la condition intérimaire), lentrepôt sappuie sur une véritable « armée de travailleurs temporaires » Si au sein de cette armée de nombreuses différences distinguent les modernes « mercenaires » du travail entre eux, en deçà des dissonances visibles un groupe homogène, une certaine harmonie dintérêts et de valeurs sont toutefois perceptibles. De cette harmonie ne surgit pourtant aucune unité : on chercherait en vain les traces dune conscience de soi. Ce groupe existe en négatif : loin de la perception dun destin commun, lamor fati de lintérimaire senracine dans linconscience du caractère social, généralisée à léchelle de lentreprise, de sa condition précaire.
Limpersonnalité de « rendements » strictement individuels isole et abrutit les travailleurs. Tout se passe comme si Auchan ne faisait que tirer parti de lethos spécifiquement « individualiste » des intérimaires, sortes de « monades » leibniziennes recluses, sans fenêtre ni porte vers lextérieur. « Il ny a pas daction réciproque entre les monades, une monade est seulement limitée par autolimitation ». Seulement, cette idée de « monades » nobéissant quà elles-mêmes nest à tout prendre que lidée que les intérimaires se font deux-mêmes ; chacun prétend en effet « rouler » lentreprise en croyant poursuivre son intérêt propre et en se fermant au monde du dehors, sans jamais voir que la poursuite de cet intérêt individuel supposé est la condition sous laquelle lentrepôt « tourne ». La boucle de la division du travail est bouclée. Si la discipline est acceptée si facilement par les travailleurs temporaires, cest quelle senracine dans la croyance, dans lillusion (entretenues par lentreprise et par toute une littérature visant à faire de la « flexibilité » une valeur) quau « jeu » mettant aux prises employeur et employé, tout le monde gagne. Nul besoin de recourir à quelque « culture dentreprise » pour comprendre les raisons dagir des salariés lorsquils agissent dans lintérêt de lentreprise.
La communication impossible : silence et vacarme.
Lentrepôt est le lieu dun vacarme perpétuel. Passé 6h, le ronron assommant des transpalettes règne et soumet à lui son univers. Ce lancinant poison auditif sinfiltre et édifie de manière implacable les cloisons sensorielles verrouillant dans une sorte de prison de verre les travailleurs, absurdes fourmis. Dans ce chaos de bruits et damertume, nous circulons, cramponnés à des machines qui nous contrôlent aussi bien que nous les contrôlons, presque fiers du haut de ces montures de ferraille rouillée. A la poursuite de colis paraissant chaque instant se moquer de notre insensé travail, rien ne sert de courir, il faut ramper à point. La rhétorique glacée de ces corps pressés, se baissant, empoignant, se relevant, déposant, se baissant, empoignant, se relevant, déposant, se baissant, empoignant, se relevant, déposant, répugne à « la chaleur que tisse la parole » dont parle Tzara. Cette pantomime ne saurait exprimer rien dautre que les impératifs de productivité : nulle trace dhumanité, nous voilà marionnettes tristes. Parfois quelques mots jetés au hasard et sans grand espoir dêtre entendus rompent le silence, le vacarme ; mais ce ne sont jamais que bribes, miettes de pensée, débris de calembours. De ces bouches qui se tordent en vain, cest toute limpossibilité du langage qui sourd et le dehors, intraitable, sempare des lambeaux de vie pour les avaler ; rien ne semble survivre ici sinon la solitude des choses quon accumule et des instincts quon étouffe.
Cest dans limpossibilité de la communication entre salariés quaprès quelques semaines je vois le plus sûr levier de la « discipline dentreprise ». Il est ainsi frappant quil soit possible de passer des semaines dans cet entrepôt sans jamais adresser la parole à quelquun, sinon pour quelques messages stéréotypés : « bonjour », « jai besoin de tel produit », « au revoir », etc. Des paroles sont échangées, des rires partagés, mais il faut voir là non pas la règle mais lexception, la sauvegarde dîlots de liberté en marge dun silencieux océan de discipline, îlots dautant plus précieux quils sont rares. Cette discipline molle et pourtant inexorable, sans slogans ni prohibitions, fondée sur limpersonnalité des « rendements », a pour conséquence de fragmenter la classe des travailleurs et on serait bien en peine si lon devait se mettre en quête dune « classe ouvrière », et bien plus encore, dune « conscience ouvrière ». Ce nest pourtant pas quun amour subi, sanctionné par les liens sacrés du « contrat intérimaire », viendrait unir les travailleurs temporaires à une entreprise désormais « leur » : la moindre discussion avec quelques-uns dentre eux vient dégonfler cette baudruche. On naime pas son entreprise plus quauparavant, simplement on ne se nourrit pas « danciens idéaux et de vieux mythes ». Cette dépolitisation ne peut être comprise que comme cause et effet des nouvelles formes du travail industriel, et il faut sans doute voir dans la « crise du travail » un cercle vicieux établi à la fois sur les nouvelles règles du jeu imposées par le patronat et sur ce que Michel Pialoux appelle la « crise de lhéritage ouvrier », liée à la « dévalorisation symbolique du groupe ouvrier »2.
Car durant les deux mois passés à Auchan, je nai jamais été témoin dune quelconque discussion à résonance politique, jamais je nai entendu parler de syndicats, dactions de contestation : à Auchan semble réalisé ici le rêve néoclassique dun marché du travail « libéré » de ses « rigidités ». Lentreprise adapte chaque jour sa main duvre à la demande ; la présence des indispensables caristes acquise (une dizaine dhommes), il ne reste plus quà jouer sur le nombre dintérimaires, variable dajustement. La plupart du temps, ils travailleront en début de semaine 4 heures (lentreprise ne peut légalement les faire venir pour un temps inférieur) ou 5 heures. En revanche, du jeudi au samedi, quand la demande est forte, ils pourront travailler jusquà 9 à 10 heures, la pause unique de 21 minutes comprise. Cette flexibilité/précarité nest à peu près jamais contestée puisque inscrite dans les dispositions du travailleur temporaire : il va ainsi de soi que lintérimaire obéira à lentreprise car, du fait de sa condition, il ne peut que se complaire dans lillusion du choix originel. Peu importe au fond que ce « choix » soit celui du nécessaire3 : la « vérité subjective » (le travail comme liberté) est venue recouvrir la « vérité objective » (le travail comme exploitation). Les uniques actions de révolte dont jai eu lécho nétaient nullement liées à une conscience de cette exploitation, mais à des énervements superficiels et sans consistance contre un « petit chef » trop zélé. A cela sajoute ce quon peut nommer la « dissonance des habitus » Comment ne pas voir en effet tout ce qui sépare un étudiant petit-bourgeois, qui va gagner largent nécessaire à ses projets de voyages, et un travailleur arrimé au perpétuel temporaire, pour qui Auchan constitue un horizon quasi-indépassable ? Travail saisonnier contre travail prolongé. Pour le premier, la dignité consiste à ne pas assigner de sens à son travail (« cest pas un métier »). Pour le second, lentreprise Auchan est un avenir probable (souhaité ou non), il se trouve alors dans lobligation dinjecter du sens dans son travail, de lextraire du sentiment dabsurde que létranger à ce monde de lentrepôt et aux perspectives (réelles ou imaginaires) quil propose, ressentira sans nul doute.
Il est environ 10h, le travail reprend après la pause. Une voix au micro (celle dun chef) nous intime lordre de nous rassembler autour du bureau. « Pas bon pour les rendements ça », « Quest-ce quils nous veulent encore ! ». Une fois tout le monde réuni devant le bureau, une grosse dame aux dehors rudes et à la mine concernée se
présente : « Bonjour messieurs je suis madame X., je moccupe de la Direction des Ressources Humaines. Je suis descendu vous voir car la situation est grave. Je ne suis pas venu plus tôt, mais là cen est trop ! Jen ai plein les oreilles dentendre comparer mon entrepôt à un aéroport : « un vol toutes les deux minutes » ! Donc je viens vous prévenir que parmi nous circulent des voleurs, quelques-uns de vos collègues ont déjà été renvoyés pour ce motif ces dernières semaines, et ce matin à la pause nous savons quont été volées une brosse à dents électrique ainsi quune bouteille de whisky. Alors je viens vous prévenir : à partir de maintenant tout employé surpris en train de voler, de détériorer ou de consommer sur place un produit, sera traîné au tribunal par lentreprise et il risquera lourd. Vous avez déjà vu à la télé ce que cest quune perquisition, la police qui entre chez vous et fouille votre logement, ça na rien de drôle. Donc comme je sais que la plupart dentre vous ne sont pas des voleurs, je vous exhorte à dénoncer ceux qui volent. Ces produits ne sont pas à vous, ils ne sont pas à moi, ils sont à lEntreprise. Mon numéro de poste cest le XXXXX, je vous invite donc à me communiquer des renseignements et à ne pas couvrir ceux qui mettent en cause lhonnêteté des employés de cet entrepôt, votre honnêteté. Bon, je vous laisse travailler et noubliez pas mon numéro de poste cest le XXXXX. » A cette exhortation indignée répond lindifférence. La franche exhortation à dénoncer sinsère parfaitement dans le schéma disciplinaire dessiné par les formes nouvelles dorganisation du travail : sous couvert de « responsabiliser » les salariés, il sagit avant tout de minimiser les coûts afin de maximiser les profits. Et dans le cas où cela ne « fonctionnerait » pas, reste toujours la solution évoquée par la DRH, à savoir un système de vidéo-surveillance. Cette scène qui na rien danecdotique assoit la structure disciplinaire dont la modernité tient tout entière dans la délégation aux travailleurs eux-mêmes des tâches de discipline sous la forme de lautodiscipline, portée ici par la délation pure et simple.
Ce « témoignage » nest pas une manière de ratifier le réel, ni la description désenchantée dun monde de soumission. Contre lillusion dun travail vecteur dautonomie, et à rebours des discours techniciens ne voyant dans lentreprise que « liberté » et « coopération », on ne se donnera les moyens dinventer de nouvelles solidarités et de nouveaux foyers de résistance quen donnant voix sans détour aux souffrances routinières : ce sont ces souffrances étouffées, envers dune « modernité » imbue de « rationalité », qui disent que rien nest fatal, sinon lillusion de la fatalité.
(1) Ce texte est tiré dun travail produit au séminaire de F. Jobard et G. Salle, « Discipline et démocratie », IEP Paris, 2003-04.
(2) Cf. Michel Pialoux, « Stratégies patronales et résistances ouvrières », Actes de la recherche en sciences sociales, 1996, n°114, p. 5-20.
(3) Sur lajustement grosso modo des « aspirations subjectives » aux « chances objectives », cf. Pierre Bourdieu, « Avenir de classe et causalité du probable », Revue française de sociologie, XV, 1974, p. 3-42.
(2) Cf. Michel Pialoux, « Stratégies patronales et résistances ouvrières », Actes de la recherche en sciences sociales, 1996, n°114, p. 5-20.
(3) Sur lajustement grosso modo des « aspirations subjectives » aux « chances objectives », cf. Pierre Bourdieu, « Avenir de classe et causalité du probable », Revue française de sociologie, XV, 1974, p. 3-42.
Ugo Palheta