Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°47 [octobre 2003 - décembre 2003]
© Passant n°47 [octobre 2003 - décembre 2003]
par Xavier Daverat
Imprimer l'articleDissidence de leffroi
Corps décharnés de vieillards redessinés par lhyperthermie, morgues et funérariums vomissant leurs trop-pleins de cadavres, stockage de corps en camions frigorifiques, cercueils empilés dans des entrepôts, cimetières envahis, trépassés abandonnés, dépouilles inhumées provisoirement
Fantômes des victimes tuées à la verticale des terres écossaises ou nigériennes, hantant toujours la mémoire de leurs proches, quand linstigateur de leur disparition négocie une indemnisation
Drame passionnel au cours duquel une femme est tuée avec les poings, au bout de la nuit balte
Les jours où des corps secs sétalent comme des gisants, où la valeur pécuniaire dune victime oscille avec les nationalités, où meurt rouée de coups une comédienne fragile, ne sont pas des jours comme les autres. Ces jours-là, « il pleut du sang ! », ainsi que le criait Faust chez Berlioz, au seuil de lenfer. Quavons-nous vu au théâtre de lété ? Des vieillards grabataires décuplant une dégradation beckettienne de lhumain, un dictateur cherchant par la négociation à laver ses mains irrémédiablement tâchées de
sang telles celles de Lady Macbeth, une union qui se finalise dans lHadès de la tragédie antique. Comme si cela ne suffisait pas, le décor était fait de contrées rougies par les flammes et de paysages calcinés en spectacle de désolation, de sombres perspectives élargies aux dimensions dune anticipation menaçante (recrudescence de la pollu-tion atmosphérique, pénurie deau, perspective de diminution de la production délectricité ), de leitmotive sur le nombre des tués en bordure dEuphrate, ou des morts oubliés derrière un chef de guerre libérien.
Lagonie sous la canicule, les spéculations sur quelques centaines de cadavres, la femme tabassée à mort, ont comme pouvoir commun de mettre en cause laspect rationnel de notre monde. Y apparaissent trois (des) modalités dun phénomène de dérégulation : indifférence (redécouvrir les oubliettes où lon jette les plus anciens), cynisme (payer le prix du sang pour tirer bénéfice de loubli dans une levée de sanctions internationales), abjection (tuer à mains nues lobjet dune passion). A chaque fois, linterpellation dépasse lévénement : une passivité force à reconsidérer le lien social entre les générations, un processus dindemnisation fait resurgir le spectre du terrorisme (dEtat) sous la compensation, un drame de la jalousie déboulonne de son piédestal un diagnostiqueur proclamé des dysfonctionnements de ce monde.
On tente déviter le soupçon. Que peut le politique contre la fatalité dun événement naturel ? A quoi bon soffusquer dun macabre marchandage si des familles de victimes lacceptent ? Le mélodrame meurtrier ne participe-t-il pas du destin tragique dun outsider ? Peine perdue. Pris dans une même cohérence, ces événements sont autant de symptômes de la pathologie dun système qui voudrait croire à la solidarité (accompagnement du vieillissement), la responsabilité (lindemnitaire comme réparation) ou la générosité (laltermondialisme désignant ses héros). Le désordre que chacun dentre eux introduit dans la sphère où il intervient confine, dès lors quon les réunit, à la catastrophe, prise comme ruine des modèles. Tout sest passé comme si un capital dhorreur enfoui navait aspiré quà être brusquement dépensé. Cette terrifiante prodigalité dinconfort, de menace, dinquiétude, dabjection, rappelle quun autre monde demeure en dissidence : celui de leffroi, imprévisible autant quhybride, mêlant ce qui nous terrorise à ce que lon porte en soi.
Les jours où des corps secs sétalent comme des gisants, où la valeur pécuniaire dune victime oscille avec les nationalités, où meurt rouée de coups une comédienne fragile, ne sont pas des jours comme les autres. Ces jours-là, « il pleut du sang ! », ainsi que le criait Faust chez Berlioz, au seuil de lenfer. Quavons-nous vu au théâtre de lété ? Des vieillards grabataires décuplant une dégradation beckettienne de lhumain, un dictateur cherchant par la négociation à laver ses mains irrémédiablement tâchées de
sang telles celles de Lady Macbeth, une union qui se finalise dans lHadès de la tragédie antique. Comme si cela ne suffisait pas, le décor était fait de contrées rougies par les flammes et de paysages calcinés en spectacle de désolation, de sombres perspectives élargies aux dimensions dune anticipation menaçante (recrudescence de la pollu-tion atmosphérique, pénurie deau, perspective de diminution de la production délectricité ), de leitmotive sur le nombre des tués en bordure dEuphrate, ou des morts oubliés derrière un chef de guerre libérien.
Lagonie sous la canicule, les spéculations sur quelques centaines de cadavres, la femme tabassée à mort, ont comme pouvoir commun de mettre en cause laspect rationnel de notre monde. Y apparaissent trois (des) modalités dun phénomène de dérégulation : indifférence (redécouvrir les oubliettes où lon jette les plus anciens), cynisme (payer le prix du sang pour tirer bénéfice de loubli dans une levée de sanctions internationales), abjection (tuer à mains nues lobjet dune passion). A chaque fois, linterpellation dépasse lévénement : une passivité force à reconsidérer le lien social entre les générations, un processus dindemnisation fait resurgir le spectre du terrorisme (dEtat) sous la compensation, un drame de la jalousie déboulonne de son piédestal un diagnostiqueur proclamé des dysfonctionnements de ce monde.
On tente déviter le soupçon. Que peut le politique contre la fatalité dun événement naturel ? A quoi bon soffusquer dun macabre marchandage si des familles de victimes lacceptent ? Le mélodrame meurtrier ne participe-t-il pas du destin tragique dun outsider ? Peine perdue. Pris dans une même cohérence, ces événements sont autant de symptômes de la pathologie dun système qui voudrait croire à la solidarité (accompagnement du vieillissement), la responsabilité (lindemnitaire comme réparation) ou la générosité (laltermondialisme désignant ses héros). Le désordre que chacun dentre eux introduit dans la sphère où il intervient confine, dès lors quon les réunit, à la catastrophe, prise comme ruine des modèles. Tout sest passé comme si un capital dhorreur enfoui navait aspiré quà être brusquement dépensé. Cette terrifiante prodigalité dinconfort, de menace, dinquiétude, dabjection, rappelle quun autre monde demeure en dissidence : celui de leffroi, imprévisible autant quhybride, mêlant ce qui nous terrorise à ce que lon porte en soi.