Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°45-46 [juin 2003 - septembre 2003]
© Passant n°45-46 [juin 2003 - septembre 2003]
par Cédric Jaburek
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Cest vrai quil y a des musiques con. Des sons qui imitent les bruits des machines et tout le tintamarre de la ville. Imaginez : vous êtes dans un train et, en face de vous, trois gaillards qui font tout pour se faire repérer. Ils ont tout ce quil faut lâge, les survêts, la couleur de la peau et comme si ça ne suffisait pas, ils mettent leur poste à fond, le volume à lextrême droite, ça chasse les autres passagers. Pas vous, bien sûr. Vous, vous avez cette sorte de condescendance qui vous fait penser que vous pourriez être à leur place, vous êtes solidaire, vous êtes comme eux. Tartuffe ! Vous trouvez que la musique saccorde parfaitement au ramdam de la rame. Ca, et le raffut des lascars, ce rancart de vacarmes, ça touille, ça chatouille, ça vous calme, et cest bien le drame. Pic épique et colégram, le seul quidam dans le tram, cest vous. Les malabars vous baratinent, vous ratatinent, ouille, vous avez la trouille. Cest aussi invraisemblable que les rimes à la noix qui précèdent, cocos. Pourtant cest vrai. Je poursuis.
Vous battez la retraite, la queue basse, pour vous réfugier dans le compartiment voisin parmi des passagers paisibles. Vos mains tremblent. Vous baissez la tête pour que les gens ne voient pas les larmes traîtresses qui emplissent vos yeux. Humilié et frissonnant de haine, vous vous dites : « Jai eu peur. Cest terrible, cest la fin. Je suis donc un petit-bourgeois. »
Parce quau fond de vous-même vous pensez quil a raison, le prolétariat, de vous haïr.
Vous enviez alors ce soldat américain qui, en entrant dans Bagdad, répond au journaliste (il a appris à lécole la langue des mangeurs de grenouilles) : « Dje souis heroe ». Vous vous efforciez de contenir votre émotion devant les images des foules en liesse, acclamant ce même soldat. Enfoncé dans le fauteuil, vous pouffiez de rire, gêné par cette impression qui vous diluait les tripes, par lenvie de crier de joie et dembrasser le héros, pouf pouf. Vous êtes un sentimental, va.
Pourtant, vous lauriez préféré différent le héros. Des moustaches bien pointues, souples comme un fouet. A cheval, le plus souvent, la cravache entre les dents et quel amant! Furtif, insaisissable comme le vent des steppes, froid et dur comme le revolver quil met dans sa culotte, contre le sexe, son frère. Je ne parle pas dun héros quelconque, je parle du héros mythique, absolu.
Des fois, il vous arrivait den être. Comme dans ce rêve que vous avez fait, avant de vous réveiller, tétanisé, à plat ventre sur votre matelas, palpitant deffroi.
Vous partiez à lassaut du Centre Mondial Fasciste, lennemi suprême ! Il se présentait sous la forme dun poisson, un gros poisson allongé, plutôt un maquereau quune truite, mais un gros, et ça ressemblait à un amas de planches et de tôles ondulées. La cabane était perchée haut dans le ciel (Dieu nexistait pas) et on y accèdait avec une échelle. La planque parfaite. Vous connaissiez par cur les entrailles de lanimal et vous saviez où frapper : à la tête (« le poisson, ça pue à partir de la tête », proverbe de chez nous). Alors, décapitons ! Sus à lennemi ! Vous connaissiez lunique entrée secrète. Très vite, vous perdiez vos compagnons dans le dédale de longs couloirs, tubes, escaliers et ascenseurs divers. Soudain, vous vous retrouviez nez à nez avec un petit fasciste, dans son uniforme. Il était tout beau tout mignon. A croquer. Ha, ignoble que vous êtes, vous laviez effectivement croqué, et hop, cen était fini de la dictature fasciste !
Je sais, la fin nest pas crédible. Entre ce que vous ne pouvez pas raconter et ce que vous navez pas rêvé, il ne vous reste pas grand-chose.
Cest un fiasco.
En réalité, vous faites semblant davoir de limagination. Vous vous dites : « Cette place nest peut-être pas la mienne. Je naurais pas dû écrire cette page. »
Espèce de coucou ! Imposteur ! Vous ne les avez pas inventés, vos rêves, vous vous les êtes appropriés. Je ne vous engueule pas, allez !
Souvenez-vous un peu de cet agent dassurance qui vous a enroulé dans ses filets pour vous faire signer un ordre de virement. « Figurez vous, monsieur », disait il, « cela ne fait pas une semaine quun chien nous a coûté trois mille francs, ah ! ah ! ». Il vous a bien fait rire. Un peu plus tard, vous laviez appellé et vous vous étiez mis en colère. Il vous a répondu que jamais, « vous entendez, jamais » on ne lui avait parlé sur ce ton. Puis il a raccroché. Alors, vous aviez pensé que cétait tout simplement un salaud parce quil ne vous avait même pas laissé le temps de linsulter.
Vous ressentiez à ce moment une sorte de vide, un vide insupportable. Vous auriez voulu tellement parler, vous auriez tellement aimé que quelquun vous écoute. Quon vous plaigne et quon vous comprenne. Mais vous êtes trop couard.
Revenons en arrière, par exemple. Vous étiez dans le train et une odeur de bonbon mou envahissait lespace. Le cochon faisait exprès den cracher des morceaux partout, il se rapprochait. Lair bonasse, vous essayiez de converser tranquillement (« placer des mots pour contenir la violence »). Las ! ça ne marchait pas.
Alors, vous vous êtes levés pour essayer de partir dignement. Il vous a dit de ne pas le regarder dans les yeux. « Jai envie de tfrapper », quil a dit. Cest à ce moment que ça sest passé. Vos jambes sont devenues lourdes, vous peiniez à les traîner. Et vous avez baissé les yeux. Il a triomphé et la peur vous a gagné.
Javoue, la peur ma vaincu. Cétait bien moi qui regardais ses pieds tandis que, chancelant, je fuyais vers le compartiment voisin pour me réfugier au milieu de passagers paisibles. Cétaient mes mains qui tremblaient et cétait ma tête que je baissais pour que les gens ne voient pas les larmes traîtresses. Jétais perdu, humilié et frissonnant. Pour la première fois, jai souhaité mévader, quitter ce train, cette ville, cette vie, et je désirais pouvoir caresser lherbe et sentir lodeur fraîche de la terre, me plonger dans leau glacée dun ruisseau. Je voulais pouvoir relever le regard pour voir le ciel ouvert et la course fantastique des nuages. Cest pourtant vrai. Cétait bien moi.
Vous battez la retraite, la queue basse, pour vous réfugier dans le compartiment voisin parmi des passagers paisibles. Vos mains tremblent. Vous baissez la tête pour que les gens ne voient pas les larmes traîtresses qui emplissent vos yeux. Humilié et frissonnant de haine, vous vous dites : « Jai eu peur. Cest terrible, cest la fin. Je suis donc un petit-bourgeois. »
Parce quau fond de vous-même vous pensez quil a raison, le prolétariat, de vous haïr.
Vous enviez alors ce soldat américain qui, en entrant dans Bagdad, répond au journaliste (il a appris à lécole la langue des mangeurs de grenouilles) : « Dje souis heroe ». Vous vous efforciez de contenir votre émotion devant les images des foules en liesse, acclamant ce même soldat. Enfoncé dans le fauteuil, vous pouffiez de rire, gêné par cette impression qui vous diluait les tripes, par lenvie de crier de joie et dembrasser le héros, pouf pouf. Vous êtes un sentimental, va.
Pourtant, vous lauriez préféré différent le héros. Des moustaches bien pointues, souples comme un fouet. A cheval, le plus souvent, la cravache entre les dents et quel amant! Furtif, insaisissable comme le vent des steppes, froid et dur comme le revolver quil met dans sa culotte, contre le sexe, son frère. Je ne parle pas dun héros quelconque, je parle du héros mythique, absolu.
Des fois, il vous arrivait den être. Comme dans ce rêve que vous avez fait, avant de vous réveiller, tétanisé, à plat ventre sur votre matelas, palpitant deffroi.
Vous partiez à lassaut du Centre Mondial Fasciste, lennemi suprême ! Il se présentait sous la forme dun poisson, un gros poisson allongé, plutôt un maquereau quune truite, mais un gros, et ça ressemblait à un amas de planches et de tôles ondulées. La cabane était perchée haut dans le ciel (Dieu nexistait pas) et on y accèdait avec une échelle. La planque parfaite. Vous connaissiez par cur les entrailles de lanimal et vous saviez où frapper : à la tête (« le poisson, ça pue à partir de la tête », proverbe de chez nous). Alors, décapitons ! Sus à lennemi ! Vous connaissiez lunique entrée secrète. Très vite, vous perdiez vos compagnons dans le dédale de longs couloirs, tubes, escaliers et ascenseurs divers. Soudain, vous vous retrouviez nez à nez avec un petit fasciste, dans son uniforme. Il était tout beau tout mignon. A croquer. Ha, ignoble que vous êtes, vous laviez effectivement croqué, et hop, cen était fini de la dictature fasciste !
Je sais, la fin nest pas crédible. Entre ce que vous ne pouvez pas raconter et ce que vous navez pas rêvé, il ne vous reste pas grand-chose.
Cest un fiasco.
En réalité, vous faites semblant davoir de limagination. Vous vous dites : « Cette place nest peut-être pas la mienne. Je naurais pas dû écrire cette page. »
Espèce de coucou ! Imposteur ! Vous ne les avez pas inventés, vos rêves, vous vous les êtes appropriés. Je ne vous engueule pas, allez !
Souvenez-vous un peu de cet agent dassurance qui vous a enroulé dans ses filets pour vous faire signer un ordre de virement. « Figurez vous, monsieur », disait il, « cela ne fait pas une semaine quun chien nous a coûté trois mille francs, ah ! ah ! ». Il vous a bien fait rire. Un peu plus tard, vous laviez appellé et vous vous étiez mis en colère. Il vous a répondu que jamais, « vous entendez, jamais » on ne lui avait parlé sur ce ton. Puis il a raccroché. Alors, vous aviez pensé que cétait tout simplement un salaud parce quil ne vous avait même pas laissé le temps de linsulter.
Vous ressentiez à ce moment une sorte de vide, un vide insupportable. Vous auriez voulu tellement parler, vous auriez tellement aimé que quelquun vous écoute. Quon vous plaigne et quon vous comprenne. Mais vous êtes trop couard.
Revenons en arrière, par exemple. Vous étiez dans le train et une odeur de bonbon mou envahissait lespace. Le cochon faisait exprès den cracher des morceaux partout, il se rapprochait. Lair bonasse, vous essayiez de converser tranquillement (« placer des mots pour contenir la violence »). Las ! ça ne marchait pas.
Alors, vous vous êtes levés pour essayer de partir dignement. Il vous a dit de ne pas le regarder dans les yeux. « Jai envie de tfrapper », quil a dit. Cest à ce moment que ça sest passé. Vos jambes sont devenues lourdes, vous peiniez à les traîner. Et vous avez baissé les yeux. Il a triomphé et la peur vous a gagné.
Javoue, la peur ma vaincu. Cétait bien moi qui regardais ses pieds tandis que, chancelant, je fuyais vers le compartiment voisin pour me réfugier au milieu de passagers paisibles. Cétaient mes mains qui tremblaient et cétait ma tête que je baissais pour que les gens ne voient pas les larmes traîtresses. Jétais perdu, humilié et frissonnant. Pour la première fois, jai souhaité mévader, quitter ce train, cette ville, cette vie, et je désirais pouvoir caresser lherbe et sentir lodeur fraîche de la terre, me plonger dans leau glacée dun ruisseau. Je voulais pouvoir relever le regard pour voir le ciel ouvert et la course fantastique des nuages. Cest pourtant vrai. Cétait bien moi.