Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°45-46 [juin 2003 - septembre 2003]
© Passant n°45-46 [juin 2003 - septembre 2003]
par Alain Brossat
Imprimer l'articleTriage, égalisation, modernité
Pendant la première guerre mondiale, la médecine de guerre élabore la technique du triage. Celle-ci consiste à séparer les blessés sur le front en trois catégories : ceux que les médecins identifient sur le champ comme victimes de blessures si graves quils ne peuvent être sauvés. A ceux-ci, on se contentera de dispenser des soins de réconfort, en attendant quils meurent ; ensuite, ceux qui sont victimes de blessures, mutilations ou chocs graves, mais dont on pense quils peuvent être soignés : après leur avoir dispensé les premiers soins, on les évacuera vers les hôpitaux de larrière où ils seront traités. La troisième catégorie est celle des blessés légers ; on leur administrera les premiers soins et ils regagneront larrière par leurs propres moyens pour se faire soigner ensuite, avant de retourner au combat, pour la plupart dentre eux.
Linvention de cette technique du triage des blessés (avec ses critères dévaluation de la gravité des blessures, ses routines, etc.) relève dun principe de rationalisation de la médecine de guerre. Il sagit de sémanciper dune pratique compassionnelle de la médecine, qui porterait à soccuper en priorité des blessés les plus gravement atteints, à soulager dabord ceux qui souffrent le plus, pour sorienter en fonction dun principe defficience maximale, afin de sauver le plus grand nombre de vies en apprenant donc à discriminer rigoureusement le sauvable du non sauvable, ce qui va être pris en charge pour tenter de le faire vivre, malgré tout, de ce qui va être abandonné à la mort. La question de la vie (humaine) nest pas du tout abordée ici dans une optique morale, la vie à conserver, préserver, sauver en tant que « sacrée », ou en tant que vie du « prochain », mais dans celle dun utilitarisme rigoureux sauver le plus grand nombre de vies possible parmi celles qui sont endommagées, car ce sont des vies utiles en tant que vies de combattants. Léthique du médecin de guerre est soumise aux impératifs et aux règles de linstitution militaire. Militaire professionnel ou médecin civil appelé, le médecin aux armées est « mobilisé. Dit autrement : lhumain à traiter, soigner, sauver est ici envisagé en tant que matériau de guerre vivant quil importe de prendre en compte et gérer selon le principe de moindre dépense, dusure minimale. On est bien dans la perspective dun « faire vivre », il sagit bien dune technique destinée à faire vivre le matériau vivant endommagé dans les conditions defficacité maximale, mais dans un contexte où ce faire vivre est indémêlable du « faire mourir » qui est le principe de base de la guerre de masse. Il sagit bien dassurer la survie du plus grand nombre de blessés possible pour les renvoyer à la mort ensuite. Dans les termes dErnst Jünger et de Foucault : la mobilisation totale rend le faire vivre indiscernable du faire mourir. On nest pas du tout ici donc dans le cas de figure dun « ou bien ou bien » (« faire vivre ou laisser mourir »), mais bien dans celui dun « et » et même dun « pour » : faire vivre (ceux dont on estime quon peut les sauver) et laisser mourir les autres. Et : faire vivre les blessés sauvables pour les faire mourir à loccasion de la prochaine offensive.
Ce qui est donc bien clair, ici, cest quil ne faut être toujours très circonspect lorsquon est spontanément porté à attribuer un sens moral ou une valeur morale aux moyens multiples et variés dont se soutient le souci ou la perspective du « faire vivre » dans les sociétés modernes. Ce qui se présente en premier lieu, ce sont des principes et des techniques de rationalisation de la vie de la masse, que ce soit en tant de paix ou en tant de guerre, des principes et des techniques requis par les conditions mêmes de lexercice du pouvoir dans les sociétés modernes.
La technique du triage est ici un peu léquivalent pour les temps de guerre de ce quest celle de la variolisation (qui sinvente au XVIIIe siècle) pour les temps de paix, il sagit de réduire autant que possible, par la mise en place dun dispositif approprié, la déperdition en masse humaine qui senregistre du fait dun facteur mortifère particulier et particulièrement massif : la variole ou les armes de destruction massive modernes. Dans un cas, il sagit de faire diminuer la mortalité infantile due à la variole, dans lautre les morts par infection dues aux blessures par balles, éclats dobus, etc. Dans les deux cas, il sagit de dispositifs de sécurisation : des populations infantiles urbaines, premières victimes de la variole, dans le premier, de la masse des poilus exposée au feu de lennemi dans le second. Dispositifs dune sécurisation toute relative, dans les deux cas, bien entendu.
Ce qui introduit une différence entre les deux figures envisagées ici, cest lopération du tri, de la sélection. Ce qui est intéressant, politiquement, avec la vaccination et ses ancêtres comme la variolisation, cest quelle est à la fois, par excellence, une pratique biopolitique (une technique dentretien de la population, cest-à-dire, sous le regard du pouvoir moderne, du troupeau humain) et un moyen dégalisation sans équivalent : le propre des maladies infectieuses étant dignorer la distinction entre riches et pauvres, de frapper certes en premier lieu ceux qui vivent dans les taudis, mais de ne pas épargner pour autant ni les maisons de maîtres ni les palais, lefficacité de la vaccination aura pour condition première quelle sapplique à tous de la même façon, quelle soit un dispositif général pan-inclusif et égalisateur au sens où son application est exactement la même pour tous et ses effets aussi, puisquelle ne connaît que des corps, des organismes vivants. Face à la tuberculose, les malades du début du XXe siècle ne sont pas égaux, les uns crèveront doucement dans leur coron et les autres, comme le héros de la Montagne magique, tenteront daller se soigner à Davos. Mais il en va de même quand on entre dans le champ de la médecine préventive qui entreprend de repousser les grandes épidémies : il faut prendre en charge une population dans sa totalité, sans reste ni déchet, et on peut voir dans ce dispositif, indifféremment, un joyau de la biopolitique ou un paradigme « décalé » de légalitarisme démocratique : toutes les vies se valent en tant quelles doivent être immunisées contre la variole, la diphtérie et la coqueluche. La vaccination est, de ce point de vue, le geste par excellence qui inclut et rassemble, qui ne connaît ni race ni condition sociale, ni condition de citoyenneté il faut que tous les enfants vivant sur le sol français aient leur carnet de santé et aient, entre 0 et 5 ans, leur programme complet de piqûres de rappel.
Au contraire, la procédure quadopte la médecine de guerre sur les champs de bataille de la Somme et du Chemin des Dames relève un geste clé de la modernité occidentale qui se déploie tout différemment : il consiste à produire de lintelligibilité, de la visibilité, à mettre en uvre des décisions en triant, séparant, discriminant. Il sagit dune part de classer (une activité dont Foucault a montré dans Les Mots et les choses combien elle est une opération de la pensée), donc de passer du chaos à lordre ; dautre part, dagir, de statuer selon que tel individu, telle catégorie, tel corps se verront assigner telle ou telle place à loccasion de ce tri, ils feront lobjet de telle ou telle procédure dans bien des cas, nous le savons, il peut sagir de choix de vie et de mort, de questions de tout ou rien. Le propre de ce geste est dêtre omniprésent dans les topographies modernes, en tant que geste de pouvoir, moyen de penser dagir des pouvoirs. Le propre de ce geste est donc dêtre axiologiquement indéterminable, geste de vie, geste de mort, indifféremment.
Et en effet, rien ne ressemble davantage, du point de vue déterminant qui est celui de la forme de lopération ou de la structure du dispositif, au geste du médecin militaire qui, éventuellement, sauve le blessé orienté vers une unité de soins urgents que celui du SS qui, sur la rampe dAuschwitz, préside à la Selektion destinée à déterminer qui prendra directement le chemin de la chambre à gaz et qui se verra attribuer, en tant que travailleur forcé, esclave concentrationnaire, un sursis, voire une mince chance de survie.
Innombrables sont, bien loin des configurations extrêmes que jévoque ici, les gestes, dispositifs et pratiques de pouvoir qui, dans les sociétés modernes, sont coulées dans cette grande forme du triage parmi les vivants ou de la sélection parmi une population ou une catégorie de population donnée. Et, dans limmense majorité des cas, ces gestes sont loin de revêtir la tournure dramatique qui est la leur dans les exemples que jai cités jusqualors. Pensez par exemple : que seraient nos sociétés sans examens et concours ? Le plus souvent, ces dispositifs sélectifs ne sont associés pour nous à aucune violence, leur normalité, leur banalité tiennent à leur étroite association à la fonctionnalité du système. Toute sa vie durant, lindividu moderne est, dans les sociétés occidentales, soumis à de telles opérations dont certaines ont peu dincidence sur son existence et dautres, au contraire, représentent des points de bifurcation majeurs. Mais aussi bien, nous le voyons lorsque est en jeu le destin de catégories humaines pauvres en droits détenus des prisons, réfugiés, demandeurs dasile, sans papiers, nomades, prostituées, etc. ces dispositifs peuvent être des opérateurs de véritables apartheids, de routines de ségrégation, dexclusion, de proscription, de mise au ban qui sont lenvers inique et inavouable du tant vanté « état de droit » dans les sociétés démocratiques.
Et cest ici que nous rencontrons la « grande idée » de Zygmunt Bauman, qui est celle de la disponibilité de moyens techniques ou de savoir-faire ou de routines, élaborés en tant que vecteurs de la rationalisation politique, administrative, économique, des dispositifs « intelligents », donc et qui en eux-mêmes, dans leur caractère purement machinique ou instrumental, sont neutres. Il ny a rien de violent ni de discriminatoire à « compter à part » le nombre de gauchers ou dobèses qui vivent dans la société française, sil sagit dimaginer des outils ou instruments adaptés au schéma nerveux des premiers et délaborer des régimes alimentaires utiles aux seconds. En revanche, ce quil sagira de penser, ce sont des rencontres, des conjonctions, probables ou improbables, fréquents ou exceptionnels, entre de tels dispositifs associés à la « raison pratique » de nos sociétés dites complexes et des circonstances particulières, des projets spécifiques. Pour résumer et simplifier Bauman, disons ceci : en règle générale, ce nest pas une mauvaise mais une bonne chose que les trains partent à lheure et que la conscience professionnelle des conducteurs de motrices les porte au respect des horaires ils ne font quincarner un peu plus rigoureusement que le commun des mortels cette religion de lexactitude qui est un des traits de nos sociétés, sans oublier lamour, également partagé, du travail bien fait.
Le problème survient le jour où cest un train chargé de déportés qui part à lheure, et livre sa cargaison vaille que vaille; cest-à-dire que le problème surgit là où se produit la rencontre improbable mais néanmoins possible entre lamour du métier du conducteur de motrice, le bon fonctionnement de ladministration ferroviaire et le projet exterminateur des nazis (ou dautres). Ce que nous avons toujours du mal à apprécier, dit Bauman, cest que, dans nos sociétés, les violences les plus massives et dévastatrices ont lieu là où se produit cette synergie entre le plus normal, le plus routinier, voire le plus valorisé comme élément de civilité ou comportement éthique (la conscience professionnelle du cheminot qualifié) et des circonstances ou des acteurs inattendus. Rien de plus banal quun contrôle de passeport sur une frontière : cest une opération routinière de filtrage dont la plupart dentre nous ne redoutons rien et dont nous sortons indemnes. Mais que, pour certains, cette opération se trouve associée à ce dispositif nommé « zone dattente » qui est une sorte de camp de concentration furtif , et les choses changent de tournure : on peut non seulement subir les pires humiliations au cours dune opération de reconduite, mais aussi y laisser sa peau.
Ce qui va donc poser problème, lorsque nous aurons à évaluer les formes de violence contemporaine, à les hiérarchiser, aussi bien dun point de vue analytique quéthique, cest cette intrication du normal et de lextraordinaire, ce caractère a priori indifférencié des dispositifs, procédures et routines qui constituent le soubassement aussi bien de lentretien de la vie, du fonctionnement de la société que dactions de destruction massive ou de processus de décivilisation.
Le problème du conducteur de motrice consciencieux est quil lui suffit de demeurer absolument égal à lui-même, à ses habitudes et à sa constitution éthique en tant que travailleur pour basculer du monde de la vie réglée, normale, vers celui de la criminalité de masse, vers ce que lon nomme aujourdhui volontiers le crime absolu, le génocide. En tant que personne, il nest affecté par aucun mouvement densauvagement, de barbarisation, lorsquil glisse dun monde dans lautre. Au contraire, la condition pour quil devienne linstrument efficace du crime, cest quil demeure entièrement ce civilisé quil est un homme de ponctualité, de respect de sa hiérarchie, damour du travail bien fait. Bauman identifie parfaitement ce point dinversion de la dynamique de la civilisation là où laccomplissement du crime des crimes requiert moins la férocité ou la démesure de monstres que la réserve, la discipline, lautocontrainte, le sérieux, le sang-froid et surtout la compétence de lhomme de la masse de nos sociétés. Comme le dit Bauman, cest précisément parce quils étaient des civilisés et non des sauvages que les Allemands, les Français, etc. ont détourné le regard et nont pas perdu leur réserve infinie dimpassibilité lorsquon a raflé les juifs. Et ce ne sont pas les exemples qui nous manquent pour affirmer que, sur ce plan, le cours de la civilisation sest poursuivi et accéléré. On pourrait nommer cela le désastre de notre condition immunitaire, toujours plus immunitaire : cette incapacité constitutive qui est la nôtre de faire face à lenragement des routines et des dispositifs dentretien de la vie lorsque se présente, ce qui est fréquent, un tel devenir monstrueux du banal ou, pour dire la même chose en espéranto agambénien, lorsque sopère la saisie de la norme et de la règle par la dynamique de lexception. Cette incapacité de quitter nos routines intellectuelles, aussi bien que nos sanctuaires affectifs et moraux, pour enregistrer dans des gestes ou des fonctionnements qui continuent à saccomplir selon des protocoles réglés, le surgissement dune forme ou une autre de létat dexception ; la mise en uvre de violences dont le propre est de saper dautant plus dangereusement lédifice de la civilisation quelles émanent de son plus intime même.
Il nous faut ici faire apparaître le contrechamp nécessaire de la problématique arendtienne. Irrécusable, « indépassable » est, sur un certain plan, lidée selon laquelle les régimes totalitaires portent la marque dune criminalité dun type particulier, dune criminalité qui est la résultante de la combinaison de facteurs comme leffondrement du système politique des Etats-nations en Europe, la massification des sociétés, la montée des idéologies de la race, etc. Cest lidée bien connue selon laquelle le camp de concentration (la violence concentrationnaire) constitue le cur et le condensé du système et de la violence totalitaires. Dans cette perspective, il importe plus que tout de présenter lopposition entre régimes totalitaires et régimes démocratiques comme le fondement de toute perspective de reconstruction de la politique par-delà les mo-ments totalitaires.
Mais, dun autre côté, nous voyons que lorsque nous nous efforçons de penser les pouvoirs modernes non pas en termes dinstitution politique ou de superstructure, didéologie, mais de fonctionnalité de dispositifs ou dappareils, de mise en uvre de schèmes de rationalisation, alors cette opposition tend à devenir floue. Pour reprendre lexemple dont je suis parti, les régimes totalitaires pratiquent des opérations de triage et de sélection particulièrement brutales, notamment lorsque celles-ci sexercent dans lhorizon de la terreur de masse, mais il ny aurait aucun sens à proclamer pour autant que tri et sélection sont des dispositifs intrinsèquement ou potentiellement totalitaires. Les régimes et les sociétés démocratiques ne sont pas moins portés à user de ces routines que les totalitaires, simplement elles en font des usages différents, plus plastiques, ambivalents et discriminés. Mais lessentiel demeure : ce sont les sociétés modernes, antérieurement à tout embranchement historique où le totalitaire se sépare du démocratique et sy oppose, qui mettent en place ces procédures, car elles sont indispensables à son fonctionnement en tant que sociétés de masse, notamment. Qui dit société de masse dit bureaucratie gestionnaire de la masse et de ses activités ; or, triage et sélection sont le B.A.-Ba de laction bureaucratique. Le problème de nos sociétés, que nous échouons constamment à penser jusquau bout, est que lon y extermine comme on y sauve et quainsi sintriquent constamment procédures dentretien ou doptimalisation de la vie et procédures de production de la mort en masse.
Sans doute pouvons-nous identifier ici lune des antinomies les plus flagrantes des sociétés modernes en Occident : celle où sopère la conjonction disjonctive entre le geste de la sélection ou du tri et cette autre opération, non moins inséparable de la condition de modernité, et qui consiste à égaliser et rassembler en dé-singularisant, en dé-hiérarchisant et dé-liant les sujets individuels des conditions dappartenance et des modes de désignation traditionnels. Cette opération de rassemblement ne consiste pas à niveler, elle nest pas seulement distincte de la production de la masse, mais elle sy oppose car elle a pour objet la production de singularités dé-singularisées, cest-à-dire quelle résulte de lopération par laquelle un sujet identifie sa dignité au fait que celle-ci relève dun partage égalitaire, pense sa liberté, sa condition de majorité (etc.) aux conditions de la liberté et de létat de majorité de tous les autres. En ce sens, lantinomie constitutive de la modernité politique est celle qui place en chiens de faïence le quelconque dé-singularisé (le citoyen, lindividu autonome, le sujet raisonnant/raisonnable) et lhomme normal, en tant quhomme de la masse ou du troupeau. Pour que le premier émerge et existe en tant quopérateur de la modernité politique (par opposition à lAncien Régime des castes et ordres), il faut que soit produit sans fin ce geste qui consiste à proclamer légalité de principe (de rassemblement par égalisation) en dépit des disparités manifestes et contre elles. Cest le geste très insolite, qui consiste à établir le principe de la distinction du quelconque. Cette règle qui, seule, donne sens à des énoncés tels que : untel titulaire daucune distinction particulière, par filiation ou attribution, mais cest quelquun. Le fait de nêtre rien ni personne en particulier ne constitue pas un obstacle, en principe, à la possibilité de devenir quelquun, cest-à-dire de se distinguer au moyen de son mérite seul. Cest le paradigme de Jacques ou de Figaro ou de tel porte-parole fugace dun mouvement de sans papiers, de prostituées ou de chômeurs. Une tension infinie sétablit entre lopération du tri qui attribue des places et celle de légalisation par désingularisation qui efface ou brouille les tris et sélections opérés antérieurement. Cest dans ce champ de tension que se forme et devient visible toute espèce de jeu politique moderne. Cest aussi lorsque ce rapport de forces se défait que surgissent, dans nos sociétés, des violences irréductibles à la condition de simples irrégularités, mais enclenchant des processus de décivilisation lorsque, notamment, la dynamique du triage et de la sélection, en tant que pratique de pouvoir, devient à ce point hégémonique et tyrannique quelle rend ineffectuable la métamorphose de lhomme de la masse (lhomme normal) en quelconque imprévisible
Linvention de cette technique du triage des blessés (avec ses critères dévaluation de la gravité des blessures, ses routines, etc.) relève dun principe de rationalisation de la médecine de guerre. Il sagit de sémanciper dune pratique compassionnelle de la médecine, qui porterait à soccuper en priorité des blessés les plus gravement atteints, à soulager dabord ceux qui souffrent le plus, pour sorienter en fonction dun principe defficience maximale, afin de sauver le plus grand nombre de vies en apprenant donc à discriminer rigoureusement le sauvable du non sauvable, ce qui va être pris en charge pour tenter de le faire vivre, malgré tout, de ce qui va être abandonné à la mort. La question de la vie (humaine) nest pas du tout abordée ici dans une optique morale, la vie à conserver, préserver, sauver en tant que « sacrée », ou en tant que vie du « prochain », mais dans celle dun utilitarisme rigoureux sauver le plus grand nombre de vies possible parmi celles qui sont endommagées, car ce sont des vies utiles en tant que vies de combattants. Léthique du médecin de guerre est soumise aux impératifs et aux règles de linstitution militaire. Militaire professionnel ou médecin civil appelé, le médecin aux armées est « mobilisé. Dit autrement : lhumain à traiter, soigner, sauver est ici envisagé en tant que matériau de guerre vivant quil importe de prendre en compte et gérer selon le principe de moindre dépense, dusure minimale. On est bien dans la perspective dun « faire vivre », il sagit bien dune technique destinée à faire vivre le matériau vivant endommagé dans les conditions defficacité maximale, mais dans un contexte où ce faire vivre est indémêlable du « faire mourir » qui est le principe de base de la guerre de masse. Il sagit bien dassurer la survie du plus grand nombre de blessés possible pour les renvoyer à la mort ensuite. Dans les termes dErnst Jünger et de Foucault : la mobilisation totale rend le faire vivre indiscernable du faire mourir. On nest pas du tout ici donc dans le cas de figure dun « ou bien ou bien » (« faire vivre ou laisser mourir »), mais bien dans celui dun « et » et même dun « pour » : faire vivre (ceux dont on estime quon peut les sauver) et laisser mourir les autres. Et : faire vivre les blessés sauvables pour les faire mourir à loccasion de la prochaine offensive.
Ce qui est donc bien clair, ici, cest quil ne faut être toujours très circonspect lorsquon est spontanément porté à attribuer un sens moral ou une valeur morale aux moyens multiples et variés dont se soutient le souci ou la perspective du « faire vivre » dans les sociétés modernes. Ce qui se présente en premier lieu, ce sont des principes et des techniques de rationalisation de la vie de la masse, que ce soit en tant de paix ou en tant de guerre, des principes et des techniques requis par les conditions mêmes de lexercice du pouvoir dans les sociétés modernes.
La technique du triage est ici un peu léquivalent pour les temps de guerre de ce quest celle de la variolisation (qui sinvente au XVIIIe siècle) pour les temps de paix, il sagit de réduire autant que possible, par la mise en place dun dispositif approprié, la déperdition en masse humaine qui senregistre du fait dun facteur mortifère particulier et particulièrement massif : la variole ou les armes de destruction massive modernes. Dans un cas, il sagit de faire diminuer la mortalité infantile due à la variole, dans lautre les morts par infection dues aux blessures par balles, éclats dobus, etc. Dans les deux cas, il sagit de dispositifs de sécurisation : des populations infantiles urbaines, premières victimes de la variole, dans le premier, de la masse des poilus exposée au feu de lennemi dans le second. Dispositifs dune sécurisation toute relative, dans les deux cas, bien entendu.
Ce qui introduit une différence entre les deux figures envisagées ici, cest lopération du tri, de la sélection. Ce qui est intéressant, politiquement, avec la vaccination et ses ancêtres comme la variolisation, cest quelle est à la fois, par excellence, une pratique biopolitique (une technique dentretien de la population, cest-à-dire, sous le regard du pouvoir moderne, du troupeau humain) et un moyen dégalisation sans équivalent : le propre des maladies infectieuses étant dignorer la distinction entre riches et pauvres, de frapper certes en premier lieu ceux qui vivent dans les taudis, mais de ne pas épargner pour autant ni les maisons de maîtres ni les palais, lefficacité de la vaccination aura pour condition première quelle sapplique à tous de la même façon, quelle soit un dispositif général pan-inclusif et égalisateur au sens où son application est exactement la même pour tous et ses effets aussi, puisquelle ne connaît que des corps, des organismes vivants. Face à la tuberculose, les malades du début du XXe siècle ne sont pas égaux, les uns crèveront doucement dans leur coron et les autres, comme le héros de la Montagne magique, tenteront daller se soigner à Davos. Mais il en va de même quand on entre dans le champ de la médecine préventive qui entreprend de repousser les grandes épidémies : il faut prendre en charge une population dans sa totalité, sans reste ni déchet, et on peut voir dans ce dispositif, indifféremment, un joyau de la biopolitique ou un paradigme « décalé » de légalitarisme démocratique : toutes les vies se valent en tant quelles doivent être immunisées contre la variole, la diphtérie et la coqueluche. La vaccination est, de ce point de vue, le geste par excellence qui inclut et rassemble, qui ne connaît ni race ni condition sociale, ni condition de citoyenneté il faut que tous les enfants vivant sur le sol français aient leur carnet de santé et aient, entre 0 et 5 ans, leur programme complet de piqûres de rappel.
Au contraire, la procédure quadopte la médecine de guerre sur les champs de bataille de la Somme et du Chemin des Dames relève un geste clé de la modernité occidentale qui se déploie tout différemment : il consiste à produire de lintelligibilité, de la visibilité, à mettre en uvre des décisions en triant, séparant, discriminant. Il sagit dune part de classer (une activité dont Foucault a montré dans Les Mots et les choses combien elle est une opération de la pensée), donc de passer du chaos à lordre ; dautre part, dagir, de statuer selon que tel individu, telle catégorie, tel corps se verront assigner telle ou telle place à loccasion de ce tri, ils feront lobjet de telle ou telle procédure dans bien des cas, nous le savons, il peut sagir de choix de vie et de mort, de questions de tout ou rien. Le propre de ce geste est dêtre omniprésent dans les topographies modernes, en tant que geste de pouvoir, moyen de penser dagir des pouvoirs. Le propre de ce geste est donc dêtre axiologiquement indéterminable, geste de vie, geste de mort, indifféremment.
Et en effet, rien ne ressemble davantage, du point de vue déterminant qui est celui de la forme de lopération ou de la structure du dispositif, au geste du médecin militaire qui, éventuellement, sauve le blessé orienté vers une unité de soins urgents que celui du SS qui, sur la rampe dAuschwitz, préside à la Selektion destinée à déterminer qui prendra directement le chemin de la chambre à gaz et qui se verra attribuer, en tant que travailleur forcé, esclave concentrationnaire, un sursis, voire une mince chance de survie.
Innombrables sont, bien loin des configurations extrêmes que jévoque ici, les gestes, dispositifs et pratiques de pouvoir qui, dans les sociétés modernes, sont coulées dans cette grande forme du triage parmi les vivants ou de la sélection parmi une population ou une catégorie de population donnée. Et, dans limmense majorité des cas, ces gestes sont loin de revêtir la tournure dramatique qui est la leur dans les exemples que jai cités jusqualors. Pensez par exemple : que seraient nos sociétés sans examens et concours ? Le plus souvent, ces dispositifs sélectifs ne sont associés pour nous à aucune violence, leur normalité, leur banalité tiennent à leur étroite association à la fonctionnalité du système. Toute sa vie durant, lindividu moderne est, dans les sociétés occidentales, soumis à de telles opérations dont certaines ont peu dincidence sur son existence et dautres, au contraire, représentent des points de bifurcation majeurs. Mais aussi bien, nous le voyons lorsque est en jeu le destin de catégories humaines pauvres en droits détenus des prisons, réfugiés, demandeurs dasile, sans papiers, nomades, prostituées, etc. ces dispositifs peuvent être des opérateurs de véritables apartheids, de routines de ségrégation, dexclusion, de proscription, de mise au ban qui sont lenvers inique et inavouable du tant vanté « état de droit » dans les sociétés démocratiques.
Et cest ici que nous rencontrons la « grande idée » de Zygmunt Bauman, qui est celle de la disponibilité de moyens techniques ou de savoir-faire ou de routines, élaborés en tant que vecteurs de la rationalisation politique, administrative, économique, des dispositifs « intelligents », donc et qui en eux-mêmes, dans leur caractère purement machinique ou instrumental, sont neutres. Il ny a rien de violent ni de discriminatoire à « compter à part » le nombre de gauchers ou dobèses qui vivent dans la société française, sil sagit dimaginer des outils ou instruments adaptés au schéma nerveux des premiers et délaborer des régimes alimentaires utiles aux seconds. En revanche, ce quil sagira de penser, ce sont des rencontres, des conjonctions, probables ou improbables, fréquents ou exceptionnels, entre de tels dispositifs associés à la « raison pratique » de nos sociétés dites complexes et des circonstances particulières, des projets spécifiques. Pour résumer et simplifier Bauman, disons ceci : en règle générale, ce nest pas une mauvaise mais une bonne chose que les trains partent à lheure et que la conscience professionnelle des conducteurs de motrices les porte au respect des horaires ils ne font quincarner un peu plus rigoureusement que le commun des mortels cette religion de lexactitude qui est un des traits de nos sociétés, sans oublier lamour, également partagé, du travail bien fait.
Le problème survient le jour où cest un train chargé de déportés qui part à lheure, et livre sa cargaison vaille que vaille; cest-à-dire que le problème surgit là où se produit la rencontre improbable mais néanmoins possible entre lamour du métier du conducteur de motrice, le bon fonctionnement de ladministration ferroviaire et le projet exterminateur des nazis (ou dautres). Ce que nous avons toujours du mal à apprécier, dit Bauman, cest que, dans nos sociétés, les violences les plus massives et dévastatrices ont lieu là où se produit cette synergie entre le plus normal, le plus routinier, voire le plus valorisé comme élément de civilité ou comportement éthique (la conscience professionnelle du cheminot qualifié) et des circonstances ou des acteurs inattendus. Rien de plus banal quun contrôle de passeport sur une frontière : cest une opération routinière de filtrage dont la plupart dentre nous ne redoutons rien et dont nous sortons indemnes. Mais que, pour certains, cette opération se trouve associée à ce dispositif nommé « zone dattente » qui est une sorte de camp de concentration furtif , et les choses changent de tournure : on peut non seulement subir les pires humiliations au cours dune opération de reconduite, mais aussi y laisser sa peau.
Ce qui va donc poser problème, lorsque nous aurons à évaluer les formes de violence contemporaine, à les hiérarchiser, aussi bien dun point de vue analytique quéthique, cest cette intrication du normal et de lextraordinaire, ce caractère a priori indifférencié des dispositifs, procédures et routines qui constituent le soubassement aussi bien de lentretien de la vie, du fonctionnement de la société que dactions de destruction massive ou de processus de décivilisation.
Le problème du conducteur de motrice consciencieux est quil lui suffit de demeurer absolument égal à lui-même, à ses habitudes et à sa constitution éthique en tant que travailleur pour basculer du monde de la vie réglée, normale, vers celui de la criminalité de masse, vers ce que lon nomme aujourdhui volontiers le crime absolu, le génocide. En tant que personne, il nest affecté par aucun mouvement densauvagement, de barbarisation, lorsquil glisse dun monde dans lautre. Au contraire, la condition pour quil devienne linstrument efficace du crime, cest quil demeure entièrement ce civilisé quil est un homme de ponctualité, de respect de sa hiérarchie, damour du travail bien fait. Bauman identifie parfaitement ce point dinversion de la dynamique de la civilisation là où laccomplissement du crime des crimes requiert moins la férocité ou la démesure de monstres que la réserve, la discipline, lautocontrainte, le sérieux, le sang-froid et surtout la compétence de lhomme de la masse de nos sociétés. Comme le dit Bauman, cest précisément parce quils étaient des civilisés et non des sauvages que les Allemands, les Français, etc. ont détourné le regard et nont pas perdu leur réserve infinie dimpassibilité lorsquon a raflé les juifs. Et ce ne sont pas les exemples qui nous manquent pour affirmer que, sur ce plan, le cours de la civilisation sest poursuivi et accéléré. On pourrait nommer cela le désastre de notre condition immunitaire, toujours plus immunitaire : cette incapacité constitutive qui est la nôtre de faire face à lenragement des routines et des dispositifs dentretien de la vie lorsque se présente, ce qui est fréquent, un tel devenir monstrueux du banal ou, pour dire la même chose en espéranto agambénien, lorsque sopère la saisie de la norme et de la règle par la dynamique de lexception. Cette incapacité de quitter nos routines intellectuelles, aussi bien que nos sanctuaires affectifs et moraux, pour enregistrer dans des gestes ou des fonctionnements qui continuent à saccomplir selon des protocoles réglés, le surgissement dune forme ou une autre de létat dexception ; la mise en uvre de violences dont le propre est de saper dautant plus dangereusement lédifice de la civilisation quelles émanent de son plus intime même.
Il nous faut ici faire apparaître le contrechamp nécessaire de la problématique arendtienne. Irrécusable, « indépassable » est, sur un certain plan, lidée selon laquelle les régimes totalitaires portent la marque dune criminalité dun type particulier, dune criminalité qui est la résultante de la combinaison de facteurs comme leffondrement du système politique des Etats-nations en Europe, la massification des sociétés, la montée des idéologies de la race, etc. Cest lidée bien connue selon laquelle le camp de concentration (la violence concentrationnaire) constitue le cur et le condensé du système et de la violence totalitaires. Dans cette perspective, il importe plus que tout de présenter lopposition entre régimes totalitaires et régimes démocratiques comme le fondement de toute perspective de reconstruction de la politique par-delà les mo-ments totalitaires.
Mais, dun autre côté, nous voyons que lorsque nous nous efforçons de penser les pouvoirs modernes non pas en termes dinstitution politique ou de superstructure, didéologie, mais de fonctionnalité de dispositifs ou dappareils, de mise en uvre de schèmes de rationalisation, alors cette opposition tend à devenir floue. Pour reprendre lexemple dont je suis parti, les régimes totalitaires pratiquent des opérations de triage et de sélection particulièrement brutales, notamment lorsque celles-ci sexercent dans lhorizon de la terreur de masse, mais il ny aurait aucun sens à proclamer pour autant que tri et sélection sont des dispositifs intrinsèquement ou potentiellement totalitaires. Les régimes et les sociétés démocratiques ne sont pas moins portés à user de ces routines que les totalitaires, simplement elles en font des usages différents, plus plastiques, ambivalents et discriminés. Mais lessentiel demeure : ce sont les sociétés modernes, antérieurement à tout embranchement historique où le totalitaire se sépare du démocratique et sy oppose, qui mettent en place ces procédures, car elles sont indispensables à son fonctionnement en tant que sociétés de masse, notamment. Qui dit société de masse dit bureaucratie gestionnaire de la masse et de ses activités ; or, triage et sélection sont le B.A.-Ba de laction bureaucratique. Le problème de nos sociétés, que nous échouons constamment à penser jusquau bout, est que lon y extermine comme on y sauve et quainsi sintriquent constamment procédures dentretien ou doptimalisation de la vie et procédures de production de la mort en masse.
Sans doute pouvons-nous identifier ici lune des antinomies les plus flagrantes des sociétés modernes en Occident : celle où sopère la conjonction disjonctive entre le geste de la sélection ou du tri et cette autre opération, non moins inséparable de la condition de modernité, et qui consiste à égaliser et rassembler en dé-singularisant, en dé-hiérarchisant et dé-liant les sujets individuels des conditions dappartenance et des modes de désignation traditionnels. Cette opération de rassemblement ne consiste pas à niveler, elle nest pas seulement distincte de la production de la masse, mais elle sy oppose car elle a pour objet la production de singularités dé-singularisées, cest-à-dire quelle résulte de lopération par laquelle un sujet identifie sa dignité au fait que celle-ci relève dun partage égalitaire, pense sa liberté, sa condition de majorité (etc.) aux conditions de la liberté et de létat de majorité de tous les autres. En ce sens, lantinomie constitutive de la modernité politique est celle qui place en chiens de faïence le quelconque dé-singularisé (le citoyen, lindividu autonome, le sujet raisonnant/raisonnable) et lhomme normal, en tant quhomme de la masse ou du troupeau. Pour que le premier émerge et existe en tant quopérateur de la modernité politique (par opposition à lAncien Régime des castes et ordres), il faut que soit produit sans fin ce geste qui consiste à proclamer légalité de principe (de rassemblement par égalisation) en dépit des disparités manifestes et contre elles. Cest le geste très insolite, qui consiste à établir le principe de la distinction du quelconque. Cette règle qui, seule, donne sens à des énoncés tels que : untel titulaire daucune distinction particulière, par filiation ou attribution, mais cest quelquun. Le fait de nêtre rien ni personne en particulier ne constitue pas un obstacle, en principe, à la possibilité de devenir quelquun, cest-à-dire de se distinguer au moyen de son mérite seul. Cest le paradigme de Jacques ou de Figaro ou de tel porte-parole fugace dun mouvement de sans papiers, de prostituées ou de chômeurs. Une tension infinie sétablit entre lopération du tri qui attribue des places et celle de légalisation par désingularisation qui efface ou brouille les tris et sélections opérés antérieurement. Cest dans ce champ de tension que se forme et devient visible toute espèce de jeu politique moderne. Cest aussi lorsque ce rapport de forces se défait que surgissent, dans nos sociétés, des violences irréductibles à la condition de simples irrégularités, mais enclenchant des processus de décivilisation lorsque, notamment, la dynamique du triage et de la sélection, en tant que pratique de pouvoir, devient à ce point hégémonique et tyrannique quelle rend ineffectuable la métamorphose de lhomme de la masse (lhomme normal) en quelconque imprévisible
Bibliographie
Zygmunt Bauman : Modernité et Holocauste (La Fabrique, 2002).
Hans-Magnus Enzensberger : Aussichten auf den Bürgerkrieg (Suhrkamp, 1996).
Zygmunt Bauman : Modernité et Holocauste (La Fabrique, 2002).
Hans-Magnus Enzensberger : Aussichten auf den Bürgerkrieg (Suhrkamp, 1996).