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Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
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© Passant n°44 [avril 2003 - mai 2003]
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Notes historiques sur les favelas de Rio


L’histoire de l’origine des favelas s’est longtemps résumée au récit de l’occupation, à la fin du XXe siècle, des collines proches du centre-ville de Rio de Janeiro. Toutefois, afin de comprendre la formation des favelas, il est nécessaire de garder à l’esprit que les transformations urbaines se produisent lentement et que, lorsqu’elles sont perçues, elles révèlent des processus qui matérialisent des tendances depuis longtemps latentes. Il convient donc ici de s’attarder sur le moment historique qui a précédé ce surgissement.



Les premières manifestations de la crise de l’habitat à Rio de Janeiro remontent au milieu du XIXe siècle, quand s’annoncent d’importantes transformations d’ordre éco-nomique, social, politique, culturel et spatial – l’abolition de l’esclavage, la chute de l’Empire et la proclamation de la République, le déclin de la caféiculture, les migrations, l’urbanisation et l’industrialisation.

Dans ce contexte, la zone centrale, où la vie urbaine est en effervescence, voit affluer des pauvres en quête de moyens de survie. C’est dans le centre-ville que va se multiplier l’habitat destiné à les abriter : les cortiços, des habitations précaires à loyer réduit, surpeuplées et abritant 20 à 25% de la population. Diverses mesures hygiéniques et administratives sont prises pour éliminer les cortiços : prohibition de leur construction, démolition et substitution par des cités ouvrières salubres au loyer modeste. Mais le prix d’occupation de celles-ci s’avére prohibitif pour les classes pauvres, qui restent confinées dans les cortiços de la zone centrale jusqu’à ce que la Réforme Urbaine de 1902-1906 les en expulse brutalement.

La première intervention urbaine réalisée à Rio de Janeiro donne ainsi le coup d’envoi à sa restructuration, redéfinissant le centre et les zones résidentielles riches et pauvres. En quatre années, le renouvellement urbain efface définitivement son ancienne image de ville esclavagiste. L’en-semble des opérations d’assainissement, de restructuration du port et du système de circulation conduit de fait à une modernisation de la ville.

En raison de la fièvre édificatrice et de la brutale valorisation du sol urbain découlant de la dite Ère des démolitions, le centre ne pouvait déjà plus abriter les populations pauvres.

Expulsés de la zone centrale et placés financièrement dans l’impossibilité de s’installer dans des zones distantes du centre, les plus démunis sont conduits à investir les collines proches de celui-ci. Sur les mornes, qui abritaient déjà des vestiges d’habitations rustiques dès les années 1860, on voit ainsi se dessiner les premières favelas. On peut donc établir l’existence d’un lien causal entre l’émergence de cette nouvelle forme d’habitat populaire et l’action de l’Etat. Et le paradoxe réside dans le fait que ces favelas – conséquence de la politique hygiéniste – présentent des conditions d’insalubrité et de promiscuité plus désastreuses que celles de l’habitat qu’elle visait à assainir et discipliner.

Après la mise en place de la réforme urbaine, et bien qu’elle ait mis fin aux préoccupations relatives aux cortiços, (rapidement disparus du centre), les contradictions de l’espace urbain carioca s’aggravent. La rénovation du centre-ville continue d’en expulser les plus pauvres tandis que l’embellissement de l’élégante zone sud continue d’attirer les investisseurs au détriment de la zone nord (des classes moyennes) et surtout de la zone suburbaine (du prolétariat). Ce nouveau type d’habitat, les favelas, se répand rapidement sur les terrains inoccupés, aux titres de propriété douteux et/ou sans intérêt pour les promoteurs immobiliers.

Bien que perçues comme un problème social et esthétique, les favelas s’étendent et se multiplient en raison de la décadence de l’agriculture et de l’industrialisation, engendrant d’intenses mouvements migratoires en direction des villes. Les pouvoirs publics n’ont guère réagi face à ces migrations, dans la mesure où l’accroissement de la main-d’œuvre bon marché s’avère nécessaire pour une industrie en plein essor. Les terrains occupés par les favelas sont par ailleurs publics, peu valorisés, et ces dernières sont vues comme des réservoirs d’électeurs, et donc comme intouchables.

La période où les favelas prolifèrent le plus est celle des années 1940. C’est à cette époque, après les élections de 1947 où elles ont apporté un soutien marqué aux candidats communistes, que le gouvernement en est venu à se soucier de l’habitat populaire, organisant le premier recensement de leurs habitants. C’est là la reconnaissance officielle par l’Etat de leur existence. On compte alors 119 favelas abritant 14% de la population de la ville, dont la majorité travaille dans l’industrie (zones nord et suburbaine), la construction civile et les services domestiques (zone sud)1.

Ainsi, les favelas deviennent un objet d’études et le thème de divers débats. C’est seulement vers le milieu du XXe siècle qu’est de nouveau problématisée la question de l’habitat populaire, avec en principale ligne de mire les favelas. Ce modèle d’habitation auto-produit se caractérise par son illégalité en termes juridiques et son irrégularité en termes urbanistiques, outre sa précarité et son insalubrité. Et dès lors qu’on ne peut plus la nier, son existence est perçue comme une « plaie » à extirper, et ses habitants comme étant à déplacer.

Bien que l’activité industrielle se soit concentrée à São Paulo et que la capitale fédérale ait été transférée à Brasília, Rio de Janeiro continue d’attirer des flux migratoires. La ville connaît une prolifération accrue des favelas. Cependant, à mesure que s’épuisent les espaces disponibles au sein du tissu urbain, les populations de bas revenus se voient dans l’obligation de s’installer dans des périphéries de plus en plus distantes où, à partir des années 50, se multiplient les lotissements populaires sans infrastructures urbanistiques, d’accès difficile et bon marché.

A l’époque de la dictature militaire (après 1964), la politique urbaine se montre très répressive : de nombreuses favelas sont rasées, notamment dans la riche zone sud, et leurs habitants en sont expulsés pour être relogés dans des ensembles habitationnels modernistes construits en périphérie, très loin du marché du travail. Cependant, n’ayant pu s’adapter à leurs nouveaux logements, une large partie d’entre eux rejoignent leurs anciennes favelas ou vont en créer de nouvelles.

A la fin des années 80, avec le processus d’ouverture politique et la fin de la dictature militaire, les politiques de l’habitat deviennent moins autoritaires. Ce n’est qu’après la redémocratisation du pays que les propositions d’urbanisation, réclamées depuis longtemps par les favelados, sont incorporées aux politiques officielles. Dorénavant, ces derniers sont considérés comme des travailleurs et non plus simplement en tant que marginaux, et la favela commence à être perçue comme le résultat du développement industriel et d’une croissance urbaine rapide et non planifiée.

Paradoxalement, bien que, dans les années 80, la croissance démographique commence à se stabiliser dans le pays, la population des favelas continue à s’accroître durant cette même période. La pauvreté urbaine s’étend non plus en raison des migrations rurales, mais de la paupérisation des travailleurs urbains que le processus inflationniste ne fait qu’aggraver. Malgré l’expansion des périphéries, la croissance des favelas ne cesse pas.

De fait, d’autres pratiques, tendances et modèles, apparaissent en termes d’habitat populaire. Après la période de la répression, surgissent les nouvelles favelas, fruit d’occupations collectives, organisées et planifiées de terrains vacants dans le noyau métropolitain. De nouvelles favelas qui s’installent dans des zones de plus en plus éloignées. Des agglomérats de favelas se forment ainsi : en même temps que certaines s’étendent, se reliant entre elles et constituant des en-sembles élargis, d’autres aux bicoques plus précaires encore s’établissent dans des zones sujettes aux inondations, aux glissements de terrain, sur d’étroites bandes de terre situées le long des voies publiques, rivières et canaux, et sous les viaducs et les voies de circulation surélevées. Avec la valorisation des immeubles et le développement du marché immobilier dans les favelas, les habitants les plus pauvres cédent la place à une classe moyenne de plus en plus paupérisée, tandis que les anciennes favelas se densifient et se verticalisent. A côté de ces favelas de rue, on voit apparaître toute une population démunie de toit, révélant l’une des facettes les plus criantes de la crise et de la pauvreté de ce qu’on a appelé la décennie perdue.

A la fin des années 80, on estime à un demi-million le nombre de personnes vivant dans les périphéries et à un million celui des personnes résidant dans les 545 favelas de la ville. Mais dans les années 90, les nouvelles formes d’habitat populaire stigmatisent la difficulté accrue d’habiter la métropole. Il est vrai que la taille réelle des populations habitant les favelas est largement controversée, mais en 2000, si certains auteurs l’estiment à plus d’un milllion2, d’autres l’évaluent à deux millions3 sur les 5 851 914 habitants que compte alors la commune.

De nouvelles réponses sont apportées face à cette situation. C’est finalement en 94 que commence l’urbanisation systématique des favelas à travers le programme Favela-Bairro, qui consiste à les transformer en quartiers. Leur démolition et le déplacement de leurs occupants vers des zones éloignées semblent être aujourd’hui des idées du passé. Désormais, le droit à l’urbanisation apparaît comme un droit incontestable.

Malgré le grand nombre de travaux menés sur les favelas, leur dimension culturelle, qui inclut l’aspect architectonique, a été jusqu’à présent largement négligée par les chercheurs. Aujourd’hui, avec la systématisation de leur urbanisation, surgit un nouveau problème, dans la mesure où nous, architectes et urbanistes, n’avons pas été formés pour travailler sur les favelas et où, le plus souvent, nous méconnaissons l’architecture de ces communautés. Nous nous retrouvons sur le terrain face à un univers spatio-temporel complètement différent de celui auquel nous étions habitués. En outre, les caractéristiques culturelles propres aux favelas rendent leur espace très difficile à appréhender formellement. La question n’est déjà plus de savoir s’il faut les démolir ou les urbaniser, mais comment les urbaniser. Tel est aujourd’hui notre grand défi quant au devenir des favelas cariocas.



Paola Berenstein Jacques*

et Lilian Fessler Vaz**

* UFBA.
** UFRJ, CNPQ.
(1) Cf. VIIe Recensement Général du Brésil.
(2) Rio de Janeiro (2002).
(3) França, E. et Bayeux, G. (2002).

Bibliographie

Abreu M., « Reconstruire une histoire oubliée – Origine et expansion initiale des favelas de Rio de Janeiro », in Genèses 16, Paris, juin 1994.
Abreu M. et Vaz L. F., « Sobre as origens da favela ». Anais do IV ENANPUR, Salvador, 1991.
Berenstein-Jacques P., Les favelas de Rio, un enjeu culturel, Paris, L’ Harmattan, 2001.
França E. et Bayeux G., « A cidade como integração dos bairros e espaços de habitação », In Favelas Upgrading. São Paulo, Bienal de São Paulo / Biennale di Venezia, 2002.
Rio de Janeiro, Evolução da população de favelas da cidade do Rio de Janeiro. Prefeitura da Cidade do Rio de Janeiro, 2002.
Valladares L. P., Repensando a habitação no Brasil, Rio de Janeiro : Zahar, 1983.
Vaz L.F., Modernidade e moradia. A habitação coletiva no Rio de Janeiro. Rio de Janeiro, 7 Letras/FAPERJ, 2002.

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