Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°44 [avril 2003 - mai 2003]
© Passant n°44 [avril 2003 - mai 2003]
par Vincent Houillon
Imprimer l'articleLa ban-lieue de la vie sacrée
Je ne vis pas en banlieue. Ce trait biographique mexclut-il du droit à la parole concernant la banlieue ? Mexclut-il de la réalité de la vie en banlieue ? Cest justement de la vie, de lexclusion de la vie et de son exposition au droit dont il sera question dans ce texte en quête dun certain sens politique de la banlieue. La banlieue est liée à la ville (polis), à la limite de la ville, selon un lien quil sagit dinterroger mais qui annonce demblée que la banlieue est une question éminemment et originairement politique.
La question de la banlieue, et de ce quelle est, nest pas une question parmi dau-tres de la politique en général, nest pas seulement ce à quoi tend de la restreindre la vision politique de lEtat qui la cantonne à la « politique de la ville », en lui déniant même le nom de « banlieue », mais elle interroge en retour le sens aujourdhui de la politique et de la démocratie. « La question dune politique démocratique de la ville doit toujours commencer par la grave question : Que veut dire banlieue ? »1. La banlieue est le lieu où se déclare véritablement le sens de la politique, où le politique déclare sa vérité. Elle nest pas une simple réalité mais le lieu exemplaire de lespace politique dans lequel sinscrivent les vies qui se vivent comme laissées à labandon, abandonnées par les pouvoirs publics. Mais cette puissance dabandon est elle-même constitutive du pouvoir : la banlieue est le lieu de la manifestation de la souveraineté de lEtat abandonnant la vie à elle-même tout en la réduisant à lobjet de sa puissance souveraine.
Se présentant de cette manière, la question de la banlieue sinscrit délibérément dans la perspective dune analyse biopolitique au sens réélaboré par le philosophe italien Giorgio Agamben à la suite de Michel Foucault. Chez Foucault, le concept de biopolitique désigne la prise en charge de la vie par les institutions sociales et étatiques à travers les politiques de la population et de la santé. Chez Agamben, il exprime le rapport essentiel de la politique et de la vie. La souveraineté porte la trace dune duplicité fondamentale ; dune part, elle est configuration de la vie en fonction didéalités comme celle de la citoyenneté, transformation de la vie en vie protégée par le droit (bios) ; dautre part, et indissociablement, elle est puissance dexception, capacité à suspendre le droit et les formes de vie normalisées, pouvoir de défiguration des vies protégées par le droit (bios) dans la réduction à la vie nue (zoè), informe et ex-posée ainsi hors de lidéalité normative. Ces deux aspects sont indissociables, car cest toujours sur le pouvoir dexception que repose lordre juridique et par là-même la puissance de configuration du « citoyen » et de défiguration de la vie nue rendue à elle-même2.
Peut-on penser la banlieue de manière biopolitique, en avançant que la banlieue manifeste la suspension souveraine du droit ? Quelques remarques dAgamben y autorisent depuis la comparaison quil opère avec le camp, espace dexception quil institue en paradigme de la politique contemporaine3 : « Mais aussi certaines banlieues des grandes villes post-industrielles et, dans un sens inverse, mais homologue, celles quon appelle aux Etats-Unis des gated communities commencent aujourdhui aussi à ressembler à des camps où vie nue et vie politique entrent, du moins à des moments bien précis, dans une zone dindétermination »4 ou encore « le camp comme localisation disloquante est la matrice secrète de la politique dans laquelle nous vivons toujours, que nous devons apprendre à reconnaître à travers toutes ses métamorphoses, dans les zones dattente de nos aéroports comme dans les banlieues de nos villes »5 La banlieue peut se comprendre alors comme le lieu de lexception souveraine et de labandon de la vie nue laissée à elle-même quAgamben nomme la vie sacrée de lhomo sacer. Provenant du droit romain archaïque, la figure défigurée de lhomo sacer est celle de lhomme vivant quon peut mettre à mort sans être saisi par le droit comme un meurtrier et dont la mort ne peut faire lobjet dun rituel sacrificiel : il est le vivant quon peut tuer sans léser le droit qui protège le citoyen, mais dont la vie ne peut être offerte comme sacrifice sublime. Déployant ensuite une analyse du ban, auquel létymologie de la banlieue nous renvoie, Agamben écrit « le ban est à proprement parler la force, à la fois attractive et répulsive, qui lie les deux pôles de lexception souveraine : la vie nue et le pouvoir, lhomo sacer et le souverain.[ ] Cest cette structure de ban que lon doit apprendre à reconnaître dans les relations politiques et dans les espaces publics où nous vivons encore. Lespace du ban la ban-lieue de la vie sacrée est, dans la cité, plus intime encore que tout dedans et plus extérieur que tout dehors. Elle est le nomos souverain qui conditionne toutes les autres normes, la spatialisation originaire qui rend possibles et qui gouverne toute localisation et toute assignation de territoire. »6. La puissance de la loi est indissociable de sa capacité à décider que certains individus ne méritent pas dêtre protégés par elle, et toujours plus, la puissance de la loi prend la forme de cette puissance dexception, dabandon. Et précisément, la banlieue est constituée par un certain abandon, labandon du pouvoir souverain et de la loi : la loi sy abandonne dans un état dexception. La loi protectrice des corps dans la figuration citoyenne sabandonne à labsence de protection, à la défiguration de la vie dé-nudée, abandonnée à elle-même. Non pas parce que la loi serait impuissante à y régner, non pas par absence dintérêt ou par capitulation, mais au contraire parce que cet abandon nest que le revers de la puissance de la loi. Aussi prend-il la forme dune emprise souveraine sur la vie ainsi abandonnée La banlieue est la part suspendue de la souveraineté.
Ainsi la banlieue apparaît-elle sous la forme de létat dexception, comme espace dexception. Quil suffise de rappeler lexception de la civilité (brutalités policières, les prérogatives policières abusives), lexception aux règles de la mobilité sociale de lEtat social (la panne de lascenseur social se répétant dans la panne des ascenseurs), lexception au droit social7, lexception de la mobilité géographique (communautarisme ethnique) et urbaine (ghetto) et lexception au processus dintégration dun Etat républicain universaliste. La banlieue est le lieu de lexception souveraine du droit que lon reconnaît et méconnaît dans lexpression commune dune zone de non-droit. Mais si elle est une « zone de non-droit », cest quelle est alors lenvers de la souveraineté qui mime la monopolisation de la violence par lEtat : elle conteste moins le monopole de la violence de lEtat quelle nest plutôt le miroir du micro-pouvoir de la souveraineté anonyme et démocratique exercé par les agents ou fonctionnaires de lEtat. Et la volonté déclarée de faire entrer le droit dans les prétendues zones de non-droit de lEtat, selon le discours policier ou le discours universaliste républicains, de même que la demande de protection et de sécurité des habitants de la banlieue à lencontre des délinquants quelle produit en son sein (dans une sorte de réaction dauto-immunité du corps dune vie nue qui se divise encore elle-même) sont aveugles à lorigine et à la genèse de la banlieue comme zone de suspension du droit où lEtat manifeste son pouvoir souverain, où lEtat, à peu de frais, manifeste sa fonction étatique et son pouvoir de souveraineté. La « bavure » en constitue une trace visible et surexposée8 : elle nest pas un simple accident mais lexposition de la vie nue du « sauvageon », dont on a suspendu la détermination « citoyenne », à lintervention policière souveraine.
La pensée dAgamben conduit à voir dans la banlieue le modèle même de ce quest la politique aujourdhui : la banalisation. Lindice de cette banalisation du devenir-banlieue de la vie politique est le nom que revêt aujourdhui la banlieue : « la cité ». « La cité, aujourdhui, désigne un ensemble dimmeubles de banlieue, avec son territoire et ses repères, loin du centre-ville et loin de la ville elle-même, morceau de ville distancié de la ville, détaché comme un iceberg à la dérive, flottant sur un océan incertain. »9. Et si la cité était le nom de la ville comme lieu politique, peut-être faudrait-il également parler de devenir-banlieue de la ville. Cette banalisation de la ville elle aussi est visible, comme par exemple dans la création, la prolongation des Zones franches urbaines (ZFU) et leur extension en un grand projet de ville (GPV, comme celui de la métropole lilloise) : la politique de la ville, nom de laction politique de lEtat en vue de réorganiser et dadministrer les banlieues, retourne à la ville banalisée ; la ville et son centre sapprêtant à être recouvertes par les mêmes dispositions dexceptions des zones franches de banlieues10. Cest la grande ville, les centres-villes et la ville en son centre qui se voient régis par les dérogations économiques des banlieues : la politique économique de la banlieue devenant le paradigme de la politique de la ville. Si ce retournement indique lui aussi que lexception est devenue la règle, est-ce parce que les citoyens que nous sommes aujourdhui ne sont rien dautres que des « banlieusards » sacrés potentiels11 ?
Banalisation La banlieue est sa simple réalité nue : la réalité mise à nue et abandonnée par lidéalité des formes de vies normalisées. Doù ce sentiment de souffrance de la vie en banlieue laissée elle-même à sa seule réalité, dépouillée de sa sublimation idéalisante.
Banalisation : extension généralisée de la banlieue comme paradigme de nos vies « citoyennes ». Agamben nous suggère quelle est le processus accompagnant la souveraineté. Ne nous reste-il pas à penser une résistance à la souveraineté et à la banalisation ? Que serait une exception à lexception souveraine du droit ? Peut-être la justice ? La justice inconditionnelle distinguée du droit, ouvrant le juridique et la politique de la banlieue : la justice en banlieue au-delà du ban du droit.
Aujourdhui, lexception est la règle : je ne vis pas en banlieue. Nous vivons tous en banlieue.
La question de la banlieue, et de ce quelle est, nest pas une question parmi dau-tres de la politique en général, nest pas seulement ce à quoi tend de la restreindre la vision politique de lEtat qui la cantonne à la « politique de la ville », en lui déniant même le nom de « banlieue », mais elle interroge en retour le sens aujourdhui de la politique et de la démocratie. « La question dune politique démocratique de la ville doit toujours commencer par la grave question : Que veut dire banlieue ? »1. La banlieue est le lieu où se déclare véritablement le sens de la politique, où le politique déclare sa vérité. Elle nest pas une simple réalité mais le lieu exemplaire de lespace politique dans lequel sinscrivent les vies qui se vivent comme laissées à labandon, abandonnées par les pouvoirs publics. Mais cette puissance dabandon est elle-même constitutive du pouvoir : la banlieue est le lieu de la manifestation de la souveraineté de lEtat abandonnant la vie à elle-même tout en la réduisant à lobjet de sa puissance souveraine.
Se présentant de cette manière, la question de la banlieue sinscrit délibérément dans la perspective dune analyse biopolitique au sens réélaboré par le philosophe italien Giorgio Agamben à la suite de Michel Foucault. Chez Foucault, le concept de biopolitique désigne la prise en charge de la vie par les institutions sociales et étatiques à travers les politiques de la population et de la santé. Chez Agamben, il exprime le rapport essentiel de la politique et de la vie. La souveraineté porte la trace dune duplicité fondamentale ; dune part, elle est configuration de la vie en fonction didéalités comme celle de la citoyenneté, transformation de la vie en vie protégée par le droit (bios) ; dautre part, et indissociablement, elle est puissance dexception, capacité à suspendre le droit et les formes de vie normalisées, pouvoir de défiguration des vies protégées par le droit (bios) dans la réduction à la vie nue (zoè), informe et ex-posée ainsi hors de lidéalité normative. Ces deux aspects sont indissociables, car cest toujours sur le pouvoir dexception que repose lordre juridique et par là-même la puissance de configuration du « citoyen » et de défiguration de la vie nue rendue à elle-même2.
Peut-on penser la banlieue de manière biopolitique, en avançant que la banlieue manifeste la suspension souveraine du droit ? Quelques remarques dAgamben y autorisent depuis la comparaison quil opère avec le camp, espace dexception quil institue en paradigme de la politique contemporaine3 : « Mais aussi certaines banlieues des grandes villes post-industrielles et, dans un sens inverse, mais homologue, celles quon appelle aux Etats-Unis des gated communities commencent aujourdhui aussi à ressembler à des camps où vie nue et vie politique entrent, du moins à des moments bien précis, dans une zone dindétermination »4 ou encore « le camp comme localisation disloquante est la matrice secrète de la politique dans laquelle nous vivons toujours, que nous devons apprendre à reconnaître à travers toutes ses métamorphoses, dans les zones dattente de nos aéroports comme dans les banlieues de nos villes »5 La banlieue peut se comprendre alors comme le lieu de lexception souveraine et de labandon de la vie nue laissée à elle-même quAgamben nomme la vie sacrée de lhomo sacer. Provenant du droit romain archaïque, la figure défigurée de lhomo sacer est celle de lhomme vivant quon peut mettre à mort sans être saisi par le droit comme un meurtrier et dont la mort ne peut faire lobjet dun rituel sacrificiel : il est le vivant quon peut tuer sans léser le droit qui protège le citoyen, mais dont la vie ne peut être offerte comme sacrifice sublime. Déployant ensuite une analyse du ban, auquel létymologie de la banlieue nous renvoie, Agamben écrit « le ban est à proprement parler la force, à la fois attractive et répulsive, qui lie les deux pôles de lexception souveraine : la vie nue et le pouvoir, lhomo sacer et le souverain.[ ] Cest cette structure de ban que lon doit apprendre à reconnaître dans les relations politiques et dans les espaces publics où nous vivons encore. Lespace du ban la ban-lieue de la vie sacrée est, dans la cité, plus intime encore que tout dedans et plus extérieur que tout dehors. Elle est le nomos souverain qui conditionne toutes les autres normes, la spatialisation originaire qui rend possibles et qui gouverne toute localisation et toute assignation de territoire. »6. La puissance de la loi est indissociable de sa capacité à décider que certains individus ne méritent pas dêtre protégés par elle, et toujours plus, la puissance de la loi prend la forme de cette puissance dexception, dabandon. Et précisément, la banlieue est constituée par un certain abandon, labandon du pouvoir souverain et de la loi : la loi sy abandonne dans un état dexception. La loi protectrice des corps dans la figuration citoyenne sabandonne à labsence de protection, à la défiguration de la vie dé-nudée, abandonnée à elle-même. Non pas parce que la loi serait impuissante à y régner, non pas par absence dintérêt ou par capitulation, mais au contraire parce que cet abandon nest que le revers de la puissance de la loi. Aussi prend-il la forme dune emprise souveraine sur la vie ainsi abandonnée La banlieue est la part suspendue de la souveraineté.
Ainsi la banlieue apparaît-elle sous la forme de létat dexception, comme espace dexception. Quil suffise de rappeler lexception de la civilité (brutalités policières, les prérogatives policières abusives), lexception aux règles de la mobilité sociale de lEtat social (la panne de lascenseur social se répétant dans la panne des ascenseurs), lexception au droit social7, lexception de la mobilité géographique (communautarisme ethnique) et urbaine (ghetto) et lexception au processus dintégration dun Etat républicain universaliste. La banlieue est le lieu de lexception souveraine du droit que lon reconnaît et méconnaît dans lexpression commune dune zone de non-droit. Mais si elle est une « zone de non-droit », cest quelle est alors lenvers de la souveraineté qui mime la monopolisation de la violence par lEtat : elle conteste moins le monopole de la violence de lEtat quelle nest plutôt le miroir du micro-pouvoir de la souveraineté anonyme et démocratique exercé par les agents ou fonctionnaires de lEtat. Et la volonté déclarée de faire entrer le droit dans les prétendues zones de non-droit de lEtat, selon le discours policier ou le discours universaliste républicains, de même que la demande de protection et de sécurité des habitants de la banlieue à lencontre des délinquants quelle produit en son sein (dans une sorte de réaction dauto-immunité du corps dune vie nue qui se divise encore elle-même) sont aveugles à lorigine et à la genèse de la banlieue comme zone de suspension du droit où lEtat manifeste son pouvoir souverain, où lEtat, à peu de frais, manifeste sa fonction étatique et son pouvoir de souveraineté. La « bavure » en constitue une trace visible et surexposée8 : elle nest pas un simple accident mais lexposition de la vie nue du « sauvageon », dont on a suspendu la détermination « citoyenne », à lintervention policière souveraine.
La pensée dAgamben conduit à voir dans la banlieue le modèle même de ce quest la politique aujourdhui : la banalisation. Lindice de cette banalisation du devenir-banlieue de la vie politique est le nom que revêt aujourdhui la banlieue : « la cité ». « La cité, aujourdhui, désigne un ensemble dimmeubles de banlieue, avec son territoire et ses repères, loin du centre-ville et loin de la ville elle-même, morceau de ville distancié de la ville, détaché comme un iceberg à la dérive, flottant sur un océan incertain. »9. Et si la cité était le nom de la ville comme lieu politique, peut-être faudrait-il également parler de devenir-banlieue de la ville. Cette banalisation de la ville elle aussi est visible, comme par exemple dans la création, la prolongation des Zones franches urbaines (ZFU) et leur extension en un grand projet de ville (GPV, comme celui de la métropole lilloise) : la politique de la ville, nom de laction politique de lEtat en vue de réorganiser et dadministrer les banlieues, retourne à la ville banalisée ; la ville et son centre sapprêtant à être recouvertes par les mêmes dispositions dexceptions des zones franches de banlieues10. Cest la grande ville, les centres-villes et la ville en son centre qui se voient régis par les dérogations économiques des banlieues : la politique économique de la banlieue devenant le paradigme de la politique de la ville. Si ce retournement indique lui aussi que lexception est devenue la règle, est-ce parce que les citoyens que nous sommes aujourdhui ne sont rien dautres que des « banlieusards » sacrés potentiels11 ?
Banalisation La banlieue est sa simple réalité nue : la réalité mise à nue et abandonnée par lidéalité des formes de vies normalisées. Doù ce sentiment de souffrance de la vie en banlieue laissée elle-même à sa seule réalité, dépouillée de sa sublimation idéalisante.
Banalisation : extension généralisée de la banlieue comme paradigme de nos vies « citoyennes ». Agamben nous suggère quelle est le processus accompagnant la souveraineté. Ne nous reste-il pas à penser une résistance à la souveraineté et à la banalisation ? Que serait une exception à lexception souveraine du droit ? Peut-être la justice ? La justice inconditionnelle distinguée du droit, ouvrant le juridique et la politique de la banlieue : la justice en banlieue au-delà du ban du droit.
Aujourdhui, lexception est la règle : je ne vis pas en banlieue. Nous vivons tous en banlieue.
* Philosophe.
(1) Jacques Derrida, Voyous, Galilée, 2003, p. 99.
(2) Agamben reprend ainsi la définition du juriste allemand Carl Schmitt, penseur de la radicalité de la politique échouée dans le nazisme, pour lequel le souverain est celui qui décide concrètement de lexception et de la suspension du droit. La souveraineté prend la forme dune décision sur lexception « dans laquelle le droit se réfère à la vie et linclut en lui à travers sa propre suspension. » (Homo sacer, Le pouvoir souverain et la vie nue, Seuil, 1997, p. 33).
(3) « Quest-ce quun camp ? », Moyens sans fins, Notes sur la politique, Ed. Payot et Rivages, 2002, p. 50)
(4) Ibid., p. 53.
(5) Ibid., p. 54-55. Ce passage est repris dans Homo sacer dont la traduction fait disparaître la banlieue au profit de la « périphérie », y rappelant le lien intime de la ville et de la banlieue rejetée hors de la ville en tant que jetée à la vie : « comme dans certaines périphéries de nos villes », Homo sacer, p. 189. Mais la banlieue nest pas la simple périphérie de la ville, mais est dans ville au sens où elle est et a toujours été de la ville. La banalisation de la ville y trouve son origine et comme sa condition de possibilité historique.
(6) Homo sacer, p. 121-122.
(7) Ne serait-ce pas ce que Loïc Waquant désigne par la « démission de lEtat social (et économique) » et le « renforcement de lEtat pénal dans les quartiers anciennement ouvriers sacrifiés sur lautel de la modernisation du capitalisme français » dans Les prisons de la misère, Raisons dagir,1999, p. 63.
(8) La bavure est une opération policière dans une zone de non-droit infestée de « sauvageons » quil sagit de civiliser en reconquérant le territoire ou en le recolonisant (et il est aisé de reconnaître dans la colonisation un état dexception à outrance), en redressant les « jeunes de banlieues » identifiés au jeune dorigine étrangère, maghrébine ou musulmane (Il y aurait peut-être là une autre figure du Musulman dont parle Agamben dans Ce qui reste dAuschwit : ce terme désignait les déportés qui avaient atteint un stade terminal dapathie dans les camps dextermination nazis, déporté mort dans la vie, exemplaire sans exemplarité du témoin intégral qui ne peut plus témoigner selon la réflexion dAgamben). La bavure policière est la trace laissée au lieu même de la jonction entre lespace normatif et lespace dexception, elle est le symptôme de ce qui coule au lieu où ça dis-jointe, où « ça dis-joncte » !.
(9) Jean-Luc Nancy, La ville au loin, Ed. Mille et une nuits, 1999, p. 44. Ce texte, qui est une merveilleuse méditation de la ville à partir de Los Angeles, mériterait une longue discussion avec la thèse élaborée depuis la réflexion dAgamben tant Nancy y insiste sur la cooriginarité de la ville et de la banlieue, sans la relier à un « état dexception », invitant à penser une banlieue avant la banlieue : « La ville na-t-elle pas toujours mis en oeuvre, avec la volonté du centre, du rassemblement, une violence sourde déclatement, de décentrement dans le rejet ou dans lindifférence ? Ne sest-elle pas toujours rejetée delle-même, créant sa banlieue (son sub-urb ), sa banalisation du lieu avant même de la disposer en périphérie, faubourg, fortifs, périphs, zones commerciales artisanales, à urbaniser, à scolariser, zones franches dimpôt, etc. ? »( ibid., p. 16-17).
(10) Cf. Le Monde du lundi 13 janvier 2003, « Le Nord-Pas-de-Calais apprécie ses zones franches » qui relate la proposition par les maires du GPV de la métropole lilloise de la création dune vaste zone franche de nouvelle génération, expérimentale, étendue à lensemble du territoire du GPV.
(11) Sinquiétant de la multiplication des dérogations au droit commun dans lavant-projet de loi sur la criminalité organisée, léditorial du journal Le Monde du vendredi 24 janvier 2003 salarme : « Lanesthésie du pays, et de la gauche parlementaire en premier lieu, est si complète que nul ne semble prendre la mesure de la régression des libertés publiques. Le gouvernement cible les jeunes, les banlieues, les pauvres, les étrangers, les parents débordés par leurs enfants ; il accumule des textes dexception qui constituent autant de reculs. Le très mesuré bâtonnnier de Paris, Paul-Albert Iweins, ne dit pas autre chose : Il faut que les gens comprennent quun jour ou lautre ces mesures techniques sont susceptibles de les concerner. » Que toute dérogation ou suspension du droit concerne potentiellement tout citoyen indique ce que je nomme la banalisation de la vie citoyenne, seul avenir dorénavant promis à tous les « citoyens ». Promis comme la terrible menace du pouvoir souverain !
(1) Jacques Derrida, Voyous, Galilée, 2003, p. 99.
(2) Agamben reprend ainsi la définition du juriste allemand Carl Schmitt, penseur de la radicalité de la politique échouée dans le nazisme, pour lequel le souverain est celui qui décide concrètement de lexception et de la suspension du droit. La souveraineté prend la forme dune décision sur lexception « dans laquelle le droit se réfère à la vie et linclut en lui à travers sa propre suspension. » (Homo sacer, Le pouvoir souverain et la vie nue, Seuil, 1997, p. 33).
(3) « Quest-ce quun camp ? », Moyens sans fins, Notes sur la politique, Ed. Payot et Rivages, 2002, p. 50)
(4) Ibid., p. 53.
(5) Ibid., p. 54-55. Ce passage est repris dans Homo sacer dont la traduction fait disparaître la banlieue au profit de la « périphérie », y rappelant le lien intime de la ville et de la banlieue rejetée hors de la ville en tant que jetée à la vie : « comme dans certaines périphéries de nos villes », Homo sacer, p. 189. Mais la banlieue nest pas la simple périphérie de la ville, mais est dans ville au sens où elle est et a toujours été de la ville. La banalisation de la ville y trouve son origine et comme sa condition de possibilité historique.
(6) Homo sacer, p. 121-122.
(7) Ne serait-ce pas ce que Loïc Waquant désigne par la « démission de lEtat social (et économique) » et le « renforcement de lEtat pénal dans les quartiers anciennement ouvriers sacrifiés sur lautel de la modernisation du capitalisme français » dans Les prisons de la misère, Raisons dagir,1999, p. 63.
(8) La bavure est une opération policière dans une zone de non-droit infestée de « sauvageons » quil sagit de civiliser en reconquérant le territoire ou en le recolonisant (et il est aisé de reconnaître dans la colonisation un état dexception à outrance), en redressant les « jeunes de banlieues » identifiés au jeune dorigine étrangère, maghrébine ou musulmane (Il y aurait peut-être là une autre figure du Musulman dont parle Agamben dans Ce qui reste dAuschwit : ce terme désignait les déportés qui avaient atteint un stade terminal dapathie dans les camps dextermination nazis, déporté mort dans la vie, exemplaire sans exemplarité du témoin intégral qui ne peut plus témoigner selon la réflexion dAgamben). La bavure policière est la trace laissée au lieu même de la jonction entre lespace normatif et lespace dexception, elle est le symptôme de ce qui coule au lieu où ça dis-jointe, où « ça dis-joncte » !.
(9) Jean-Luc Nancy, La ville au loin, Ed. Mille et une nuits, 1999, p. 44. Ce texte, qui est une merveilleuse méditation de la ville à partir de Los Angeles, mériterait une longue discussion avec la thèse élaborée depuis la réflexion dAgamben tant Nancy y insiste sur la cooriginarité de la ville et de la banlieue, sans la relier à un « état dexception », invitant à penser une banlieue avant la banlieue : « La ville na-t-elle pas toujours mis en oeuvre, avec la volonté du centre, du rassemblement, une violence sourde déclatement, de décentrement dans le rejet ou dans lindifférence ? Ne sest-elle pas toujours rejetée delle-même, créant sa banlieue (son sub-urb ), sa banalisation du lieu avant même de la disposer en périphérie, faubourg, fortifs, périphs, zones commerciales artisanales, à urbaniser, à scolariser, zones franches dimpôt, etc. ? »( ibid., p. 16-17).
(10) Cf. Le Monde du lundi 13 janvier 2003, « Le Nord-Pas-de-Calais apprécie ses zones franches » qui relate la proposition par les maires du GPV de la métropole lilloise de la création dune vaste zone franche de nouvelle génération, expérimentale, étendue à lensemble du territoire du GPV.
(11) Sinquiétant de la multiplication des dérogations au droit commun dans lavant-projet de loi sur la criminalité organisée, léditorial du journal Le Monde du vendredi 24 janvier 2003 salarme : « Lanesthésie du pays, et de la gauche parlementaire en premier lieu, est si complète que nul ne semble prendre la mesure de la régression des libertés publiques. Le gouvernement cible les jeunes, les banlieues, les pauvres, les étrangers, les parents débordés par leurs enfants ; il accumule des textes dexception qui constituent autant de reculs. Le très mesuré bâtonnnier de Paris, Paul-Albert Iweins, ne dit pas autre chose : Il faut que les gens comprennent quun jour ou lautre ces mesures techniques sont susceptibles de les concerner. » Que toute dérogation ou suspension du droit concerne potentiellement tout citoyen indique ce que je nomme la banalisation de la vie citoyenne, seul avenir dorénavant promis à tous les « citoyens ». Promis comme la terrible menace du pouvoir souverain !