Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°44 [avril 2003 - mai 2003]
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Deux ou trois choses quon sait delle
Quand le capital atteint le degré ultime de son abstraction, quand il règne sans entrave, quand il devient Spectacle, la ville devient le spectacle du Spectacle.
La banlieue est cette nouvelle architecture, linstrument et le spectacle du Spectacle.
Plus la vie est urbanisée, moins elle est urbaine.
Le modèle rayonnant qui matérialisait dans lespace la structure des forces de la modernité a fait place au modèle cristallin. Les curs des anciennes cités qui regroupaient les bâtiments symboles des pouvoirs centralisateurs se sont ossifiés, muséifiés, ou sont partis en déshérence. Les frontières périphériques, quant à elles, se sont distendues, fragmentées et multipliées. Elles divisent désormais lintérieur des centres historiques et courent dans les banlieues sans solution de continuité. Les vieilles divisions en centre-ville, quartiers extérieurs et banlieues, nont donc plus de sens. La banlieue est tout ce qui reste de la ville. La cité nexiste plus. Elle nest plus quagglomération. A la ségrégation concentrique succède lagglomération sans mixité des populations hétérogènes. La banlieue est la ville dont la périphérie est partout et le centre nulle part.
La ville était la traduction spatiale des structures imposées par la révolution capitaliste. Une construction dans les quatre éléments qui était larchitecture, à la fois le spectacle et linstrument, le contenant et le contenu des forces nouvelles (sens ?). Quand le capital atteint le degré ultime de son abstraction, quand il règne sans entrave, quand il devient Spectacle, la ville devient le spectacle du Spectacle. La banlieue est cette nouvelle architecture, linstrument et le spectacle du Spectacle.
Le capital sétait servi des formes politiques, lEtat et la Cité, pour simposer au monde. La logique impérialiste a fonctionné à la fois entre pays, au sein des pays, entre capitales et provinces, et au sein des cités, entre les centres métropolitains et les annexes colonisées. Il y a toujours eu plusieurs mondes au sein des mondes blancs. Mais quand le capital enfin triomphe, il se débarrasse des formes politiques. Il laisse lEtat et la Cité au rayon des antiquités de lhistoire. Alors le mode de la circulation impérialiste concentrique est remplacé par le modèle plus flexible, plus rationnel, plus performant, du réseau, de la circulation multipolaire acentrique. Le passage de la ville à la banlieue est larchitecture de ce passage. La fin de la Cité et la fin de la politique sont un seul et même phénomène.
Quest-ce que le capital ? La circulation sans cesse perfectionnée, sans cesse accélérée, de léquivalence générale, cest-à-dire de la valeur sociale ramenée à sa plus grande abstraction. Le capital, cest le commun de la communauté à son plus haut degré de simplicité, quon ne reconnaît plus comme tel, quon fait circuler encore et toujours, de plus en plus vite, justement parce quon ne le reconnaît plus. Cest donc le concret mis au service de labstrait, le commun privatisé, le vivant phagocyté. Sans concret, sans commun, sans vie, pas dabstraction, pas de privé, pas de spectre. Mais lefficace appartient aussi toujours à labstraction, au privé, aux spectres. Ce qui gagne est ce qui des deux peut le moins se passer de lautre. Le capital est le règne de cette inversion paradoxale, de la perversion. Le substantiel se perd dans une aliénation qui ne doit sa victoire quà son statut de nêtre pas lessentiel. A la fin de ce mouvement, la vie nexiste plus que dans limitation de son imitation. La banlieue est la ville simitant elle-même dans sa disparition. Plus la vie est urbanisée, moins elle est urbaine.
Cest ainsi quà lère du capital devenu Spectacle, tout ce qui était public est désormais privatisé, et tout ce qui était privé est offert à la privauté du public voyeur. La banlieue est la ville devenue privée. La ville privée de vie, la ville privée de public, la vie privée en public. Des agoras désertes scrutées jour et nuit. Des routes encombrées et des trottoirs vides. Pavillons résidentiels, villas des faubourgs versaillais, transformés en restaurants privés, parkings privés, ateliers privés, forêts privées, piscines privées, jardins publics privés, etc. La frustration des habitants des banlieues défavorisées provient ainsi du sentiment dêtre en retard de privatisation, dêtre contraint aux espaces publics. Doù la valeur vitale de la voiture, instrument essentiel daccès privé aux endroits privés, déchappement au public.
Mais tous, cellules des grands ensembles, appartements des cités, pavillons, villas, tous égalitairement devenus des cinémas privés, chacun son cinéma, chacun une boîte diffusant les films des vies privées anonymes maintenant indiscernables, miroir donc tout aussi bien, reflétant les vies intimes des intériorités pour la fascination du public aveugle des écrans privés, ces vies qui depuis longtemps ont cessé dintéresser quiconque dans la vraie vie, à lextérieur.
Comme le Spectacle est le triomphe de léquivalence générale dans sa forme la plus nue, il produit le fantasme dune communication sans ratés, circulant instantanément à travers un corps public homogène, lillusion dun sens parfaitement commun. La consommation spectaculaire est égalitaire, la démocratie enfin réelle. Tous égaux dans la procuration de consommation. Mais le nous de cette publicité est bien sûr un nous irréel, aussi spectral que son objet. Lhomogénéité fantasmatique du public consommateur dimages cache une particularisation infinie, qui sans cesse doit être affinée, jusquà linfiniment petit, linfra-individuel, une segmentarisation féroce qui se lit en grand dans la carte des frontières séparant les morceaux agglomérés des cités contemporaines. Le monde de la communauté spectrale est la pire des monadologies, un univers faussement public de mondes privés qui ne communiquent entre eux quindirectement, par la consommation partagée de spectacles qui ne sont à chaque fois destinés quà quelques-uns. La ville devenue banlieue offre ainsi aux guides touristiques limage du multiculturalisme tolérant, mais qui repose en fait sur la logique dun exclusivisme radical.
La banlieue est cette nouvelle architecture, linstrument et le spectacle du Spectacle.
Plus la vie est urbanisée, moins elle est urbaine.
Le modèle rayonnant qui matérialisait dans lespace la structure des forces de la modernité a fait place au modèle cristallin. Les curs des anciennes cités qui regroupaient les bâtiments symboles des pouvoirs centralisateurs se sont ossifiés, muséifiés, ou sont partis en déshérence. Les frontières périphériques, quant à elles, se sont distendues, fragmentées et multipliées. Elles divisent désormais lintérieur des centres historiques et courent dans les banlieues sans solution de continuité. Les vieilles divisions en centre-ville, quartiers extérieurs et banlieues, nont donc plus de sens. La banlieue est tout ce qui reste de la ville. La cité nexiste plus. Elle nest plus quagglomération. A la ségrégation concentrique succède lagglomération sans mixité des populations hétérogènes. La banlieue est la ville dont la périphérie est partout et le centre nulle part.
La ville était la traduction spatiale des structures imposées par la révolution capitaliste. Une construction dans les quatre éléments qui était larchitecture, à la fois le spectacle et linstrument, le contenant et le contenu des forces nouvelles (sens ?). Quand le capital atteint le degré ultime de son abstraction, quand il règne sans entrave, quand il devient Spectacle, la ville devient le spectacle du Spectacle. La banlieue est cette nouvelle architecture, linstrument et le spectacle du Spectacle.
Le capital sétait servi des formes politiques, lEtat et la Cité, pour simposer au monde. La logique impérialiste a fonctionné à la fois entre pays, au sein des pays, entre capitales et provinces, et au sein des cités, entre les centres métropolitains et les annexes colonisées. Il y a toujours eu plusieurs mondes au sein des mondes blancs. Mais quand le capital enfin triomphe, il se débarrasse des formes politiques. Il laisse lEtat et la Cité au rayon des antiquités de lhistoire. Alors le mode de la circulation impérialiste concentrique est remplacé par le modèle plus flexible, plus rationnel, plus performant, du réseau, de la circulation multipolaire acentrique. Le passage de la ville à la banlieue est larchitecture de ce passage. La fin de la Cité et la fin de la politique sont un seul et même phénomène.
Quest-ce que le capital ? La circulation sans cesse perfectionnée, sans cesse accélérée, de léquivalence générale, cest-à-dire de la valeur sociale ramenée à sa plus grande abstraction. Le capital, cest le commun de la communauté à son plus haut degré de simplicité, quon ne reconnaît plus comme tel, quon fait circuler encore et toujours, de plus en plus vite, justement parce quon ne le reconnaît plus. Cest donc le concret mis au service de labstrait, le commun privatisé, le vivant phagocyté. Sans concret, sans commun, sans vie, pas dabstraction, pas de privé, pas de spectre. Mais lefficace appartient aussi toujours à labstraction, au privé, aux spectres. Ce qui gagne est ce qui des deux peut le moins se passer de lautre. Le capital est le règne de cette inversion paradoxale, de la perversion. Le substantiel se perd dans une aliénation qui ne doit sa victoire quà son statut de nêtre pas lessentiel. A la fin de ce mouvement, la vie nexiste plus que dans limitation de son imitation. La banlieue est la ville simitant elle-même dans sa disparition. Plus la vie est urbanisée, moins elle est urbaine.
Cest ainsi quà lère du capital devenu Spectacle, tout ce qui était public est désormais privatisé, et tout ce qui était privé est offert à la privauté du public voyeur. La banlieue est la ville devenue privée. La ville privée de vie, la ville privée de public, la vie privée en public. Des agoras désertes scrutées jour et nuit. Des routes encombrées et des trottoirs vides. Pavillons résidentiels, villas des faubourgs versaillais, transformés en restaurants privés, parkings privés, ateliers privés, forêts privées, piscines privées, jardins publics privés, etc. La frustration des habitants des banlieues défavorisées provient ainsi du sentiment dêtre en retard de privatisation, dêtre contraint aux espaces publics. Doù la valeur vitale de la voiture, instrument essentiel daccès privé aux endroits privés, déchappement au public.
Mais tous, cellules des grands ensembles, appartements des cités, pavillons, villas, tous égalitairement devenus des cinémas privés, chacun son cinéma, chacun une boîte diffusant les films des vies privées anonymes maintenant indiscernables, miroir donc tout aussi bien, reflétant les vies intimes des intériorités pour la fascination du public aveugle des écrans privés, ces vies qui depuis longtemps ont cessé dintéresser quiconque dans la vraie vie, à lextérieur.
Comme le Spectacle est le triomphe de léquivalence générale dans sa forme la plus nue, il produit le fantasme dune communication sans ratés, circulant instantanément à travers un corps public homogène, lillusion dun sens parfaitement commun. La consommation spectaculaire est égalitaire, la démocratie enfin réelle. Tous égaux dans la procuration de consommation. Mais le nous de cette publicité est bien sûr un nous irréel, aussi spectral que son objet. Lhomogénéité fantasmatique du public consommateur dimages cache une particularisation infinie, qui sans cesse doit être affinée, jusquà linfiniment petit, linfra-individuel, une segmentarisation féroce qui se lit en grand dans la carte des frontières séparant les morceaux agglomérés des cités contemporaines. Le monde de la communauté spectrale est la pire des monadologies, un univers faussement public de mondes privés qui ne communiquent entre eux quindirectement, par la consommation partagée de spectacles qui ne sont à chaque fois destinés quà quelques-uns. La ville devenue banlieue offre ainsi aux guides touristiques limage du multiculturalisme tolérant, mais qui repose en fait sur la logique dun exclusivisme radical.
* Philosophe.