Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
par Toni Negri
Imprimer l'articlePost scriptum à "Stratégies possibles "
Pour approfondir toute largumentation développée jusquici et donner plus de force à ses conclusions (lEurope politique unie ne devra pas tant être une nouvelle figure de la souveraineté quune « machine de guerre » en vue de lextension des nouveaux droits fondamentaux aux sujets de lEmpire), il vaut la peine dajouter quelques réflexions sur le modèle européen de solidarité sociale ou sur le rapport qui se noue, dans la tradition et à lavenir, entre le droit du travail et la constitution européenne.
Pour traiter de ce thème, je pense que nous devrons, avant tout, nous rappeler à quel point la référence à un modèle européen de solidarité sociale est ambiguë. Cest un modèle qui a trouvé son origine dans lObrigkeitstaat bismarckien et le sociologisme rouge de la troisième République et il sest toujours caractérisé par la forme de la subordination du point de vue juridique, par le calcul du coût de reproduction de la forme travail (du salaire différé) du point de vue économique, et a toujours été pensé en relation avec la paix sociale et la consolidation de lautorité étatique du point de vue politique. Et il sest souvent traduit par une solidarité impérialiste ou guerrière Les Instituts Nationaux pour la Providence Sociale ont financé une grande partie des guerres du XXe siècle. Dans celles-ci, la discipline biopolitique de lÉtat-nation, qui sachève dans le national-socialisme, a été exaltée.
Ceci dit, il reste encore à ajouter que le modèle européen du Welfare et le droit du travail qui lui est propre se sont fait ensemble lécho des mouvements antagonistes de la force de travail.
Cest sur la base des luttes des travailleurs que le Welfare et le droit du travail se sont conjointement émancipé des déterminations corporatistes, populistes, colonialistes, impérialistes qui les avaient traversés.
Et ainsi nous sommes parvenus à un moment, entre les années 1960 et 1970, où nous avons nourri lillusion que le modèle européen sétait libéré de ses conditions initiales, que Sinzheimer avait donc vaincu et que lambiguïté du modèle européen de solidarité pouvait définitivement se fonder sur et nourrir la démocratie.
Il nen a pas été ainsi
À partir des années 1970, les conquêtes démocratiques du Welfare européen ont fait lobjet de lopposition du néolibéralisme et leurs effets ont souvent été neutralisés. Les méthodes de la répression ont mis fin à des forces auparavant irrésistibles et les ont soumises à la surdétermination du marché global, politiquement reconnu comme puissance autonome.
Dautre part, lactivité du droit du travail « à leuropéenne » a été fort dérangée, quand elle na pas été victime de ses propres présupposés. En effet, alors que son progrès était de nature conflictuelle, lié aux luttes dun sujet, la force de travail (qui avait obtenu une reconnaissance constitutionnelle), ce sujet (le syndicat) nétait pas seulement attaqué en tant que figure institutionnelle, représentative, mais on lui soustrayait en outre ses conditions dexistence. Nous appelons postfordisme la situation dans laquelle le substrat ontologique (la classe ouvrière) et la figure politique (le syndicat) du conflit industriel nexistent plus comme acteur central.
Quel sens y a-t-il encore, dans lère postfordiste, à parler dun modèle (dune tradition) européen de solidarité sociale alors que (sans insister sur les différences, mais en supposant quil y a homogénéité), les conditions mêmes de la continuité ne semblent plus données ?
Que signifie la réactualisation ou la réinvention dun droit du travail à léchelle continentale, en labsence dun sujet conflictuel fort, dans un contexte où se sont désormais définitivement établies la flexibilité et la mobilité de la force de travail productive ?
Et dans la globalisation des marchés, quel sens y a-t-il à rapprocher la Labour Law de la Constitution européenne ? Jai parfois limpression quon devrait faire comme Roosevelt au début du New Deal : imposer par décret un nouveau sujet syndical pour permettre la mise en place dun nouveau Welfare. Mais comment imaginer aujourdhui un tel projet ?
Pour accroître la difficulté à donner une réponse à ces questions, surgit un autre thème/problème : celui de limmigration.
Dans les conditions quimpose la globalité des marchés, ce problème il est bon de le préciser ne « sajoute » pas à celui de la régulation (juridique ou politique) de la force de travail indigène : il lui est, au contraire, « consubstantiel »
- soit du point de vue de léconomie industrielle (disponibilité indéfinie et coût quasi nul du travail)
- soit du point de vue des politiques budgétaires (relatives aux retraites, à lassistance, à léducation et à la formation, sociales en général ).
Il serait intéressant ici de faire référence à, et en même temps, de forcer, la catégorie de « frontière » que Balibar dans ses écrits les plus récents considère comme étant désormais plus large que celle dÉtat-nation. Et cependant penser à nouveaux frais le concept actuel de citoyenneté, immobilisé dans des espaces désormais dérisoires en regard de la vie de tout homme et du besoin de chacun de travailler
De là deux autres questions, auxquelles nous sommes confrontés à partir du problème de limmigration, mais qui ne sont pas simplement pertinentes dans cette perspective. Comment se configure le contrôle biopolitique sur la force de travail postfordiste, mobile et flexible, indigène ou nomade ? Telle est la première question. Comment un droit du travail (à léchelle européenne) pourra constituer une exception (à léchelle globale) au contrôle biopolitique et à la hiérarchisation impériale de la force de travail ? Telle est la seconde
question.
Pour traiter de ce thème, je pense que nous devrons, avant tout, nous rappeler à quel point la référence à un modèle européen de solidarité sociale est ambiguë. Cest un modèle qui a trouvé son origine dans lObrigkeitstaat bismarckien et le sociologisme rouge de la troisième République et il sest toujours caractérisé par la forme de la subordination du point de vue juridique, par le calcul du coût de reproduction de la forme travail (du salaire différé) du point de vue économique, et a toujours été pensé en relation avec la paix sociale et la consolidation de lautorité étatique du point de vue politique. Et il sest souvent traduit par une solidarité impérialiste ou guerrière Les Instituts Nationaux pour la Providence Sociale ont financé une grande partie des guerres du XXe siècle. Dans celles-ci, la discipline biopolitique de lÉtat-nation, qui sachève dans le national-socialisme, a été exaltée.
Ceci dit, il reste encore à ajouter que le modèle européen du Welfare et le droit du travail qui lui est propre se sont fait ensemble lécho des mouvements antagonistes de la force de travail.
Cest sur la base des luttes des travailleurs que le Welfare et le droit du travail se sont conjointement émancipé des déterminations corporatistes, populistes, colonialistes, impérialistes qui les avaient traversés.
Et ainsi nous sommes parvenus à un moment, entre les années 1960 et 1970, où nous avons nourri lillusion que le modèle européen sétait libéré de ses conditions initiales, que Sinzheimer avait donc vaincu et que lambiguïté du modèle européen de solidarité pouvait définitivement se fonder sur et nourrir la démocratie.
Il nen a pas été ainsi
À partir des années 1970, les conquêtes démocratiques du Welfare européen ont fait lobjet de lopposition du néolibéralisme et leurs effets ont souvent été neutralisés. Les méthodes de la répression ont mis fin à des forces auparavant irrésistibles et les ont soumises à la surdétermination du marché global, politiquement reconnu comme puissance autonome.
Dautre part, lactivité du droit du travail « à leuropéenne » a été fort dérangée, quand elle na pas été victime de ses propres présupposés. En effet, alors que son progrès était de nature conflictuelle, lié aux luttes dun sujet, la force de travail (qui avait obtenu une reconnaissance constitutionnelle), ce sujet (le syndicat) nétait pas seulement attaqué en tant que figure institutionnelle, représentative, mais on lui soustrayait en outre ses conditions dexistence. Nous appelons postfordisme la situation dans laquelle le substrat ontologique (la classe ouvrière) et la figure politique (le syndicat) du conflit industriel nexistent plus comme acteur central.
Quel sens y a-t-il encore, dans lère postfordiste, à parler dun modèle (dune tradition) européen de solidarité sociale alors que (sans insister sur les différences, mais en supposant quil y a homogénéité), les conditions mêmes de la continuité ne semblent plus données ?
Que signifie la réactualisation ou la réinvention dun droit du travail à léchelle continentale, en labsence dun sujet conflictuel fort, dans un contexte où se sont désormais définitivement établies la flexibilité et la mobilité de la force de travail productive ?
Et dans la globalisation des marchés, quel sens y a-t-il à rapprocher la Labour Law de la Constitution européenne ? Jai parfois limpression quon devrait faire comme Roosevelt au début du New Deal : imposer par décret un nouveau sujet syndical pour permettre la mise en place dun nouveau Welfare. Mais comment imaginer aujourdhui un tel projet ?
Pour accroître la difficulté à donner une réponse à ces questions, surgit un autre thème/problème : celui de limmigration.
Dans les conditions quimpose la globalité des marchés, ce problème il est bon de le préciser ne « sajoute » pas à celui de la régulation (juridique ou politique) de la force de travail indigène : il lui est, au contraire, « consubstantiel »
- soit du point de vue de léconomie industrielle (disponibilité indéfinie et coût quasi nul du travail)
- soit du point de vue des politiques budgétaires (relatives aux retraites, à lassistance, à léducation et à la formation, sociales en général ).
Il serait intéressant ici de faire référence à, et en même temps, de forcer, la catégorie de « frontière » que Balibar dans ses écrits les plus récents considère comme étant désormais plus large que celle dÉtat-nation. Et cependant penser à nouveaux frais le concept actuel de citoyenneté, immobilisé dans des espaces désormais dérisoires en regard de la vie de tout homme et du besoin de chacun de travailler
De là deux autres questions, auxquelles nous sommes confrontés à partir du problème de limmigration, mais qui ne sont pas simplement pertinentes dans cette perspective. Comment se configure le contrôle biopolitique sur la force de travail postfordiste, mobile et flexible, indigène ou nomade ? Telle est la première question. Comment un droit du travail (à léchelle européenne) pourra constituer une exception (à léchelle globale) au contrôle biopolitique et à la hiérarchisation impériale de la force de travail ? Telle est la seconde
question.
Toni Negri