Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
par Catherine Samary
Imprimer l'articleA lEst comme à lOuest : quelle Europe ?
Lélargissement à lEst de lUnion européenne est pour les gouvernants de celle-ci un enjeu idéologique cachant le désastre social produit par dix ans de politiques libérales dont ont bénéficié dans ces pays les nouvelles élites souvent issues de lancienne nomenklatura.
Pourtant, face au capitalisme sauvage et aux rapports de domination quimpose lUE dans sa périphérie (vers le sud et lest), ladhésion à lUE y est (encore) perçue comme apportant des droits. Ceux-ci sont fragilisés et limités notamment par la politique daustérité budgétaire et de concurrence marchande primant sur les droits humains. Du nouveau à lEst ? Hier, il y avait des droits sociaux sans droits politiques ; aujourdhui, cest linverse. Et cest pourquoi le choix dêtre ou pas membre de cette construction est complexe. Il lest aussi pour les peuples des actuels Etats membres.
Un désastre social
Après la chute du Mur de Berlin, la « réunification du continent » a été pré-sentée comme un tournant historique ou « la fin de lhistoire » marquée par le triomphe du « modèle » libéral. Celui-ci était supposé apporter efficacité et libertés, contre le bureaucratisme des Etats et la dictature du parti unique. Les privatisations et la remise en cause des protections sociales et nationales ont été assimilées à un « modèle » universel. Le rejet de lancienne dictature du parti/Etat se réclamant du socialisme a été demblée assimilé à ladhésion nécessaire aux recettes libérales.
Or celles-ci ont été imposées sans réel choix démocratique. En se disant « socialiste », lancien régime régnait sur le dos des peuples en prétendant faire leur bonheur ; aujourdhui, en se proclamant « lEurope », lUE se construit en grande puissance arrogante prétendant apporter la civilisation. Elle a ainsi joué un rôle majeur dans la conduite des politiques de privatisations forcées et de démantèlement des anciennes protections sociales et nationales en Europe de lEst.
Tous les pays de cette région ont subi une dégradation sociale majeure, y compris les candidats supposés satisfaire aux « critères de Copenhague » établis en 1993 par la Commission européenne : loin dêtre en mesure de faire face sans protection à la compétition marchande, ils ont tous des déficits commerciaux considérables avec lUE, illustrant de nouvelles dépendances et dissymétries ; comme toujours, les investissements directs étrangers se con-centrent dans les régions les plus riches, essentiellement les capitales, creusant les écarts entre pays et au sein de chaque pays ; et la domination absolue des ban-ques des pays candidats par le capital étranger depuis la fin de la décennie 1990 signifiera de moins en moins de crédit pour les services publics quil sagit de privatiser et pour les grandes entreprises qui incorporaient le plus de protections sociales non monétaires dans lancien régime. De leur côté, les « aides » euro-péennes ont la même logique que les crédits du FMI assortis de « politiques dajustement structurel » désastreuses. Le chômage dépasse plus de 15% en moyen-ne, mais plus 25% dans certaines régions. Il ne faut alors pas sétonner de la montée dun rejet aux accents nationaliste et xénophobe de ces politiques.
Mais, dans lUE, on dénonce simplement la corruption et les montages financiers opaques, comme sils étaient simplement le produit du bureaucratisme passé ou lapanage de « marchés émergents ». Pour-tant, quand laccumulation dargent de-vient un but en soi (quel que soit le do-maine où se « place » largent), quand tout se vend et doit pouvoir se vendre,
les comportements mafieux deviennent « normaux ». Quand les dirigeants des pays de lEurope de lEst sont jugés comme « démocratiques » et reçoivent des crédits sils adhérent aux programmes de privatisation généralisée, il est rationnel quils y adhèrent et sen mettent au passage plein les poches.
Le bilan désastreux de dix ans de telles « transformations systémiques » est à met-tre au passif des institutions et idéologues propageant ces recettes et de ceux qui, au sein des pays concernés, les ont utilisées à leur profit.
Mais tout est fait pour cacher ce bilan. Le choix des dirigeants de lUnion sera de faire en sorte que, si blocage il y a, il semble venir plutôt des nouveaux candidats et de leur « résistance » à un « bon modèle » et non pas des effets de la politique de lUE. Les peuples des pays candidats sont en position de très grande fai-blesse, confrontés à un capitalisme sauvage qui profite, au non de lajustement à « lacquis communautaire », du démantèlement de toute protection sociale et nationale.
Nous devons au contraire, de lintérieur de lUE, exiger des bilans et larrêt de politiques qui créent de plus en plus de pau-vres, donc de migrations clandestines désespérées, de prostitution et demplois inhumains exploités par un patronat en quête de travail précaire.
De même que la mise en place de leuro a tenu lieu « davancée », sans droits soci-aux, lélargissement se produira de façon institutionnelle (participation aux élections de 2004) en camouflant le désastre des politiques libérales appliquées depuis dix ans.
Les peurs suscitées par
lélargissement et lambiguïté des choix
Les transformations en cours en Europe de lEst sont exploitées par un patronat utilisant les menaces ou réalités des délocalisations dusines « tournevis » du sud vers lest pour abaisser les « coûts salariaux » ; de même, cherche-t-il à met-tre en concurrence des populations à bas salaires et les moins organisées (notamment les femmes) entre elles. Telle est la logique de la construction dune « Europe puissance » sur des bases libérales. Le pourtour méditerranéen et lEurope de lEst sont transformés en zone de libre-échange subordonnée aux intérêts des multinationales du centre dominateur imposant dans sa « périphérie » la sup-pression de toute protection.
Pourtant, bien quayant été un accélérateur de la mondialisation libérale en Europe, lUE est (encore) perçue comme incorporant les plus grands acquis des luttes sociales passées et comme un possible modèle alternatif à la mondialisation sous hégémonie étasunienne. Les éléments de démocratie (parlement) et de fonds budgétaires quelle incorpore la dis-tinguent dun simple accord de libre-échange. Doù lapparent paradoxe dune construction qui, tout en étant le vecteur des politiques libérales, se présente aussi comme un enjeu, très incertain, mais ouvert à dautres politiques possibles de résistance à lactuelle mondialisation.
Doù lambiguïté des perceptions de lUE et les hésitations légitimes à son égard. Il peut y avoir dans les pays candidats un « oui » libéral à lUnion, mais aussi un « oui » désespéré associé au sentiment quhors de lUnion cest pire encore, car dans lunion demeurent quelques droits acquis en lieu et place du capitalisme sauvage qui simpose en Europe de lEst ; il peut enfin y avoir un « oui » critique de la construction libérale et non démocratique de lUE visant à rejoindre le combat pour une autre Europe
Symétriquement, il peut aussi y avoir un « non » anti-européen xénophobe et chauvin ; mais aussi un « non » critique des effets de la politique de lUE et estimant quil est préférable dy résister de lextérieur.
Le choix est loin dêtre évident. La-t-il été (et lest-il) pour nous ? Au sein des Quin-ze, le vote « contre » lélargissement peut saccompagner darguments venant de la droite comme de la gauche (et de leurs extrêmes) pour des raisons opposées
Une partie de la droite libérale (notamment britannique) voudrait utiliser lélargissement pour transformer lunion en un vaste marché libéralisé. Cette tendance existe et se traduira par la logique de baisse des fonds structurels et de réforme de la politique agricole commune (PAC) dans un sens libéral. Mais ces logiques sont à luvre et nous devons les combattre, avec ou sans élargissement. LEurope de lEst sert dailleurs déjà de marché non protégé.
En même temps, lélargissement est de plus en plus présenté comme le seul contre-feu à la montée des courants natio-nalistes xénophobes et anti-européens en Europe de lEst. Et lon tend à mobiliser des sentiments de solidarité envers des po-pulations plus pauvres.
Nous pouvons/devrions être les plus offensifs et cohérents dans lexpression dune telle solidarité, tout en dénonçant la logique en réalité non solidaire des politiques économiques menées en pratique et lhypocrisie des enjeux cachés de cet élargissement.
Linconsistance des discours libéraux sur la réunification « historique »
du continent
La logique politico-économique des gouvernants de lUE sera celle du bricolage et des compromis pour que la con-struction « aille de lavant », mais au moindre coût pour lUnion.
Dans le court terme, cela signifie que les nouveaux membres pourront participer à lélection du parlement européen de juin 2004, sans avoir les mêmes droits que les actuels membres, ce qui renforcera les frustrations et les arguments xénophobes chez les pays candidats. En fait, les actuels débats financiers et budgétaires montrent le peu dambition et de cohérence des dirigeants qui parlent dune « réunification historique du continent ». Lagenda 2000 (fixant les dépenses pour la période 2000-2006) avait fixé de ne pas dépasser 1,27% du PIB de lUnion. En dépit de lélargissement, cela sera respecté : on ne donnera pas les mêmes droits aux nouveaux candidats quaux Etats membres (25% des aides directes de la PAC). La tendance à légalité des droits sera appliquée à lhorizon 2013, mais sans augmenter le budget. Donc, il faudra prendre sur les Etats du Sud (lEspagne notamment) pour donner à lEst et, plus largement, revoir la logique de la PAC et les critères dallocations des fonds structurels (qui représentent avec la PAC 80% du budget européen) dans le but de faire des économies.
Autrement dit, au moment où lon parle denjeu « historique » et où la « co-hésion » entre pays de la Communauté européenne va être de plus en plus fragilisée par de grands écarts de développement et par la récession mondiale, cest laustérité budgétaire (côté social, mais pas côté militaire !) qui continue à prédo-miner.
Quest-ce quune « solidarité » réduite à un droit de vote, avec de moins en moins de fonds daide et une politique libérale qui poursuit le démantèlement des protections sociales ? Quelle cohésion aura cette Union, construite en fait autour des choix de la Banque centrale et des marchés financiers ? En fait, cette « construction » fuit de toute part et elle révèle de plus en plus son inefficacité.
Quelle alternative ?
Nous pouvons renverser lordre et la nature des débats : dabord, quels choix de sociétés voulons-nous ? quelles solidarités et quelles conditions de paix et de sécurité sur le continent souhaitons-nous ? et ensuite seulement, quels moyens institutionnels et financiers pour les réaliser en prenant largent où il se trouve seront les plus efficaces ?
La Convention qui se réunit actuellement pour préparer une constitution a au moins le mérite de légitimer ces questionne-ments. Mais elle na ni le pouvoir, ni dailleurs lenvergure démocratique per-mettant de véritables consultations et choix populaires. La future Conférence intergouvernementale décidera dailleurs ce que bon lui semblera, quelles que soient les propositions de la Convention. Sa logique sera délaborer à huis clos une constitution légitimant le nouvel ordre libéral des contrats au détriment des lois, du droit de la concurrence primant sur les droits humains, individuels et collectifs. Sans rapports de forces externes, il ny aura pas dinfléchissement de cette logique.
Il ny a pas de réponse toute faite, surtout à court terme. Mais au moins sachons exprimer les enjeux :
- lintérêt commun des peuples de lEu-rope au sens large est la paix sur ce continent, une sécurité passant par larrêt des politiques creusant les écarts de dévelop-pement et aggravant la pauvreté. Il est urgent quémerge un contre-modèle, point dappui des résistances à la mondialisation libérale et militaire ;
- une telle alternative ne simposera pas delle-même, elle relève du développement de moyens de luttes et de réflexion com-munes associant la grande masse des populations concernées. Il nous faudra passer, comme au plan mondial, de la globalisation des résistances (européennes) à lélaboration de projets alternatifs auxquels les forums sociaux doivent contribuer.
Les thèmes qui mobilisent dores et déjà les mouvements alter-mondialistes contre lOMC et le FMI peuvent trouver des relais particuliers de luttes à léchelle européenne :
- pour une détermination démocratique des services publics dits « dintérêt com-mun » et leur protection contre le droit de la concurrence ;
- pour la mise en place et le développement de fonds publics communs basés sur une fiscalité européenne finançant des transports publics respectueux de lenvironnement ; la protection de la diversité culturelle et linguistique ; la protection de la santé pour tous notamment par une agriculture de qualité ;
- pour des fonds de solidarité avec les peuples du Sud, notamment appuyés sur une taxe Tobin ;
- pour un arrêt de la précarisation du travail et du dumping des salaires : extension des droits syndicaux continentaux, des droits des comités dentreprises dans les multinationales, des droits dorganisation des chômeurs, des précaires, des femmes ; négociations de conventions collectives de branches au plan européen ; pour des minima sociaux en proportion du PIB moyen de chaque pays
LUnion européenne est souvent vue de lextérieur comme une alternative au « modèle » libéral anglo-saxon et à la toute puissance des Etats-Unis. Ce nest pas la réalité. Mais il est possible de semparer de cette construction politique instable en quête de légitimité pour y renforcer le rôle des élus en même temps que le contrôle sur les élus. Il est possible de semparer des impasses budgétaires produites par la récession et lélargissement pour mettre à plat les choix de société et de solidarité derrière les budgets, quils soient municipaux, nationaux ou européens. Il est possible de semparer de la prétention de lUE a avoir une politique extérieure et de sécurité commune pour discuter des com-portements et choix pris en nos noms par nos gouvernants dans lOMC, le FMI ou lONU, pour mettre à plat le bilan de lextension de lOTAN et des choix militaires prévalant sur les budgets sociaux. Nous devons favoriser la possibilité de choix différents, imposer ensemble la transparence sur les bilans et nous emparer des contradictions de lactuelle construction européenne pour soulever en étant membre ou pas de lUE les enjeux démocratiques, sociaux et politiques dune autre Europe sociale et anti-militariste, et pour établir dautres relations internationales.
Pourtant, face au capitalisme sauvage et aux rapports de domination quimpose lUE dans sa périphérie (vers le sud et lest), ladhésion à lUE y est (encore) perçue comme apportant des droits. Ceux-ci sont fragilisés et limités notamment par la politique daustérité budgétaire et de concurrence marchande primant sur les droits humains. Du nouveau à lEst ? Hier, il y avait des droits sociaux sans droits politiques ; aujourdhui, cest linverse. Et cest pourquoi le choix dêtre ou pas membre de cette construction est complexe. Il lest aussi pour les peuples des actuels Etats membres.
Un désastre social
Après la chute du Mur de Berlin, la « réunification du continent » a été pré-sentée comme un tournant historique ou « la fin de lhistoire » marquée par le triomphe du « modèle » libéral. Celui-ci était supposé apporter efficacité et libertés, contre le bureaucratisme des Etats et la dictature du parti unique. Les privatisations et la remise en cause des protections sociales et nationales ont été assimilées à un « modèle » universel. Le rejet de lancienne dictature du parti/Etat se réclamant du socialisme a été demblée assimilé à ladhésion nécessaire aux recettes libérales.
Or celles-ci ont été imposées sans réel choix démocratique. En se disant « socialiste », lancien régime régnait sur le dos des peuples en prétendant faire leur bonheur ; aujourdhui, en se proclamant « lEurope », lUE se construit en grande puissance arrogante prétendant apporter la civilisation. Elle a ainsi joué un rôle majeur dans la conduite des politiques de privatisations forcées et de démantèlement des anciennes protections sociales et nationales en Europe de lEst.
Tous les pays de cette région ont subi une dégradation sociale majeure, y compris les candidats supposés satisfaire aux « critères de Copenhague » établis en 1993 par la Commission européenne : loin dêtre en mesure de faire face sans protection à la compétition marchande, ils ont tous des déficits commerciaux considérables avec lUE, illustrant de nouvelles dépendances et dissymétries ; comme toujours, les investissements directs étrangers se con-centrent dans les régions les plus riches, essentiellement les capitales, creusant les écarts entre pays et au sein de chaque pays ; et la domination absolue des ban-ques des pays candidats par le capital étranger depuis la fin de la décennie 1990 signifiera de moins en moins de crédit pour les services publics quil sagit de privatiser et pour les grandes entreprises qui incorporaient le plus de protections sociales non monétaires dans lancien régime. De leur côté, les « aides » euro-péennes ont la même logique que les crédits du FMI assortis de « politiques dajustement structurel » désastreuses. Le chômage dépasse plus de 15% en moyen-ne, mais plus 25% dans certaines régions. Il ne faut alors pas sétonner de la montée dun rejet aux accents nationaliste et xénophobe de ces politiques.
Mais, dans lUE, on dénonce simplement la corruption et les montages financiers opaques, comme sils étaient simplement le produit du bureaucratisme passé ou lapanage de « marchés émergents ». Pour-tant, quand laccumulation dargent de-vient un but en soi (quel que soit le do-maine où se « place » largent), quand tout se vend et doit pouvoir se vendre,
les comportements mafieux deviennent « normaux ». Quand les dirigeants des pays de lEurope de lEst sont jugés comme « démocratiques » et reçoivent des crédits sils adhérent aux programmes de privatisation généralisée, il est rationnel quils y adhèrent et sen mettent au passage plein les poches.
Le bilan désastreux de dix ans de telles « transformations systémiques » est à met-tre au passif des institutions et idéologues propageant ces recettes et de ceux qui, au sein des pays concernés, les ont utilisées à leur profit.
Mais tout est fait pour cacher ce bilan. Le choix des dirigeants de lUnion sera de faire en sorte que, si blocage il y a, il semble venir plutôt des nouveaux candidats et de leur « résistance » à un « bon modèle » et non pas des effets de la politique de lUE. Les peuples des pays candidats sont en position de très grande fai-blesse, confrontés à un capitalisme sauvage qui profite, au non de lajustement à « lacquis communautaire », du démantèlement de toute protection sociale et nationale.
Nous devons au contraire, de lintérieur de lUE, exiger des bilans et larrêt de politiques qui créent de plus en plus de pau-vres, donc de migrations clandestines désespérées, de prostitution et demplois inhumains exploités par un patronat en quête de travail précaire.
De même que la mise en place de leuro a tenu lieu « davancée », sans droits soci-aux, lélargissement se produira de façon institutionnelle (participation aux élections de 2004) en camouflant le désastre des politiques libérales appliquées depuis dix ans.
Les peurs suscitées par
lélargissement et lambiguïté des choix
Les transformations en cours en Europe de lEst sont exploitées par un patronat utilisant les menaces ou réalités des délocalisations dusines « tournevis » du sud vers lest pour abaisser les « coûts salariaux » ; de même, cherche-t-il à met-tre en concurrence des populations à bas salaires et les moins organisées (notamment les femmes) entre elles. Telle est la logique de la construction dune « Europe puissance » sur des bases libérales. Le pourtour méditerranéen et lEurope de lEst sont transformés en zone de libre-échange subordonnée aux intérêts des multinationales du centre dominateur imposant dans sa « périphérie » la sup-pression de toute protection.
Pourtant, bien quayant été un accélérateur de la mondialisation libérale en Europe, lUE est (encore) perçue comme incorporant les plus grands acquis des luttes sociales passées et comme un possible modèle alternatif à la mondialisation sous hégémonie étasunienne. Les éléments de démocratie (parlement) et de fonds budgétaires quelle incorpore la dis-tinguent dun simple accord de libre-échange. Doù lapparent paradoxe dune construction qui, tout en étant le vecteur des politiques libérales, se présente aussi comme un enjeu, très incertain, mais ouvert à dautres politiques possibles de résistance à lactuelle mondialisation.
Doù lambiguïté des perceptions de lUE et les hésitations légitimes à son égard. Il peut y avoir dans les pays candidats un « oui » libéral à lUnion, mais aussi un « oui » désespéré associé au sentiment quhors de lUnion cest pire encore, car dans lunion demeurent quelques droits acquis en lieu et place du capitalisme sauvage qui simpose en Europe de lEst ; il peut enfin y avoir un « oui » critique de la construction libérale et non démocratique de lUE visant à rejoindre le combat pour une autre Europe
Symétriquement, il peut aussi y avoir un « non » anti-européen xénophobe et chauvin ; mais aussi un « non » critique des effets de la politique de lUE et estimant quil est préférable dy résister de lextérieur.
Le choix est loin dêtre évident. La-t-il été (et lest-il) pour nous ? Au sein des Quin-ze, le vote « contre » lélargissement peut saccompagner darguments venant de la droite comme de la gauche (et de leurs extrêmes) pour des raisons opposées
Une partie de la droite libérale (notamment britannique) voudrait utiliser lélargissement pour transformer lunion en un vaste marché libéralisé. Cette tendance existe et se traduira par la logique de baisse des fonds structurels et de réforme de la politique agricole commune (PAC) dans un sens libéral. Mais ces logiques sont à luvre et nous devons les combattre, avec ou sans élargissement. LEurope de lEst sert dailleurs déjà de marché non protégé.
En même temps, lélargissement est de plus en plus présenté comme le seul contre-feu à la montée des courants natio-nalistes xénophobes et anti-européens en Europe de lEst. Et lon tend à mobiliser des sentiments de solidarité envers des po-pulations plus pauvres.
Nous pouvons/devrions être les plus offensifs et cohérents dans lexpression dune telle solidarité, tout en dénonçant la logique en réalité non solidaire des politiques économiques menées en pratique et lhypocrisie des enjeux cachés de cet élargissement.
Linconsistance des discours libéraux sur la réunification « historique »
du continent
La logique politico-économique des gouvernants de lUE sera celle du bricolage et des compromis pour que la con-struction « aille de lavant », mais au moindre coût pour lUnion.
Dans le court terme, cela signifie que les nouveaux membres pourront participer à lélection du parlement européen de juin 2004, sans avoir les mêmes droits que les actuels membres, ce qui renforcera les frustrations et les arguments xénophobes chez les pays candidats. En fait, les actuels débats financiers et budgétaires montrent le peu dambition et de cohérence des dirigeants qui parlent dune « réunification historique du continent ». Lagenda 2000 (fixant les dépenses pour la période 2000-2006) avait fixé de ne pas dépasser 1,27% du PIB de lUnion. En dépit de lélargissement, cela sera respecté : on ne donnera pas les mêmes droits aux nouveaux candidats quaux Etats membres (25% des aides directes de la PAC). La tendance à légalité des droits sera appliquée à lhorizon 2013, mais sans augmenter le budget. Donc, il faudra prendre sur les Etats du Sud (lEspagne notamment) pour donner à lEst et, plus largement, revoir la logique de la PAC et les critères dallocations des fonds structurels (qui représentent avec la PAC 80% du budget européen) dans le but de faire des économies.
Autrement dit, au moment où lon parle denjeu « historique » et où la « co-hésion » entre pays de la Communauté européenne va être de plus en plus fragilisée par de grands écarts de développement et par la récession mondiale, cest laustérité budgétaire (côté social, mais pas côté militaire !) qui continue à prédo-miner.
Quest-ce quune « solidarité » réduite à un droit de vote, avec de moins en moins de fonds daide et une politique libérale qui poursuit le démantèlement des protections sociales ? Quelle cohésion aura cette Union, construite en fait autour des choix de la Banque centrale et des marchés financiers ? En fait, cette « construction » fuit de toute part et elle révèle de plus en plus son inefficacité.
Quelle alternative ?
Nous pouvons renverser lordre et la nature des débats : dabord, quels choix de sociétés voulons-nous ? quelles solidarités et quelles conditions de paix et de sécurité sur le continent souhaitons-nous ? et ensuite seulement, quels moyens institutionnels et financiers pour les réaliser en prenant largent où il se trouve seront les plus efficaces ?
La Convention qui se réunit actuellement pour préparer une constitution a au moins le mérite de légitimer ces questionne-ments. Mais elle na ni le pouvoir, ni dailleurs lenvergure démocratique per-mettant de véritables consultations et choix populaires. La future Conférence intergouvernementale décidera dailleurs ce que bon lui semblera, quelles que soient les propositions de la Convention. Sa logique sera délaborer à huis clos une constitution légitimant le nouvel ordre libéral des contrats au détriment des lois, du droit de la concurrence primant sur les droits humains, individuels et collectifs. Sans rapports de forces externes, il ny aura pas dinfléchissement de cette logique.
Il ny a pas de réponse toute faite, surtout à court terme. Mais au moins sachons exprimer les enjeux :
- lintérêt commun des peuples de lEu-rope au sens large est la paix sur ce continent, une sécurité passant par larrêt des politiques creusant les écarts de dévelop-pement et aggravant la pauvreté. Il est urgent quémerge un contre-modèle, point dappui des résistances à la mondialisation libérale et militaire ;
- une telle alternative ne simposera pas delle-même, elle relève du développement de moyens de luttes et de réflexion com-munes associant la grande masse des populations concernées. Il nous faudra passer, comme au plan mondial, de la globalisation des résistances (européennes) à lélaboration de projets alternatifs auxquels les forums sociaux doivent contribuer.
Les thèmes qui mobilisent dores et déjà les mouvements alter-mondialistes contre lOMC et le FMI peuvent trouver des relais particuliers de luttes à léchelle européenne :
- pour une détermination démocratique des services publics dits « dintérêt com-mun » et leur protection contre le droit de la concurrence ;
- pour la mise en place et le développement de fonds publics communs basés sur une fiscalité européenne finançant des transports publics respectueux de lenvironnement ; la protection de la diversité culturelle et linguistique ; la protection de la santé pour tous notamment par une agriculture de qualité ;
- pour des fonds de solidarité avec les peuples du Sud, notamment appuyés sur une taxe Tobin ;
- pour un arrêt de la précarisation du travail et du dumping des salaires : extension des droits syndicaux continentaux, des droits des comités dentreprises dans les multinationales, des droits dorganisation des chômeurs, des précaires, des femmes ; négociations de conventions collectives de branches au plan européen ; pour des minima sociaux en proportion du PIB moyen de chaque pays
LUnion européenne est souvent vue de lextérieur comme une alternative au « modèle » libéral anglo-saxon et à la toute puissance des Etats-Unis. Ce nest pas la réalité. Mais il est possible de semparer de cette construction politique instable en quête de légitimité pour y renforcer le rôle des élus en même temps que le contrôle sur les élus. Il est possible de semparer des impasses budgétaires produites par la récession et lélargissement pour mettre à plat les choix de société et de solidarité derrière les budgets, quils soient municipaux, nationaux ou européens. Il est possible de semparer de la prétention de lUE a avoir une politique extérieure et de sécurité commune pour discuter des com-portements et choix pris en nos noms par nos gouvernants dans lOMC, le FMI ou lONU, pour mettre à plat le bilan de lextension de lOTAN et des choix militaires prévalant sur les budgets sociaux. Nous devons favoriser la possibilité de choix différents, imposer ensemble la transparence sur les bilans et nous emparer des contradictions de lactuelle construction européenne pour soulever en étant membre ou pas de lUE les enjeux démocratiques, sociaux et politiques dune autre Europe sociale et anti-militariste, et pour établir dautres relations internationales.