Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
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Emile, le maçon bulgare qui anticipait lEurope
En 2007, si tout va bien, la Bulgarie devrait rejoindre lUnion européenne. Les dizaines de bulgares, roms pour la grande majorité, qui squattaient cet automne, au vu et au su de tous, des hangars désaffectés sur les quais de Bordeaux, croyaient pouvoir anticiper de quelques années cette intégration qui leur permettra de circuler et de travailler dans tous les pays de lUnion. Hélas, au même moment, un ministre de lIntérieur qui tire plus vite que son ombre décidait de fermer le centre de Sangatte ; il nétait pas question de laisser sinstaller une nouvelle poche de fixation ailleurs. Depuis, on a vu les mêmes scènes contre dautres roms, de Roumanie ceux-là, dans la région parisien-ne et la région lyonnaise. « Réglez-moi ce problème », un ordre sans équivoque adressé au préfet de la région Aquitaine qui organisait alors une opération très médiatisée : encerclement policier au petit matin, contrôle des identités, 38 bulgares dont 7 femmes en situation irrégulière placés en garde à vue. Suivi un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière sous dix jours1. Message de fermeté à ladresse de tous les candidats à lémigration, de Bulgarie et dailleurs, relayé par les autorités bulgares qui ont affiché dans laffaire un zèle pré-européen.
Sans toit ni lieu
Seul parmi les expulsables, Emile a sauvé momentanément sa mise et celle de sa famille, son épouse Velichka et ses deux enfants, un garçon de 13 ans et une fillette de 8 ans. Comme la majorité des bulgares de Bordeaux, il est originaire de Pechtera, une petite ville du sud du pays. Pour payer le voyage, il a vendu les tuiles du toit de sa maison. Dautres ont démonté les murs et vendu les briques à lunité. Arrivé début 2001, Emile a fait venir sa famille au prin-temps dernier. A Pechtera, ils travaillaient, lui et sa femme dans une usine de chaussures, la spécialité locale, pour un salaire de 300 levas par mois, soit 150 euros, pas le Pérou mais de quoi vi-vre malgré tout. Hélas, quand des italiens ont racheté lusine en 97, les salaires ont été divisés par trois. Merci le Fonds monétaire international et la Banque mondiale qui ont imposé à cette époque-là des mesures de redressement drastiques au pays. Sa femme est restée accrochée à sa machine à chaussures, lui sest lancé dans la con-struction. Une compétence acquise sous les drapeaux. Comme tous les hommes issus des minorités, il a passé ses deux ans de service militaire à construire des bâtiments pour larmée. La tentative « libérale » dEmile ne fut pas un succès. Aussi, quand la France a décidé de sup-primer les visas pour lentrée des Bulgares en avril 2001, comme des dizaines, voire des cen-taines de ses compatriotes2, il a pris la route de Bordeaux, en bus via les forêts autrichiennes et Paris.
Ecole et bas de laine
A Pechtera, la rumeur était revenue colportée par les premiers émigrés, elle courait dans les quartiers misérables où sentassent roms et turcs : « à Bordeaux, il y a du travail sur les chantiers ». Et de fait, Emile, lexcellent maçon, a trouvé du travail sans difficulté, au noir, payé de 50 à 200 euros par jour selon les chantiers. Si bien quau printemps 2002, il est reparti en Bulgarie chercher sa femme et ses deux enfants. Avec un projet simple, dit Velichka « faire étudier nos enfants en France et repartir ensuite, pelote faîte, soffrir à Pechtera une belle maison ». Depuis la rentrée les deux enfants sont scolarisés dans des classes daccueil spécifiques pour enfants étrangers. Une situation qui aurait pu durer et prospérer sans larrivée à lautomne des deux frères dEmile et de leurs épouses dans lappartement de Saint-Michel, une surpopulation qui provoqua leur expulsion. Tous vinrent alors grossir les rangs des squatters des hangars avec les suites que lon connaît. Ses frères ont été renvoyés chez eux. Emile, seul, a échappé à lexpulsion bien que, comme celui des 38, son passeport fut périmé3. La pré-sence de ses enfants, lintervention dassociations et davocats auprès des autorités lui ont momentanément évité le pire. Rien nest pourtant réglé, son passeport sest égaré entre Bordeaux et Sofia, les em-ployeurs se font plus rares depuis les remous de laffaire des hangars. En attendant que ça se tasse, Emile et Velichka rasent les murs, entourés de la solidarité dune poignée damis.
Sans toit ni lieu
Seul parmi les expulsables, Emile a sauvé momentanément sa mise et celle de sa famille, son épouse Velichka et ses deux enfants, un garçon de 13 ans et une fillette de 8 ans. Comme la majorité des bulgares de Bordeaux, il est originaire de Pechtera, une petite ville du sud du pays. Pour payer le voyage, il a vendu les tuiles du toit de sa maison. Dautres ont démonté les murs et vendu les briques à lunité. Arrivé début 2001, Emile a fait venir sa famille au prin-temps dernier. A Pechtera, ils travaillaient, lui et sa femme dans une usine de chaussures, la spécialité locale, pour un salaire de 300 levas par mois, soit 150 euros, pas le Pérou mais de quoi vi-vre malgré tout. Hélas, quand des italiens ont racheté lusine en 97, les salaires ont été divisés par trois. Merci le Fonds monétaire international et la Banque mondiale qui ont imposé à cette époque-là des mesures de redressement drastiques au pays. Sa femme est restée accrochée à sa machine à chaussures, lui sest lancé dans la con-struction. Une compétence acquise sous les drapeaux. Comme tous les hommes issus des minorités, il a passé ses deux ans de service militaire à construire des bâtiments pour larmée. La tentative « libérale » dEmile ne fut pas un succès. Aussi, quand la France a décidé de sup-primer les visas pour lentrée des Bulgares en avril 2001, comme des dizaines, voire des cen-taines de ses compatriotes2, il a pris la route de Bordeaux, en bus via les forêts autrichiennes et Paris.
Ecole et bas de laine
A Pechtera, la rumeur était revenue colportée par les premiers émigrés, elle courait dans les quartiers misérables où sentassent roms et turcs : « à Bordeaux, il y a du travail sur les chantiers ». Et de fait, Emile, lexcellent maçon, a trouvé du travail sans difficulté, au noir, payé de 50 à 200 euros par jour selon les chantiers. Si bien quau printemps 2002, il est reparti en Bulgarie chercher sa femme et ses deux enfants. Avec un projet simple, dit Velichka « faire étudier nos enfants en France et repartir ensuite, pelote faîte, soffrir à Pechtera une belle maison ». Depuis la rentrée les deux enfants sont scolarisés dans des classes daccueil spécifiques pour enfants étrangers. Une situation qui aurait pu durer et prospérer sans larrivée à lautomne des deux frères dEmile et de leurs épouses dans lappartement de Saint-Michel, une surpopulation qui provoqua leur expulsion. Tous vinrent alors grossir les rangs des squatters des hangars avec les suites que lon connaît. Ses frères ont été renvoyés chez eux. Emile, seul, a échappé à lexpulsion bien que, comme celui des 38, son passeport fut périmé3. La pré-sence de ses enfants, lintervention dassociations et davocats auprès des autorités lui ont momentanément évité le pire. Rien nest pourtant réglé, son passeport sest égaré entre Bordeaux et Sofia, les em-ployeurs se font plus rares depuis les remous de laffaire des hangars. En attendant que ça se tasse, Emile et Velichka rasent les murs, entourés de la solidarité dune poignée damis.
(1) Les 38 Bulgares, moins Emile, ont été expulsés par avion vers Sofia quand leur recours devant le tribunal admini-stratif a été rejeté. Des départs 3 par 3, ou 4 par 4, étalés dans le temps à leur demande pour tenter un retour discret dans leur pays. Ils nont logiquement quune idée en tête : revenir. Cela prendra le temps de trouver largent du bakchich indispensable pour le rachat à la douane des passeports confisqués.
(2) 500 à 600 bulgares, roms et turcs, vivraient dans lagglomération bordelaise, dans dautres squats, profil très bas depuis laffaire. Des arrestations plus discrètes sont opérées en pleine rue avec, à la clef, des mesures individuelles de reconduite à la frontière.
(3) Pour rentrer dans lespace Schengen, les Bulgares ont besoin de leur seul passeport qui donne droit à un séjour de 3 mois. Cest donc au terme de ces 3 mois quils se trouvent en situation irrégulière.
(2) 500 à 600 bulgares, roms et turcs, vivraient dans lagglomération bordelaise, dans dautres squats, profil très bas depuis laffaire. Des arrestations plus discrètes sont opérées en pleine rue avec, à la clef, des mesures individuelles de reconduite à la frontière.
(3) Pour rentrer dans lespace Schengen, les Bulgares ont besoin de leur seul passeport qui donne droit à un séjour de 3 mois. Cest donc au terme de ces 3 mois quils se trouvent en situation irrégulière.