Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
Retour
© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
par Emmanuel Renault
Imprimer l'articleLEurope vue dEurope
Telle quelle se fait aujourdhui, lEurope est une belle machine à broyer les repères. Repères géographiques puisquelle devrait sétendre jusquà lOural et exclure lAsie mineure alors que personne névo-que lUkraine ou la Georgie, au moment même où lintégration de la Turquie apparaît presque comme une évidence. Repères politiques et sociaux puisque la Com-mission semploie à réduire en miettes le « modèle social européen », puisquen outre lélargissement à marche forcée conduit à mettre en sourdine les droits fondamentaux auxquels lEurope de lOuest sidentifiait jusquici de façon plus ou moins crédible. Comment sétonner alors que labsence de repères hérités du passé, labsence de projet pour lavenir conduise à exhumer des marqueurs culturels aussi vides que démentis par la réalité géographique : ainsi de cette fa-meuse Europe chrétienne que Giscard a tenté dinjecter dans les controverses sur lintégration de la Turquie ! Il est tellement plus facile de déplacer ainsi le débat, déviter les questions politiques et sociales, pour tout réduire à une affaire de religion, comme si par ailleurs il nexistait pas au cur de lEurope une Bosnie musulmane, un Kosovo et une Albanie, comme si la population immigrée était à lOuest sans attache religieuse, comme si la culture européenne ne puisait que dans Rome, Athènes et Jérusalem, et non pas également dans un monde musulman dont lhistoire de lEspagne porte si profondément les traces.
Rien nest plus facile que de dénoncer la confusion qui préside aux débats actuels sur lélargissement et la manière dont lintégration européenne est pensée et mise en uvre. Mais dune certaine manière, ces critiques expriment encore un point de vue appartenant typiquement à louest de lEurope. Pour en prendre conscience, déplaçons-nous aux frontières de lélargissement. En Roumanie par exemple.
Comme la plupart des Européens de lOuest, je suis un Européen relativement fier de lêtre. Jamais je naurais cru appartenir à une entité coloniale, et obser-ver un jour dans mes actes et mes propos les traits caractéristiques du paternalisme condescendant et méprisant qui fait tout le charme du colon. Encore moins aurais-je pu mimaginer tel en Europe, par mon comportement à légard dEuropéens de souche, dans mon Europe.
Il suffisait pourtant de prendre un billet davion pour la Roumanie. Que représente-t-elle, là-bas, notre Europe ? Une puissance économique et financière qui impose ses règles, qui donne des leçons de démocratie lorsquun candidat popu-liste arrive au second tour des élections roumaines, ou encore, lorsque le gou-vernement roumain accepte daccorder aux citoyens américains limpunité face au futur Tribunal Pénal International. Aussi de nombreux Roumains parviennent-ils à se réjouir, à droite comme à gauche, lorsque Le Pen arrive au second tour des élections présidentielles françaises, ou encore, lorsque lEurope finit par con-céder, dans les statuts du TPI, un statut dérogatoire pour les citoyens américains. Ce que nous narrivons pas à admettre ici apparaît trop clairement là-bas : incapable de susciter ladhésion par un projet et des valeurs, lEurope tente dimposer son propre modèle démocratique au moment même où celui se lézarde sous leffet dune abstention et dune délégitimation massive du personnel politique qui signale la crise globale du modèle social et politique européen. Là-bas, cette faillite généralisée nest pas sans évoquer des souvenirs. On trouve même certains Roumains pour comparer Ceausescu et la Commission : le premier demandait de consentir aux sacrifices qui conduiraient les générations futures à jouir des bénéfices du socialisme accompli, la seconde demande de consentir aux sacrifices qui conduiraient les générations futures à une démocratie prospère.
Si lon y croit pas, si lon ny croit plus, que reste-t-il donc de lEurope, vue de Roumanie ? Tout simplement lespoir dune intégration commerciale qui permet-trait de se hisser jusquaux modes de vie modernisés et marchandisés, conformes à limage que la culture hollywoodienne donne des Etats-Unis, mais malheureusement un peu moins alléchants, puisquils sont ici moins clinquants et accompagnés de mépris et de contraintes.
Vue dune autre Europe, voici notre Europe. En son versant négatif : un colonialisme de limpuissance incapable dasseoir sa puissance, face à lhégémonie américaine, sur une politique étrangère cohérente ou un modèle politique et social crédible, elle saccorde lillusion dêtre un empire en imposant sa loi à de faibles voisins. En son versant positif : une prospérité rêvée tellement longtemps quil faut bien se contenter dune copie imparfaite lEurope : les Etats-Unis du pauvre.
Pour une autre Europe, il faudrait donc élargir nos préoccupations jusquà prendre en compte le point de vue que lEurope méprise et exclut, en elle et hors delle faire en sorte que lélargissement géographique soit loccasion de cet élargissement politique.
Rien nest plus facile que de dénoncer la confusion qui préside aux débats actuels sur lélargissement et la manière dont lintégration européenne est pensée et mise en uvre. Mais dune certaine manière, ces critiques expriment encore un point de vue appartenant typiquement à louest de lEurope. Pour en prendre conscience, déplaçons-nous aux frontières de lélargissement. En Roumanie par exemple.
Comme la plupart des Européens de lOuest, je suis un Européen relativement fier de lêtre. Jamais je naurais cru appartenir à une entité coloniale, et obser-ver un jour dans mes actes et mes propos les traits caractéristiques du paternalisme condescendant et méprisant qui fait tout le charme du colon. Encore moins aurais-je pu mimaginer tel en Europe, par mon comportement à légard dEuropéens de souche, dans mon Europe.
Il suffisait pourtant de prendre un billet davion pour la Roumanie. Que représente-t-elle, là-bas, notre Europe ? Une puissance économique et financière qui impose ses règles, qui donne des leçons de démocratie lorsquun candidat popu-liste arrive au second tour des élections roumaines, ou encore, lorsque le gou-vernement roumain accepte daccorder aux citoyens américains limpunité face au futur Tribunal Pénal International. Aussi de nombreux Roumains parviennent-ils à se réjouir, à droite comme à gauche, lorsque Le Pen arrive au second tour des élections présidentielles françaises, ou encore, lorsque lEurope finit par con-céder, dans les statuts du TPI, un statut dérogatoire pour les citoyens américains. Ce que nous narrivons pas à admettre ici apparaît trop clairement là-bas : incapable de susciter ladhésion par un projet et des valeurs, lEurope tente dimposer son propre modèle démocratique au moment même où celui se lézarde sous leffet dune abstention et dune délégitimation massive du personnel politique qui signale la crise globale du modèle social et politique européen. Là-bas, cette faillite généralisée nest pas sans évoquer des souvenirs. On trouve même certains Roumains pour comparer Ceausescu et la Commission : le premier demandait de consentir aux sacrifices qui conduiraient les générations futures à jouir des bénéfices du socialisme accompli, la seconde demande de consentir aux sacrifices qui conduiraient les générations futures à une démocratie prospère.
Si lon y croit pas, si lon ny croit plus, que reste-t-il donc de lEurope, vue de Roumanie ? Tout simplement lespoir dune intégration commerciale qui permet-trait de se hisser jusquaux modes de vie modernisés et marchandisés, conformes à limage que la culture hollywoodienne donne des Etats-Unis, mais malheureusement un peu moins alléchants, puisquils sont ici moins clinquants et accompagnés de mépris et de contraintes.
Vue dune autre Europe, voici notre Europe. En son versant négatif : un colonialisme de limpuissance incapable dasseoir sa puissance, face à lhégémonie américaine, sur une politique étrangère cohérente ou un modèle politique et social crédible, elle saccorde lillusion dêtre un empire en imposant sa loi à de faibles voisins. En son versant positif : une prospérité rêvée tellement longtemps quil faut bien se contenter dune copie imparfaite lEurope : les Etats-Unis du pauvre.
Pour une autre Europe, il faudrait donc élargir nos préoccupations jusquà prendre en compte le point de vue que lEurope méprise et exclut, en elle et hors delle faire en sorte que lélargissement géographique soit loccasion de cet élargissement politique.