Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
par Patrick Baudry
Imprimer l'articleLeurope nest pas un « chez nous »
Il faut à la femme et à lhomme un lieu pour vivre. Pour se situer. Sans doute. Il faut aussi et surtout que ces lieux nassignent pas à résidence des habitants, que des horizons si lointains soient-ils ne bornent pas les vues, que linvention soit vive, que des mondes qui nexisteront peut-être jamais soient pressentis (Jean Duvignaud), présents dans nos regards, ou bien lon ne voit plus que le visible et lobservable, et lon ne demeure plus vraiment, mais lon devient demeuré
Les lieux ne sont humains que par les usages qui sen font. Usages non programmables, cest-à-dire quaucun mode demploi de lexistence, qui supposerait la bonne orientation et la signification définitive, ne peut guider ou téléguider. Usages qui font advenir du non-lieu dans les lieux et qui font du monde autre chose que lespace dune entente convenue.
Je me méfie des lieux, des localisations spécifiques, des précisions fonctionnelles de nos activités par repérages despace, jeux de frontières et bornages de territoire. « Etre dici », être « du coin », ma toujours semblé douteux. Avoir ici ses racines Leffroyable racisme commence ainsi : létranger, celui qui fait advenir notre singularité (Georg Simmel), serait celui qui nest pas de « chez nous ». Ainsi est-il renvoyé à sa sauvagerie, à son exotisme, ou à sa différence. On dira pour montrer sa « tolérance » (son « ouverture desprit » ?) quil faut accepter « sa » différence. Violence terrible de la condescendance qui tolère les gens « dailleurs » du moment quils ne contamineraient pas. Or la culture est métisse et métissage. Nous sommes toutes et tous dorigine étrangère.
Emmanuel Lévinas disait que la modernité tient de « limpossibilité à demeurer chez soi ». Il ne sagit pas ici de gens qui auraient la bougeotte ou de la particularité de ceux qui seraient destinés à vivre en roulotte. Le voyage peut être immobile. Lessentiel est le mouvement qui traverse le territoire, au lieu dêtre ce morceau de terre où lon devrait se fixer. Lessentiel est aussi lévénement non pas comme élément dune histoire poursuivie, mais comme ce qui en dérange la continuité. Lévénement ? Précisément, limpossibilité de demeurer dans la permanence à soi-même, de sidentifier à sa propre coïncidence, dans le contentement de soi et de lidentité que lon se donne.
LEurope dont on nous parle, tient-elle de cette ouverture ? A lévidence, elle vaut stratégie dans le monopoly planétaire. Laddition des Etats vient cautionner lidéologie du consommateur « libre », qui ne buterait plus sur les cultures et leurs freins à la pleine expansion des marchandises. Elle peut signifier internationalisation rationnelle et suffisante, cest-à-dire irréalisme dune internationale quand il sagirait de mondialiser sur un mode réaliste. Largument dune incontournable avancée économique et du progrès nécessaire peut aussi bien justifier le repli sécuritaire et la manuvre des peurs. Des maffias, explique-t-on, sont derrière les miséreux : cest pourquoi il faudrait les renvoyer chez eux.
Je me méfie des lieux, des localisations spécifiques, des précisions fonctionnelles de nos activités par repérages despace, jeux de frontières et bornages de territoire. « Etre dici », être « du coin », ma toujours semblé douteux. Avoir ici ses racines Leffroyable racisme commence ainsi : létranger, celui qui fait advenir notre singularité (Georg Simmel), serait celui qui nest pas de « chez nous ». Ainsi est-il renvoyé à sa sauvagerie, à son exotisme, ou à sa différence. On dira pour montrer sa « tolérance » (son « ouverture desprit » ?) quil faut accepter « sa » différence. Violence terrible de la condescendance qui tolère les gens « dailleurs » du moment quils ne contamineraient pas. Or la culture est métisse et métissage. Nous sommes toutes et tous dorigine étrangère.
Emmanuel Lévinas disait que la modernité tient de « limpossibilité à demeurer chez soi ». Il ne sagit pas ici de gens qui auraient la bougeotte ou de la particularité de ceux qui seraient destinés à vivre en roulotte. Le voyage peut être immobile. Lessentiel est le mouvement qui traverse le territoire, au lieu dêtre ce morceau de terre où lon devrait se fixer. Lessentiel est aussi lévénement non pas comme élément dune histoire poursuivie, mais comme ce qui en dérange la continuité. Lévénement ? Précisément, limpossibilité de demeurer dans la permanence à soi-même, de sidentifier à sa propre coïncidence, dans le contentement de soi et de lidentité que lon se donne.
LEurope dont on nous parle, tient-elle de cette ouverture ? A lévidence, elle vaut stratégie dans le monopoly planétaire. Laddition des Etats vient cautionner lidéologie du consommateur « libre », qui ne buterait plus sur les cultures et leurs freins à la pleine expansion des marchandises. Elle peut signifier internationalisation rationnelle et suffisante, cest-à-dire irréalisme dune internationale quand il sagirait de mondialiser sur un mode réaliste. Largument dune incontournable avancée économique et du progrès nécessaire peut aussi bien justifier le repli sécuritaire et la manuvre des peurs. Des maffias, explique-t-on, sont derrière les miséreux : cest pourquoi il faudrait les renvoyer chez eux.