Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
par Frédéric Georges
Imprimer l'articleLa forteresse européenne
LU.E. entre tolérance-zéro et « cordon sécuritaire »
Le psychanalyste Patrick Declerck a écrit récemment que lorientation générale de la politique française, depuis lalternance gouvernementale, répond moins au souci de la « France den bas » quà celui de la France de la bassesse. Le même commentateur poursuivait en expliquant que sous couvert de voler au secours des pauvres gens, la politique répressive mise en place flatte en réalité les instincts les plus vils1. Cette analyse paraît juste tant les réformes déjà réalisées ou en projet traduisent une vaste peur, un réflexe dépicier insécurisé plus par la liberté des autres que par la prétendue (mais jamais prouvée !) recrudescence de la délinquance. La recherche dune société autoritaire réconforte dune façon malsaine une population en souffrance, qui peut impu-ter à la dureté de lEtat lorigine de son angoisse et se dispenser ainsi de regarder les ressorts intimes de la douleur de vivre de lêtre libre. Cette tentation répressive ne se manifeste pas quen France et on lobserve à lidentique à léchelle de lEurope, celle qui est constituée politiquement : lUnion européenne. Les Etats qui la composent subissent le même spasme angoissé et mettent en place de concert des dispositifs policiers renforcés de contrôle des citoyens sans se soucier des risques consécutifs sociaux et humains.
Pourtant, on le sait depuis longtemps, depuis toujours, que la peur est mauvaise conseillère.
Le traumatisme du 11 septembre a poussé les gouvernements occidentaux à instau-rer des petits « états durgence » ; en France, avant même que le maire de Neuilly ne devienne le frénétique chef de garnison que lon connaît, le gouvernement Jospin avait fait adopter en novembre 2001 une loi qui amorçait le processus. Cest donc légitimé par avance que le nouveau gouvernement a fait voter une loi dite « Perben » le 9 septembre 2002.
Les jeunes y sont clairement définis comme une classe dangereuse : lâge minimum pour la sanction des enfants est abaissé à 10 ans ; les enfants de 13 à 16 ans pourront désormais être placés en détention provisoire pour des délits ; des centres éducatifs fermés sont créés, comme si enfermement et éducation étaient des termes conciliables.
Labandon de la priorité éducative
Au-delà de leur portée concrète, ces réformes signifient labandon dun principe essentiel qui faisait consensus dans le corps social sur la notion denfance : celui de la priorité éducative. De plus, le recours au témoin anonyme est généralisé et la détention provisoire est facilitée alors que les prisons de la République sont des poubelles, surpeuplées de surcroît puisque lon dénombre aujourdhui 60 000 détenus pour 49 000 places.
Le projet de loi préparé par le ministre de lIntérieur, qui devrait être adopté prochainement, se propose généreusement de loger gratuitement les plus démunis (prostituées, gens du voyage, SDF, étrangers clandestins) : en prison. Le pivot de justice sociale autour duquel la démo-cratie sefforçait hier de construire la solidarité est enterré ; il importe de réprimer, de cacher la misère quil est effectivement plus facile de punir que de réduire.
Enfin des fichiers géants vont voir le jour, sans contrôle réel, et parallèlement la police pourra, à peu près en toutes circonstances, retenir et fouiller des véhicules. Le risque dabus de pouvoir des policiers ou derreurs judiciaires va prendre, dans ces circonstances, des proportions extravagantes et il est probable que la population va connaître une insécurité inattendue, liée à la brutale rupture déquilibre entre le pouvoir coercitif et la liberté individuelle.
La France rejoint les Etats-Unis dans cette politique de défiance vis-à-vis de la liberté des citoyens, de même que la Grande-Bretagne sest jetée avec enthousiasme sur ce ring exaltant où la brutalité prend ses lettres de noblesses.
Anesthésiée, lEurope na pas réagi face à lincroyable chenil de Guantanamo non plus quau retour, aux USA comme en Grande-Bretagne, de procédures médiévales de détention provisoire illimitée, semi-clandestine, sans droits de défense.
LItalie, elle, plébiscite un homme daffaires populiste qui fait voter des lois entravant les procédures judiciaires existant contre lui et qui monopolise à peu près tous les médias télévisuels du pays, privés et désormais publics. Portée par lélan général, la police italienne sétait plu à frapper sauvagement, à Gênes, des manifestants endormis. De plus, récemment, la France a décidé dextrader un ressortissant italien réfugié en France depuis des décennies, en raison du présupposé selon lequel, puisque tous les Etats membres de lUnion sont des démocraties, il est impossible quil existe des réfugiés politiques provenant de lun dentre eux.
Pourtant, les lois qui ont permis de condamner les réfugiés politiques italiens ne sont pas au sens propre des lois, mais des ratifications de décrets durgence émis par lexécutif, à limage de presque toutes les mesures prises partout en temps de crise.
La démocratie est un concept complexe qui implique une série de principes et de critères que lévolution des Etats modernes a gravement remis en question et la simple opposition entre démocratie et dictature ne semble plus pertinente.
Le journal Le Monde a indiqué en avril 2001 que M. Berlusconi considère lEspagne comme le modèle à suivre, ce qui ne peut que surprendre et amener à être vigilant sur lévolution démocratique de la péninsule ibérique qui voyait dernièrement un de ses plus grands quotidiens titrer sur « le lobby juif et sa
puissance occulte » dans lindifférence générale.
LAutriche, il y a peu, décidait que, finalement, les assimilés nazis étaient susceptibles davoir les solutions aux problèmes du pays et a fait participer au pouvoir un parti xénophobe dune rare radicalité, même si le 24 novembre dernier, lAutriche cor-rigeait cette dérive.
Les Pays-Bas, parmi les pionniers de lUnion, modèle dorganisation sociale, sont actuellement gouvernés par une équipe comprenant quatre ministres aux discours xénophobes exacerbés.
La Scandinavie, et en particulier le Danemark, voit aussi renaître un courant nationaliste dur, totalement en contradiction avec la philosophie européenne depuis la dernière guerre mondiale.
Face à cette régression massive, la Cour européenne des Droits de lhomme, rempart longtemps très efficace contre les tentations datteinte par les Etats aux droits fondamentaux des citoyens, sefface. Le secrétaire général de lorganisation comprenant cette Cour explique qu« il faut réduire la menace du terrorisme par une action préventive et répressive extrêmement forte, tout en sauvegardant dans toute la mesure du possible les libertés » (Xe conférence judiciaire internationale 24 mai 2002). Autant dire que les Etats se sentent les coudées franches, ce qui était déjà franchement le cas pour la France qui avait été condamnée 33 fois en six mois (juillet à décembre 2000) pour violation des Droits de lhomme et une fois pour torture en 1999.
Le deal sordide de lUE avec la Turquie
Si les citoyens des Etats de lUnion ont des raisons de sinquiéter, les étrangers qui souhaiteraient trouver leur place dans nos pays riches doivent séquiper solidement car lEurope de cocagne sentoure de barbelés, toujours plus acérés. La crainte de flux incontrôlés de migrants est en passe dériger lUnion européenne en forteresse.
En France, la prétendue simplification de la procédure dasile a pour vrai but une plus grande facilité dexpulsion car, de laveu même de M. Per-ben, il est plus dur dexpulser un étranger sur le territoire depuis des mois que si lon traite le dossier en un mois. De plus, la liste des Etats répressifs est révisée à la baisse et la durée de rétention (détention en attente du charter), ac-tuellement de 12 jours maximum, devrait être augmentée.
Les quinze ont entrepris de créer un « cordon sanitaire » autour de leurs frontières com-munes, en transformant les pays dEurope cen-trale, orientale et la Tur-quie en Etats tampons chargés de retenir les réfugiés et de traiter leurs demandes. Les pays de lUnion, qui sont déjà chacun engagés, comme la Belgique, dans une approche sécuritaire de limmigration, cherchent ainsi à se décharger col-lectivement de leurs responsabilités sur des pays tiers, pays qui sont loin de présenter toutes les garanties en matière de respect des droits humains. Un deal a ainsi été passé avec la Tur-quie : lUnion européen-ne lui offre son aide pour améliorer les contrôles à ses frontières, ainsi que ses capacités de détection des faux papiers et de réadmission des émigrés clandestins ; elle lui apporte également son soutien pour lutter contre le trafic des personnes.
Enfin, lUE lui propose son aide pour la mise en place de centres de détention pour les immigrés entrés clandestinement en Turquie. Seulement, les fonctionnaires turques ont signifié clairement leur refus de toute implication du HCR dans cette affaire et cela pose une difficulté majeure quand on connaît le caractère expéditif des procédures de demandes dasile dans ce pays. Mais lenjeu vaut bien ce risque aux yeux de lUnion car la Turquie est le principal pays de transit pour les demandeurs dasile et émigrants à destination de lEurope. Le phénomène de « déchargement » du traitement des demandeurs dasile, désormais confié à des pays périphériques dEst ou du Sud de lEurope, sest généralisé avec ladoption en 1991 de la notion de « pays tiers sûr ». Ces pays, qui sont par nature les premiers abordés par les émigrants, auront la mission de recueillir ceux-ci, après renvoi par les pays de lUnion, sans que la qualité de linstruction des demandes soit assurée. Plus grave, il est même prévu un accueil des réfugiés dans leur région dorigine, à lintérieur de « zones internationales proté-gées » qui auraient toutefois la protection temporaire du HCR, de lUnion ou des Etats-Unis.
Ces dispositifs ont une vocation dissuasive évidente puisque les conditions de deman-de dasile ne ressembleraient plus du tout à lidée que lon se fait du « refuge ». En contrepartie, ces Etats tampons, aux termes daccords signés avec lUE, verraient faciliter leur émigration professionnelle, contrôlée, car les machines économiques dEurope manquent cruellement de bras et cerveaux jeunes
La notion même dasile politique
est dénaturée
Si hier, pendant la guerre froide, le réfugié avait le visage du dissident politique et la convention de Genève trouvait facilement application, aujourdhui, linstabilité politique et économique qui gangrène désormais une large partie du Monde provoque des situations de misère entraînant une immigration plus massive, mais plus désespérée et légitime que jamais.
La réponse de lUnion tient en un mot : con-trôle. Avec en prime, une défausse de responsabilité sur des pays tiers ne disposant pas des res-sources nécessaires et dans le même temps elle entend conserver la pos-sibilité dutiliser une main-duvre étrangère flexible et indispensable.
Force est de constater la contradiction majeure existant dans lutilisation du terme « réfugié éco-nomique » qui de fait, est connoté négativement. En réalité, un tel réfugié incarne toutes les valeurs néolibérales valo-risées comme principes devant régir la société : le désir de progrès et de prospérité, la responsabilité individuelle, la prise de risques, etc. Alors que dans le même temps, un chômeur quittant le sud de son pays pour le nord afin de chercher un emploi sera encensé, un étranger ve-nant dun pays lointain sera montré du doigt comme un fraudeur et un profiteur.
LEurope universaliste est encore loin, et elle le restera tant quon ambitionnera de répondre uniquement aux idées et aux sentiments les plus bas.
Pourtant, on le sait depuis longtemps, depuis toujours, que la peur est mauvaise conseillère.
Le traumatisme du 11 septembre a poussé les gouvernements occidentaux à instau-rer des petits « états durgence » ; en France, avant même que le maire de Neuilly ne devienne le frénétique chef de garnison que lon connaît, le gouvernement Jospin avait fait adopter en novembre 2001 une loi qui amorçait le processus. Cest donc légitimé par avance que le nouveau gouvernement a fait voter une loi dite « Perben » le 9 septembre 2002.
Les jeunes y sont clairement définis comme une classe dangereuse : lâge minimum pour la sanction des enfants est abaissé à 10 ans ; les enfants de 13 à 16 ans pourront désormais être placés en détention provisoire pour des délits ; des centres éducatifs fermés sont créés, comme si enfermement et éducation étaient des termes conciliables.
Labandon de la priorité éducative
Au-delà de leur portée concrète, ces réformes signifient labandon dun principe essentiel qui faisait consensus dans le corps social sur la notion denfance : celui de la priorité éducative. De plus, le recours au témoin anonyme est généralisé et la détention provisoire est facilitée alors que les prisons de la République sont des poubelles, surpeuplées de surcroît puisque lon dénombre aujourdhui 60 000 détenus pour 49 000 places.
Le projet de loi préparé par le ministre de lIntérieur, qui devrait être adopté prochainement, se propose généreusement de loger gratuitement les plus démunis (prostituées, gens du voyage, SDF, étrangers clandestins) : en prison. Le pivot de justice sociale autour duquel la démo-cratie sefforçait hier de construire la solidarité est enterré ; il importe de réprimer, de cacher la misère quil est effectivement plus facile de punir que de réduire.
Enfin des fichiers géants vont voir le jour, sans contrôle réel, et parallèlement la police pourra, à peu près en toutes circonstances, retenir et fouiller des véhicules. Le risque dabus de pouvoir des policiers ou derreurs judiciaires va prendre, dans ces circonstances, des proportions extravagantes et il est probable que la population va connaître une insécurité inattendue, liée à la brutale rupture déquilibre entre le pouvoir coercitif et la liberté individuelle.
La France rejoint les Etats-Unis dans cette politique de défiance vis-à-vis de la liberté des citoyens, de même que la Grande-Bretagne sest jetée avec enthousiasme sur ce ring exaltant où la brutalité prend ses lettres de noblesses.
Anesthésiée, lEurope na pas réagi face à lincroyable chenil de Guantanamo non plus quau retour, aux USA comme en Grande-Bretagne, de procédures médiévales de détention provisoire illimitée, semi-clandestine, sans droits de défense.
LItalie, elle, plébiscite un homme daffaires populiste qui fait voter des lois entravant les procédures judiciaires existant contre lui et qui monopolise à peu près tous les médias télévisuels du pays, privés et désormais publics. Portée par lélan général, la police italienne sétait plu à frapper sauvagement, à Gênes, des manifestants endormis. De plus, récemment, la France a décidé dextrader un ressortissant italien réfugié en France depuis des décennies, en raison du présupposé selon lequel, puisque tous les Etats membres de lUnion sont des démocraties, il est impossible quil existe des réfugiés politiques provenant de lun dentre eux.
Pourtant, les lois qui ont permis de condamner les réfugiés politiques italiens ne sont pas au sens propre des lois, mais des ratifications de décrets durgence émis par lexécutif, à limage de presque toutes les mesures prises partout en temps de crise.
La démocratie est un concept complexe qui implique une série de principes et de critères que lévolution des Etats modernes a gravement remis en question et la simple opposition entre démocratie et dictature ne semble plus pertinente.
Le journal Le Monde a indiqué en avril 2001 que M. Berlusconi considère lEspagne comme le modèle à suivre, ce qui ne peut que surprendre et amener à être vigilant sur lévolution démocratique de la péninsule ibérique qui voyait dernièrement un de ses plus grands quotidiens titrer sur « le lobby juif et sa
puissance occulte » dans lindifférence générale.
LAutriche, il y a peu, décidait que, finalement, les assimilés nazis étaient susceptibles davoir les solutions aux problèmes du pays et a fait participer au pouvoir un parti xénophobe dune rare radicalité, même si le 24 novembre dernier, lAutriche cor-rigeait cette dérive.
Les Pays-Bas, parmi les pionniers de lUnion, modèle dorganisation sociale, sont actuellement gouvernés par une équipe comprenant quatre ministres aux discours xénophobes exacerbés.
La Scandinavie, et en particulier le Danemark, voit aussi renaître un courant nationaliste dur, totalement en contradiction avec la philosophie européenne depuis la dernière guerre mondiale.
Face à cette régression massive, la Cour européenne des Droits de lhomme, rempart longtemps très efficace contre les tentations datteinte par les Etats aux droits fondamentaux des citoyens, sefface. Le secrétaire général de lorganisation comprenant cette Cour explique qu« il faut réduire la menace du terrorisme par une action préventive et répressive extrêmement forte, tout en sauvegardant dans toute la mesure du possible les libertés » (Xe conférence judiciaire internationale 24 mai 2002). Autant dire que les Etats se sentent les coudées franches, ce qui était déjà franchement le cas pour la France qui avait été condamnée 33 fois en six mois (juillet à décembre 2000) pour violation des Droits de lhomme et une fois pour torture en 1999.
Le deal sordide de lUE avec la Turquie
Si les citoyens des Etats de lUnion ont des raisons de sinquiéter, les étrangers qui souhaiteraient trouver leur place dans nos pays riches doivent séquiper solidement car lEurope de cocagne sentoure de barbelés, toujours plus acérés. La crainte de flux incontrôlés de migrants est en passe dériger lUnion européenne en forteresse.
En France, la prétendue simplification de la procédure dasile a pour vrai but une plus grande facilité dexpulsion car, de laveu même de M. Per-ben, il est plus dur dexpulser un étranger sur le territoire depuis des mois que si lon traite le dossier en un mois. De plus, la liste des Etats répressifs est révisée à la baisse et la durée de rétention (détention en attente du charter), ac-tuellement de 12 jours maximum, devrait être augmentée.
Les quinze ont entrepris de créer un « cordon sanitaire » autour de leurs frontières com-munes, en transformant les pays dEurope cen-trale, orientale et la Tur-quie en Etats tampons chargés de retenir les réfugiés et de traiter leurs demandes. Les pays de lUnion, qui sont déjà chacun engagés, comme la Belgique, dans une approche sécuritaire de limmigration, cherchent ainsi à se décharger col-lectivement de leurs responsabilités sur des pays tiers, pays qui sont loin de présenter toutes les garanties en matière de respect des droits humains. Un deal a ainsi été passé avec la Tur-quie : lUnion européen-ne lui offre son aide pour améliorer les contrôles à ses frontières, ainsi que ses capacités de détection des faux papiers et de réadmission des émigrés clandestins ; elle lui apporte également son soutien pour lutter contre le trafic des personnes.
Enfin, lUE lui propose son aide pour la mise en place de centres de détention pour les immigrés entrés clandestinement en Turquie. Seulement, les fonctionnaires turques ont signifié clairement leur refus de toute implication du HCR dans cette affaire et cela pose une difficulté majeure quand on connaît le caractère expéditif des procédures de demandes dasile dans ce pays. Mais lenjeu vaut bien ce risque aux yeux de lUnion car la Turquie est le principal pays de transit pour les demandeurs dasile et émigrants à destination de lEurope. Le phénomène de « déchargement » du traitement des demandeurs dasile, désormais confié à des pays périphériques dEst ou du Sud de lEurope, sest généralisé avec ladoption en 1991 de la notion de « pays tiers sûr ». Ces pays, qui sont par nature les premiers abordés par les émigrants, auront la mission de recueillir ceux-ci, après renvoi par les pays de lUnion, sans que la qualité de linstruction des demandes soit assurée. Plus grave, il est même prévu un accueil des réfugiés dans leur région dorigine, à lintérieur de « zones internationales proté-gées » qui auraient toutefois la protection temporaire du HCR, de lUnion ou des Etats-Unis.
Ces dispositifs ont une vocation dissuasive évidente puisque les conditions de deman-de dasile ne ressembleraient plus du tout à lidée que lon se fait du « refuge ». En contrepartie, ces Etats tampons, aux termes daccords signés avec lUE, verraient faciliter leur émigration professionnelle, contrôlée, car les machines économiques dEurope manquent cruellement de bras et cerveaux jeunes
La notion même dasile politique
est dénaturée
Si hier, pendant la guerre froide, le réfugié avait le visage du dissident politique et la convention de Genève trouvait facilement application, aujourdhui, linstabilité politique et économique qui gangrène désormais une large partie du Monde provoque des situations de misère entraînant une immigration plus massive, mais plus désespérée et légitime que jamais.
La réponse de lUnion tient en un mot : con-trôle. Avec en prime, une défausse de responsabilité sur des pays tiers ne disposant pas des res-sources nécessaires et dans le même temps elle entend conserver la pos-sibilité dutiliser une main-duvre étrangère flexible et indispensable.
Force est de constater la contradiction majeure existant dans lutilisation du terme « réfugié éco-nomique » qui de fait, est connoté négativement. En réalité, un tel réfugié incarne toutes les valeurs néolibérales valo-risées comme principes devant régir la société : le désir de progrès et de prospérité, la responsabilité individuelle, la prise de risques, etc. Alors que dans le même temps, un chômeur quittant le sud de son pays pour le nord afin de chercher un emploi sera encensé, un étranger ve-nant dun pays lointain sera montré du doigt comme un fraudeur et un profiteur.
LEurope universaliste est encore loin, et elle le restera tant quon ambitionnera de répondre uniquement aux idées et aux sentiments les plus bas.
Avocat à la cour de Bordeaux.
(1) P. Declerck, « La pensée caporale », in Le Monde
du 5 octobre 2002.
(1) P. Declerck, « La pensée caporale », in Le Monde
du 5 octobre 2002.