Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
par Dick Howard
Imprimer l'article2021, vingt ans après le « 11 septembre » : vers un déclin de la puissance américaine ?
Dick Howard porte ici un regard critique sur la politique étrangère de George W. Bush : il envisage les différents scénarios résultants dune intervention en Irak et présuppose un déclin de la puissance américaine à lhorizon 2021. Il tente dimaginer, et non de prévoir, comment un tel déclin pourrait se produire, et comment il pourrait saccompagner dune prise de conscience par lEurope de ses propres possibilités politiques.
Dun point de vue cynique, la politique étrangère actuelle du Président Bush pourrait apparaître comme le fruit dun fort désir de réélection. En effet, cest un président mal élu souhaitant éviter le destin de son père, qui malgré sa popularité après la guerre du Golfe navait pas été réélu en 1992. De plus, George W. Bush peut être perçu comme un homme peu expérimenté et guère sensible aux nuances, ayant une vision manichéenne du monde. Cette perception lui a dailleurs bien été utile, dans les premières semaines qui suivirent le 11 septembre, lorsquil sest agi de ral-lier le peuple américain et de lui redonner confiance. Mais depuis, se montrant peu capable daccepter des compromis, Bush a fait de laffirmation des valeurs américaines un moralisme qui devient une anti-politique, et par-là un manichéisme non porteur davenir.
Lintérêt dune analyse prospective est alors de mettre en exergue les divers scénarios traduisant un déclin de la puissance américaine cest-à-dire un isolement du pays sur la scène internationale à horizon 2021, soit vingt ans après les attaques terroristes du 11 septembre.
En effet, lintervention contre lIrak, de plus en plus probable et de plus en plus souhaitée par les conseillers proches de G. Bush, pourrait se traduire dans le futur par un affaiblissement de larmée, de léconomie, mais aussi du pouvoir dattirance appelé soft power qui est essentiel au rayonnement américain. Néanmoins, in-dépendamment de ces hypothèses con-joncturelles, le pays devra faire face à une possible dérive de la dialectique de la démocratie que la politique américaine porte en son sein.
Supposons, malgré certains signes récents qui mettent en doute cette hypothèse, quil y ait une intervention contre lIrak. Cette décision peut se révéler décisive pour lavenir de la puissance américaine. En effet, deux scénarios différents pourraient résulter dune telle opération.
Tout dabord, prenons le cas où lintervention militaire se solde par une victoire rapide des Américains. Se pose la question de la reconstruction de cette région, à savoir si lon aura la volonté politique de la faire. Les Etats-Unis devront alors jongler entre, dune part, le choix dune politique dingérence au risque de nombreuses réactions hostiles du monde arabe, et dautre part, une position politique de retrait, laissant alors la situation au Proche-Orient se dégrader davantage. LEurope aurait ainsi un rôle de premier plan à jouer en asseyant sa puissance diplomatique au détriment de celle des Etats-Unis. Quelle en soit capable, cest une autre question.
Deuxième cas de figure, les Etats-Unis sembourbent dans un conflit sans fin contre lIrak, sans soutien des alliés. La puissance américaine sen trouvera incontestablement discréditée, sans compter que la guerre « affichée » contre le terrorisme pourrait alors devenir un prétexte afin de mener une politique domestique assez répressive.
Dans ces deux cas de figure, la situation générale devrait empirer et conduire au déclin de la puissance américaine, notamment à travers son économie. En effet, lintervention en Irak engendrera probablement un saut du prix des ressources pétrolières, ce qui porterait un coup sérieux à une économie toujours trop dépendante du pétrole proche-oriental et déjà fortement dégradée depuis un an par des scandales liés à la déréglementation. Et le scénario catastrophe stigmatisant cette dégradation serait alors que lEuro supplante le Dollar comme monnaie de réserve, ce qui interdirait aux Américains de continuer à accumuler des dettes qui ne se rembourseront jamais.
En conséquence de quoi les Etats-Unis se trouveraient dans lincapacité de continuer à financer un budget militaire forces et recherche tel quil est à lheure actuelle (supérieur à celui des 14 pays alliés), les reléguant peu à peu à un statut de « puissance parmi les autres ». On peut également prévoir à partir de ce scénario une aggravation de la chute des valeurs boursières, qui à terme aurait un impact négatif sur les zones déchanges libres comme lALENA et son éventuelle extension vers le Mercosur. LEurope, réunie sur le plan commercial, aurait dans ces conditions toutes les chances de sassurer une position clef sur la scène internationale.
Toutefois, malgré cette situation, on peut supposer que les Etats-Unis sattacheront à poursuivre de fortes dépenses militaires, et cela sans que le citoyen puisse en débattre et accepter de se sacrifier, comme il laurait sans doute fait la veille des attentats du 11 septembre si Bush avait été capable de prendre des initiatives. Les besoins domestiques investissements infra structurels, éducation, recherche civile, etc. seraient négligés au point que lAmérique se retrouverait incapable de faire jeu égal au plan économique avec les Européens. En effet, ces derniers, profitant du parapluie militaire américain, auraient pu consacrer des budgets nettement su-périeurs à leur rayonnement économique et culturel de sorte que les positions de force sinversent, lEurope assument le leadership socio-économique laissé en friche par la militarisation de la politique américaine.
Le point dorgue de cette histoire : les Etats-Unis auraient à faire face chez eux à lémergence dun populisme facteur dinstabilité politique, le public nétant pas prêt à accepter une telle situation et la gloire internationale ne pouvant plus compenser des sacrifices imposés plutôt que consentis.
Le déclin de la puissance américaine pourrait être la conséquence dune dérive de
la tradition américaine en politique étrangère.
Ces divers scénarios sont, bien entendu, purement hypothétiques. Cependant, indépendamment de lintervention en
Irak et de toutes les conjectures qui en résultent, le déclin 2021 pourrait être
la conséquence dune cause séculaire quoublient ceux qui, dominés par leurs craintes et dépourvus de vision historique, insistent sur les impératifs actuels sans prendre en considération la culture politique à savoir une dérive de la tradition américaine inscrite depuis plus de 200 ans en politique étrangère.
Cette tradition qui peut être décrite à partir de quatre tendances hamiltonien-ne, wilsonienne, jeffersonienne et jacksonienne a permis la mise en place de ce que lon pourrait appeler une dialectique de la démocratie. Cest un lieu commun dattribuer un isolationnisme congénital à la politique étrangère des Etats-Unis. Contredisant ce stéréotype, un livre récent1 montre que la politique étrangère a toujours été lobjet de conflits. Elle fut tout dabord marquée par le primat du commerce avec les autres nations. Ha-milton, ministre des Finances de George Washington, comptait sur lalliance du gouvernement et des élites économiques pour assurer la stabilité à lintérieur du pays et lintégration à léconomie mondiale. Mais cette orientation commerciale faisait déjà face à une orientation plutôt moraliste qui sera thématisée lors de lentrée américaine dans le première guerre mondiale sous la présidence de Wilson. Le Wilsonienne, soulignant la dimension morale, espérait que les valeurs américaines se répandent afin de créer un monde pacifié soumis à des règles de droit. Mais ce moralisme utopique tendait à donner trop de pouvoir aux instances étatiques. Cest alors que lorientation re-présentée par les Jeffersoniens rentre dans le débat. Ceux-ci veulent protéger la dé-mocratie à lintérieur du pays et par conséquent, évitèrent les alliances com-merciales risquées des hamiltoniens et les risques de guerres utopiques encourus par la politique wilsonienne. Mais lAmérique fait quand même partie du monde. Ainsi, le populisme symbolisé au XIXe siècle par le président Jackson vient au secours pour affirmer que la politique intérieure et extérieure avait pour seule fin dassurer la sécurité et le bien être des concitoyens. Il faut souligner que cette typologie ne coïncide pas avec les lignes partisanes actuelles.
Ma thèse est que seule la coexistence de ces quatre tendances en politique étran-gère permet une cohérence non mani-chéenne et par-là une mobilité capable de faire face à un monde de plus en plus dynamique. Donc la puissance américaine pourrait être durement mise à mal si, dans lavenir, une de ces orientations prenait le dessus sur les autres de façon absolue. La politique étrangère américaine semble résulter actuellement de la coopération délicate des courants hamiltonien et jacksonien. Mais dautres cas de figure pourraient se présenter, par exemple un isolationnisme jeffersonien à la suite dune longue et coûteuse intervention en Irak (comme ce fut le cas après la première guerre mondiale lorsque Wilson narriva pas à faire accepter la ligue des nations).
Dans le cas où par exemple la tendance hamiltonienne deviendrait dominante, le commerce et lindustrie prévaudraient sur tout le reste dans le pays. Par contre, la vision wilsonienne serait celle dun monde pacifié où régnerait la loi qui sappliquerait de façon automatique. Ou encore, sil sagit des jeffersoniens, la priorité serait consacrée à la protection de la démocratie domestique au risque de lisolationnisme. Enfin, la tendance jacksonienne pourrait aboutir à la mise en place dun « pro-tectionnisme belliqueux et imprévisible », capable de se renverser pour devenir un unilatéralisme impérial. Daprès les scé-narios analysés précédemment, la possible dégradation de léconomie américaine pourrait laisser le champ totalement libre aux adeptes du « protectionnisme bel-liqueux et imprévisible » auxquels sopposeraient des jeffersoniens alliés aux populistes et soutenus par des wilsoniens du feu le parti démocrate, malade de ses propres divisions !
Dans un tel contexte, deux points devraient rester présent à lesprit. Sil est vrai que la nature démocratique de la politique étrangère américaine dépend dune interaction constante de ces quatre tendances, alors les européens devraient faire en sorte que leurs propos et leurs actions ne contribuent pas à rendre hégémonique lune ou lautre de ces tendances. Que la politique étrangère des Etats-Unis soit démocratique est bon pour lEurope aussi. Deuxièmement, le fait que ces différentes tendances soient assez souples pour entrer dans différentes alliances suivant les conjonctures historique devrait permettre aux Européens de comprendre que la politique étrangère américaine nest pas lexpression dune volonté unifiée, constante et inflexible. Les actions de lAmérique résultent dune multitude dinteractions ; la tarification abusive de lacier, le soutien massif apporté à lagri-culture ou la décision dintervenir en Irak ne résultent daucune prédétermination ; elles résultent de coalitions politiques dans le cadre dalliances temporaires qui sont toujours susceptibles de se défaire et de se reconstituer sous dautres formes. En un mot, lEurope ne doit pas oublier quen dépit des apparences lAmérique reste une démocratie, quelle est pluraliste par ses valeurs, et que pour elle, un avenir reste ouvert.
Dick Howard*
Dun point de vue cynique, la politique étrangère actuelle du Président Bush pourrait apparaître comme le fruit dun fort désir de réélection. En effet, cest un président mal élu souhaitant éviter le destin de son père, qui malgré sa popularité après la guerre du Golfe navait pas été réélu en 1992. De plus, George W. Bush peut être perçu comme un homme peu expérimenté et guère sensible aux nuances, ayant une vision manichéenne du monde. Cette perception lui a dailleurs bien été utile, dans les premières semaines qui suivirent le 11 septembre, lorsquil sest agi de ral-lier le peuple américain et de lui redonner confiance. Mais depuis, se montrant peu capable daccepter des compromis, Bush a fait de laffirmation des valeurs américaines un moralisme qui devient une anti-politique, et par-là un manichéisme non porteur davenir.
Lintérêt dune analyse prospective est alors de mettre en exergue les divers scénarios traduisant un déclin de la puissance américaine cest-à-dire un isolement du pays sur la scène internationale à horizon 2021, soit vingt ans après les attaques terroristes du 11 septembre.
En effet, lintervention contre lIrak, de plus en plus probable et de plus en plus souhaitée par les conseillers proches de G. Bush, pourrait se traduire dans le futur par un affaiblissement de larmée, de léconomie, mais aussi du pouvoir dattirance appelé soft power qui est essentiel au rayonnement américain. Néanmoins, in-dépendamment de ces hypothèses con-joncturelles, le pays devra faire face à une possible dérive de la dialectique de la démocratie que la politique américaine porte en son sein.
Supposons, malgré certains signes récents qui mettent en doute cette hypothèse, quil y ait une intervention contre lIrak. Cette décision peut se révéler décisive pour lavenir de la puissance américaine. En effet, deux scénarios différents pourraient résulter dune telle opération.
Tout dabord, prenons le cas où lintervention militaire se solde par une victoire rapide des Américains. Se pose la question de la reconstruction de cette région, à savoir si lon aura la volonté politique de la faire. Les Etats-Unis devront alors jongler entre, dune part, le choix dune politique dingérence au risque de nombreuses réactions hostiles du monde arabe, et dautre part, une position politique de retrait, laissant alors la situation au Proche-Orient se dégrader davantage. LEurope aurait ainsi un rôle de premier plan à jouer en asseyant sa puissance diplomatique au détriment de celle des Etats-Unis. Quelle en soit capable, cest une autre question.
Deuxième cas de figure, les Etats-Unis sembourbent dans un conflit sans fin contre lIrak, sans soutien des alliés. La puissance américaine sen trouvera incontestablement discréditée, sans compter que la guerre « affichée » contre le terrorisme pourrait alors devenir un prétexte afin de mener une politique domestique assez répressive.
Dans ces deux cas de figure, la situation générale devrait empirer et conduire au déclin de la puissance américaine, notamment à travers son économie. En effet, lintervention en Irak engendrera probablement un saut du prix des ressources pétrolières, ce qui porterait un coup sérieux à une économie toujours trop dépendante du pétrole proche-oriental et déjà fortement dégradée depuis un an par des scandales liés à la déréglementation. Et le scénario catastrophe stigmatisant cette dégradation serait alors que lEuro supplante le Dollar comme monnaie de réserve, ce qui interdirait aux Américains de continuer à accumuler des dettes qui ne se rembourseront jamais.
En conséquence de quoi les Etats-Unis se trouveraient dans lincapacité de continuer à financer un budget militaire forces et recherche tel quil est à lheure actuelle (supérieur à celui des 14 pays alliés), les reléguant peu à peu à un statut de « puissance parmi les autres ». On peut également prévoir à partir de ce scénario une aggravation de la chute des valeurs boursières, qui à terme aurait un impact négatif sur les zones déchanges libres comme lALENA et son éventuelle extension vers le Mercosur. LEurope, réunie sur le plan commercial, aurait dans ces conditions toutes les chances de sassurer une position clef sur la scène internationale.
Toutefois, malgré cette situation, on peut supposer que les Etats-Unis sattacheront à poursuivre de fortes dépenses militaires, et cela sans que le citoyen puisse en débattre et accepter de se sacrifier, comme il laurait sans doute fait la veille des attentats du 11 septembre si Bush avait été capable de prendre des initiatives. Les besoins domestiques investissements infra structurels, éducation, recherche civile, etc. seraient négligés au point que lAmérique se retrouverait incapable de faire jeu égal au plan économique avec les Européens. En effet, ces derniers, profitant du parapluie militaire américain, auraient pu consacrer des budgets nettement su-périeurs à leur rayonnement économique et culturel de sorte que les positions de force sinversent, lEurope assument le leadership socio-économique laissé en friche par la militarisation de la politique américaine.
Le point dorgue de cette histoire : les Etats-Unis auraient à faire face chez eux à lémergence dun populisme facteur dinstabilité politique, le public nétant pas prêt à accepter une telle situation et la gloire internationale ne pouvant plus compenser des sacrifices imposés plutôt que consentis.
Le déclin de la puissance américaine pourrait être la conséquence dune dérive de
la tradition américaine en politique étrangère.
Ces divers scénarios sont, bien entendu, purement hypothétiques. Cependant, indépendamment de lintervention en
Irak et de toutes les conjectures qui en résultent, le déclin 2021 pourrait être
la conséquence dune cause séculaire quoublient ceux qui, dominés par leurs craintes et dépourvus de vision historique, insistent sur les impératifs actuels sans prendre en considération la culture politique à savoir une dérive de la tradition américaine inscrite depuis plus de 200 ans en politique étrangère.
Cette tradition qui peut être décrite à partir de quatre tendances hamiltonien-ne, wilsonienne, jeffersonienne et jacksonienne a permis la mise en place de ce que lon pourrait appeler une dialectique de la démocratie. Cest un lieu commun dattribuer un isolationnisme congénital à la politique étrangère des Etats-Unis. Contredisant ce stéréotype, un livre récent1 montre que la politique étrangère a toujours été lobjet de conflits. Elle fut tout dabord marquée par le primat du commerce avec les autres nations. Ha-milton, ministre des Finances de George Washington, comptait sur lalliance du gouvernement et des élites économiques pour assurer la stabilité à lintérieur du pays et lintégration à léconomie mondiale. Mais cette orientation commerciale faisait déjà face à une orientation plutôt moraliste qui sera thématisée lors de lentrée américaine dans le première guerre mondiale sous la présidence de Wilson. Le Wilsonienne, soulignant la dimension morale, espérait que les valeurs américaines se répandent afin de créer un monde pacifié soumis à des règles de droit. Mais ce moralisme utopique tendait à donner trop de pouvoir aux instances étatiques. Cest alors que lorientation re-présentée par les Jeffersoniens rentre dans le débat. Ceux-ci veulent protéger la dé-mocratie à lintérieur du pays et par conséquent, évitèrent les alliances com-merciales risquées des hamiltoniens et les risques de guerres utopiques encourus par la politique wilsonienne. Mais lAmérique fait quand même partie du monde. Ainsi, le populisme symbolisé au XIXe siècle par le président Jackson vient au secours pour affirmer que la politique intérieure et extérieure avait pour seule fin dassurer la sécurité et le bien être des concitoyens. Il faut souligner que cette typologie ne coïncide pas avec les lignes partisanes actuelles.
Ma thèse est que seule la coexistence de ces quatre tendances en politique étran-gère permet une cohérence non mani-chéenne et par-là une mobilité capable de faire face à un monde de plus en plus dynamique. Donc la puissance américaine pourrait être durement mise à mal si, dans lavenir, une de ces orientations prenait le dessus sur les autres de façon absolue. La politique étrangère américaine semble résulter actuellement de la coopération délicate des courants hamiltonien et jacksonien. Mais dautres cas de figure pourraient se présenter, par exemple un isolationnisme jeffersonien à la suite dune longue et coûteuse intervention en Irak (comme ce fut le cas après la première guerre mondiale lorsque Wilson narriva pas à faire accepter la ligue des nations).
Dans le cas où par exemple la tendance hamiltonienne deviendrait dominante, le commerce et lindustrie prévaudraient sur tout le reste dans le pays. Par contre, la vision wilsonienne serait celle dun monde pacifié où régnerait la loi qui sappliquerait de façon automatique. Ou encore, sil sagit des jeffersoniens, la priorité serait consacrée à la protection de la démocratie domestique au risque de lisolationnisme. Enfin, la tendance jacksonienne pourrait aboutir à la mise en place dun « pro-tectionnisme belliqueux et imprévisible », capable de se renverser pour devenir un unilatéralisme impérial. Daprès les scé-narios analysés précédemment, la possible dégradation de léconomie américaine pourrait laisser le champ totalement libre aux adeptes du « protectionnisme bel-liqueux et imprévisible » auxquels sopposeraient des jeffersoniens alliés aux populistes et soutenus par des wilsoniens du feu le parti démocrate, malade de ses propres divisions !
Dans un tel contexte, deux points devraient rester présent à lesprit. Sil est vrai que la nature démocratique de la politique étrangère américaine dépend dune interaction constante de ces quatre tendances, alors les européens devraient faire en sorte que leurs propos et leurs actions ne contribuent pas à rendre hégémonique lune ou lautre de ces tendances. Que la politique étrangère des Etats-Unis soit démocratique est bon pour lEurope aussi. Deuxièmement, le fait que ces différentes tendances soient assez souples pour entrer dans différentes alliances suivant les conjonctures historique devrait permettre aux Européens de comprendre que la politique étrangère américaine nest pas lexpression dune volonté unifiée, constante et inflexible. Les actions de lAmérique résultent dune multitude dinteractions ; la tarification abusive de lacier, le soutien massif apporté à lagri-culture ou la décision dintervenir en Irak ne résultent daucune prédétermination ; elles résultent de coalitions politiques dans le cadre dalliances temporaires qui sont toujours susceptibles de se défaire et de se reconstituer sous dautres formes. En un mot, lEurope ne doit pas oublier quen dépit des apparences lAmérique reste une démocratie, quelle est pluraliste par ses valeurs, et que pour elle, un avenir reste ouvert.
Dick Howard*
* Professeur de philosophie politique, université de lEtat de New York à Stony Brook (Etats-Unis), vient de publier The Specter of Democraty (New York : Columbia University Press, 2002). Il est également lauteur douvrages en français, Pour une critique du
jugement politique. Comment repolitiser le jeu démocratique (Ed. du Cerf, 1998), et La naissance de la pensée politique américaine (Ramsay, 1987).
Une première version de cet article a été rédigée le 10 septembre 2002, la veille de lanniversaire du 11 septembre et deux jours avant la déclaration du Président Bush à lONU relative à lintervention en Irak. Elle est disponible sur le site du Sénat.
** le bar Floréal.
(1) W. R. Mead, Special Providence. American Foreign Policy and How it Changed the World, Knopf, New-York, 2001.
jugement politique. Comment repolitiser le jeu démocratique (Ed. du Cerf, 1998), et La naissance de la pensée politique américaine (Ramsay, 1987).
Une première version de cet article a été rédigée le 10 septembre 2002, la veille de lanniversaire du 11 septembre et deux jours avant la déclaration du Président Bush à lONU relative à lintervention en Irak. Elle est disponible sur le site du Sénat.
** le bar Floréal.
(1) W. R. Mead, Special Providence. American Foreign Policy and How it Changed the World, Knopf, New-York, 2001.
Dick Howard