Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°42 [septembre 2002 - octobre 2002]
© Passant n°42 [septembre 2002 - octobre 2002]
par Stella Duffy
Imprimer l'articleMalvolia ou la nuit sans roi
Cest une femme-fille. Pas de hanches, et pourtant une poitrine généreuse. Dans sa pose, il y a effort, intention, dessein. Trop vieille pour avoir les hanches dune jeune fille, elle en garde néanmoins lallure, combattant ses vérités, dans lespoir que le temps sest arrêté à lépoque où elle faillit être comblée. Ce nest pas un hasard si une mèche de cheveux lui barre le visage : elle dissimule un il ouvert. Il y a peut-être moins à voir maintenant que sa perspective est faussée. Car elle ne voulait pas voir toute lhistoire. Trop pénible. Ce nest pas sa veste qui est pendue à un cintre. Les ciseaux sont grands. Elle sest créé un personnage dont elle ne peut plus se défaire. Ce ruban « défense dentrer », cest de la rigolade. Qui aurait envie dentrer alors que linvitation est donnée tellement à contrecur ? Elle ne peut pas davantage regarder lobjectif que se regarder en face. Elle ne sait ce quelle y verrait. Dans cette peur, bien entendu, il y a peut-être une liberté. En attendant dentrevoir elle-même cette possibilité, elle est
attachée.
Elle reste Malvolia aux jarretières croisées, celle qui poursuit Olivia à travers rues, lattend au pas de sa porte, espérant un signe delle. Jour après jour, elle continue de jouer ce rôle. Aujourdhui encore. Des années après son renvoi public et sans appel, elle ne se résout pas à ne plus avoir de maîtresse. Malvolia protégeait Olivia de la voracité dinsatiables Falstaff et de languissants Orsino, la protégeait de tous les maux. Mais ce Falstaff est mort, il a rejoint la tombe en pleurant Harry qui avait appris à le haïr, lui et ses manières dantan. Orsino a découvert le véritable bonheur, cétait à prévoir, dans les bras dun joli garçon. De leau a coulé sous les ponts depuis la dernière fois quOlivia a eu une pensée pour Malvolia. Elle a fondé un nouveau foyer où elle a installé Maria, sa dame de compagnie et amante. Cest ainsi quelle a réussi à enterrer son frère, quil se soit noyé ou pas. Au début, un soupçon damour incestueux envers lui lavait distraite de sa robe de deuil serrée et oppressante, de son jardin ceint de murs plus cloîtrants quun cloître. Olivia fait désormais de longues promenades au grand air avec ses cinq chiens. Maria pourvoit à ses moindres besoins. Suivante et davantage encore. Il y a aussi les enfants, les bébés Grisemine, sans cesse à brailler et à faire leurs dents, que lui a donnés Maria pour assurer sa descendance. Cest plus que suffisant. La famille dOlivia est au complet. Elle ne songe plus ni à son frère, ni à Malvolia.
Malvolia, elle, ne pense pas à grand-chose, si ce nest à Olivia et à elle-même. À elle-même et à Olivia. Elles deux à jamais indissociables. Une fois libérée de lasile et relâchée dans le monde réel, il y a déjà des années, elle sest renfermée dans lobsession quelle sétait créée. À présent, Malvolia na plus conscience de sa maladie. Incapable de voir quà force de poser de façon à être choisie, vue, regardée, elle est la représentation même du désespoir. Elle soffre mais on ne peut pas la prendre. La composition nest pas nette, pas plus que le drap, par terre. Taché, maculé de nuits à se languir, à chanter. Seule. Il y a autant de calcul dans lil caché que dans la toison pubienne défrisée, taillée. Il nest rien en elle qui ne tourne autour delle, ne soit étudié, ajusté, posé. Cest bien là le problème. À force de gouverner sa maison, de commander à ses gens et de veiller sur une famille étendue qui se disperse dans la nuit noire, Olivia na plus de temps pour rien. Sa maison dépend delle, elle en est la clef de voûte, cest son domaine. Il lui faut donc constamment se surveiller, contrôler, tenir les comptes. Il incombe à une maîtresse de se surveiller attentivement, de prendre note. Or celles qui la surveillent la servent. Olivia surveille, elle-même, sa position sociale, son rang ; les autres sassurent quelle ne déchoît jamais. Cest dans lordre des choses. En revanche, Malvolia dans ses jarretières croisées demeure consciente delle-même. Elle ne connaît quOlivia et Malvolia. Ne voit pas plus loin quelle deux. Ne contemple son rêve que dun il, la mèche qui tombe brouillant sa vision. Ce fut même le motif de son renvoi : son incapacité à voir plus loin que linstant, la pièce, les stores vénitiens. Alors quOlivia ne peut pas être bien servie par une suivante qui la serrerait de trop près, serait trop à portée de main. Cest la raison pour laquelle elle la remplacée par Maria. Préférant celle qui donnait sans prendre, offrait ses services sans rien attendre en retour.
(Il va de soi quOlivia a une perception tout à fait erronée des événements passés. Maria agit toujours autant par calcul que Malvolia. Dans son rôle au cours de lépisode de la lettre secrète et des jarretières croisées, on sous-estima sa malice, sa volonté dès le début de nuire à Malvolia et de la faire renvoyer. Hormis le vieil ivrogne, nul ne la remarqua et encore reconnut-il avoir pris autant de plaisir quelle au stratagème. Cest que Maria est très persuasive quand elle fait la fille simple, la soubrette robuste et dévouée. (Une femme de la classe dirigeante comme Olivia, manquant par définition de discernement, à cause dune éducation bâclée, ne pouvait y voir que du feu, tant la machination était habile. Elle ne juge que sur les apparences. Et en apparence, Maria est tout bonnement plus jolie que Malvolia.) Une fois ses désirs étalés au grand jour, Malvolia était censée faire amende honorable. Oui, elle avait menti. Espionné, trompé, volé et sétait fait prendre. Mais elle nen fit rien. Ne pouvant concevoir quelle sétait laissé berner. Croyant que la beauté suffirait à ramener Olivia à la raison, en la détournant de ses démonstrations ostentatoires de deuil. Croyant quelle la ramènerait à elle. Ramènerait Olivia à Malvolia. Ce fut pourtant le cas. Chaque fois quun nouveau minois arrivait, la niaise travestie en garçon, messagère à la bague, la suivante qui nen finissait pas de la suivre, cétaient ces minois que regardait Olivia et, alors que Malvolia attendait patiemment depuis une éternité, ce fut vers elles quOlivia se tourna lorsquelle finit par lever le voile de son obsession du frère et quelle revint au monde.
Malvolia avait toujours détesté ses propres frères. Fille cadette dune famille nombreuse composée de garçons, elle avait méprisé leur grossièreté et leurs appétits juvéniles, leurs jeux et leurs farces, et le vacarme incessant quils faisaient. Elle ne comprit pas la détresse dOlivia après la mort de son frère, ni le besoin quelle avait de retrouver son corps léché par londe amère. (À vrai dire, Maria elle-même nappréciait pas outre mesure sa propre famille. Elle lavait quittée bien des années auparavant et se contentait désormais de lui faire parvenir une fois lan, à Pâques, une pièce volée, manière de se réconcilier avec Dieu, et non avec sa mère. Mais Maria nétait pas idiote au point de faire part à Malvolia de son dégoût de la famille. Elle fit des alliances, complota et, à la fin du deuil, elle avait limpression de connaître aussi bien quOlivia le disparu. Quoique pas intimement, bien entendu.) Malvolia commit lerreur de supposer que le chagrin passerait, quil satténuerait, que ce nétait quune question de temps. Sa mission était dêtre là, de se rendre utile, indispensable et dattendre que lamour que lui portait Olivia grandît. Maria, plus pauvre, et donc, par nécessité, plus rouée, savait réconforter et flatter, implorer et choyer. Malvolia se retrouva bien seule. Maria troubla, enjôla, simmisça. Elle sut se placer. De toute façon, pour les riches, personne nest irremplaçable, tout sachète, encore et encore. Malvolia commit lerreur de penser trop à elle et pas assez à lavenir. Elle avait toujours eu la folie de vivre dans linstant et non dans la durée. La voici à présent immobile devant lobjectif. Elle ne saperçoit même pas quelle se trahit devant tout le monde, alors que son intention est de se réserver pour une seule personne.
Il arrive un moment où le désir fait passer lamour non partagé de la langueur à la haine. Où les regards non rendus et les offres déclinées sont autant de traits empoisonnés. Malvolia sest enfermée si fort dans son désir impossible quelle est incapable de voir que ce qui a commencé comme de lamour (mais jamais ni pur ni simple et qui demandait toujours plus) a pris un tour nouveau. Tout aussi périlleux qui oserait prétendre que lamour arrive sans signes avant-coureurs mais bien moins vrai. Malvolia est là, elle attend, emballée, prête. Elle sest transformée en cette offrande vivante. Elle ne comprend pas la répulsion quelle inspire. Elle ny voit que dun il et ses espoirs sont voilés.
Malvolia ferait mieux darracher ses jarretières collantes et par là même ses peaux mortes et autres poils disgracieux. Elle ferait mieux de brosser en arrière, raser, ou taillader la perruque derrière laquelle elle se cache. Elle ferait mieux darrêter de jouer cette comédie même pas drôle du ruban « défense de toucher » et douvrir les deux yeux. Peut-être pourrait-elle soffrir encore, ouverte et nue, à la vue de tous. Au lieu de quoi, elle reste plantée là, comme si elle était ouverte, comme si elle était honnête. Mais ce sont ses jarretières qui attirent lattention. En vérité, elle est entièrement vêtue, elle est elle-même lattraction ratée. Cest trop tard. Elle pourrait porter la veste dune autre, se servir du drap comme dune grande cape, découper avec les grands ciseaux le store derrière elle. Et sauter par la fenêtre vers un ailleurs différent, nouveau, prometteur. Mais lamour, la haine plutôt, qui coule dans ses veines obstruées par les jarretières, la maintient sur place, soumise et raide, prisonnière et aveugle. Tandis quOlivia embrasse Maria dans un jardin qui nest plus ceint de murs, Malvolia continue, sans quon le lui demande, à soffrir, elle et son obsession.
Mais nous ne remarquons que les jarretières croisées.
Vous auriez peut-être gagné à porter des bas jaunes.
attachée.
Elle reste Malvolia aux jarretières croisées, celle qui poursuit Olivia à travers rues, lattend au pas de sa porte, espérant un signe delle. Jour après jour, elle continue de jouer ce rôle. Aujourdhui encore. Des années après son renvoi public et sans appel, elle ne se résout pas à ne plus avoir de maîtresse. Malvolia protégeait Olivia de la voracité dinsatiables Falstaff et de languissants Orsino, la protégeait de tous les maux. Mais ce Falstaff est mort, il a rejoint la tombe en pleurant Harry qui avait appris à le haïr, lui et ses manières dantan. Orsino a découvert le véritable bonheur, cétait à prévoir, dans les bras dun joli garçon. De leau a coulé sous les ponts depuis la dernière fois quOlivia a eu une pensée pour Malvolia. Elle a fondé un nouveau foyer où elle a installé Maria, sa dame de compagnie et amante. Cest ainsi quelle a réussi à enterrer son frère, quil se soit noyé ou pas. Au début, un soupçon damour incestueux envers lui lavait distraite de sa robe de deuil serrée et oppressante, de son jardin ceint de murs plus cloîtrants quun cloître. Olivia fait désormais de longues promenades au grand air avec ses cinq chiens. Maria pourvoit à ses moindres besoins. Suivante et davantage encore. Il y a aussi les enfants, les bébés Grisemine, sans cesse à brailler et à faire leurs dents, que lui a donnés Maria pour assurer sa descendance. Cest plus que suffisant. La famille dOlivia est au complet. Elle ne songe plus ni à son frère, ni à Malvolia.
Malvolia, elle, ne pense pas à grand-chose, si ce nest à Olivia et à elle-même. À elle-même et à Olivia. Elles deux à jamais indissociables. Une fois libérée de lasile et relâchée dans le monde réel, il y a déjà des années, elle sest renfermée dans lobsession quelle sétait créée. À présent, Malvolia na plus conscience de sa maladie. Incapable de voir quà force de poser de façon à être choisie, vue, regardée, elle est la représentation même du désespoir. Elle soffre mais on ne peut pas la prendre. La composition nest pas nette, pas plus que le drap, par terre. Taché, maculé de nuits à se languir, à chanter. Seule. Il y a autant de calcul dans lil caché que dans la toison pubienne défrisée, taillée. Il nest rien en elle qui ne tourne autour delle, ne soit étudié, ajusté, posé. Cest bien là le problème. À force de gouverner sa maison, de commander à ses gens et de veiller sur une famille étendue qui se disperse dans la nuit noire, Olivia na plus de temps pour rien. Sa maison dépend delle, elle en est la clef de voûte, cest son domaine. Il lui faut donc constamment se surveiller, contrôler, tenir les comptes. Il incombe à une maîtresse de se surveiller attentivement, de prendre note. Or celles qui la surveillent la servent. Olivia surveille, elle-même, sa position sociale, son rang ; les autres sassurent quelle ne déchoît jamais. Cest dans lordre des choses. En revanche, Malvolia dans ses jarretières croisées demeure consciente delle-même. Elle ne connaît quOlivia et Malvolia. Ne voit pas plus loin quelle deux. Ne contemple son rêve que dun il, la mèche qui tombe brouillant sa vision. Ce fut même le motif de son renvoi : son incapacité à voir plus loin que linstant, la pièce, les stores vénitiens. Alors quOlivia ne peut pas être bien servie par une suivante qui la serrerait de trop près, serait trop à portée de main. Cest la raison pour laquelle elle la remplacée par Maria. Préférant celle qui donnait sans prendre, offrait ses services sans rien attendre en retour.
(Il va de soi quOlivia a une perception tout à fait erronée des événements passés. Maria agit toujours autant par calcul que Malvolia. Dans son rôle au cours de lépisode de la lettre secrète et des jarretières croisées, on sous-estima sa malice, sa volonté dès le début de nuire à Malvolia et de la faire renvoyer. Hormis le vieil ivrogne, nul ne la remarqua et encore reconnut-il avoir pris autant de plaisir quelle au stratagème. Cest que Maria est très persuasive quand elle fait la fille simple, la soubrette robuste et dévouée. (Une femme de la classe dirigeante comme Olivia, manquant par définition de discernement, à cause dune éducation bâclée, ne pouvait y voir que du feu, tant la machination était habile. Elle ne juge que sur les apparences. Et en apparence, Maria est tout bonnement plus jolie que Malvolia.) Une fois ses désirs étalés au grand jour, Malvolia était censée faire amende honorable. Oui, elle avait menti. Espionné, trompé, volé et sétait fait prendre. Mais elle nen fit rien. Ne pouvant concevoir quelle sétait laissé berner. Croyant que la beauté suffirait à ramener Olivia à la raison, en la détournant de ses démonstrations ostentatoires de deuil. Croyant quelle la ramènerait à elle. Ramènerait Olivia à Malvolia. Ce fut pourtant le cas. Chaque fois quun nouveau minois arrivait, la niaise travestie en garçon, messagère à la bague, la suivante qui nen finissait pas de la suivre, cétaient ces minois que regardait Olivia et, alors que Malvolia attendait patiemment depuis une éternité, ce fut vers elles quOlivia se tourna lorsquelle finit par lever le voile de son obsession du frère et quelle revint au monde.
Malvolia avait toujours détesté ses propres frères. Fille cadette dune famille nombreuse composée de garçons, elle avait méprisé leur grossièreté et leurs appétits juvéniles, leurs jeux et leurs farces, et le vacarme incessant quils faisaient. Elle ne comprit pas la détresse dOlivia après la mort de son frère, ni le besoin quelle avait de retrouver son corps léché par londe amère. (À vrai dire, Maria elle-même nappréciait pas outre mesure sa propre famille. Elle lavait quittée bien des années auparavant et se contentait désormais de lui faire parvenir une fois lan, à Pâques, une pièce volée, manière de se réconcilier avec Dieu, et non avec sa mère. Mais Maria nétait pas idiote au point de faire part à Malvolia de son dégoût de la famille. Elle fit des alliances, complota et, à la fin du deuil, elle avait limpression de connaître aussi bien quOlivia le disparu. Quoique pas intimement, bien entendu.) Malvolia commit lerreur de supposer que le chagrin passerait, quil satténuerait, que ce nétait quune question de temps. Sa mission était dêtre là, de se rendre utile, indispensable et dattendre que lamour que lui portait Olivia grandît. Maria, plus pauvre, et donc, par nécessité, plus rouée, savait réconforter et flatter, implorer et choyer. Malvolia se retrouva bien seule. Maria troubla, enjôla, simmisça. Elle sut se placer. De toute façon, pour les riches, personne nest irremplaçable, tout sachète, encore et encore. Malvolia commit lerreur de penser trop à elle et pas assez à lavenir. Elle avait toujours eu la folie de vivre dans linstant et non dans la durée. La voici à présent immobile devant lobjectif. Elle ne saperçoit même pas quelle se trahit devant tout le monde, alors que son intention est de se réserver pour une seule personne.
Il arrive un moment où le désir fait passer lamour non partagé de la langueur à la haine. Où les regards non rendus et les offres déclinées sont autant de traits empoisonnés. Malvolia sest enfermée si fort dans son désir impossible quelle est incapable de voir que ce qui a commencé comme de lamour (mais jamais ni pur ni simple et qui demandait toujours plus) a pris un tour nouveau. Tout aussi périlleux qui oserait prétendre que lamour arrive sans signes avant-coureurs mais bien moins vrai. Malvolia est là, elle attend, emballée, prête. Elle sest transformée en cette offrande vivante. Elle ne comprend pas la répulsion quelle inspire. Elle ny voit que dun il et ses espoirs sont voilés.
Malvolia ferait mieux darracher ses jarretières collantes et par là même ses peaux mortes et autres poils disgracieux. Elle ferait mieux de brosser en arrière, raser, ou taillader la perruque derrière laquelle elle se cache. Elle ferait mieux darrêter de jouer cette comédie même pas drôle du ruban « défense de toucher » et douvrir les deux yeux. Peut-être pourrait-elle soffrir encore, ouverte et nue, à la vue de tous. Au lieu de quoi, elle reste plantée là, comme si elle était ouverte, comme si elle était honnête. Mais ce sont ses jarretières qui attirent lattention. En vérité, elle est entièrement vêtue, elle est elle-même lattraction ratée. Cest trop tard. Elle pourrait porter la veste dune autre, se servir du drap comme dune grande cape, découper avec les grands ciseaux le store derrière elle. Et sauter par la fenêtre vers un ailleurs différent, nouveau, prometteur. Mais lamour, la haine plutôt, qui coule dans ses veines obstruées par les jarretières, la maintient sur place, soumise et raide, prisonnière et aveugle. Tandis quOlivia embrasse Maria dans un jardin qui nest plus ceint de murs, Malvolia continue, sans quon le lui demande, à soffrir, elle et son obsession.
Mais nous ne remarquons que les jarretières croisées.
Vous auriez peut-être gagné à porter des bas jaunes.
Romancière et comédienne anglaise, Stella Duffy est lauteur de nombreux ouvrages dont Chair fraîche que vient de publier le Serpent à plumes (2002), traduit de langlais par Eléonore Drexel.
Malvolia ou la nuit sans roi (Malvolia waiting on epiphany), nouvelle que nous publions ici, est inédite en français. Elle est extraite de Thirteen, bel ouvrage collectif regroupant des fictions inspirées par les photographies de Marc Atkins, publié par les éditions anglaises The Do-Not-Press Limited en 2002. Dans celle-ci, Stella Duffy sinspire de et revisite la comédie de Shakespeare, La Nuit des Rois, où Malvolio, intendant de la comtesse Olivia, sy ridiculise en portant des jarretières croisées. Il croit ainsi suivre le désir de sa maîtresse exprimé dans une lettre. Il sagit en réalité dun faux rédigé par la suivante Maria.
Malvolia ou la nuit sans roi (Malvolia waiting on epiphany), nouvelle que nous publions ici, est inédite en français. Elle est extraite de Thirteen, bel ouvrage collectif regroupant des fictions inspirées par les photographies de Marc Atkins, publié par les éditions anglaises The Do-Not-Press Limited en 2002. Dans celle-ci, Stella Duffy sinspire de et revisite la comédie de Shakespeare, La Nuit des Rois, où Malvolio, intendant de la comtesse Olivia, sy ridiculise en portant des jarretières croisées. Il croit ainsi suivre le désir de sa maîtresse exprimé dans une lettre. Il sagit en réalité dun faux rédigé par la suivante Maria.