Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°42 [septembre 2002 - octobre 2002]
© Passant n°42 [septembre 2002 - octobre 2002]
par Patrick Baudry
Imprimer l'articleQuel corps pour mourir ?
Si une forte majorité de Français est favorable à lidée deuthanasie cest essentiellement pour quatre raisons. Première-ment, on vient dire que lon refuse de souffrir1. Deuxièment, il sagit de sabsenter le plus possible du moment de la mort : de ne se rendre compte de « rien ». A la lente et douloureuse maladie soppose larrêt brutal de lexistence, certes tragique, mais qui sauve dune attente dont on serait prisonnier.
Peut-être serait-ce le prix à payer. On vit plus vieux, plus longtemps. Mais lorsque quaucune médecine ne peut plus guérir le corps usé, il serait humain que la prolongation ne dure pas : il faudrait, sans doute artificiellement (puisquil ny aurait plus de nature pour arrêter avec certitude le jeu de lexistence), que la décision soit prise que cela finisse. Nous ne voulons jamais mourir, jusquau moment où cest le moment. En ce moment où lon pourrait durer au-delà de soi, il faudrait quon soit assuré dune fin convenable. Il faudrait aussi avoir le souci des autres quand on ne peut plus en avoir beaucoup de soi-même. Plutôt donc que de se trouver mis à la porte parce que lon serait de trop, ne vaut-il mieux pas anticiper le départ, avec lélégance de qui veut sen aller au lieu de déranger son monde plus que de nécessaire ?
Troisièmement, il sagirait de ne pas dépendre de pouvoirs2 qui vous ravalent au rang dobjet, qui diminuent la personne au point de la rabattre à son corps, et surtout à ce corps insupportable à elle-même. Il faudrait pouvoir gérer au mieux léconomie dun stade dit « terminal » où lon continue de vivre parce que le corps existe malgré et contre soi. Tout se passe ici comme si le corps à la fois support et équivalent de la personne venait se retourner contre elle. Ou comme si lindividu se trouvait ainsi contraint par une assignation à résidence qui prolongerait inutilement le bail.
Quatrièmement , lidée deuthanasie se fonde logiquement sur lévidence des notions dindividu ou dacteur. La mort sentrevoit comme ce quelle est au plan médical : comme la terminaison de lexistence de lindividu, comme la conclusion de sa trajectoire personnelle. Si ce destin doit simposer à lindividu, ne pourrait-il pas au moment même où limportance de son individualité se trouve compromise, récupérer une capacité dacteur en décidant lui-même de la fin qui le concerne au premier chef. Objet et non plus « sujet » ainsi quil voudrait lêtre « jusquau bout »3, lindividu contemporain entrevoit le corps hospitalisé comme la prise au piège de ce à quoi lon serait réduit.
Deux autres éléments contribuent à renforcer la logique de ce discours. En premier lieu, il faut prendre en compte la forme aujourdhui dominante dun consensus pluriel comme organisation des débats et réunion des opinions. Nous ne sommes pas obligés, sur un mode autoritaire, de penser tous la même chose. Il faudrait que la pluralité des opinions soit réunie dans la construction dune même perspective. La diversité des avis ne saurait générer des conflits dinterprétations, des positionnements antagonistiques ou des critiques : elle garantirait la plasticité dune logique consensuelle. La souplesse du consensus qui serait construit sur des évidences de base (ce qui nous réunit tous) garantirait une unanimité produite par chaque « acteur ». Si lon admet quil faut a priori se méfier de lhomogénéité des idées, en soupçonnant limposition dune idéologie, comment résister à la rumeur sans source, à la culture tout à la fois principale et de bon sens qui ne serait entachée daucun arbitraire ? Lidéologie mensongère peut se dénoncer parce que lon peut montrer que les gens quelle vise ne sont pas comme dautres se les représentent. Le consensus pluriel échappe à la dénonciation puisquil ne sagirait plus de répéter un discours falsificateur mais de dire ce que lon pense vraiment. La logique de la sincérité communicationnelle dire ses sentiments et les rapporter à une raison partageable parce quelle donnerait de la raison aux sentiments quon exprime semble inattaquable puisquelle articule merveilleusement lindividu au collectif à partir de son « désir de société » et non pas à partir dune société artificielle qui aurait besoin des individus dans leur masse anonyme pour se constituer. Ainsi la demande deuthanasie, qui peut prendre pour chacun un sens différent, peut-elle à partir des sentiments individuels qui lexpriment donner lapparence dune unanimité de fond, dun accord produit par la tolérance des idées dautrui et non pas celle dun discours sectaire, partial, ou partisan.
En second lieu il faut souligner la prégnance actuelle dun souci de dignité quil sagirait daccorder à chacun comme argument typique dun discours « éthique », cela en lieu et place dune analyse politique des inégalités. Pour le dire ici très vite, la tendance est à la moralisation du politique, et non à la politisation de la morale4. Aider lexclu (et le mourant se pense comme lexclu type : parce quil est cet exclu que lon sera personnellement) vaudrait davantage que la critique des conditions sociales qui génèrent lexclusion. Au fond, une certaine sociologie critique, « irréaliste et irresponsable », ne serait-elle pas dépassée ? Lurgence daujourdhui serait celle-ci : trouver, dans un monde auquel il faut sadapter parce quon ne le changera évidemment pas, les meilleures solutions pour vivre et mourir de la façon la plus convenable.
Dans un document que diffuse lAssociation pour le Droit à Mourir dans la Dignité (A.D.M.D), on peut lire ceci : « Lamour de la vie ne saccommode ni de la dégradation ni de légoïsme ». Comment en un premier mouvement ne pas adhérer à cette affirmation forte et tout à fois de bon sens ? Mais lon peut aussi se demander si ce qui nous est dit dans cette philosophie très évidente, ce nest pas que « si lon est dégradé il ne faut pas être égoïste ». La noble sentence ne tient-elle pas du conseil et déjà de lordre : celui de partir en ne coûtant pas davantage que lon ne vaut ?
On peut discuter de la représentation de la mort comme événement strictement individuel comme sil nen allait pas fondamentalement dune dimension sociale, et du primat accordé à limage de la personne mais rabattue au rang de son apparence5. Ou encore on peut mettre en question la notion de dignité : est-elle ce qui devrait se maintenir techniquement et ce quon pourrait socialement diagnostiquer, ou bien nest-elle pas humainement inévaluable ? On peut encore interroger le sens dune décision qui garantirait une maîtrise, comme si lidée quon aurait à se prononcer pouvait occulter lindécidable dune mort qui nest jamais pour « maintenant »6.
La demande deuthanasie est massivement, en tant que souhait pour plus tard, celui de gens en bonne santé. Elle ne sexprime guère chez les grands malades. Et le sentiment que la personne à lapproche de sa mort a perdu toute dignité ne détermine pas toutes les représentations de son entourage. Cest un parent que lon regarde et non pas un corps dont on examine le déclin. Les « dégradations » qui signalent limminence de la mort ne sont pas insupportables au grand nombre : elles participent du remaniement des rôles et des relations. La fille aide sa mère à sa toilette et les gestes silencieux se font dans laffrontement de lune et de lautre à limprévisibilité du prévisible. Ce nest pas un arrêt instantané que lon réclame, mais dans une temporalité faite de présences et dabsences, deffondrements et despoirs, de distances et déchanges, que lon sengage. La famille peut demander bien moins une interruption de vie que la suspension des soins qui nont plus lieu dêtre, tandis quil sagit de maintenir ceux qui donnent du temps (si faible quen soit la durée) à celui qui doit partir. Non pas devant la mort comme situation abstraite mais devant celui qui meurt, le sentiment est que linéluctable saccomplit. Ce nest pas dire ici que la demande de mort ne sexprimerait jamais ni quil faudrait quelle napparaisse pas. Celui qui meurt et sa famille (le plus souvent sa famille) peuvent dire quil faudrait « arrêter ». Mais demander que cela sarrête, est-ce demander dêtre immédiatement pris au pied de la lettre ? Aussi bien ce sont des personnes qui soccupent depuis plusieurs mois dun parent malade qui peuvent se déclarer favorables à leuthanasie. Cela non pas parce quelles se contrediraient ou quelles seraient empêchées daccorder leurs actes à ce quelles pensent, mais parce que ce qui est pensé sous ce mot deuthanasie na rien à voir avec lattitude qui consiste à mettre, sur la base dun accord préalable, un point final à la vie dautrui7.
On pourra dire quil en va dune imposture intellectuelle à toujours vouloir traduire le propos des gens pour leur faire dire « linverse » de ce quils disent. Mais il ne sagit dinterpréter savamment des propos : il faut, au-delà de la formulation dune opinion, et tout en lentendant, écouter non pas « autre chose » mais ce qui se dit avec la prononciation dun avis. Ce qui se raconte ne tient pas de lavis. Il sagit de ce qui excède le propos pour / contre qui suffit au sondage, mais qui ne « sonde » strictement rien. Cest-à-dire de lobscurité de la vie en commun en rapport de laquelle la prétendue « mise en lumière » tient de la réduction. Croit-on, parce que la vie va cesser, que ce qui maintient la vie vivante devrait sinterrompre et pouvoir achever du même coup ce qui ne cesse dappartenir à la possibilité de vivre ? On ne vit pas « jusquau bout » sans doute. On ne termine pas la courbe de manière toute impeccable (comme ces merveilleux disparus, tellement sportifs, si olympiques qui savent disparaître en haute montagne ou en pleine mer, sans abandonner leur corps dans un lit). La non-coïncidence de la mort avec la fin de vie peut sapercevoir comme un défaut dorganisation des choses (« La vie est mal faite »). Mais lon peut aussi comprendre que cette non-coïncidence est ce qui permet daménager lespace du sens bien au-delà dune mise en signification.
Louis-Vincent Thomas disait bien que lanthropologie de la mort doit être et ne peut être que polémique. La mort nest pas cette grande question philosophique dont le grand penseur aurait le monopole du discours supérieur8. Il sagit de ce que lhomme fait à lautre homme.
Vincent Gire
Peut-être serait-ce le prix à payer. On vit plus vieux, plus longtemps. Mais lorsque quaucune médecine ne peut plus guérir le corps usé, il serait humain que la prolongation ne dure pas : il faudrait, sans doute artificiellement (puisquil ny aurait plus de nature pour arrêter avec certitude le jeu de lexistence), que la décision soit prise que cela finisse. Nous ne voulons jamais mourir, jusquau moment où cest le moment. En ce moment où lon pourrait durer au-delà de soi, il faudrait quon soit assuré dune fin convenable. Il faudrait aussi avoir le souci des autres quand on ne peut plus en avoir beaucoup de soi-même. Plutôt donc que de se trouver mis à la porte parce que lon serait de trop, ne vaut-il mieux pas anticiper le départ, avec lélégance de qui veut sen aller au lieu de déranger son monde plus que de nécessaire ?
Troisièmement, il sagirait de ne pas dépendre de pouvoirs2 qui vous ravalent au rang dobjet, qui diminuent la personne au point de la rabattre à son corps, et surtout à ce corps insupportable à elle-même. Il faudrait pouvoir gérer au mieux léconomie dun stade dit « terminal » où lon continue de vivre parce que le corps existe malgré et contre soi. Tout se passe ici comme si le corps à la fois support et équivalent de la personne venait se retourner contre elle. Ou comme si lindividu se trouvait ainsi contraint par une assignation à résidence qui prolongerait inutilement le bail.
Quatrièmement , lidée deuthanasie se fonde logiquement sur lévidence des notions dindividu ou dacteur. La mort sentrevoit comme ce quelle est au plan médical : comme la terminaison de lexistence de lindividu, comme la conclusion de sa trajectoire personnelle. Si ce destin doit simposer à lindividu, ne pourrait-il pas au moment même où limportance de son individualité se trouve compromise, récupérer une capacité dacteur en décidant lui-même de la fin qui le concerne au premier chef. Objet et non plus « sujet » ainsi quil voudrait lêtre « jusquau bout »3, lindividu contemporain entrevoit le corps hospitalisé comme la prise au piège de ce à quoi lon serait réduit.
Deux autres éléments contribuent à renforcer la logique de ce discours. En premier lieu, il faut prendre en compte la forme aujourdhui dominante dun consensus pluriel comme organisation des débats et réunion des opinions. Nous ne sommes pas obligés, sur un mode autoritaire, de penser tous la même chose. Il faudrait que la pluralité des opinions soit réunie dans la construction dune même perspective. La diversité des avis ne saurait générer des conflits dinterprétations, des positionnements antagonistiques ou des critiques : elle garantirait la plasticité dune logique consensuelle. La souplesse du consensus qui serait construit sur des évidences de base (ce qui nous réunit tous) garantirait une unanimité produite par chaque « acteur ». Si lon admet quil faut a priori se méfier de lhomogénéité des idées, en soupçonnant limposition dune idéologie, comment résister à la rumeur sans source, à la culture tout à la fois principale et de bon sens qui ne serait entachée daucun arbitraire ? Lidéologie mensongère peut se dénoncer parce que lon peut montrer que les gens quelle vise ne sont pas comme dautres se les représentent. Le consensus pluriel échappe à la dénonciation puisquil ne sagirait plus de répéter un discours falsificateur mais de dire ce que lon pense vraiment. La logique de la sincérité communicationnelle dire ses sentiments et les rapporter à une raison partageable parce quelle donnerait de la raison aux sentiments quon exprime semble inattaquable puisquelle articule merveilleusement lindividu au collectif à partir de son « désir de société » et non pas à partir dune société artificielle qui aurait besoin des individus dans leur masse anonyme pour se constituer. Ainsi la demande deuthanasie, qui peut prendre pour chacun un sens différent, peut-elle à partir des sentiments individuels qui lexpriment donner lapparence dune unanimité de fond, dun accord produit par la tolérance des idées dautrui et non pas celle dun discours sectaire, partial, ou partisan.
En second lieu il faut souligner la prégnance actuelle dun souci de dignité quil sagirait daccorder à chacun comme argument typique dun discours « éthique », cela en lieu et place dune analyse politique des inégalités. Pour le dire ici très vite, la tendance est à la moralisation du politique, et non à la politisation de la morale4. Aider lexclu (et le mourant se pense comme lexclu type : parce quil est cet exclu que lon sera personnellement) vaudrait davantage que la critique des conditions sociales qui génèrent lexclusion. Au fond, une certaine sociologie critique, « irréaliste et irresponsable », ne serait-elle pas dépassée ? Lurgence daujourdhui serait celle-ci : trouver, dans un monde auquel il faut sadapter parce quon ne le changera évidemment pas, les meilleures solutions pour vivre et mourir de la façon la plus convenable.
Dans un document que diffuse lAssociation pour le Droit à Mourir dans la Dignité (A.D.M.D), on peut lire ceci : « Lamour de la vie ne saccommode ni de la dégradation ni de légoïsme ». Comment en un premier mouvement ne pas adhérer à cette affirmation forte et tout à fois de bon sens ? Mais lon peut aussi se demander si ce qui nous est dit dans cette philosophie très évidente, ce nest pas que « si lon est dégradé il ne faut pas être égoïste ». La noble sentence ne tient-elle pas du conseil et déjà de lordre : celui de partir en ne coûtant pas davantage que lon ne vaut ?
On peut discuter de la représentation de la mort comme événement strictement individuel comme sil nen allait pas fondamentalement dune dimension sociale, et du primat accordé à limage de la personne mais rabattue au rang de son apparence5. Ou encore on peut mettre en question la notion de dignité : est-elle ce qui devrait se maintenir techniquement et ce quon pourrait socialement diagnostiquer, ou bien nest-elle pas humainement inévaluable ? On peut encore interroger le sens dune décision qui garantirait une maîtrise, comme si lidée quon aurait à se prononcer pouvait occulter lindécidable dune mort qui nest jamais pour « maintenant »6.
La demande deuthanasie est massivement, en tant que souhait pour plus tard, celui de gens en bonne santé. Elle ne sexprime guère chez les grands malades. Et le sentiment que la personne à lapproche de sa mort a perdu toute dignité ne détermine pas toutes les représentations de son entourage. Cest un parent que lon regarde et non pas un corps dont on examine le déclin. Les « dégradations » qui signalent limminence de la mort ne sont pas insupportables au grand nombre : elles participent du remaniement des rôles et des relations. La fille aide sa mère à sa toilette et les gestes silencieux se font dans laffrontement de lune et de lautre à limprévisibilité du prévisible. Ce nest pas un arrêt instantané que lon réclame, mais dans une temporalité faite de présences et dabsences, deffondrements et despoirs, de distances et déchanges, que lon sengage. La famille peut demander bien moins une interruption de vie que la suspension des soins qui nont plus lieu dêtre, tandis quil sagit de maintenir ceux qui donnent du temps (si faible quen soit la durée) à celui qui doit partir. Non pas devant la mort comme situation abstraite mais devant celui qui meurt, le sentiment est que linéluctable saccomplit. Ce nest pas dire ici que la demande de mort ne sexprimerait jamais ni quil faudrait quelle napparaisse pas. Celui qui meurt et sa famille (le plus souvent sa famille) peuvent dire quil faudrait « arrêter ». Mais demander que cela sarrête, est-ce demander dêtre immédiatement pris au pied de la lettre ? Aussi bien ce sont des personnes qui soccupent depuis plusieurs mois dun parent malade qui peuvent se déclarer favorables à leuthanasie. Cela non pas parce quelles se contrediraient ou quelles seraient empêchées daccorder leurs actes à ce quelles pensent, mais parce que ce qui est pensé sous ce mot deuthanasie na rien à voir avec lattitude qui consiste à mettre, sur la base dun accord préalable, un point final à la vie dautrui7.
On pourra dire quil en va dune imposture intellectuelle à toujours vouloir traduire le propos des gens pour leur faire dire « linverse » de ce quils disent. Mais il ne sagit dinterpréter savamment des propos : il faut, au-delà de la formulation dune opinion, et tout en lentendant, écouter non pas « autre chose » mais ce qui se dit avec la prononciation dun avis. Ce qui se raconte ne tient pas de lavis. Il sagit de ce qui excède le propos pour / contre qui suffit au sondage, mais qui ne « sonde » strictement rien. Cest-à-dire de lobscurité de la vie en commun en rapport de laquelle la prétendue « mise en lumière » tient de la réduction. Croit-on, parce que la vie va cesser, que ce qui maintient la vie vivante devrait sinterrompre et pouvoir achever du même coup ce qui ne cesse dappartenir à la possibilité de vivre ? On ne vit pas « jusquau bout » sans doute. On ne termine pas la courbe de manière toute impeccable (comme ces merveilleux disparus, tellement sportifs, si olympiques qui savent disparaître en haute montagne ou en pleine mer, sans abandonner leur corps dans un lit). La non-coïncidence de la mort avec la fin de vie peut sapercevoir comme un défaut dorganisation des choses (« La vie est mal faite »). Mais lon peut aussi comprendre que cette non-coïncidence est ce qui permet daménager lespace du sens bien au-delà dune mise en signification.
Louis-Vincent Thomas disait bien que lanthropologie de la mort doit être et ne peut être que polémique. La mort nest pas cette grande question philosophique dont le grand penseur aurait le monopole du discours supérieur8. Il sagit de ce que lhomme fait à lautre homme.
Vincent Gire
(1) Je ny consacre ici quune note de bas de page quand il faudrait prendre le temps danalyser : 1/ lamalgame souffrance douleur ; 2/ le refus de la douleur comme rapport de soi à soi (« Vous ne sentez plus votre corps, vous êtes bien
»), cest-à-dire le déni de la corporéité qui provoque le repli sur le corps comme réalité de la personne et donc tout à la fois la dépendance aux antalgiques et la fascination sadique ; 3/ le déni de la souffrance dont on vient dire quelle serait ce que valorise une société « judéo-chrétienne » alors quà travers elle la femme et lhomme font lépreuve de la non-maîtrise individuelle de dimensions collectives qui ont à sélaborer symboliquement ; 4/ lidéologie de lindividu comme forteresse et celle du corps comme sa propriété ; 5/ lidéologie de « lautonomie » dans sa version libérale : lindividu autonome est celui qui est programmé pour fabriquer lui-même le discours de sa propre aliénation ; ici pas de critique dun système mais la demande qui lui est adressée quil consente à accorder à chacun le droit de sa propre suppression.
(2) Louis-Vincent Thomas, Mort et pouvoir, Paris, Payot & Rivages, 1999, p. 102 : « Notre culture nous a si bien conditionnés à la faillite des responsabilités que, paradoxalement, nous serions prêts à nous en remettre à un pouvoir encore accru qui irait dans le sens de nos désirs » (souligné dans le texte).
(3) Mais Emmanuel Lévinas disait bien dans Le Temps et lautre, Paris, PUF, 1983, p. 62 : « Ce qui est important à lapproche de la mort, cest quà un certain moment nous ne pouvons plus pouvoir ; cest en cela justement que le sujet perd sa maîtrise même de sujet ».
(4) Voir Emmanuel Renault, Mépris social Ethique et politique de la reconnaissance, Bordeaux, Editions du Passant, 2000.
(5) Voir Patrick Baudry, La Place des morts, Paris, Armand Colin, 1999.
(6) Voir Maurice Blanchot, LEspace littéraire, Paris, Gallimard, p. 130.
(7) Sur le sens de linterdit du meurtre, voir Walter Benjamin, uvres 1, Paris, Gallimard, 2000, p. 239-240.
(8) Dans cette veine navrante, voir Jacques Derrida, Apories, Paris, Galilée, 1996. Jean-Marie Brohm avait répondu au grand penseur dans « Ontologie de la mort », Prétentaine, n° 7/8, octobre 1997, p. 209-224. Je lui ai dit quil navait rien compris à la notion même de déni de la mort dans La Place des morts, op.cit., p. 104-122.
(2) Louis-Vincent Thomas, Mort et pouvoir, Paris, Payot & Rivages, 1999, p. 102 : « Notre culture nous a si bien conditionnés à la faillite des responsabilités que, paradoxalement, nous serions prêts à nous en remettre à un pouvoir encore accru qui irait dans le sens de nos désirs » (souligné dans le texte).
(3) Mais Emmanuel Lévinas disait bien dans Le Temps et lautre, Paris, PUF, 1983, p. 62 : « Ce qui est important à lapproche de la mort, cest quà un certain moment nous ne pouvons plus pouvoir ; cest en cela justement que le sujet perd sa maîtrise même de sujet ».
(4) Voir Emmanuel Renault, Mépris social Ethique et politique de la reconnaissance, Bordeaux, Editions du Passant, 2000.
(5) Voir Patrick Baudry, La Place des morts, Paris, Armand Colin, 1999.
(6) Voir Maurice Blanchot, LEspace littéraire, Paris, Gallimard, p. 130.
(7) Sur le sens de linterdit du meurtre, voir Walter Benjamin, uvres 1, Paris, Gallimard, 2000, p. 239-240.
(8) Dans cette veine navrante, voir Jacques Derrida, Apories, Paris, Galilée, 1996. Jean-Marie Brohm avait répondu au grand penseur dans « Ontologie de la mort », Prétentaine, n° 7/8, octobre 1997, p. 209-224. Je lui ai dit quil navait rien compris à la notion même de déni de la mort dans La Place des morts, op.cit., p. 104-122.