Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°42 [septembre 2002 - octobre 2002]
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Le corps du sujet
La beauté de lutopie est dans les actes daujourdhui,
autant que le rêve est vrai
Non à ceux qui ne savent jamais dire oui !
S.G.
Introduction
Evidemment, vaut mieux avoir été à lécole primaire au début des années soixante. Vaut mieux se rappeler le platane dans la cour, sur lequel, chaque jour, on venait nettoyer les brosses qui servaient à effacer la craie des tableaux noirs. Vaut mieux avoir connu le repos du jeudi après-midi, avec Zorro à la télé après le goûter et la séance de cinéma qui nous a permis de voir lintégrale de Laurel et Hardy Tout ça pour vingt centimes Vaut mieux se souvenir que le 11 novembre, on allait vendre des bleuets pour les anciens combattants Vaut surtout mieux être encore vivants.
Bon Pour ceux-là, et pour les autres, il faut savoir que lécole laïque de la République enseignait le secret des rédactions réussies : introduction, corps du sujet, conclusion. Ici, votre attention, sil vous plaît : on ne parle pas de la dissertation, réservée aux grands, ni de linfâme moderne commentaire de texte (« Relevez le sens comique de la répétition dans cette scène », ou « daprès vous, quels sentiments lauteur de ce texte a-t-il voulu faire apparaître dans cette com-paraison ? »), ni dun quelconque QCM à signer dune croix ! Non, il sagit ici de la rédaction, exercice de liberté contrôlée par les trois articulations sacrées, monde qui mapparaissait potentiellement sans limites, plaisir décrire et joie de concevoir Je mentirais bien en disant que le sens profond de ce découpage était tout à fait clair, à lépoque Introduire le corps du sujet, puis con-clure, bref La division ternaire de la démarche étant acquise, à nous daborder sereinement le Corps du sujet.
Autant poser clairement les choses, demblée : le mien corps de moi-sujet fait chier. Et avec une belle constance depuis quelques années. Comme on suppose que la chose nintéresse pas forcément le lecteur-Passant, débarrassons-nous promptement du cas, histoire de ne pas laisser prise à la critique facile selon laquelle il ne saurait être question décrire sur le corps sans mettre le sien en jeu. Donc, jaffirme ici, le plus haut et le plus fort possible, que respirer convenablement quelques jours dans lannée ne saurait constituer lhorizon indépassable de la mienne existence. Guetter férocement les causes possibles dinsuffisance cardiaque, derrière chaque clope, chaque nuit passée à discuter, chaque plat un peu salé, chaque verre deau en trop (de leau ! ! !), chaque séjour au Sud et au soleil, voilà un programme qui sent un peu trop sa petite mort. Ce qui est invalidant, profondément invalidant, cest de vivre allégé. Et de ne pas avoir plus que ça le choix, ça vous a de ces airs de liberté, un vrai délice ! On en est là, mon corps et moi, bonne vieille schize que les grandes âmes avisées me conseillent de combler en « acceptant la situation », « en faisant le deuil davant », en « sachant
trouver des plaisirs simples qui font le vrai sel de la vie » Alerte ! Au secours ! Stop ! Basta ! Enfin, si je peux Aligner des points dexclamation ne règle rien, je sais La lutte mépuise, le corps est fort Tant que je peux encore écrire, le sujet reste debout. Après, je ne garantis rien. Une fois écartés ces quelques soucis domestiques à propos desquels je prie le vaillant lecteur de déployer la plus grande bienveillance, développons le thème.
Le corps du sujet se rappelle, en permanence, à notre bon souvenir, et nous enjoint de ne rien faire sans le convoquer. Le corps du sujet peut être nié, martyrisé, châtré, sublimé, fanstasmé, idôlatré, vendu, percé, recousu, enfanté, il ne peut pas ne pas être là. Cest dailleurs à ça quon le reconnaît. Enfin, pour les quelques matérialistes qui restent Pas de sujet sans corps, sans épaisseur, même Sainte-Thérèse et le grand Souffi ; même le lama, sans réactions électro-chimiques pour penser le grand Néant et se fondre dans la béatitude, le faire ça peut pas. Jai la plus grande admiration pour les grands mystiques, je le jure, mais quelque chose mempêche de les penser sans corps qui pense. Cest dit, et la position sera tenue urbi et orbi, lau-delà du corps est encore du corps, pas moyen de faire autrement.
Quon ne me range pas pour autant dans le courant sanitaire vitaliste qui entonne lhymne du corps sain (saint ? ceint ?) au service de lEsprit du même. Fadaises que « cest le corps qui parle », « moi jsuis à lécoute de mon corps » et autres billevesées qui supposent que le corps, dans sa pureté non envahie par lintellect, a toujours raison. Yes, le corps ment, et heureusement. Ce quil dirait, sinon, pourrait provoquer chez daucuns (daucunes) de légers malaises, non ?
Conclusion
Il ny a peut-être pas de corps du sujet, ya un sujet, tout compris.
Insécable. Indispensable. Indépassable.
autant que le rêve est vrai
Non à ceux qui ne savent jamais dire oui !
S.G.
Introduction
Evidemment, vaut mieux avoir été à lécole primaire au début des années soixante. Vaut mieux se rappeler le platane dans la cour, sur lequel, chaque jour, on venait nettoyer les brosses qui servaient à effacer la craie des tableaux noirs. Vaut mieux avoir connu le repos du jeudi après-midi, avec Zorro à la télé après le goûter et la séance de cinéma qui nous a permis de voir lintégrale de Laurel et Hardy Tout ça pour vingt centimes Vaut mieux se souvenir que le 11 novembre, on allait vendre des bleuets pour les anciens combattants Vaut surtout mieux être encore vivants.
Bon Pour ceux-là, et pour les autres, il faut savoir que lécole laïque de la République enseignait le secret des rédactions réussies : introduction, corps du sujet, conclusion. Ici, votre attention, sil vous plaît : on ne parle pas de la dissertation, réservée aux grands, ni de linfâme moderne commentaire de texte (« Relevez le sens comique de la répétition dans cette scène », ou « daprès vous, quels sentiments lauteur de ce texte a-t-il voulu faire apparaître dans cette com-paraison ? »), ni dun quelconque QCM à signer dune croix ! Non, il sagit ici de la rédaction, exercice de liberté contrôlée par les trois articulations sacrées, monde qui mapparaissait potentiellement sans limites, plaisir décrire et joie de concevoir Je mentirais bien en disant que le sens profond de ce découpage était tout à fait clair, à lépoque Introduire le corps du sujet, puis con-clure, bref La division ternaire de la démarche étant acquise, à nous daborder sereinement le Corps du sujet.
Autant poser clairement les choses, demblée : le mien corps de moi-sujet fait chier. Et avec une belle constance depuis quelques années. Comme on suppose que la chose nintéresse pas forcément le lecteur-Passant, débarrassons-nous promptement du cas, histoire de ne pas laisser prise à la critique facile selon laquelle il ne saurait être question décrire sur le corps sans mettre le sien en jeu. Donc, jaffirme ici, le plus haut et le plus fort possible, que respirer convenablement quelques jours dans lannée ne saurait constituer lhorizon indépassable de la mienne existence. Guetter férocement les causes possibles dinsuffisance cardiaque, derrière chaque clope, chaque nuit passée à discuter, chaque plat un peu salé, chaque verre deau en trop (de leau ! ! !), chaque séjour au Sud et au soleil, voilà un programme qui sent un peu trop sa petite mort. Ce qui est invalidant, profondément invalidant, cest de vivre allégé. Et de ne pas avoir plus que ça le choix, ça vous a de ces airs de liberté, un vrai délice ! On en est là, mon corps et moi, bonne vieille schize que les grandes âmes avisées me conseillent de combler en « acceptant la situation », « en faisant le deuil davant », en « sachant
trouver des plaisirs simples qui font le vrai sel de la vie » Alerte ! Au secours ! Stop ! Basta ! Enfin, si je peux Aligner des points dexclamation ne règle rien, je sais La lutte mépuise, le corps est fort Tant que je peux encore écrire, le sujet reste debout. Après, je ne garantis rien. Une fois écartés ces quelques soucis domestiques à propos desquels je prie le vaillant lecteur de déployer la plus grande bienveillance, développons le thème.
Le corps du sujet se rappelle, en permanence, à notre bon souvenir, et nous enjoint de ne rien faire sans le convoquer. Le corps du sujet peut être nié, martyrisé, châtré, sublimé, fanstasmé, idôlatré, vendu, percé, recousu, enfanté, il ne peut pas ne pas être là. Cest dailleurs à ça quon le reconnaît. Enfin, pour les quelques matérialistes qui restent Pas de sujet sans corps, sans épaisseur, même Sainte-Thérèse et le grand Souffi ; même le lama, sans réactions électro-chimiques pour penser le grand Néant et se fondre dans la béatitude, le faire ça peut pas. Jai la plus grande admiration pour les grands mystiques, je le jure, mais quelque chose mempêche de les penser sans corps qui pense. Cest dit, et la position sera tenue urbi et orbi, lau-delà du corps est encore du corps, pas moyen de faire autrement.
Quon ne me range pas pour autant dans le courant sanitaire vitaliste qui entonne lhymne du corps sain (saint ? ceint ?) au service de lEsprit du même. Fadaises que « cest le corps qui parle », « moi jsuis à lécoute de mon corps » et autres billevesées qui supposent que le corps, dans sa pureté non envahie par lintellect, a toujours raison. Yes, le corps ment, et heureusement. Ce quil dirait, sinon, pourrait provoquer chez daucuns (daucunes) de légers malaises, non ?
Conclusion
Il ny a peut-être pas de corps du sujet, ya un sujet, tout compris.
Insécable. Indispensable. Indépassable.
P.S : Monsieur linstituteur, je mexcuse mais je viens de penser que jai peut-être oublié un truc : reste à savoir pourquoi on souffre. Je vous promets de moccuper de ça dès que jaurai moins mal.
* Nous publions ici le dernier texte de notre ami Sergio Guagliardi, décédé le 1er octobre 2002.
* Nous publions ici le dernier texte de notre ami Sergio Guagliardi, décédé le 1er octobre 2002.