Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°42 [septembre 2002 - octobre 2002]
© Passant n°42 [septembre 2002 - octobre 2002]
par Emmanuel Renault
Imprimer l'articleLordre règne à Dammarie-Les-Lys
Entre mai et juin à Dammarie-Les-Lys, une série dévénements a jeté une lumière contrastée sur les problèmes de la banlieue : dun côté, une lumière tristement inquiétante sur la tolérance zéro que le nouveau gouvernement veut appliquer aux quartiers1 et sur lincapacité des médias à rendre compte de la situation ; dun autre côté, des lueurs despoir quant aux réponses politiques qui peuvent être données à la répression et aux provocations.
Décembre 1997. Commençons par un bref retour en arrière, par une première victime de Dammarie, tombée sous le feu de la BAC. Cétait le 17 décembre 97, Abdelkader Bouziane, agé de 17 ans, reçoit une balle dans la nuque. Présenté par la Police et la plupart des médias comme un dangereux délinquant fonçant sur un barrage policier, il roulait en fait à 36 km/h et avait dépassé le policier quand celui-ci à tiré (doù la balle dans la nuque). Son seul tort, avoir pris peur à lidée dêtre contrôlé alors quil avait emprunté la voiture de sa tante et quil roulait sans permis. On se souvient peut-être des émeutes et des incendies qui suivirent. Leur inutilité apparut aux yeux de tous, et surtout aux yeux des habitants qui voyaient leurs conditions de vie plus dégradées encore, alors que les pouvoirs publics en profitaient pour les stigmatiser davantage. Cest dans ce contexte que différentes associations se formèrent en vue de prendre en main les problèmes des cités de Dammarie (logement, insertion, éducation, travail) et de leur donner une réponse politique, en sinspirant des constats et des solutions du Mouvement pour lImmigration et pour la Banlieue2. Constat : « Personne ne pleure ces morts. Les puissants, les politiques, les médias, décrètent quil sagit de faits divers à ranger dans les poubelles de lhistoire. On retiendra par contre les émeutes comme preuve de la sauvagerie de ces populations. La société retiendra nos révoltes comme des cris étranges et étrangers à exclure des livres dhistoire et de la mémoire collective »3. Solution : la lutte collective, politique et pacifique, contre « une politique de ségrégation sociale, économique et politique placée sous le contrôle du ministère de lIntérieur, [qui] a fait perdurer sur le fond, en transformant les formes, la politique coloniale : refus des droits économiques et sociaux, panoplies de mesures différencialistes »4. Bien à labri ici dans nos centres-villes, il est toujours possible de juger lidée de justice coloniale excessive, mais que répondre là-bas à ceux qui expliquent que le délit de fuite nest pas en France passible de la peine de mort, quil suffit de changer de ville pour vérifier que la police ne se comporte pas de la même manière avec le reste de la population, que pour les policiers limpunité judiciaire est de rigueur Comment contester que le tout sécuritaire implique lui-même un partage discriminatoire de la sécurité et de linsécurité : « Les quartiers et leurs habitants, puisque ce sont eux les coupables désignés, payent très cher le prix de ce délire. Tant pis si la BAC est pour beaucoup un facteur dinsécurité permanente, tant pis si les tribunaux couvrent systématiquement les policiers délinquants, tant pis si les assassins de Aîssa, de Habib, Ryad, Sydney, Ali, Abdelkader sont en liberté. Tant pis aussi pour les familles expulsées de leur logement, pour la double-peine, les prisonniers, les sans-papiers Préférence nationale oblige, cest la sécurité des uns au détriment de celle des autres »5.
La semaine du 20 mai 2002. Peu après les législatives et linstallation dun « gouvernement de mission », les grands médias (qui soit par incompétence, soit par prudence, préfèrent toujours suivre les versions policières) annoncent le mardi 21 mai la mort de Xavier Dhem, présenté comme un toxicomane armé en proie à un violent délire, logiquement abattu dune balle dans la tête par la police. En fait, Xavier Dhem était connu dans le quartier et par la police comme un jeune psychologiquement perturbé mais non violent ; quant à son fusil à plomb, il ne justifiait sans doute pas une exécution. Le lendemain, mercredi, un groupe de militants, dont Mohamed Berrichi, viennent demander des explications à la police ; la BAC les reçoit avec des menaces et des insultes. Le surlendemain, jeudi, Mohamed Berrichi est pris en chasse par la BAC pour non port de casque alors quil circule en scooter ; il meurt dans des circonstances controversées à lissue de la poursuite. Il sera présenté comme un délinquant multirécidiviste mais il était surtout connu par la police comme lun des militants du quartier, et puisquil était connu, pourquoi sengager dans une course folle empruntant à vive allure des sens interdits au risque de mettre la vie dun individu sans casque, celle de piétons et dautomobilistes en danger, pourquoi ne pas linterpeller plus tard ? Certes, il avait pris la fuite ! Son frère Kader en donne une explication : « La veille, au poste, le ton est monté avec la BAC. Les policiers nous ont dit : Désormais on a permis de tuer. Comment voulez-vous quil ne senfuie pas après ça ? ».
Comme en 97, la mobilisation fut massive, mais elle fut cette fois pacifique et politique, grâce au travail des associations et du MIB. Marches de protestation, rassemblements publics furent organisés où lon évita soigneusement les récupérations et le discrédit en contrôlant soigneusement le contact avec les médias. Tentant de créer lamalgame entre un problème de droit et un problème communautaire, Sarkosy dépêcha un envoyé de la mosquée de Paris pour servir de médiateur, il fut remercié par la famille qui répondit quici, on nétait pas islamiste. Les autorités publiques navaient donc aucun contrôle sur un mouvement décidément beaucoup plus dérangeant quune émeute. On suggéra alors que le MIB était en fait une organisation para-mafieuse, et fin juin, sous prétexte de nettoyer les graffitis anti-BAC de limmeuble de Mohamed Berrichi, deux compagnie de CRS intervenaient et mettaient à sac les locaux de lassociation Bouge qui Bouge qui, en plus davoir contribué au déroulement pacifique des protestations, servait de bibliothèque pour les enfants et de service de soutien scolaire
Quand on voit lacharnement des autorités municipales et préfectorales contre ces associations locales, le nombre de procédures doutrage et de rébellion qui visent jeunes et militants6, quand on voit la manière dont ils parviennent à associer revendications de droit (fins des mesures discriminatoires et de limpunité judiciaire de la Police), lutte contre les problèmes sociaux des banlieues (logement, éducation ), luttes syndicales et luttes à dimension internationale comme les actions de solidarité avec la Palestine, on ne peut quêtre admiratif. En mettant en place la politique de tolérance zéro quil étudia de près fin août à New-York, il est probable que Sarkosy augmentera encore limpression que les habitants de ces quartiers ont de vivre eux aussi en territoire occupé (ils en témoignent par exemple en indiquant les appartements occupés par les RG en haut de certaines tours), et de nexister dans la vie politique publique quen tant que cible de la vindicte publique ; peut-être, alors aurons-nous la bonne surprise de voir en banlieue se développer un puissant mouvement politique.
Décembre 1997. Commençons par un bref retour en arrière, par une première victime de Dammarie, tombée sous le feu de la BAC. Cétait le 17 décembre 97, Abdelkader Bouziane, agé de 17 ans, reçoit une balle dans la nuque. Présenté par la Police et la plupart des médias comme un dangereux délinquant fonçant sur un barrage policier, il roulait en fait à 36 km/h et avait dépassé le policier quand celui-ci à tiré (doù la balle dans la nuque). Son seul tort, avoir pris peur à lidée dêtre contrôlé alors quil avait emprunté la voiture de sa tante et quil roulait sans permis. On se souvient peut-être des émeutes et des incendies qui suivirent. Leur inutilité apparut aux yeux de tous, et surtout aux yeux des habitants qui voyaient leurs conditions de vie plus dégradées encore, alors que les pouvoirs publics en profitaient pour les stigmatiser davantage. Cest dans ce contexte que différentes associations se formèrent en vue de prendre en main les problèmes des cités de Dammarie (logement, insertion, éducation, travail) et de leur donner une réponse politique, en sinspirant des constats et des solutions du Mouvement pour lImmigration et pour la Banlieue2. Constat : « Personne ne pleure ces morts. Les puissants, les politiques, les médias, décrètent quil sagit de faits divers à ranger dans les poubelles de lhistoire. On retiendra par contre les émeutes comme preuve de la sauvagerie de ces populations. La société retiendra nos révoltes comme des cris étranges et étrangers à exclure des livres dhistoire et de la mémoire collective »3. Solution : la lutte collective, politique et pacifique, contre « une politique de ségrégation sociale, économique et politique placée sous le contrôle du ministère de lIntérieur, [qui] a fait perdurer sur le fond, en transformant les formes, la politique coloniale : refus des droits économiques et sociaux, panoplies de mesures différencialistes »4. Bien à labri ici dans nos centres-villes, il est toujours possible de juger lidée de justice coloniale excessive, mais que répondre là-bas à ceux qui expliquent que le délit de fuite nest pas en France passible de la peine de mort, quil suffit de changer de ville pour vérifier que la police ne se comporte pas de la même manière avec le reste de la population, que pour les policiers limpunité judiciaire est de rigueur Comment contester que le tout sécuritaire implique lui-même un partage discriminatoire de la sécurité et de linsécurité : « Les quartiers et leurs habitants, puisque ce sont eux les coupables désignés, payent très cher le prix de ce délire. Tant pis si la BAC est pour beaucoup un facteur dinsécurité permanente, tant pis si les tribunaux couvrent systématiquement les policiers délinquants, tant pis si les assassins de Aîssa, de Habib, Ryad, Sydney, Ali, Abdelkader sont en liberté. Tant pis aussi pour les familles expulsées de leur logement, pour la double-peine, les prisonniers, les sans-papiers Préférence nationale oblige, cest la sécurité des uns au détriment de celle des autres »5.
La semaine du 20 mai 2002. Peu après les législatives et linstallation dun « gouvernement de mission », les grands médias (qui soit par incompétence, soit par prudence, préfèrent toujours suivre les versions policières) annoncent le mardi 21 mai la mort de Xavier Dhem, présenté comme un toxicomane armé en proie à un violent délire, logiquement abattu dune balle dans la tête par la police. En fait, Xavier Dhem était connu dans le quartier et par la police comme un jeune psychologiquement perturbé mais non violent ; quant à son fusil à plomb, il ne justifiait sans doute pas une exécution. Le lendemain, mercredi, un groupe de militants, dont Mohamed Berrichi, viennent demander des explications à la police ; la BAC les reçoit avec des menaces et des insultes. Le surlendemain, jeudi, Mohamed Berrichi est pris en chasse par la BAC pour non port de casque alors quil circule en scooter ; il meurt dans des circonstances controversées à lissue de la poursuite. Il sera présenté comme un délinquant multirécidiviste mais il était surtout connu par la police comme lun des militants du quartier, et puisquil était connu, pourquoi sengager dans une course folle empruntant à vive allure des sens interdits au risque de mettre la vie dun individu sans casque, celle de piétons et dautomobilistes en danger, pourquoi ne pas linterpeller plus tard ? Certes, il avait pris la fuite ! Son frère Kader en donne une explication : « La veille, au poste, le ton est monté avec la BAC. Les policiers nous ont dit : Désormais on a permis de tuer. Comment voulez-vous quil ne senfuie pas après ça ? ».
Comme en 97, la mobilisation fut massive, mais elle fut cette fois pacifique et politique, grâce au travail des associations et du MIB. Marches de protestation, rassemblements publics furent organisés où lon évita soigneusement les récupérations et le discrédit en contrôlant soigneusement le contact avec les médias. Tentant de créer lamalgame entre un problème de droit et un problème communautaire, Sarkosy dépêcha un envoyé de la mosquée de Paris pour servir de médiateur, il fut remercié par la famille qui répondit quici, on nétait pas islamiste. Les autorités publiques navaient donc aucun contrôle sur un mouvement décidément beaucoup plus dérangeant quune émeute. On suggéra alors que le MIB était en fait une organisation para-mafieuse, et fin juin, sous prétexte de nettoyer les graffitis anti-BAC de limmeuble de Mohamed Berrichi, deux compagnie de CRS intervenaient et mettaient à sac les locaux de lassociation Bouge qui Bouge qui, en plus davoir contribué au déroulement pacifique des protestations, servait de bibliothèque pour les enfants et de service de soutien scolaire
Quand on voit lacharnement des autorités municipales et préfectorales contre ces associations locales, le nombre de procédures doutrage et de rébellion qui visent jeunes et militants6, quand on voit la manière dont ils parviennent à associer revendications de droit (fins des mesures discriminatoires et de limpunité judiciaire de la Police), lutte contre les problèmes sociaux des banlieues (logement, éducation ), luttes syndicales et luttes à dimension internationale comme les actions de solidarité avec la Palestine, on ne peut quêtre admiratif. En mettant en place la politique de tolérance zéro quil étudia de près fin août à New-York, il est probable que Sarkosy augmentera encore limpression que les habitants de ces quartiers ont de vivre eux aussi en territoire occupé (ils en témoignent par exemple en indiquant les appartements occupés par les RG en haut de certaines tours), et de nexister dans la vie politique publique quen tant que cible de la vindicte publique ; peut-être, alors aurons-nous la bonne surprise de voir en banlieue se développer un puissant mouvement politique.
(1) Voir également le rapport alarmant sur le comportement de la police en Banlieue rendu public avant lété par la Ligue des Droits de lhomme. (Commission denquête sur le comportement des policiers à Châtenay-Malabry, Poissy et Paris XXe. Ligue des droits de lHomme, du Syndicat des avocats de France et du Syndicat de la magistrature).
(2) http://mibmib.free.fr
(3) Lécho des cités. Journal du Mouvement de lImmigration et des Banlieues, Campagne « Que vaut la vie de Youssef ? », p. 2.
(4) Ibid., p. 4.
(5) Ibid., p. 3
(6) Voir par exemple E. Phillippart, « A Dammarie, paroles contre paroles. Deux jeunes sont poursuivis pour rébellion et violence face à des policiers », in Libération, 30 août, p. 15.
(2) http://mibmib.free.fr
(3) Lécho des cités. Journal du Mouvement de lImmigration et des Banlieues, Campagne « Que vaut la vie de Youssef ? », p. 2.
(4) Ibid., p. 4.
(5) Ibid., p. 3
(6) Voir par exemple E. Phillippart, « A Dammarie, paroles contre paroles. Deux jeunes sont poursuivis pour rébellion et violence face à des policiers », in Libération, 30 août, p. 15.