Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°40-41 [mai 2002 - septembre 2002]
© Passant n°40-41 [mai 2002 - septembre 2002]
par Bernard Daguerre
Imprimer l'articleLes maux de nos vieilles démocraties
Le roman noir sait mettre le doigt sur certains des maux de nos vielles démocraties :
obsessions sécuritaires, corruption et népotisme, montée de la xénophobie. Cest ce
quillustrent Christian Roux le Français, David Peace lAnglais avec sérieux, Eduardo Mendoza le Catalan avec larme de la dérision. Le Passant a aussi choisi de présenter deux beaux morceaux de littérature que sont Un cachalot sur les bras et Crimes exemplaires.
Christian Roux, Braquages, Ed. Le Serpent à Plumes, coll. Serpent Noir, 233 p., 15 . Christian Roux a commis un polar bien den France, tonique et révolté. Un groupe néo-nazi recrute des SDF pour mener à bien ses coups tordus ; le commissaire chargé de lenquête est un démocrate sincère. Miné par un drame familial son fils élevé dans les valeurs de la République tourne au skin raciste , il se demande quel cataclysme politique va survenir à la fin de la période actuelle quil qualifie de « 25 désastreuses ». De fait, le résultat ne sera pas brillant. On peut avoir une lecture très contemporaine du roman à la lumière de la crise politique que nous subissons. Ainsi, Louis, un des sans-logis embarqués dans laventure, se demande « comment la France pouvait estimer quelle tournait rond, alors quelle jetait ses enfants à la rue et les laissait se faire dévorer par le froid, la misère et la faim. »
David Peace, 1974, trad. de langlais par Daniel Lemoine, Ed. Rivages, coll. Thriller, 332 p., 21 . A la manière dHorace Mc Coy et de son superbe Un linceul na pas de poche, David Peace construit un histoire de douleur et de mort dans lAngleterre des années 70 : Edward Dunford, jeune journaliste britannique, enquête à Leeds, vieille métropole ouvrière du Yorkshire (jadis célèbre pour sa coutellerie), sur une série de meurtres de petites filles. Sa recherche acharnée de la vérité ligue contre lui les corps constitués de la société policée : police, bien sûr, personnel politique et chevaliers dindustrie, jusquà sa propre entreprise de presse. Cet archange nest pas sans taches : voulant faire lange, il arrive quil fasse la bête. Il boit plus que de raison, fume à la chaîne, conduit sa vie sentimentale avec un sens rare de léchec. Au fur et à mesure quil recueille les éléments épars de ce qui paraît être une gigantesque conspiration, son état dépressif augmente. Son être tout entier devient comme une intense caisse de résonance : son corps (il subit des tabassages en règle et un interrogatoire policier plus que poussé), sa psyché (il fait des rêves prémonitoires) vont de mal en pis. Pire encore, il est manipulé, le sait et sen fiche, quimporte les moyens quand la fin seule importe. Le récit égrène les paliers successifs de la descente dEdward dans un univers infernal (où le glauque paraît quelquefois excessif) durant onze jours et onze nuits, jusquau tout petit matin de Noël 1974, où tout sachève. Le roman de Peace se dévore comme une confession autodestructrice, en même temps quun rude témoignage sur la corruption politico-policière propre à tout bon roman noir. Et celui-là lest, jusquà ce sentiment de cauchemar éveillé tapi dans les dialogues et les descriptions.
Eduardo Mendoza, LArtiste des dames, trad. de lespagnol par François Maspero, Ed. du Seuil, 301 p., 19,5 . Que faire lorsquon vient dêtre expulsé, pour cause de projet immobilier, de linstitution psychiatrique où lon a séjourné tant dannées durant ? Et que, revenu dans sa ville, Barcelone, on ne la reconnaît plus, frappée comme elle lest de la fièvre de construction, pour cause dolympisme galopant ? Il reste alors à lancien pensionnaire asilaire de devenir coiffeur par nécessité, et dattendre le chaland. Lequel se manifeste sous les traits dune superbe créature qui entraîne lapprenti perruquier dans un complot criminel où grenouille la bonne société catalane. Cest lamorce dun roman policier parodique où lautodérision fait bon ménage avec le grotesque. Ainsi, notre détective dopérette se teint les cheveux au safran, il loue un smoking aux revers argentés pour une soirée chic, mais par souci déconomie, il sagit dun vêtement taché, emprunté avant nettoyage à sec. Et sous lhabit picaresque pointe la chemise (en quelque sorte) de la satire sociale.
Bernard Mathieu, Un cachalot sur les bras, Ed. Joëlle Losfeld, coll. Arcanes, 112 p., 8,5 . Gendarme sur un « caillou » des Caraïbes, auvergnat jeté dans la chaleur tropicale, Daman subit durement sa solitude depuis que Caro, sa sensuelle compagne, la plaqué. Et voilà quun cachalot séchoue face au bâtiment officiel, lobligeant à lenfouir à la hâte. Un impressionnant ouragan le déterre et la charogne vient doucement toquer à sa porte, portée par le ressac de la mer démontée. En même temps que lanimal pourrissant, remonte à la surface de sa mémoire les souvenirs de son amour et de sa vie pareillement décevants. Cest un peu comme si le poids du monde entier sétait plaqué contre lui plutôt que de se diluer dans lOcéan qui baigne son maigre royaume. Bernard Mathieu mène un récit aux marges du fantastique avec des mots simples et vigoureux, des phrases précises et enlevées. Solitaire, obsessionnel et fragile, son personnage est de ceux quon noublie pas. Il est le passeur dun grand plaisir littéraire.
Max Aub, Crimes exemplaires, trad. de lespagnol par Danièle Guibbert, Ed. Phébus, coll. Libretto, 126 p., 5,95 . Il sagit daphorismes sur la manière de tuer et les raisons qui y conduisent. Récits brefs à la première personne où les mille et une manières daccommoder lassassinat de son prochain sont passées en revue. Ou comment répondre à linsupportable de cet enfer pavé des meilleures (ou des pires) intentions que peuvent être nos semblables, nos frères. Le tout servi avec un humour qui ponctue cruellement chaque chute mortelle.
obsessions sécuritaires, corruption et népotisme, montée de la xénophobie. Cest ce
quillustrent Christian Roux le Français, David Peace lAnglais avec sérieux, Eduardo Mendoza le Catalan avec larme de la dérision. Le Passant a aussi choisi de présenter deux beaux morceaux de littérature que sont Un cachalot sur les bras et Crimes exemplaires.
Christian Roux, Braquages, Ed. Le Serpent à Plumes, coll. Serpent Noir, 233 p., 15 . Christian Roux a commis un polar bien den France, tonique et révolté. Un groupe néo-nazi recrute des SDF pour mener à bien ses coups tordus ; le commissaire chargé de lenquête est un démocrate sincère. Miné par un drame familial son fils élevé dans les valeurs de la République tourne au skin raciste , il se demande quel cataclysme politique va survenir à la fin de la période actuelle quil qualifie de « 25 désastreuses ». De fait, le résultat ne sera pas brillant. On peut avoir une lecture très contemporaine du roman à la lumière de la crise politique que nous subissons. Ainsi, Louis, un des sans-logis embarqués dans laventure, se demande « comment la France pouvait estimer quelle tournait rond, alors quelle jetait ses enfants à la rue et les laissait se faire dévorer par le froid, la misère et la faim. »
David Peace, 1974, trad. de langlais par Daniel Lemoine, Ed. Rivages, coll. Thriller, 332 p., 21 . A la manière dHorace Mc Coy et de son superbe Un linceul na pas de poche, David Peace construit un histoire de douleur et de mort dans lAngleterre des années 70 : Edward Dunford, jeune journaliste britannique, enquête à Leeds, vieille métropole ouvrière du Yorkshire (jadis célèbre pour sa coutellerie), sur une série de meurtres de petites filles. Sa recherche acharnée de la vérité ligue contre lui les corps constitués de la société policée : police, bien sûr, personnel politique et chevaliers dindustrie, jusquà sa propre entreprise de presse. Cet archange nest pas sans taches : voulant faire lange, il arrive quil fasse la bête. Il boit plus que de raison, fume à la chaîne, conduit sa vie sentimentale avec un sens rare de léchec. Au fur et à mesure quil recueille les éléments épars de ce qui paraît être une gigantesque conspiration, son état dépressif augmente. Son être tout entier devient comme une intense caisse de résonance : son corps (il subit des tabassages en règle et un interrogatoire policier plus que poussé), sa psyché (il fait des rêves prémonitoires) vont de mal en pis. Pire encore, il est manipulé, le sait et sen fiche, quimporte les moyens quand la fin seule importe. Le récit égrène les paliers successifs de la descente dEdward dans un univers infernal (où le glauque paraît quelquefois excessif) durant onze jours et onze nuits, jusquau tout petit matin de Noël 1974, où tout sachève. Le roman de Peace se dévore comme une confession autodestructrice, en même temps quun rude témoignage sur la corruption politico-policière propre à tout bon roman noir. Et celui-là lest, jusquà ce sentiment de cauchemar éveillé tapi dans les dialogues et les descriptions.
Eduardo Mendoza, LArtiste des dames, trad. de lespagnol par François Maspero, Ed. du Seuil, 301 p., 19,5 . Que faire lorsquon vient dêtre expulsé, pour cause de projet immobilier, de linstitution psychiatrique où lon a séjourné tant dannées durant ? Et que, revenu dans sa ville, Barcelone, on ne la reconnaît plus, frappée comme elle lest de la fièvre de construction, pour cause dolympisme galopant ? Il reste alors à lancien pensionnaire asilaire de devenir coiffeur par nécessité, et dattendre le chaland. Lequel se manifeste sous les traits dune superbe créature qui entraîne lapprenti perruquier dans un complot criminel où grenouille la bonne société catalane. Cest lamorce dun roman policier parodique où lautodérision fait bon ménage avec le grotesque. Ainsi, notre détective dopérette se teint les cheveux au safran, il loue un smoking aux revers argentés pour une soirée chic, mais par souci déconomie, il sagit dun vêtement taché, emprunté avant nettoyage à sec. Et sous lhabit picaresque pointe la chemise (en quelque sorte) de la satire sociale.
Bernard Mathieu, Un cachalot sur les bras, Ed. Joëlle Losfeld, coll. Arcanes, 112 p., 8,5 . Gendarme sur un « caillou » des Caraïbes, auvergnat jeté dans la chaleur tropicale, Daman subit durement sa solitude depuis que Caro, sa sensuelle compagne, la plaqué. Et voilà quun cachalot séchoue face au bâtiment officiel, lobligeant à lenfouir à la hâte. Un impressionnant ouragan le déterre et la charogne vient doucement toquer à sa porte, portée par le ressac de la mer démontée. En même temps que lanimal pourrissant, remonte à la surface de sa mémoire les souvenirs de son amour et de sa vie pareillement décevants. Cest un peu comme si le poids du monde entier sétait plaqué contre lui plutôt que de se diluer dans lOcéan qui baigne son maigre royaume. Bernard Mathieu mène un récit aux marges du fantastique avec des mots simples et vigoureux, des phrases précises et enlevées. Solitaire, obsessionnel et fragile, son personnage est de ceux quon noublie pas. Il est le passeur dun grand plaisir littéraire.
Max Aub, Crimes exemplaires, trad. de lespagnol par Danièle Guibbert, Ed. Phébus, coll. Libretto, 126 p., 5,95 . Il sagit daphorismes sur la manière de tuer et les raisons qui y conduisent. Récits brefs à la première personne où les mille et une manières daccommoder lassassinat de son prochain sont passées en revue. Ou comment répondre à linsupportable de cet enfer pavé des meilleures (ou des pires) intentions que peuvent être nos semblables, nos frères. Le tout servi avec un humour qui ponctue cruellement chaque chute mortelle.