Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°40-41 [mai 2002 - septembre 2002]
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par Enelram
Imprimer l'articleIl serait une fois
Quand je serai vraiment très jeune, je te parlerai comme il faut, nous irons tous les deux dans des
pensées fantastiques comme des pays, tu sais ? Ces pays dont on parle quand on ne sait plus rien quune bribe de bonheur dans lirrévérence et dans labsolu des battements de cur
Léo Ferré 1
Le monde enflait sous ses pieds, à une allure folle : Tibor allait se retrouver dans les nuages, puis plus haut, dans les étoiles et les planètes, il se baignerait dans lunivers, boirait la tasse à loccasion, évitant de justesse létouffement. De petit dhomme flottant à la surface arrogante du globe, il deviendrait finalement ce géant de chair et dos jouant avec tous les éléments, nouveau bâtisseur de la nature et des hommes, grand réparateur aussi, bref, un ange fou débarrassé des ventouses qui lattachaient à la terre.
A Tibor il manque la mesure du petit, et les modestes de tous bords sécrieront quil lui manque surtout la mesure de lui-même. Mais Tibor nest pas de notre monde et se fiche pas mal de cet avis, là-bas ses congénères ont tous des yeux immenses, les panoramas quils embrassent et les profondeurs quils creusent ont depuis longtemps nécessité un changement de tous les systèmes mathématiques, la rationalité collective
sest appropriée une partie de linfini :
nos terriens scientifiques y perdraient
probablement la tête.
Quelques petites scènes de vie en exemple, que lon pourra facilement compléter.
Tibor2 dans la rue
La ville dUtopie se prête aux plus irréfléchies déambulations de ses habitants insouciants et jamais pressés. Le tapis urbain leur est en effet entièrement destiné, tout véhicule à quatre roues se retrouvant au sous-sol dès que son pare-chocs pointe à la porte dentrée. Ne reste donc quune sorte dimmense gruyère dont les trous laissent sortir de paisibles conducteurs qui nont pas eu à subir les affres des embouteillages, et nauront pas non plus à subir ceux de la pollution (asthmatiques et troisième âge, déambulez, déambulez sous le soleil). Aujourdhui Tibor flâne rue de la Musique, et compte satisfaire ses besoins alimentaires au marché ou au petit commerce du coin (ce nest pas quil habite à louest, mais lambiance de son village natal baigne standard dans tous les arrondissements). Probable quil sarrêtera ensuite à la terrasse dun café, tout va bien.
Tibor lit le journal
On ne se lasse pas des bonnes choses, tant et si bien quune vieille tradition persiste là-bas : journal et café dans les mains, plaisir du matin. Je sais pas vous, mais moi jai beau me lever du bon pied, quelques pages plus tard je suis pourtant déjà de moins bonne humeur. Je me demande à quoi ça tient Ce genre dincident narrive pas à Tibor : lui na pas à feuilleter tous les jours ce qui ressemble à un rapport nécrologique, ni à lire les propos affligeants des « dream teams » de tous pays (Unissez-vous ! Pour lInternationale des chefs de guerre et des capitalistes). Tibor, le matin dune part, il élargit son horizon de pensée et de créativité, dautre part il se marre, le tout faisant au total quil réfléchit pas mal : seulement ce nest pas la connerie des uns et le malheur des autres qui nourrissent son inspiration, mais la puissance de lUtopien et la fragilité de lUtopie.
Tibor au travail
En Utopie aussi on travaille, il ne faudrait pas croire que cest le retour à lEden. Différence importante : on ne se dit pas que le meilleur moment de la journée sera le passage à linfirmerie. Quelques jours par semaine, Tibor est donc heureux de retrouver son entreprise, ses collègues, et même son patron. Il na pas la dégradante impression dêtre une marchandise plus ou moins automatisée, et ce matin il a même pu veiller à son intégrité humaine en vérifiant les comptes de la firme et en votant le budget : lui, salarié, ne compte pas moins que lactionnaire dà côté, avec lequel il se dit dailleurs quil aurait pu sympathiser, se contentant pour des raisons personnelles dêtre cordial. Que voulez-vous, on nest pas obligé daimer tout le monde non plus. Par ailleurs, Tibor nest pas un privilégié du système : les Utopiens font le job qui leur plaît et quils savent faire, en prenant le temps nécessaire à laccomplissement de leur tâche. Il ny a quà voir leur tête, pour comprendre que la bonne humeur règne sous le marteau comme sous la plume.
Tibor et sa compagne
Tibor est amoureux, cf. la petite musique quil a dans la tête même quand le reste va moins bien. Il a connu plusieurs femmes avant celle-ci, des rencontres plus ou moins insolites qui lon fait entrer dans des espaces de vie inédits, ont fait émerger de nouveaux mondes à lintérieur, mais nont pas duré si longtemps quil laurait cru. Aussi se pose-t-il peu de questions sur de lointains lendemains, il ne forcera pas son désir, aurait plutôt tendance à se soumettre à la tentation des affinités électives. Le mariage, non merci : comme beaucoup dUtopiens il nest pas convaincu que lhomme soit fait pour vivre cinquante ans avec la même personne. La fidélité ? Synonyme dune peureuse paresse, sa compagne est dailleurs sur la même longueur donde (libre bien sûr) : en Utopie, aucun dogme ne plane sur le plaisir des amants fous, la révolution de lamour a transformé la sexualité reproductive en sexualité érotique (les plus de trente ans y ont droit, « se ranger » nest plus un tacite impératif imposé par la concierge). On nest pas moins idéaliste, mais on samuse davantage, et on se regarde moins le nombril.
Tibor en Palestine
La Palestine, bizarrement, Tibor il aime bien, peut-être justement parce quil a lu dans quelques livres dhistoire que pendant longtemps ça navait été quune misérable peau de chagrin et quon sy était monstrueusement foutu sur la gueule avec les sharoniards (pardonnez ma vulgarité, mais jai une légère rancur au fond de la gorge). Les monuments aux morts sont là pour le lui rappeler, il y a encore une grande douleur dans le sourire des vieux, mais si vous cherchez la bêtise humaine dans ce doux pays, passez votre chemin. Quand Tibor a un moment, il va donc faire un petit tour dans le coin, franchit même allègrement la frontière avec Israël, se pointe à Jérusalem dans lespoir dy trouver quelques réponses à lélan spirituel qui lenvahit parfois. Même en Utopie, on ne sait donc toujours pas si Dieu existe, certains croient et pas toujours au même, dautres non, sauf que ça ne les empêche pas de se comprendre.
Tibor électeur
Citoyen international, Tibor nest pas frappé de cette maladie aujourdhui contagieuse que lon a coutume dappeler depuis un moment déjà le « désenchantement politique ». Lépidémie a été largement éradiquée, ce quindique bien cette petite formule de Baudelaire que les écoliers apprennent tous par cur : « Je quitterais sans regret le monde où laction ne serait pas sur du rêve »3. Il faut dire que Tibor na pas à choisir entre quelques énergumènes postulant au pouvoir suprême en gérontocratie, et dont les idées sessoufflent singulièrement avec lâge et les circonstances, il faut dire aussi que la sphère de sa souveraineté a franchi les limites du territoire républicain (note aux narcissiques de la nation) et sest considérablement élargie jusquà atteindre lAntarctique. Au pôle nord, il ne se passe certes pas grand-chose, mais la situation de son camarade argentin y contribue largement. Aussi quand Tibor met son bulletin dans lurne, il sait quil ne vote pas que pour sa pomme, mais pour celle de tous les Utopiens (et quon ne vienne pas me dire que ce serait bien le bordel à lONU dans ce cas).
Tibor en Afrique
En Utopie, quand on pense Afrique, on ne pense plus systématiquement famine, illettrisme, exploitation des enfants, sida, guerre civile, vente darmes, jen passe et des meilleures dans la panoplie du Tiers Monde et du désespoir. Pour preuve, les dernières vacances de Tibor : tout sauf un colon touristique des temps modernes, cest chez un vieil ami africain quil a connu tout gosse encore quil débarque (toutes les générations et les contrées dUtopie sont saveur noir et blanc rouge et jaune par-delà le bleu des océans). Tibor vient simplement chercher ici une étrangeté non inquiétante, un chez soi différent sous la chaleur lourde comme le souvenir dAvant, de nouvelles histoires pour ses neurones qui risquent toujours de sengourdir, le chant et le sourire des enfants-oiseaux, bref : le Miracle à sa source
Tibor Premier ministre
Tibor nest certes pas Premier ministre, mais il nest pas écrit dans son destin quil ne pourrait pas le devenir (même sil na pas fait lENA) : comme tous les Utopiens qui le désirent, Tibor a dailleurs été ou sera au moins une fois Premier ministre dans sa vie. Remarquez quil ny en a que pour un mois renouvelable trois fois au maximum, et que par conséquent ça valse pas mal dans le tournez-manèges qui tient lieu de Matignon. La liste dattente est même sacrément longue pour le poste, qui demande peu il est vrai à son occupant, sinon de profiter de ce court moment de célébrité, et de délivrer des bonus symboliques à ces Utopiens dont les intuitions dun « encore mieux » emportent ladhésion de la population4. Finalement, Tibor Premier ministre est un peu comme Dieu le dimanche : il se la coule douce et veille au grain du coin de lil.
Tibor chez lui
Chez Tibor, cest vraiment sympa, sil vous invite un de ces quatre vous ne devriez pas refuser, rien que pour partager son quotidien pas du tout banal pour les contemporains que nous sommes. Précisons que Tibor connaît un minimum ses voisins : en Utopie on na encore jamais découvert au bout dune semaine que la vieille dame dà côté se faisait ronger par les vers, ni quun enfant croupissait depuis quarante-huit heures dans un ascenseur. Autant dire que dans la course aux valeurs universelles, Monsieur Individualiste a cédé du terrain et semble atteint dune fatigue chronique. Ce nest pas que Tibor passe beaucoup de temps dans son reposoir, mais suffisamment pour ne pas se laisser dévorer par leffervescence du monde et sabandonner tranquillement aux énigmes qui taraudent lhumanité depuis léternité, et qui népargnent pas davantage les Utopiens. Quelques précipités du désir à portée de main, une légère odeur de cannabis dans lair (bureau de tabac, deuxième à gauche), de la « bonne bouffe » (ah ! Ce cher Bové) et des livres à gogo On se revoit quand Tibor ?
pensées fantastiques comme des pays, tu sais ? Ces pays dont on parle quand on ne sait plus rien quune bribe de bonheur dans lirrévérence et dans labsolu des battements de cur
Léo Ferré 1
Le monde enflait sous ses pieds, à une allure folle : Tibor allait se retrouver dans les nuages, puis plus haut, dans les étoiles et les planètes, il se baignerait dans lunivers, boirait la tasse à loccasion, évitant de justesse létouffement. De petit dhomme flottant à la surface arrogante du globe, il deviendrait finalement ce géant de chair et dos jouant avec tous les éléments, nouveau bâtisseur de la nature et des hommes, grand réparateur aussi, bref, un ange fou débarrassé des ventouses qui lattachaient à la terre.
A Tibor il manque la mesure du petit, et les modestes de tous bords sécrieront quil lui manque surtout la mesure de lui-même. Mais Tibor nest pas de notre monde et se fiche pas mal de cet avis, là-bas ses congénères ont tous des yeux immenses, les panoramas quils embrassent et les profondeurs quils creusent ont depuis longtemps nécessité un changement de tous les systèmes mathématiques, la rationalité collective
sest appropriée une partie de linfini :
nos terriens scientifiques y perdraient
probablement la tête.
Quelques petites scènes de vie en exemple, que lon pourra facilement compléter.
Tibor2 dans la rue
La ville dUtopie se prête aux plus irréfléchies déambulations de ses habitants insouciants et jamais pressés. Le tapis urbain leur est en effet entièrement destiné, tout véhicule à quatre roues se retrouvant au sous-sol dès que son pare-chocs pointe à la porte dentrée. Ne reste donc quune sorte dimmense gruyère dont les trous laissent sortir de paisibles conducteurs qui nont pas eu à subir les affres des embouteillages, et nauront pas non plus à subir ceux de la pollution (asthmatiques et troisième âge, déambulez, déambulez sous le soleil). Aujourdhui Tibor flâne rue de la Musique, et compte satisfaire ses besoins alimentaires au marché ou au petit commerce du coin (ce nest pas quil habite à louest, mais lambiance de son village natal baigne standard dans tous les arrondissements). Probable quil sarrêtera ensuite à la terrasse dun café, tout va bien.
Tibor lit le journal
On ne se lasse pas des bonnes choses, tant et si bien quune vieille tradition persiste là-bas : journal et café dans les mains, plaisir du matin. Je sais pas vous, mais moi jai beau me lever du bon pied, quelques pages plus tard je suis pourtant déjà de moins bonne humeur. Je me demande à quoi ça tient Ce genre dincident narrive pas à Tibor : lui na pas à feuilleter tous les jours ce qui ressemble à un rapport nécrologique, ni à lire les propos affligeants des « dream teams » de tous pays (Unissez-vous ! Pour lInternationale des chefs de guerre et des capitalistes). Tibor, le matin dune part, il élargit son horizon de pensée et de créativité, dautre part il se marre, le tout faisant au total quil réfléchit pas mal : seulement ce nest pas la connerie des uns et le malheur des autres qui nourrissent son inspiration, mais la puissance de lUtopien et la fragilité de lUtopie.
Tibor au travail
En Utopie aussi on travaille, il ne faudrait pas croire que cest le retour à lEden. Différence importante : on ne se dit pas que le meilleur moment de la journée sera le passage à linfirmerie. Quelques jours par semaine, Tibor est donc heureux de retrouver son entreprise, ses collègues, et même son patron. Il na pas la dégradante impression dêtre une marchandise plus ou moins automatisée, et ce matin il a même pu veiller à son intégrité humaine en vérifiant les comptes de la firme et en votant le budget : lui, salarié, ne compte pas moins que lactionnaire dà côté, avec lequel il se dit dailleurs quil aurait pu sympathiser, se contentant pour des raisons personnelles dêtre cordial. Que voulez-vous, on nest pas obligé daimer tout le monde non plus. Par ailleurs, Tibor nest pas un privilégié du système : les Utopiens font le job qui leur plaît et quils savent faire, en prenant le temps nécessaire à laccomplissement de leur tâche. Il ny a quà voir leur tête, pour comprendre que la bonne humeur règne sous le marteau comme sous la plume.
Tibor et sa compagne
Tibor est amoureux, cf. la petite musique quil a dans la tête même quand le reste va moins bien. Il a connu plusieurs femmes avant celle-ci, des rencontres plus ou moins insolites qui lon fait entrer dans des espaces de vie inédits, ont fait émerger de nouveaux mondes à lintérieur, mais nont pas duré si longtemps quil laurait cru. Aussi se pose-t-il peu de questions sur de lointains lendemains, il ne forcera pas son désir, aurait plutôt tendance à se soumettre à la tentation des affinités électives. Le mariage, non merci : comme beaucoup dUtopiens il nest pas convaincu que lhomme soit fait pour vivre cinquante ans avec la même personne. La fidélité ? Synonyme dune peureuse paresse, sa compagne est dailleurs sur la même longueur donde (libre bien sûr) : en Utopie, aucun dogme ne plane sur le plaisir des amants fous, la révolution de lamour a transformé la sexualité reproductive en sexualité érotique (les plus de trente ans y ont droit, « se ranger » nest plus un tacite impératif imposé par la concierge). On nest pas moins idéaliste, mais on samuse davantage, et on se regarde moins le nombril.
Tibor en Palestine
La Palestine, bizarrement, Tibor il aime bien, peut-être justement parce quil a lu dans quelques livres dhistoire que pendant longtemps ça navait été quune misérable peau de chagrin et quon sy était monstrueusement foutu sur la gueule avec les sharoniards (pardonnez ma vulgarité, mais jai une légère rancur au fond de la gorge). Les monuments aux morts sont là pour le lui rappeler, il y a encore une grande douleur dans le sourire des vieux, mais si vous cherchez la bêtise humaine dans ce doux pays, passez votre chemin. Quand Tibor a un moment, il va donc faire un petit tour dans le coin, franchit même allègrement la frontière avec Israël, se pointe à Jérusalem dans lespoir dy trouver quelques réponses à lélan spirituel qui lenvahit parfois. Même en Utopie, on ne sait donc toujours pas si Dieu existe, certains croient et pas toujours au même, dautres non, sauf que ça ne les empêche pas de se comprendre.
Tibor électeur
Citoyen international, Tibor nest pas frappé de cette maladie aujourdhui contagieuse que lon a coutume dappeler depuis un moment déjà le « désenchantement politique ». Lépidémie a été largement éradiquée, ce quindique bien cette petite formule de Baudelaire que les écoliers apprennent tous par cur : « Je quitterais sans regret le monde où laction ne serait pas sur du rêve »3. Il faut dire que Tibor na pas à choisir entre quelques énergumènes postulant au pouvoir suprême en gérontocratie, et dont les idées sessoufflent singulièrement avec lâge et les circonstances, il faut dire aussi que la sphère de sa souveraineté a franchi les limites du territoire républicain (note aux narcissiques de la nation) et sest considérablement élargie jusquà atteindre lAntarctique. Au pôle nord, il ne se passe certes pas grand-chose, mais la situation de son camarade argentin y contribue largement. Aussi quand Tibor met son bulletin dans lurne, il sait quil ne vote pas que pour sa pomme, mais pour celle de tous les Utopiens (et quon ne vienne pas me dire que ce serait bien le bordel à lONU dans ce cas).
Tibor en Afrique
En Utopie, quand on pense Afrique, on ne pense plus systématiquement famine, illettrisme, exploitation des enfants, sida, guerre civile, vente darmes, jen passe et des meilleures dans la panoplie du Tiers Monde et du désespoir. Pour preuve, les dernières vacances de Tibor : tout sauf un colon touristique des temps modernes, cest chez un vieil ami africain quil a connu tout gosse encore quil débarque (toutes les générations et les contrées dUtopie sont saveur noir et blanc rouge et jaune par-delà le bleu des océans). Tibor vient simplement chercher ici une étrangeté non inquiétante, un chez soi différent sous la chaleur lourde comme le souvenir dAvant, de nouvelles histoires pour ses neurones qui risquent toujours de sengourdir, le chant et le sourire des enfants-oiseaux, bref : le Miracle à sa source
Tibor Premier ministre
Tibor nest certes pas Premier ministre, mais il nest pas écrit dans son destin quil ne pourrait pas le devenir (même sil na pas fait lENA) : comme tous les Utopiens qui le désirent, Tibor a dailleurs été ou sera au moins une fois Premier ministre dans sa vie. Remarquez quil ny en a que pour un mois renouvelable trois fois au maximum, et que par conséquent ça valse pas mal dans le tournez-manèges qui tient lieu de Matignon. La liste dattente est même sacrément longue pour le poste, qui demande peu il est vrai à son occupant, sinon de profiter de ce court moment de célébrité, et de délivrer des bonus symboliques à ces Utopiens dont les intuitions dun « encore mieux » emportent ladhésion de la population4. Finalement, Tibor Premier ministre est un peu comme Dieu le dimanche : il se la coule douce et veille au grain du coin de lil.
Tibor chez lui
Chez Tibor, cest vraiment sympa, sil vous invite un de ces quatre vous ne devriez pas refuser, rien que pour partager son quotidien pas du tout banal pour les contemporains que nous sommes. Précisons que Tibor connaît un minimum ses voisins : en Utopie on na encore jamais découvert au bout dune semaine que la vieille dame dà côté se faisait ronger par les vers, ni quun enfant croupissait depuis quarante-huit heures dans un ascenseur. Autant dire que dans la course aux valeurs universelles, Monsieur Individualiste a cédé du terrain et semble atteint dune fatigue chronique. Ce nest pas que Tibor passe beaucoup de temps dans son reposoir, mais suffisamment pour ne pas se laisser dévorer par leffervescence du monde et sabandonner tranquillement aux énigmes qui taraudent lhumanité depuis léternité, et qui népargnent pas davantage les Utopiens. Quelques précipités du désir à portée de main, une légère odeur de cannabis dans lair (bureau de tabac, deuxième à gauche), de la « bonne bouffe » (ah ! Ce cher Bové) et des livres à gogo On se revoit quand Tibor ?
(1) Publié in Le Monde, 1er décembre 1983
(2) Précision liminaire : Tibor nest pas nécessairement un homme rangé, fier de lui, satisfait de tout et que tout satisfait, empêtré dans une vie prudente et réussie, paresseux, la graisse autour du cur et du cerveau. Tibor a en effet les mêmes chances dêtre heureux que tous les Utopiens, mais nest pas pour autant condamné à manquer du manque. Seulement, le manque ne le choisit pas : aussi est-il libre de voir grand, de construire ses désirs et de les vivre, de penser ses rêves comme de rêver ses pensées. Tibor est tout sauf réaliste.
(3) Cité par un camarade de Tibor dans le Manuel des Anges fous, Introduction, p. ? ? ?, maison dédition non répertoriée à ce jour.
(4) Ce qui nest pas sans rappeler certains de leurs prédécesseurs, comme on le lit dans Préhistoire de lUtopie, chap. 1 : « Hommage aux pionniers », p. ? ? ? et édition toujours manquante à ce jour : « Il faudrait un passeur qui emprunte les ponts de lespace et du temps, pas facile Pourtant il y en a des un peu différents, certains morts et dautres vivants, une petite lumière dans les yeux, qui voient loin, très loin, ils ressemblent à lAnge fou, il leur manque encore des ailes, mais ça viendra, parfois on peut sentir leur respiration Vous savez quoi ? Je crois que sans eux on ne serait pas là, il en existe toujours qui au réveil noublient pas leurs rêves ni ceux de leurs camarades ».
(2) Précision liminaire : Tibor nest pas nécessairement un homme rangé, fier de lui, satisfait de tout et que tout satisfait, empêtré dans une vie prudente et réussie, paresseux, la graisse autour du cur et du cerveau. Tibor a en effet les mêmes chances dêtre heureux que tous les Utopiens, mais nest pas pour autant condamné à manquer du manque. Seulement, le manque ne le choisit pas : aussi est-il libre de voir grand, de construire ses désirs et de les vivre, de penser ses rêves comme de rêver ses pensées. Tibor est tout sauf réaliste.
(3) Cité par un camarade de Tibor dans le Manuel des Anges fous, Introduction, p. ? ? ?, maison dédition non répertoriée à ce jour.
(4) Ce qui nest pas sans rappeler certains de leurs prédécesseurs, comme on le lit dans Préhistoire de lUtopie, chap. 1 : « Hommage aux pionniers », p. ? ? ? et édition toujours manquante à ce jour : « Il faudrait un passeur qui emprunte les ponts de lespace et du temps, pas facile Pourtant il y en a des un peu différents, certains morts et dautres vivants, une petite lumière dans les yeux, qui voient loin, très loin, ils ressemblent à lAnge fou, il leur manque encore des ailes, mais ça viendra, parfois on peut sentir leur respiration Vous savez quoi ? Je crois que sans eux on ne serait pas là, il en existe toujours qui au réveil noublient pas leurs rêves ni ceux de leurs camarades ».