Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°40-41 [mai 2002 - septembre 2002]
© Passant n°40-41 [mai 2002 - septembre 2002]
par Nicholas Blincoe
Imprimer l'articleAir Frais
Martine a sonné chez moi peu de temps après mon déménagement pour me demander si je voulais prendre un verre. Étant donné la situation la belle voisine, la bouteille de vin ce nest guère surprenant que jaie enclenché la machine à fantasmes. Cependant, vu quon était en France et que les Français ont la réputation dêtre portés sur la chose, je pouvais raisonnablement entretenir de lespoir. Je suis un idiot, je le sais. En grandissant, jai lu autant de romans français que dauteurs anglais ou américains. Je regarde tous les films français qui obtiennent une critique même moyenne. Et pourtant toutes mes idées reçues concernant la culture française sont résumées dans lépisode des Simpsons où Bart visite Paris.
Quoi quil en soit, Martine est lesbienne. Je lai découvert de manière banale. Il ny a pas eu dembarrassante tentative de drague éconduite. Elle a dit en passant que sa petite amie revenait de déplacement et quelles se retrouvaient plus tard dans la soirée. Puis elle est réapparue à ma porte le lendemain avec un regard féroce et humide pour mapprendre que sa petite amie était une psychopathe et quelles nétaient plus dactualité.
Jeus bientôt loccasion inattendue dexpérimenter Elise. Avant le week-end, Martine et elle étaient de nouveau dactualité.
Tous les amis de Martine avaient décidé que jétais homo. Je lai découvert beaucoup plus tard et, aujourdhui, je crois que cest parce que jécrivais des articles concernant la mode. Jessayais de rendre compte dune semaine de mode parisienne pour un magazine américain. Lattentat du 11 septembre au World Trade Centre navait eu lieu que quatre semaines auparavant, et peu de journalistes américains étaient partants pour prendre lavion et venir en France. Jétais heureux dun peu de boulot en plus, même si je ne pouvais jeter la pierre aux Américains qui préféraient rester chez eux. Qui voudrait prendre lavion après ça, un événement dont on parlait déjà en utilisant des codes : onze zéro neuf et Sol zéro ? Ce nest pas une question davoir peur, plutôt une désespérante prise de conscience que pour tous les passagers morts dans les avions détournés lhistoire nirait pas plus loin : faire la queue, mettre ses bagages sur des tapis roulants, boire du café insipide dans un fauteuil étroit.
Quand Elise sest montrée intéressée par un créateur japonais, je lui ai proposé de maccompagner. Je pensais quelle me mettrait en valeur. Elise est impressionnante à voir parce quelle est si grande avec des épaules larges et dénormes seins. Elle pèse autant que moi sans du tout sembler grosse. Comme il est assez inhabituel de trouver une Française aussi grande, je nai pas été surpris de découvrir que son père était hollandais.
Plus tard, Martine ma demandé :
- Cétait comment, la fête après le défilé ?
- Cétait pas mal, tu sais. Champagne et petits fours. Jétais bourré parce que je suis anglais et stupide et que le champagne se boit trop facilement.
- Parce que cétait gratos, dit-elle. Tu nas pas lair bien.
Je nallais pas lui donner tort. Jétais également assez stressé. Je ne pouvais pas finir mon compte-rendu avant la fin des défilés, mais javais commencé à lécrire et le réécrire dans ma tête, tout en bougonnant que je ne connaissais rien à la mode. Javais déménagé à Paris pour changer de vie, respirer de lair frais. Mais lengagement avait été de taille. Javais quitté mon boulot, et je ne savais pas si je survivrais longtemps ici.
Javais cru avoir en partie vaincu mon stress, puis jai commencé à ressentir des douleurs dans la poitrine. Javais tendance à croire quelles étaient les symptômes dalerte dune crise cardiaque imminente.
Martine ma demandé :
- Tu as des problèmes pour respirer ?
- Je le sens quand je respire. Ma poitrine se tend quand jinspire.
- Et tu es comme ça depuis le défilé japonais ? Peut-être que quelque chose est arrivé qui a fait particulièrement monter tes niveaux de stress.
Je me repassai les événements dans la tête. Javais retrouvé Elise dans le hall dexposition sous le Louvre. Nous avions fait la queue pour le contrôle de sécurité et regardé nos sacs passer aux rayons X. Le contrôle de sécurité était une autre conséquence du 11 septembre et tout le monde se sentait un peu ridicule comme si on se disait quil était stupide de croire quon prendrait un défilé de mode comme cible pour un attentat. Cela dit, on se trouvait juste sous le musée le plus célèbre de Paris. La sécurité doit commencer quelque part.
Je navais aucune idée darticle sur la collection. Mais en devenant de plus en plus saoul, je décidai de suivre les conclusions du compte-rendu du Herald Tribune.
Dans le métro, pendant le trajet de retour, Elise eut soudain envie de boire des cocktails. On descendit de la rame et trouva un bar. Quelques cocktails plus tard à la place du dîner, on se rendit dans un hôtel.
Il devrait y avoir un code de comportement en cas dune évidente affaire sans lendemain. Quand les deux parties sont daccord pour dire que ce spectacle ne se jouera quune nuit, il y a forcément un moyen déviter certaines humiliations mineures. Nos genoux et jambes semblaient entrer en collision à chaque tournant. Elise sest coincé la tête dans le pull et puis jai réussi à transformer ses collants et petite culotte en cordon épais qui sest enroulé autour de ses cuisses. Elle était plutôt entravée avant quon décide de calmer le jeu et reprendre au début. Nous étions daccord pour dire que la situation nétait pas évidente. Elle était lesbienne et couchait rarement avec des hommes. Et, je le sais aujourdhui, elle croyait que javais à peu près autant dexpérience avec les femmes. Je nai rien fait pour prouver que javais de lexpérience en quelque domaine que ce fût.
Donc voilà ce qui sétait passé avant que ne commencent mes douleurs à la poitrine. Mais je ne voyais pas pourquoi je devrais me sentir stressé par le sexe. Finalement, ça ne sétait pas trop mal passé. La dernière fois, avant le petit-déjeuner, cétait même plutôt bien : dans le genre lourdement sensuel, très physique, en utilisant toute la surface exploitable du lit.
Martine me dit :
- Peut-être que tes douleurs dans la poitrine sont le résultat davoir soulevé quelque chose de lourd.
Je fus sur le point de nier, puis je me retins. Je me rendis compte doù venait, très exactement, la douleur. Ce nétait pas le stress, cétait uniquement musculaire. Comme Martine lavait plus ou moins deviné, je souffrais davoir levé Elise.
Quoi quil en soit, Martine est lesbienne. Je lai découvert de manière banale. Il ny a pas eu dembarrassante tentative de drague éconduite. Elle a dit en passant que sa petite amie revenait de déplacement et quelles se retrouvaient plus tard dans la soirée. Puis elle est réapparue à ma porte le lendemain avec un regard féroce et humide pour mapprendre que sa petite amie était une psychopathe et quelles nétaient plus dactualité.
Jeus bientôt loccasion inattendue dexpérimenter Elise. Avant le week-end, Martine et elle étaient de nouveau dactualité.
Tous les amis de Martine avaient décidé que jétais homo. Je lai découvert beaucoup plus tard et, aujourdhui, je crois que cest parce que jécrivais des articles concernant la mode. Jessayais de rendre compte dune semaine de mode parisienne pour un magazine américain. Lattentat du 11 septembre au World Trade Centre navait eu lieu que quatre semaines auparavant, et peu de journalistes américains étaient partants pour prendre lavion et venir en France. Jétais heureux dun peu de boulot en plus, même si je ne pouvais jeter la pierre aux Américains qui préféraient rester chez eux. Qui voudrait prendre lavion après ça, un événement dont on parlait déjà en utilisant des codes : onze zéro neuf et Sol zéro ? Ce nest pas une question davoir peur, plutôt une désespérante prise de conscience que pour tous les passagers morts dans les avions détournés lhistoire nirait pas plus loin : faire la queue, mettre ses bagages sur des tapis roulants, boire du café insipide dans un fauteuil étroit.
Quand Elise sest montrée intéressée par un créateur japonais, je lui ai proposé de maccompagner. Je pensais quelle me mettrait en valeur. Elise est impressionnante à voir parce quelle est si grande avec des épaules larges et dénormes seins. Elle pèse autant que moi sans du tout sembler grosse. Comme il est assez inhabituel de trouver une Française aussi grande, je nai pas été surpris de découvrir que son père était hollandais.
Plus tard, Martine ma demandé :
- Cétait comment, la fête après le défilé ?
- Cétait pas mal, tu sais. Champagne et petits fours. Jétais bourré parce que je suis anglais et stupide et que le champagne se boit trop facilement.
- Parce que cétait gratos, dit-elle. Tu nas pas lair bien.
Je nallais pas lui donner tort. Jétais également assez stressé. Je ne pouvais pas finir mon compte-rendu avant la fin des défilés, mais javais commencé à lécrire et le réécrire dans ma tête, tout en bougonnant que je ne connaissais rien à la mode. Javais déménagé à Paris pour changer de vie, respirer de lair frais. Mais lengagement avait été de taille. Javais quitté mon boulot, et je ne savais pas si je survivrais longtemps ici.
Javais cru avoir en partie vaincu mon stress, puis jai commencé à ressentir des douleurs dans la poitrine. Javais tendance à croire quelles étaient les symptômes dalerte dune crise cardiaque imminente.
Martine ma demandé :
- Tu as des problèmes pour respirer ?
- Je le sens quand je respire. Ma poitrine se tend quand jinspire.
- Et tu es comme ça depuis le défilé japonais ? Peut-être que quelque chose est arrivé qui a fait particulièrement monter tes niveaux de stress.
Je me repassai les événements dans la tête. Javais retrouvé Elise dans le hall dexposition sous le Louvre. Nous avions fait la queue pour le contrôle de sécurité et regardé nos sacs passer aux rayons X. Le contrôle de sécurité était une autre conséquence du 11 septembre et tout le monde se sentait un peu ridicule comme si on se disait quil était stupide de croire quon prendrait un défilé de mode comme cible pour un attentat. Cela dit, on se trouvait juste sous le musée le plus célèbre de Paris. La sécurité doit commencer quelque part.
Je navais aucune idée darticle sur la collection. Mais en devenant de plus en plus saoul, je décidai de suivre les conclusions du compte-rendu du Herald Tribune.
Dans le métro, pendant le trajet de retour, Elise eut soudain envie de boire des cocktails. On descendit de la rame et trouva un bar. Quelques cocktails plus tard à la place du dîner, on se rendit dans un hôtel.
Il devrait y avoir un code de comportement en cas dune évidente affaire sans lendemain. Quand les deux parties sont daccord pour dire que ce spectacle ne se jouera quune nuit, il y a forcément un moyen déviter certaines humiliations mineures. Nos genoux et jambes semblaient entrer en collision à chaque tournant. Elise sest coincé la tête dans le pull et puis jai réussi à transformer ses collants et petite culotte en cordon épais qui sest enroulé autour de ses cuisses. Elle était plutôt entravée avant quon décide de calmer le jeu et reprendre au début. Nous étions daccord pour dire que la situation nétait pas évidente. Elle était lesbienne et couchait rarement avec des hommes. Et, je le sais aujourdhui, elle croyait que javais à peu près autant dexpérience avec les femmes. Je nai rien fait pour prouver que javais de lexpérience en quelque domaine que ce fût.
Donc voilà ce qui sétait passé avant que ne commencent mes douleurs à la poitrine. Mais je ne voyais pas pourquoi je devrais me sentir stressé par le sexe. Finalement, ça ne sétait pas trop mal passé. La dernière fois, avant le petit-déjeuner, cétait même plutôt bien : dans le genre lourdement sensuel, très physique, en utilisant toute la surface exploitable du lit.
Martine me dit :
- Peut-être que tes douleurs dans la poitrine sont le résultat davoir soulevé quelque chose de lourd.
Je fus sur le point de nier, puis je me retins. Je me rendis compte doù venait, très exactement, la douleur. Ce nétait pas le stress, cétait uniquement musculaire. Comme Martine lavait plus ou moins deviné, je souffrais davoir levé Elise.
* Romancier anglais auteur, entre autres, dAcid Queen et Une simple question dexcédent de blé, Ed. Gallimard. Nicholas Blincoe sera présent, tout comme Stéphanie Benson, à Bordeaux dans le cadre du Festival Noir-Ouest quorganise le Passant Ordinaire du 14 au 16 juin 2002. Rens. : . Voir programme p. 100 de ce numéro.
Nicholas Blincoe