Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°40-41 [mai 2002 - septembre 2002]
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par Michel Caillat
Imprimer l'articleLeffet Coupe du Monde
En juillet 1998, au lendemain de la qualification de léquipe de France pour la finale de la Coupe du monde, Roland Castro écrit : « Le Pen est bien silencieux, la préférence nationale est de toutes les couleurs. Cest lamorce de son recul dans les têtes et chacun sait que cest dabord dans les têtes que ça se joue. A loccasion de ce qui est devenu un festival de théâtre politique, on assiste en France au premier recul de lextrême droite »1. Après lhystérie collective du 12 juillet, la presse dans son ensemble et un grand nombre dintellectuels saluent sans mesure la victoire de léquipe black-blanc-beur, lintégration réussie et la nation reconciliée. « Le Mondial est peut-être le premier remède efficace contre la lepénite » lance Guy Konopnicki2. Selon Jean Daniel cest Aimé Jacquet qui a dressé le bilan le plus saisissant de la Coupe du monde : « Je suis fier que lépopée de léquipe de France constitue une victoire sur les funestes idées xénophobes du Front National ». De Pascal Boniface, spécialiste de géopolitique, voyant dans la victoire des Bleus des « effets positifs sur le rang de notre pays dans le monde » et « limage dune intégration réussie, dune cohésion interne » à Georges Vigarello, sociologue et historien, notant que nos joueurs, « porte-drapeau dune France plurielle font davantage pour lintégration que dix ou quinze ans de politique volontariste »3, laveuglement est total.
En proposant en ce mois de juillet 1998, un article au titre évocateur, La fête est finie, lordre règne, je faisais ce quEdgar Morin, dans un article délirant, nous reprochait de ne pas faire : « Les intellectuels abstraits vont à nouveau démystifier le football, le Mondial, le patriotisme vécu, le bonheur. Comme toujours ils mépriseront plutôt que de comprendre ». Le sociologue avait vu dans la soirée du 12 juillet une « extase historique »4 là où je voyais une « fête dégradée symptôme dun pays qui va mal ». Rompre le consensus était sacrilège. Dire que linsistance avec laquelle on parlait du métissage de léquipe était plus inquiétante que rassurante, semblait indigne malgré la force de notre argumentation. Le mépris du peuple était de leur côté, mais seule leur parole était médiatisée. Notre rôle nest pas dadmirer mais darmer. Nous fûmes relégués au silence et traités « dintellos ». Loin du peuple bien sûr, comme si être lucide ce nétait pas défendre le peuple.
Quatre ans plus tard, le bilan est lourd. Lextrême droite pèse encore entre 15 et 20 % de lélectorat, Le Pen est au second tour de lélection présidentielle, lintégration nest pas réussie, les inégalités se sont accrues, la nation nest pas réconciliée. Le sport continue à véhiculer un certain nombre de valeurs (le culte du chef, lidéal de pureté, la négation de la lutte des classes, lanti-intellectualisme, lobsession de la décadence, le goût prononcé pour le rituel et les parades militaires, lexploitation du sentiment religieux des masses, lexacerbation de lindividualisme et du mérite personnel, le racisme, le sexisme, le recours à lirrationnel) sur lesquelles là non plus aucune discussion sérieuse nest permise.
Dans quelques semaines, la Coupe du monde aura lieu au Japon et en Corée. Une nouvelle victoire de léquipe de France ferait retomber une grande partie de la population en pleine communion magique. On feindra de croire une fois de plus quon va résoudre par le sport ce quon ne veut pas résoudre par la politique et le social. Pendant ce temps-là, Le Pen se taira. Comme lécrivait justement Charlie Hebdo en 1998 : « Pourquoi Le Pen ne parle pas pendant le Mondial. Parce que le Mundial parle pour lui ». On ne peut pas mieux dire.
En proposant en ce mois de juillet 1998, un article au titre évocateur, La fête est finie, lordre règne, je faisais ce quEdgar Morin, dans un article délirant, nous reprochait de ne pas faire : « Les intellectuels abstraits vont à nouveau démystifier le football, le Mondial, le patriotisme vécu, le bonheur. Comme toujours ils mépriseront plutôt que de comprendre ». Le sociologue avait vu dans la soirée du 12 juillet une « extase historique »4 là où je voyais une « fête dégradée symptôme dun pays qui va mal ». Rompre le consensus était sacrilège. Dire que linsistance avec laquelle on parlait du métissage de léquipe était plus inquiétante que rassurante, semblait indigne malgré la force de notre argumentation. Le mépris du peuple était de leur côté, mais seule leur parole était médiatisée. Notre rôle nest pas dadmirer mais darmer. Nous fûmes relégués au silence et traités « dintellos ». Loin du peuple bien sûr, comme si être lucide ce nétait pas défendre le peuple.
Quatre ans plus tard, le bilan est lourd. Lextrême droite pèse encore entre 15 et 20 % de lélectorat, Le Pen est au second tour de lélection présidentielle, lintégration nest pas réussie, les inégalités se sont accrues, la nation nest pas réconciliée. Le sport continue à véhiculer un certain nombre de valeurs (le culte du chef, lidéal de pureté, la négation de la lutte des classes, lanti-intellectualisme, lobsession de la décadence, le goût prononcé pour le rituel et les parades militaires, lexploitation du sentiment religieux des masses, lexacerbation de lindividualisme et du mérite personnel, le racisme, le sexisme, le recours à lirrationnel) sur lesquelles là non plus aucune discussion sérieuse nest permise.
Dans quelques semaines, la Coupe du monde aura lieu au Japon et en Corée. Une nouvelle victoire de léquipe de France ferait retomber une grande partie de la population en pleine communion magique. On feindra de croire une fois de plus quon va résoudre par le sport ce quon ne veut pas résoudre par la politique et le social. Pendant ce temps-là, Le Pen se taira. Comme lécrivait justement Charlie Hebdo en 1998 : « Pourquoi Le Pen ne parle pas pendant le Mondial. Parce que le Mundial parle pour lui ». On ne peut pas mieux dire.
Auteur de Idées reçues sur le sport (Editions Cavalier Bleu, mai 2002).
(1) Libération, 10 juillet 1998.
(2) LEvénement du Jeudi, 16 juillet 1998.
(3) Le Nouvel Observateur, 16 juillet 1998.
(4) Libération, 20 juillet 1998.
(1) Libération, 10 juillet 1998.
(2) LEvénement du Jeudi, 16 juillet 1998.
(3) Le Nouvel Observateur, 16 juillet 1998.
(4) Libération, 20 juillet 1998.