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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°40-41 [mai 2002 - septembre 2002]
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Nous n’avons pas su renouveler l’espérance


Ce n’est pas Le Pen qui m’inquiète, il est très primitif. Ce qui se passe en Hollande m’inquiète vraiment, c’est beaucoup plus élaboré. Mais c’est de notre faute, car nous n’avons pas su donner d’espoir, nous n’avons pas su renouveler l’espérance. Les gens sont fatigués des partis traditionnels, fatigués des mots vides. Quand un homme comme Fortuyn apparaît avec un discours très cohérent et bien fait, c’est dangereux. Je crains que cela se développe partout et cela me fait peur. Pour nous qui avons dû sacrifier nos vies pour des choses qui restent importantes, nous avons stéréotypé notre discours et nos ambitions. Ce n’est pas seulement de la faute aux politiques, c’est de notre faute à tous. Ce qui se passe en Palestine, par exemple, est affreux. Pour quelqu’un qui, comme moi, a investi beaucoup d’espoir et un peu de sa vie en risquant sa peau, c’est très décevant. J’ai très peur que ce dont j’avais rêvé et que je crois encore possible, pas seulement la liberté mais

aussi une plus grande justice, s’éloigne

maintenant.

Pourtant je pense aux propos de Blondin : « Je n’ai pas la foi, mais j’ai tellement d’espérance ». Et ce qui s’est passé en France entre les deux tours est en ce sens assez rassurant, surtout si la gauche en tire quelques enseignements, si c’est encore possible, si elle n’est pas trop ankylosée, car d’une certaine façon, la gauche s’ankylose et ça me fait beaucoup de peine, c’est là que j’ai mon cœur.

Est-ce que la littérature peut intervenir…

J’ai toujours relativisé le rôle de la littérature, car il y a tellement peu de gens qui lisent, c’est toujours une minorité. J’ai vendu près de 2 millions de livres au Portugal, mais combien les ont vraiment lus, je ne sais pas. Lénine disait qu’il fallait élever le lecteur à la hauteur des écrivains, mais le problème, c’est comment aider les gens… Je crois que Blondin, encore, avait raison quand il disait : « quand vous n’avez plus d’espérance, c’est là seulement que vous êtes mort ». Le problème, c’est que nous n’avons pas d’existence collective et j’ai toujours séparé très nettement mes romans de mon activité politique qui fut très intense. Parfois, mes amis me reprochent mon silence : « si de temps en temps tu disais quelque chose, un mot, ce serait important… ». Je pense qu’ils ont raison. Je devrais, nous devrions tous, intervenir un peu plus car quand même, si comme vous le dites, il y a encore des gens qui m’écoutent, qui nous écoutent, et pour lesquels mon opinion, nos opinions, ont du poids, alors peut-être, si cela peut aider à changer, j’interviendrai.



Antonio Lobo Antunes*

Propos recueillis par Jean-François Meekel

* écrivain portugais, psychiatre, participa à la guerre coloniale contre l’Angola puis à la révolution des œillets. Ecrit actuellement son 17e roman. L’absurdité de la guerre, l’enfance perdue, la folie, état de la condition humaine, ses livres sont des kaléidoscopes où se mêlent dans une construction très élaborée thèmes et époques. D’essai en essai, Lobo Antunes est à la recherche d’une écriture qui fusionnerait passé, présent et futur.
Métailié et Bourgois ont publié la totalité de son œuvre traduite en français : Connaissance de l’enfer, Mémoire d’éléphant et Le cul de Judas à propos de la guerre d'Angola ; Le retour des caravelles et Exhortation aux crocodiles sur l’après 74; dernier paru, N’entre pas si vite dans cette nuit noire.

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