Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°40-41 [mai 2002 - septembre 2002]
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Cela ne suffira pas
Bien sûr que Le Pen est un des visages du pire. Bien sûr quil serait incapable dappliquer le semblant de propositions lui servant de programme. Bien sûr quil sinscrit dans la lignée historique des tentations fascisantes, de France et dailleurs.
Bien sûr quétant donné le contexte, le vote Chirac simposait. Bien sûr quil fallait, ne serait-ce quune fois, symboliquement, dire un refus et un dégoût dans la rue.
Mais Le Pen est analysé depuis vingt ans. On sait doù il vient, ce quil est et ce quil prône. On sest posé à peu près toutes les questions sur la façon de le contrer. Diabolisation ? Explication ? Condamnation ? Interdiction ? Déploration ? Manifestation ? Boxe façon Tapie ? Que na-t-on pas fait ?
Et pourtant le vote lepéniste et extrémiste progresse, même si cette progression fut légère lors des présidentielles. Il sinstalle, se décomplexe, se banalise et sinstitutionnalise, dautant plus en accédant à ce deuxième tour. Peut-être survivra même t-il à lidiotie et à lâge de Le Pen. Et peut-être que dans cinq ans, il faudra encore voter contre lui ou son semblable, pour on ne sait qui ou on ne sait quoi, avec le même désespoir. Le populisme aura alors durablement pris en otage, comme cette fois-ci, des électeurs, une classe politique et un pays.
Alors ? Alors ces citoyens devenant peuple menaçant ou abstentionniste par temps délections nauraient aucune mémoire, comme sils ne gardaient aucune trace de toutes ces années passées ?
Soit un pays dans lequel un rêve de gauche sest brisé au pouvoir. De limpuissance avouée mitterrandienne sur le cours de léconomie au final Mon projet nest pas un projet socialiste jospinien davant la désertion. Sans oublier les privatisations, les succès boursiers, le ralliement aux impératifs du Réel
Soit une droite dont une composante nose plus affirmer sa pensée réactionnaire et se présenter comme garante dune forme de tradition, contenant ainsi la xénophobie qui a toujours existé dans la patrie des droits de lhomme ; dont une autre composante a totalement oublié sa dimension sociale.
Soit une classe politique qui globalement, affaires après affaires, impunités après impunités, dérisions après dérisions, nest plus perçue comme incarnant une quelconque morale et sest inexorablement éloignée dune grande part de ses électeurs.
Soit des citoyens qui sendorment lentement.
Soit une pensée néo-libérale internationaliste devenue un succédané de lordre naturel des choses contre lequel rien nest possible, qui brise et écrase avec le sourire, qui vante la liberté dentreprendre et qui, en y entraînant tout le monde, sombre dans le discours sécuritaire, seul moyen de contenir linjustice.
Soit une classe médiatique dont les éléments les plus voyants donc les plus efficaces suivent à la trace les deux précédents et qui a réduit la politique à si peu.
Soit des périodes de cohabitations qui nivellent les programmes et les idées.
Soit des rejetés, des déclassés, des méprisés et dautres qui ont peur de tout et de rien, donc de tout.
Soit un pays membre dune Europe dont les principaux soucis semblent être la finance et la mise en place dune taille unique du joint de robinet.
Soit un continent riche qui institue lesprit de la forteresse comme devant être lesprit de chacun, qui fait planer sur tous la menace de linvasion.
Soit une Europe qui suit, en rechignant parfois mais qui suit les Etats-Unis lors de campagnes guerrières contre les Autres, au nom dune hypocrite morale.
Soit quoi encore si nous évitons pour une fois de parler du 11/09/2001 ?
La liste est encore longue forcément injuste, caricaturale dans un temps de caricatures pour dire un essoufflement, un sentiment de perdition, une lassitude et une colère qui donnent au noirâtre Le Pen le costume dune alternative possible alors quil nest que le pitoyable signe dautre chose. Il faut bien sûr combattre ce quil est mais cela ne suffira pas.
Continuons donc dans lacceptation de linéluctable marche du monde dans lequel nous vivons, prônons encore et toujours la résignation, enfonçons nous un peu plus dans une forme particulière dinhumanité et ce sera là, sous une forme lepénisée ou sous une autre forme, peut-être plus sournoise. Dans cinq ou dix ans.
Bien sûr quétant donné le contexte, le vote Chirac simposait. Bien sûr quil fallait, ne serait-ce quune fois, symboliquement, dire un refus et un dégoût dans la rue.
Mais Le Pen est analysé depuis vingt ans. On sait doù il vient, ce quil est et ce quil prône. On sest posé à peu près toutes les questions sur la façon de le contrer. Diabolisation ? Explication ? Condamnation ? Interdiction ? Déploration ? Manifestation ? Boxe façon Tapie ? Que na-t-on pas fait ?
Et pourtant le vote lepéniste et extrémiste progresse, même si cette progression fut légère lors des présidentielles. Il sinstalle, se décomplexe, se banalise et sinstitutionnalise, dautant plus en accédant à ce deuxième tour. Peut-être survivra même t-il à lidiotie et à lâge de Le Pen. Et peut-être que dans cinq ans, il faudra encore voter contre lui ou son semblable, pour on ne sait qui ou on ne sait quoi, avec le même désespoir. Le populisme aura alors durablement pris en otage, comme cette fois-ci, des électeurs, une classe politique et un pays.
Alors ? Alors ces citoyens devenant peuple menaçant ou abstentionniste par temps délections nauraient aucune mémoire, comme sils ne gardaient aucune trace de toutes ces années passées ?
Soit un pays dans lequel un rêve de gauche sest brisé au pouvoir. De limpuissance avouée mitterrandienne sur le cours de léconomie au final Mon projet nest pas un projet socialiste jospinien davant la désertion. Sans oublier les privatisations, les succès boursiers, le ralliement aux impératifs du Réel
Soit une droite dont une composante nose plus affirmer sa pensée réactionnaire et se présenter comme garante dune forme de tradition, contenant ainsi la xénophobie qui a toujours existé dans la patrie des droits de lhomme ; dont une autre composante a totalement oublié sa dimension sociale.
Soit une classe politique qui globalement, affaires après affaires, impunités après impunités, dérisions après dérisions, nest plus perçue comme incarnant une quelconque morale et sest inexorablement éloignée dune grande part de ses électeurs.
Soit des citoyens qui sendorment lentement.
Soit une pensée néo-libérale internationaliste devenue un succédané de lordre naturel des choses contre lequel rien nest possible, qui brise et écrase avec le sourire, qui vante la liberté dentreprendre et qui, en y entraînant tout le monde, sombre dans le discours sécuritaire, seul moyen de contenir linjustice.
Soit une classe médiatique dont les éléments les plus voyants donc les plus efficaces suivent à la trace les deux précédents et qui a réduit la politique à si peu.
Soit des périodes de cohabitations qui nivellent les programmes et les idées.
Soit des rejetés, des déclassés, des méprisés et dautres qui ont peur de tout et de rien, donc de tout.
Soit un pays membre dune Europe dont les principaux soucis semblent être la finance et la mise en place dune taille unique du joint de robinet.
Soit un continent riche qui institue lesprit de la forteresse comme devant être lesprit de chacun, qui fait planer sur tous la menace de linvasion.
Soit une Europe qui suit, en rechignant parfois mais qui suit les Etats-Unis lors de campagnes guerrières contre les Autres, au nom dune hypocrite morale.
Soit quoi encore si nous évitons pour une fois de parler du 11/09/2001 ?
La liste est encore longue forcément injuste, caricaturale dans un temps de caricatures pour dire un essoufflement, un sentiment de perdition, une lassitude et une colère qui donnent au noirâtre Le Pen le costume dune alternative possible alors quil nest que le pitoyable signe dautre chose. Il faut bien sûr combattre ce quil est mais cela ne suffira pas.
Continuons donc dans lacceptation de linéluctable marche du monde dans lequel nous vivons, prônons encore et toujours la résignation, enfonçons nous un peu plus dans une forme particulière dinhumanité et ce sera là, sous une forme lepénisée ou sous une autre forme, peut-être plus sournoise. Dans cinq ou dix ans.
* Texte achevé le 1/05/2002.