Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°40-41 [mai 2002 - septembre 2002]
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par Jacques Fénimore
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Cétait avant. Avant le 21 avril. Quelques petits juges tiraient leur révérence. Epuisés, traqués, brimés, brisés. Partis avant qui sait dêtre éliminés. Vraiment. Physique-ment. Douze balles dans la peau, dans le dos, dans le genou, dans le ventre
Défaite par abandon au 7e round. Sonné de coups en dessous de la ceinture sous lil complaisant de larbitre et devant un public abruti se protégeant des éclaboussures sanguinolentes sous son journal du matin. Exit les petits juges teigneux « suant la haine ». Exit ces ambitieux voulant se faire un nom en salissant les plus grands queux. Exit le spectre honni de la République des juges « Je crois, cher ami, quau bout du compte, la démocratie y gagne. Nous ne sommes pas dans un monde denfants de chur, que diable ! On ne fait pas de politique sans se salir les mains. Et puis, ces boy-scouts donneurs de leçon ne font que fouiller les poubelles. Bien sûr les partis ont eu recours à des expédients pour se financer, mais pouvaient-ils faire autrement ? Et puis cétait une pratique généralisée. Et puis, tout cela est fini depuis longtemps ». Combien de fois a-t-on entendu ces arguments énoncés la main sur le cur ? En effet, passées sous la loupe instantanée des médias, ces « affaires » ne semblent quune succession de petites tâches, certes dégoûtantes, mais limitées. Faux ! Laissons la loupe et prenons une perspective plus large, genre grand angle. Ces petites tâches forment alors de vastes plages de couleur sombre. Et au final, en reculant encore de quelques pas, cest le tableau de la France, de lEurope et du Monde qui se révèle recouvert dune brume crasseuse généralisée. Contrairement à limpressionnisme où le flou des parcelles se transfigure en lumière vibrante de lensemble, ici les petites tâches de corruption dapparence marginales obscurcissent la toile toute entière. Car en fait, sous couvert de financement, partis ou chapelles ont mis en coupe réglée toute une part de lactivité du pays. Pots de lamitié, pots de vin aux intermédiaires, aux amis, aux amis des amis, aux intermédiaires des amis. Autant de petits délits qui en fin de comptes (en Suisse) tissent une toile serrée autour de nos vies et dont les fils finissent toujours par sarrimer à lun des tentacules de la Pieuvre mafio-financière.
Mais au-delà des magouilles dargent, ces pratiques ont aussi perverti la politique elle-même. Comment justifier ces machineries de corruption qui foulent au pied les principes fondamentaux de chaque camp ? Comment, à gauche, faire léloge du service public, de légalité des chances, de la justice sociale en permettant prises illégales dintérêt, commissions pharaoniques pour prestations ridicules, entreprises publiques transformées en officines de barbouzes ? Comment, à droite, chanter les louanges du libéralisme en jouant des marchés truqués, des passe-droits, en bafouant le libre jeu de la concurrence au profit du clan ? Comment stigmatiser limmigration et fermer les yeux sur les filières clandestines qui enrichissent les plus grandes entreprises par le travail au noir de milliers de pauvres hères ? De quel droit parler « dimpunité zéro » aux jeunes des cités sans être un schizophrène ou un supermenteur cynique ? Mais revenons à nos moutons. Tous ces petits arrangements avec la vertu ont forgé une petite aristocratie de potentats locaux qui, arroseurs et arrosés, montés sur leurs ergots, jabot en avant, pérorent à chaque inauguration de HLM ou du moindre rond point de village. Enfilant les mandats comme des perles, ils finissent même par avoir un sentiment de caste supérieure : « Je triche, mais cest pour le parti, donc la démocratie, donc le bien de tous ». Ce qui signifie « Je sais ce quest le bien de tous, je me fous de vos lois, alors foutez-moi la paix bande de ptits cons ! » Rappelons-nous le visage illuminé et suffisant de Mellick outré dêtre accusé, lui, le « révolutionnaire » quon avait pris comme un merdeux à mentir à la justice pour masquer une magouille de tricheurs de foot. Schizophrénie ou cynisme ? Pitoyable plutôt. Au fait, bravo pour ta réélection Jack !
Mais allons plus loin : si le système légal était si inadapté au financement de la politique, nétait-il pas possible de le changer ? Pourquoi corrupteurs passifs ou actifs ne lont-ils pas dénoncé plutôt que dappliquer lomerta ? Parce quil était plus productif de continuer dans lombre. Car outre le financement, le système a induit toute une architecture de trafic dinfluence, de cooptations discrètes entre politique, finance et entreprises. Ne pas bouger, cétait préserver le gâteau des premiers arrivés.
Mais embrassons encore plus largement cet horizon nauséeux. Au besoin, juchons-nous sur un escabeau. Et là, mesdames et messieurs les juchés, posons une autre question. Evidente, énorme, majuscule : « Et si, plutôt que de mettre en place ces trafics pour financer les partis, cétait linverse ? »
- Explique, tu me fais peur.
- Cest comme dans un bon polar, tu changes la perspective et tout séclaire.
- Mais encore ?
- Supposons quils naient pas fait des trafics pour financer les partis, mais investi les partis pour couvrir des trafics. Un peu comme Berlusconi est devenu président du conseil pour protéger ses affaires.
- Mais pourquoi cette dérive ? Pourquoi les Italiens ont-ils élu démocratiquement un Berlusconi ?
- Tout simplement parce quils ont pensé quils allaient y gagner eux aussi. Cest con, mais ça marche comme un vieux principe mafieux : « tu travailles (votes) pour moi, tu fermes les yeux sur mes turpitudes, je les ferme sur les tiennes et je tapporte la prospérité ». Naïf, chacun pense pouvoir tirer son épingle du jeu. Et puis, en Italie comme ici, les mécanismes de corruption sont tellement entrés dans les murs quon finit par ne plus les voir. Prenons un exemple. Quelle est la principale activité de nos élus de base : faire sauter les PV. Qui se choque de ce clientélisme de parrain ? Personne, car chacun a limpression dêtre mouillé. Un immense « je te tiens tu me tiens par la barbichette » qui ouvre la voie à dautres compromissions individuelles avec sa conscience et ses idéaux : « je milite pour la défense de la sécu, mais je bosse au noir », « jsuis un laïc de gauche, mais mes enfants vont à lécole privée parce que dans le public, le niveau », « lamiante nous crève, mais au syndicat on se tait pour protéger les emplois », « je donne à lUNICEF, mais je bosse chez Matra Armement » Politiques, économiques, privés, chacun de nos petits renoncements cautionnent lunique loi imposée à la planète sous couvert de mondialisation riante : la loi du plus fort.
- Tu exagères, ça sent le « tous pourris », la théorie du complot, ton histoire !
- Non. Je crois sincèrement quune partie des hommes aux commandes nont été que des complices passifs dun système qui, comme nous, les dépasse. Livrés à eux-mêmes par un peuple replié sur son individualisme, ils ont, par corporatisme, amitié, esprit de clan, compromis après compromis, été amenés à la compromission. Liés à chaque étage par léchelon supérieur. Car comme la dope, le trafic dinfluence a ses consommateurs, ses petits dealers, ses revendeurs, ses hommes de mains, ses passeurs, ses importateurs et enfin, ses gros bonnets (les mêmes ?) bien cachés au cur des paradis fiscaux et des conseils dadministration sinterpénétrant avec le crime organisé. Certes on nest plus à lépoque de Capone. Les parrains daujourdhui sont bronzés comme un financier italien, souriants comme un magnat du pétrole texan, affables comme un politicien franchouillard à laccent anisé Chez eux, pas de plan concerté, de World Company secrète. Juste un faisceau dintérêts convergents. Et si quelques factions saffrontent parfois, elles sattachent à ne jamais compromettre le système global dexploitation des richesses du monde. Quand les intérêts de groupes franco-belges et anglo-saxons se crêpent le chignon en Afrique, cela ne fait que quelques millions de morts loin de nos assiettes au Biafra ou au Rwanda. Et les politiques chargés du service après-vente enrobent ça sous un vocabulaire idéologique ou ethnique, selon la mode du moment. Tout cela reste feutré. Quand un clan manque à sa parole, on lui envoie une équipe de recouvrement, comme celles de feu « Francis-le-Belge ». Car même dans ces cercles très sélects, on nhésite pas à faire les gros yeux Feutré mais sévère.
- OK, supposons que tout ça ne soit pas un délire paranoïde. Que faire ?
- Tu peux choisir de participer à la curée avec luniforme de ton choix : politique, finance, trafics en tout genre, sectes, services spéciaux A toi partouzes de luxe, bagouses aux doigts, bagnoles clinquantes. Faisons du logement social avec Schuller, dînons chez Balkany-la-sucette (au fait Patrick, bravo pour ta réélection !), marions-nous chez Moon, bourrons-nous le pif avec Noriega et la CIA, achetons un Casino sur la Côte dAzur et plaçons nos avoirs au Luxembourg Tu peux aussi te laisser happer par le sentiment dimpuissance. Rester un pion ballotté aux vents des restructurations, des idées à la mode, des guerres sans raison apparentes. Trimant comme une bête ici, crevant de faim là-bas, votant de temps en temps comme on vomit pour un dictateur borgne ou une secte paramarxiste Et puis tu peux essayer de lutter. Avec une seule arme, à la fois dérisoire et révolutionnaire. La seule qui gène un peu les Pouvoirs qui oppriment : la vérité. Cela oblige à balancer tous les discours qui nont cessé de nous nourrir despoirs de lendemains pour nous faire avaler les pires saloperies daujourdhui. Jeter les drapeaux de ces partis devenus des clubs de supporters, de groupies, de pom-pom girls déversant leur propagande, leurs formules vidées de sens, abracadabrantesques et incantatoires : « jaime la France ». « Jaime la chasse », « jaime ma sur plus que ma cousine », « jaime mon chien », « jaime le buf bourguignon » Cessons de mesurer nos engagements à laune dun avenir hypothétique et radieux. Limportant est moins le but poursuivi que le chemin que lon emprunte. A chacun de nettoyer le chemin.
- Mais est-ce une opération mains propres que tu souhaites ?
- Et pourquoi pas ! La vérité nest pas un gros mot. Elle ne fait peur quà ceux qui trichent. Mais ne confondons pas ce combat avec celui des intégrismes qui, de Saint-Cloud aux montagnes afghanes, ne font que recycler dans le système les déçus du même système. Quest-ce que Ben Laden, sinon un habile manipulateur surfant sur de légitimes sentiments dinjustice ? Comme tant dautres avant lui : psychopathes de comité de salut public, staliniens fanatiques des tribunaux populaires, moines inquisiteurs, agitateurs nazis, il nest quun versant, un rouage du même pouvoir oppresseur. Bush le Texan du lobby pétro-militaire et le Saoudien milliardaire du crime ne sont que les deux faces dun même monde. Le nôtre. Et, entre ces précipices, nous oscillons comme des funambules entre le désir de révolte aveugle, de profits sans vergogne et un brin de conscience de juste. A nous de choisir. Hurler bras tendus avec les loups ; somnoler bien au chaud, un il sur les Guignols, lautre sur le CAC 40 ; ou alors sengager à reprendre en main son destin, à sinvestir là où nous sommes, dans un parti, un mouvement social1 Lenjeu paraît considérable et le combat presque perdu davance. Pourtant, isolés, raillés, instrumentalisés, privés de moyens et de soutiens, des hommes et des femmes, partout, se tiennent encore debout. Mais ils sont si rares : pour un flic russe intègre condamné par la mafia, combien de corrompus ? Pour un juge courageux combien de planqués sous la robe du corporatisme carriériste ? Pour un journaliste traqué dans les faubourgs dAlger combien dânonneurs de résultats boursiers ? Pour un sans-terre exécuté à Manaus combien de cire-pompes de lagro-business ? Pour un Martin Luther King combien dEdgar J. Hoover2 ? Pour une Germaine Tillion, combien de Mitterrand ?
Défaite par abandon au 7e round. Sonné de coups en dessous de la ceinture sous lil complaisant de larbitre et devant un public abruti se protégeant des éclaboussures sanguinolentes sous son journal du matin. Exit les petits juges teigneux « suant la haine ». Exit ces ambitieux voulant se faire un nom en salissant les plus grands queux. Exit le spectre honni de la République des juges « Je crois, cher ami, quau bout du compte, la démocratie y gagne. Nous ne sommes pas dans un monde denfants de chur, que diable ! On ne fait pas de politique sans se salir les mains. Et puis, ces boy-scouts donneurs de leçon ne font que fouiller les poubelles. Bien sûr les partis ont eu recours à des expédients pour se financer, mais pouvaient-ils faire autrement ? Et puis cétait une pratique généralisée. Et puis, tout cela est fini depuis longtemps ». Combien de fois a-t-on entendu ces arguments énoncés la main sur le cur ? En effet, passées sous la loupe instantanée des médias, ces « affaires » ne semblent quune succession de petites tâches, certes dégoûtantes, mais limitées. Faux ! Laissons la loupe et prenons une perspective plus large, genre grand angle. Ces petites tâches forment alors de vastes plages de couleur sombre. Et au final, en reculant encore de quelques pas, cest le tableau de la France, de lEurope et du Monde qui se révèle recouvert dune brume crasseuse généralisée. Contrairement à limpressionnisme où le flou des parcelles se transfigure en lumière vibrante de lensemble, ici les petites tâches de corruption dapparence marginales obscurcissent la toile toute entière. Car en fait, sous couvert de financement, partis ou chapelles ont mis en coupe réglée toute une part de lactivité du pays. Pots de lamitié, pots de vin aux intermédiaires, aux amis, aux amis des amis, aux intermédiaires des amis. Autant de petits délits qui en fin de comptes (en Suisse) tissent une toile serrée autour de nos vies et dont les fils finissent toujours par sarrimer à lun des tentacules de la Pieuvre mafio-financière.
Mais au-delà des magouilles dargent, ces pratiques ont aussi perverti la politique elle-même. Comment justifier ces machineries de corruption qui foulent au pied les principes fondamentaux de chaque camp ? Comment, à gauche, faire léloge du service public, de légalité des chances, de la justice sociale en permettant prises illégales dintérêt, commissions pharaoniques pour prestations ridicules, entreprises publiques transformées en officines de barbouzes ? Comment, à droite, chanter les louanges du libéralisme en jouant des marchés truqués, des passe-droits, en bafouant le libre jeu de la concurrence au profit du clan ? Comment stigmatiser limmigration et fermer les yeux sur les filières clandestines qui enrichissent les plus grandes entreprises par le travail au noir de milliers de pauvres hères ? De quel droit parler « dimpunité zéro » aux jeunes des cités sans être un schizophrène ou un supermenteur cynique ? Mais revenons à nos moutons. Tous ces petits arrangements avec la vertu ont forgé une petite aristocratie de potentats locaux qui, arroseurs et arrosés, montés sur leurs ergots, jabot en avant, pérorent à chaque inauguration de HLM ou du moindre rond point de village. Enfilant les mandats comme des perles, ils finissent même par avoir un sentiment de caste supérieure : « Je triche, mais cest pour le parti, donc la démocratie, donc le bien de tous ». Ce qui signifie « Je sais ce quest le bien de tous, je me fous de vos lois, alors foutez-moi la paix bande de ptits cons ! » Rappelons-nous le visage illuminé et suffisant de Mellick outré dêtre accusé, lui, le « révolutionnaire » quon avait pris comme un merdeux à mentir à la justice pour masquer une magouille de tricheurs de foot. Schizophrénie ou cynisme ? Pitoyable plutôt. Au fait, bravo pour ta réélection Jack !
Mais allons plus loin : si le système légal était si inadapté au financement de la politique, nétait-il pas possible de le changer ? Pourquoi corrupteurs passifs ou actifs ne lont-ils pas dénoncé plutôt que dappliquer lomerta ? Parce quil était plus productif de continuer dans lombre. Car outre le financement, le système a induit toute une architecture de trafic dinfluence, de cooptations discrètes entre politique, finance et entreprises. Ne pas bouger, cétait préserver le gâteau des premiers arrivés.
Mais embrassons encore plus largement cet horizon nauséeux. Au besoin, juchons-nous sur un escabeau. Et là, mesdames et messieurs les juchés, posons une autre question. Evidente, énorme, majuscule : « Et si, plutôt que de mettre en place ces trafics pour financer les partis, cétait linverse ? »
- Explique, tu me fais peur.
- Cest comme dans un bon polar, tu changes la perspective et tout séclaire.
- Mais encore ?
- Supposons quils naient pas fait des trafics pour financer les partis, mais investi les partis pour couvrir des trafics. Un peu comme Berlusconi est devenu président du conseil pour protéger ses affaires.
- Mais pourquoi cette dérive ? Pourquoi les Italiens ont-ils élu démocratiquement un Berlusconi ?
- Tout simplement parce quils ont pensé quils allaient y gagner eux aussi. Cest con, mais ça marche comme un vieux principe mafieux : « tu travailles (votes) pour moi, tu fermes les yeux sur mes turpitudes, je les ferme sur les tiennes et je tapporte la prospérité ». Naïf, chacun pense pouvoir tirer son épingle du jeu. Et puis, en Italie comme ici, les mécanismes de corruption sont tellement entrés dans les murs quon finit par ne plus les voir. Prenons un exemple. Quelle est la principale activité de nos élus de base : faire sauter les PV. Qui se choque de ce clientélisme de parrain ? Personne, car chacun a limpression dêtre mouillé. Un immense « je te tiens tu me tiens par la barbichette » qui ouvre la voie à dautres compromissions individuelles avec sa conscience et ses idéaux : « je milite pour la défense de la sécu, mais je bosse au noir », « jsuis un laïc de gauche, mais mes enfants vont à lécole privée parce que dans le public, le niveau », « lamiante nous crève, mais au syndicat on se tait pour protéger les emplois », « je donne à lUNICEF, mais je bosse chez Matra Armement » Politiques, économiques, privés, chacun de nos petits renoncements cautionnent lunique loi imposée à la planète sous couvert de mondialisation riante : la loi du plus fort.
- Tu exagères, ça sent le « tous pourris », la théorie du complot, ton histoire !
- Non. Je crois sincèrement quune partie des hommes aux commandes nont été que des complices passifs dun système qui, comme nous, les dépasse. Livrés à eux-mêmes par un peuple replié sur son individualisme, ils ont, par corporatisme, amitié, esprit de clan, compromis après compromis, été amenés à la compromission. Liés à chaque étage par léchelon supérieur. Car comme la dope, le trafic dinfluence a ses consommateurs, ses petits dealers, ses revendeurs, ses hommes de mains, ses passeurs, ses importateurs et enfin, ses gros bonnets (les mêmes ?) bien cachés au cur des paradis fiscaux et des conseils dadministration sinterpénétrant avec le crime organisé. Certes on nest plus à lépoque de Capone. Les parrains daujourdhui sont bronzés comme un financier italien, souriants comme un magnat du pétrole texan, affables comme un politicien franchouillard à laccent anisé Chez eux, pas de plan concerté, de World Company secrète. Juste un faisceau dintérêts convergents. Et si quelques factions saffrontent parfois, elles sattachent à ne jamais compromettre le système global dexploitation des richesses du monde. Quand les intérêts de groupes franco-belges et anglo-saxons se crêpent le chignon en Afrique, cela ne fait que quelques millions de morts loin de nos assiettes au Biafra ou au Rwanda. Et les politiques chargés du service après-vente enrobent ça sous un vocabulaire idéologique ou ethnique, selon la mode du moment. Tout cela reste feutré. Quand un clan manque à sa parole, on lui envoie une équipe de recouvrement, comme celles de feu « Francis-le-Belge ». Car même dans ces cercles très sélects, on nhésite pas à faire les gros yeux Feutré mais sévère.
- OK, supposons que tout ça ne soit pas un délire paranoïde. Que faire ?
- Tu peux choisir de participer à la curée avec luniforme de ton choix : politique, finance, trafics en tout genre, sectes, services spéciaux A toi partouzes de luxe, bagouses aux doigts, bagnoles clinquantes. Faisons du logement social avec Schuller, dînons chez Balkany-la-sucette (au fait Patrick, bravo pour ta réélection !), marions-nous chez Moon, bourrons-nous le pif avec Noriega et la CIA, achetons un Casino sur la Côte dAzur et plaçons nos avoirs au Luxembourg Tu peux aussi te laisser happer par le sentiment dimpuissance. Rester un pion ballotté aux vents des restructurations, des idées à la mode, des guerres sans raison apparentes. Trimant comme une bête ici, crevant de faim là-bas, votant de temps en temps comme on vomit pour un dictateur borgne ou une secte paramarxiste Et puis tu peux essayer de lutter. Avec une seule arme, à la fois dérisoire et révolutionnaire. La seule qui gène un peu les Pouvoirs qui oppriment : la vérité. Cela oblige à balancer tous les discours qui nont cessé de nous nourrir despoirs de lendemains pour nous faire avaler les pires saloperies daujourdhui. Jeter les drapeaux de ces partis devenus des clubs de supporters, de groupies, de pom-pom girls déversant leur propagande, leurs formules vidées de sens, abracadabrantesques et incantatoires : « jaime la France ». « Jaime la chasse », « jaime ma sur plus que ma cousine », « jaime mon chien », « jaime le buf bourguignon » Cessons de mesurer nos engagements à laune dun avenir hypothétique et radieux. Limportant est moins le but poursuivi que le chemin que lon emprunte. A chacun de nettoyer le chemin.
- Mais est-ce une opération mains propres que tu souhaites ?
- Et pourquoi pas ! La vérité nest pas un gros mot. Elle ne fait peur quà ceux qui trichent. Mais ne confondons pas ce combat avec celui des intégrismes qui, de Saint-Cloud aux montagnes afghanes, ne font que recycler dans le système les déçus du même système. Quest-ce que Ben Laden, sinon un habile manipulateur surfant sur de légitimes sentiments dinjustice ? Comme tant dautres avant lui : psychopathes de comité de salut public, staliniens fanatiques des tribunaux populaires, moines inquisiteurs, agitateurs nazis, il nest quun versant, un rouage du même pouvoir oppresseur. Bush le Texan du lobby pétro-militaire et le Saoudien milliardaire du crime ne sont que les deux faces dun même monde. Le nôtre. Et, entre ces précipices, nous oscillons comme des funambules entre le désir de révolte aveugle, de profits sans vergogne et un brin de conscience de juste. A nous de choisir. Hurler bras tendus avec les loups ; somnoler bien au chaud, un il sur les Guignols, lautre sur le CAC 40 ; ou alors sengager à reprendre en main son destin, à sinvestir là où nous sommes, dans un parti, un mouvement social1 Lenjeu paraît considérable et le combat presque perdu davance. Pourtant, isolés, raillés, instrumentalisés, privés de moyens et de soutiens, des hommes et des femmes, partout, se tiennent encore debout. Mais ils sont si rares : pour un flic russe intègre condamné par la mafia, combien de corrompus ? Pour un juge courageux combien de planqués sous la robe du corporatisme carriériste ? Pour un journaliste traqué dans les faubourgs dAlger combien dânonneurs de résultats boursiers ? Pour un sans-terre exécuté à Manaus combien de cire-pompes de lagro-business ? Pour un Martin Luther King combien dEdgar J. Hoover2 ? Pour une Germaine Tillion, combien de Mitterrand ?
(1) Le frisson du 21 avril sonnera-t-il le réveil dune vraie citoyenneté ? On la cru. Quel élan eut représenté, par exemple, la démission de tous les caciques du PS (ou autres) laissant aux législatives sexprimer toute une nouvelle génération. Au lieu de ça, on nous propose des investitures Mellick ou Tibéri
(2) A lire sans délai : American tabloïd et American death Trip de James Ellroy. Une plongée dans le monde du mensonge, de loppression et de la violence, caché derrière la façade lisse de lAmérique des sixties (et daujourdhui).
(2) A lire sans délai : American tabloïd et American death Trip de James Ellroy. Une plongée dans le monde du mensonge, de loppression et de la violence, caché derrière la façade lisse de lAmérique des sixties (et daujourdhui).