Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°39 [mars 2002 - avril 2002]
© Passant n°39 [mars 2002 - avril 2002]
par Bernard Traimond
Imprimer l'articleLa faille de Bourdieu
Aujourdhui, nous ne pouvons que répéter ce quécrivait Sartre à la mort de Gide : Il nous manque déjà. Non seulement nous ne saurons plus ce qui, à ses yeux, méritait une intervention publique, mais le décès de Bourdieu nous prive aussi de son avis sur les questions importantes, tant dans le domaine scientifique que politique. Il nous manque aussi car depuis Les héritiers en 1964, année après année, ses ouvrages nous proposaient des thèmes de réflexions, mais aussi incitaient à de nouvelles formes danalyse. Dans ce pays, Bourdieu était le lieu de rencontre de toutes les démarches novatrices. Chez lui et par lui, nous pouvions accéder à linteractionnisme, au tournant
linguistique, à lethnométhodologie tout ce qui se faisait de nouveau ailleurs. Certes, il savait sen approprier et on pouvait toujours contester ses interprétations et ses utilisations mais, avec lui, nous étions assurés de rompre le provincialisme que caractérise encore trop souvent les sciences sociales de ce pays.
Bourdieu a aussi perpétué la tradition du clerc « officiant de la justice abstraite et ne se souillant daucune passion pour un objet terrestre » (Benda). Ses interventions politiques et cétait leur force ne lont jamais mis au service quotidien dun quelconque parti politique, même si à tel moment il fut proche de lun ou de lautre. Il nintervenait que sur les grands problèmes et aux moments nécessaires. Il ny avait là aucun mépris pour la cité, mais la réaffirmation que la politique et la science obéissent à des logiques différentes qui ne peuvent interférer que quand lessentiel est en péril1. Un tel respect pour lune et lautre explique sa nécessaire férocité à lencontre de ceux qui utilisent lune au profit de lautre, et les mélangent à loisir comme ces « intellectuels négatifs » Bernard-Henri Lévy ou Philippe Sollers qui allient « lavant-garde littéraire (en simili) à larrière-garde politique authentique »2. En ce sens, Bourdieu a perpétué cette tradition de lintellectuel engagé, et donc critique, que Voltaire et les Lumières avaient mis en place.
Ainsi, Bourdieu a contribué à maintenir un certain type de relations entre la science et la politique. Cette dernière propose au chercheur des thèmes et des démarches, mais lactivité académique obéit à sa propre logique et à ses propres exigences. Les mélanger, comme nous le demandent quotidiennement les politiques pour justifier leurs décisions, pervertit lune et salit lautre. Ils réclament des experts qui ne sont jamais que des alibis ou des cautions qui dévalorisent la politique et prostituent la science. Avec virulence, Bourdieu refusait lun et lautre. Il sest inscrit dans la grande tradition des intellectuels français qui, au cours des siècles, ont gagné lautorité dont ils disposent par leur indépendance vis-à-vis des pouvoirs, même si ces derniers, quelque soit leur bord, essaient de les inféoder avec parfois quelque succès. Sans cesse, Bourdieu a affirmé la nécessité dune pensée critique contre les partisans dune université professionnalisante proposant des techniques et fournissant des experts. En ce sens, il sinscrivait dans la grande tradition de lhumanisme et de la pensée critique.
Cependant, le bouillonnement de la pensée de Bourdieu na jamais renoncé à un certain arrimage « matériel » au sens stalinien du terme. Il a toujours cru quil était possible, par l« expérience » (qui chez les sociologues, daprès Durkheim, prenait la forme de chiffres) daccéder directement au réel. Dun côté lui parvenaient des informations nécessairement singulières, nées dun contexte précis, quil utilisait avec son évidente subtilité. De lautre, il nen continuait pas moins à croire quil pouvait directement accéder au « groupe », catégorie totémique de la sociologie (au sens dancêtre totémique). Dès lors, pour concilier les deux « réalités », au travers de Durkheim, il était allé chercher dans la scolastique le terme dhabitus qui était lincarnation du collectif dans lindividu. Cétait un moyen dêtre attentif aux sources, au discours naturel, aux pratiques sans toutefois renoncer au dogme du groupe. On comprend alors que pour moi, dans le domaine académique, il y a deux Bourdieu, celui qui est attentif à la parole ordinaire et celui qui tient des propos sur les collectifs. Le premier a écrit (entre autres) un des plus extraordinaires articles danthropologie européenne « célibat et condition paysanne », démonté de multiples « boîtes noires » telles que lopinion publique (même si Patrick Champagne est allé par la suite encore plus loin sur ce thème), mis laccent sur de nombreux mécanismes dexclusion. Le second a gardé parfois un certain positivisme, faute davoir accompagné jusquau bout et dans toutes ses conséquences le scepticisme quen son temps avait affirmé un autre penseur qui lui aussi parlait gascon, Montaigne.
linguistique, à lethnométhodologie tout ce qui se faisait de nouveau ailleurs. Certes, il savait sen approprier et on pouvait toujours contester ses interprétations et ses utilisations mais, avec lui, nous étions assurés de rompre le provincialisme que caractérise encore trop souvent les sciences sociales de ce pays.
Bourdieu a aussi perpétué la tradition du clerc « officiant de la justice abstraite et ne se souillant daucune passion pour un objet terrestre » (Benda). Ses interventions politiques et cétait leur force ne lont jamais mis au service quotidien dun quelconque parti politique, même si à tel moment il fut proche de lun ou de lautre. Il nintervenait que sur les grands problèmes et aux moments nécessaires. Il ny avait là aucun mépris pour la cité, mais la réaffirmation que la politique et la science obéissent à des logiques différentes qui ne peuvent interférer que quand lessentiel est en péril1. Un tel respect pour lune et lautre explique sa nécessaire férocité à lencontre de ceux qui utilisent lune au profit de lautre, et les mélangent à loisir comme ces « intellectuels négatifs » Bernard-Henri Lévy ou Philippe Sollers qui allient « lavant-garde littéraire (en simili) à larrière-garde politique authentique »2. En ce sens, Bourdieu a perpétué cette tradition de lintellectuel engagé, et donc critique, que Voltaire et les Lumières avaient mis en place.
Ainsi, Bourdieu a contribué à maintenir un certain type de relations entre la science et la politique. Cette dernière propose au chercheur des thèmes et des démarches, mais lactivité académique obéit à sa propre logique et à ses propres exigences. Les mélanger, comme nous le demandent quotidiennement les politiques pour justifier leurs décisions, pervertit lune et salit lautre. Ils réclament des experts qui ne sont jamais que des alibis ou des cautions qui dévalorisent la politique et prostituent la science. Avec virulence, Bourdieu refusait lun et lautre. Il sest inscrit dans la grande tradition des intellectuels français qui, au cours des siècles, ont gagné lautorité dont ils disposent par leur indépendance vis-à-vis des pouvoirs, même si ces derniers, quelque soit leur bord, essaient de les inféoder avec parfois quelque succès. Sans cesse, Bourdieu a affirmé la nécessité dune pensée critique contre les partisans dune université professionnalisante proposant des techniques et fournissant des experts. En ce sens, il sinscrivait dans la grande tradition de lhumanisme et de la pensée critique.
Cependant, le bouillonnement de la pensée de Bourdieu na jamais renoncé à un certain arrimage « matériel » au sens stalinien du terme. Il a toujours cru quil était possible, par l« expérience » (qui chez les sociologues, daprès Durkheim, prenait la forme de chiffres) daccéder directement au réel. Dun côté lui parvenaient des informations nécessairement singulières, nées dun contexte précis, quil utilisait avec son évidente subtilité. De lautre, il nen continuait pas moins à croire quil pouvait directement accéder au « groupe », catégorie totémique de la sociologie (au sens dancêtre totémique). Dès lors, pour concilier les deux « réalités », au travers de Durkheim, il était allé chercher dans la scolastique le terme dhabitus qui était lincarnation du collectif dans lindividu. Cétait un moyen dêtre attentif aux sources, au discours naturel, aux pratiques sans toutefois renoncer au dogme du groupe. On comprend alors que pour moi, dans le domaine académique, il y a deux Bourdieu, celui qui est attentif à la parole ordinaire et celui qui tient des propos sur les collectifs. Le premier a écrit (entre autres) un des plus extraordinaires articles danthropologie européenne « célibat et condition paysanne », démonté de multiples « boîtes noires » telles que lopinion publique (même si Patrick Champagne est allé par la suite encore plus loin sur ce thème), mis laccent sur de nombreux mécanismes dexclusion. Le second a gardé parfois un certain positivisme, faute davoir accompagné jusquau bout et dans toutes ses conséquences le scepticisme quen son temps avait affirmé un autre penseur qui lui aussi parlait gascon, Montaigne.
* Ethnologue.
(1) Peut-être que la situation actuelle dans les Universités italiennes est une de celles-là.
(2) P. Bourdieu, Contre-feux, Paris, Liber Raison dagir, 1998.
12 et 13 avril, journées en hommage à Pierre Bourdieu
Le 12 avril au cinéma Utopia, 5, place Camille Julian (Bordeaux, tél. : ) à 14h15 présentation de luvre de Pierre Bourdieu par Loïc Wacquant (sociologue), à 17h projection de La sociologie est un sport de combat de Pierre Carles et à 20h30 à lAthénée Municipal, place Saint Christoly débat Pierre Bourdieu et lengagement avec Loïc Wacquant, Jean-Paul Abribat (philosophe et psychanalyste) et Louis Waber (responsable de linstitut de recherche de la FSU).
Le 13 avril à 17h, présentation de luvre de Loïc Wacquant à la librairie La Machine à Lire, 8, place du Parlement (Bordeaux, tél. : ). Journées à linitiative dEspace Marx, de Raisons dagir, de la FSU, du Passant Ordinaire
(1) Peut-être que la situation actuelle dans les Universités italiennes est une de celles-là.
(2) P. Bourdieu, Contre-feux, Paris, Liber Raison dagir, 1998.
12 et 13 avril, journées en hommage à Pierre Bourdieu
Le 12 avril au cinéma Utopia, 5, place Camille Julian (Bordeaux, tél. : ) à 14h15 présentation de luvre de Pierre Bourdieu par Loïc Wacquant (sociologue), à 17h projection de La sociologie est un sport de combat de Pierre Carles et à 20h30 à lAthénée Municipal, place Saint Christoly débat Pierre Bourdieu et lengagement avec Loïc Wacquant, Jean-Paul Abribat (philosophe et psychanalyste) et Louis Waber (responsable de linstitut de recherche de la FSU).
Le 13 avril à 17h, présentation de luvre de Loïc Wacquant à la librairie La Machine à Lire, 8, place du Parlement (Bordeaux, tél. : ). Journées à linitiative dEspace Marx, de Raisons dagir, de la FSU, du Passant Ordinaire