Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°39 [mars 2002 - avril 2002]
© Passant n°39 [mars 2002 - avril 2002]
par Fabien Jobard
Imprimer l'articleLa loi de la peur
Une loi dite « loi sur la sécurité quotidienne » (LSQ) vient dêtre promulguée, le 15 novembre 2001. Mise à la discussion à lAssemblée nationale au printemps 2001, elle navait su mobiliser lattention des journalistes quà loccasion dune finesse parlementaire. Un député de lopposition avait introduit un amendement « rave », devenu durant de longues semaines le marais limoneux du gouvernement, pataugeant pour le bonheur de ses adversaires dans de longues démonstrations grand guignol. Puis, les attentats du 11 septembre avaient cueilli la loi qui naviguait de lAssemblée au Sénat, ou du Sénat à lAssemblée. Dun coup, cette LSQ se chargeait de dispositions particulières, parfois provisoires, pour devenir « Loi sur la sécurité quotidienne et la lutte anti-terroriste », signant ainsi, en son titre même, linanité du terme « quotidien », ou son absorption dans un perpétuel exceptionnel.
La LSQ se veut une réponse à linsécurité de nos grandes agglomérations et à la menace terroriste, toutes deux bien sûr indéniables. La loi touche à des aspects fondamentaux de nos libertés, à « la conciliation entre la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens, et lexercice des libertés publiques ». Cette expression avait été employée par le Conseil constitutionnel en 1995 lorsque, déclarant non conformes à la Constitution certains passages dune « loi Pasqua », il avait tracé des limites claires en ce qui concerne la sécurité.
La LSQ, à bien des égards, présente des risques bien plus considérables datteintes aux libertés individuelles que les lois Pasqua de 1993 et 1995. Lune de ces dispositions autorise par exemple les officiers de police judiciaire, sur réquisition écrite du Procureur, à pratiquer la fouille des véhicules circulant ou arrêtés sur la voie publique. Rien que de bien ajusté à la lutte anti-terroriste, pourrait-on dire. Mais une petite incidente sest glissée dans cette disposition : la suppression, justement, de la nullité des procédures incidentes. Auparavant, si des policiers agissaient sur réquisition du Procureur, ils devaient limiter leurs recherches à lobjet fixé par le Procureur. Toute procédure dite « incidente » devait être frappée de nullité, ce qui permettait de borner lintervention des policiers au cadre strictement fixé par lautorité judiciaire, afin déviter tout arbitraire dans limmixtion dagents de la force publique dans la vie privée.
Aujourdhui, ces nullités ne sont plus prévues. De fait, la « réquisition » du Procureur est vidée de son sens. Le gouvernement le sait bien, puisque, par ailleurs, la réquisition écrite quil exige est elle-même extrêmement floue : le Procureur nest en effet désormais plus tenu de la motiver. Il peut se contenter dévoquer la lutte contre le terrorisme ou le trafic et/ou la consommation de stupéfiants ; terrorisme et stupéfiants étant rangés sous le même chapitre dans la procédure pénale française. Or, il ne sagit pas seulement, dans cette lutte contre les stupéfiants, de la haute croisade contre le trafic international et le blanchiment, mais de la poursuite quotidienne des délits ordinaires de consommation et de trafic de doses et produits de routine. Espère-t-on vraiment abattre les marchés illicites de la drogue en ouvrant les coffres de voiture ? Ou en contrôlant sans réserve les identités ?
Car cette liberté concédée aux policiers, on la retrouve presque à lidentique dans le nouvel article 78-2-2 du Code de procédure pénale, introduit par la LSQ. Le « -2 » de lart. 78, cest la réforme introduite par la loi Pasqua de 1993, qui permettait le contrôle des identités « quel que soit le comportement » des personnes susceptibles dêtre contrôlées. Le « -2-2 » rétablit à présent les razzias et contrôles coups de poing dans les cafés, commerces et autres « lieux accessibles au public » que désigne la LSQ de ses vapeurs dimprécision. Pris au titre des dispositions contre le terrorisme, ce « -2-2 » permet en effet les contrôles didentité sur « réquisition » (voir plus haut !) du Procureur en matière de terrorisme, armes ou stupéfiants (voir plus haut !) dans les « lieux accessibles au public ». Seuls restent préservés, donc, de larbitraire conjugué du Procureur sans phrase et du policier sans mandat, les espaces strictement privés, comme lappartement ou le bureau. Ces razzias que la LSQ restaure, le gouvernement Balladur navait pas osé les rétablir, certain de la censure à venir du Conseil constitutionnel. La Cour de cassation elle-même, du reste, les avait bannies, par un arrêt prononcé en 1973. Quant à la fouille des véhicules, que lon vient également dévoquer, le Conseil constitutionnel lavait déclarée inconstitutionnelle, en 1977. Un seul regard jeté à la loi montre la voie tracée par le gouvernement, la voie vers le passé.
A ces deux exemples, dautres sajoutent, tous introduits par voie damendements, sur le contrôle des voyageurs démunis de titres de transport, sur les palpations de sécurité par des agents privés, sur la suppression de lassentiment de la personne visée dans les perquisitions qui auparavant lexigeaient, sur les rassemblements dans les halls dimmeuble. Pourtant, en dépit de limportance de ses enjeux (lutter contre le terrorisme, assurer la préservation de nos libertés individuelles et la garantie de notre sécurité), le gouvernement et les parlementaires ont refusé à la LSQ toute procédure démocratique. Pendant la procédure législative, ils ont étouffé le débat parlementaire. Et pour quil ny ait pas daprès, ils ont empêché toute saisie du Conseil constitutionnel. Celui-là même qui en 1977, en 1980, en 1993, en 1995, avait censuré des dispositions sécuritaires, bien moins sécuritaires, on la dit, que celles défendues par le gouvernement Jospin.
Il faudrait prendre pourtant le gouvernement Jospin à son propre mot. A Villepinte, il élevait en grande pompe la sécurité au rang de « première de nos libertés ». Il promettait de la rendre au bien public. Par la LSQ, il a en réalité abaissé la sécurité au rang de fait du Prince. Sous le prétexte de lurgence, il a imposé une série damendements substantiels en toute fin de procédure, pour les soustraire ainsi à lexamen du Conseil dEtat et des parlementaires. Il savait quil sexposait par cette manuvre à la déclaration dinconstitu-tionnalité, au nom de la « limite du droit damendement ». Mais, plutôt que le débat parlementaire et le contrôle par le juge, le gouvernement a choisi le marchandage avec les parlementaires, pour éviter la saisie du Conseil constitutionnel et clore ainsi par une manigance dalcôve des manuvres procédurales indignes des textes quil a fait adopter. La sécurité est-elle élevée, comme on le voulait, au rang de bien public ? Non : le gouvernement préfère en faire sa petite chose, camouflée par des procédures iniques.
Lurgence nappelle pourtant ni le secret, ni le camouflage. Le gouvernement a drapé ses dispositions des atours de la loi, sans leur en donner la substance. Il sait que le Conseil constitutionnel nest pas avare des libertés quil soctroie et quil ne sest jamais privé dexaminer les lois au regard des circonstances du moment, par exemple des « exigences de sauvegarde de lordre public ». Il ny a donc aucune raison de se défier du contrôle de constitutionnalité sauf lorsque lon a toutes les raisons de craindre, précisément, que les textes adoptés outrepassent les mesures nécessaires que les circonstances appellent.
Car la loi ne lutte pas contre linsécurité et le terrorisme. Elle veut tout simplement offrir aux institutions répressives des compétences toujours plus étendues, sans donner ni aux citoyens, ni à la justice, les moyens de les contrôler, et dassurer ainsi léquilibre entre les libertés individuelles et les mesures qui en limitent lexercice. Etendue des pouvoirs confiés aux autorités répressives, généralité dexercice des dits pouvoirs, imprécision du cadre, garanties insuffisantes de contrôle et de recours : toutes ces raisons sont invoquées par le Conseil constitutionnel chaque fois quil est appelé à examiner la conformité de dispositions sécuritaires à la Constitution, et leur nécessité. Ces dispositions que le gouvernement a fait adopter par la ruse, nous aurions aimé savoir de la part du Conseil si elles sont « adaptées aux circonstances ». Mais le gouvernement a préféré le secret à la publicité. Il a rejeté la sécurité à la bassesse dont il promettait de la sauver.
De toutes ces manuvres, on ne voit en vérité qui pourrait se réjouir. La justice déchante déjà, qui doit une fois encore concéder de ses moyens et de ses prérogatives à la police judiciaire. Mais la police ne se réjouira pas non plus. Non seulement elle est appelée à partager une part de sa compétence avec des agents et services de sécurité privée, en partie hors de son contrôle, mais en plus, elle se voit confier non pas le mandat dassurer lordre et la sécurité publiques, mais la mission autrement plus large, dans toute une partie de lespace social, de nêtre que la seule présence possible de lEtat. Le gouvernement croit aujourdhui satisfaire les contradictions structurelles des policiers par des mesures qui, lorsquelles ne se contentent pas de la distribution de lots de gilets pare-balles, ont pour effet de faire des policiers les seuls interlocuteurs de la misère sociale. Ce nest pas une sécurité publique et égale pour tous que la loi veut restaurer. Son effet, si ce nest son intention, est daccroître linégalité devant lEtat de droit et lEtat social, et dabandonner aux policiers la mission de faire, à linsu du juge et du public, avec les moyens du bord.
On comprend mieux les manuvres procédurales du gouvernement et des parlementaires. Soustraire une loi inique au contrôle de constitutionnalité, tant lors de la procédure qui lui a donné naissance que dans le cours de son application à venir. Ôter à la représentation nationale la compétence den débattre, et aux citoyens le privilège den disposer de manière égale et démocratique. Lorsquun ministre que lon disait « sécuritaire », M. Pasqua, sindignait que le Conseil constitutionnel déclarât quelques-uns de ses projets non conformes à la Constitution, en 1993, que fit-il ? Et bien il modifia la Constitution, pour la rendre conforme à ses vux. Au moins rendait-il par-là au Parlement sa prérogative, celle de faire les lois, y compris les lois fondamentales. Au moins ne se soustrayait-il pas au contrôle de constitutionnalité, même sil nen pensait et nen disait pas moins.
Aujourdhui, lors quil sagit, dans les conditions durgence que lon sait et que lon ne saurait dénier, rendre la sécurité au bien public, le gouvernement choisit de remettre des dispositions, selon les propres termes dun sénateur socialiste, en marge de « la légalité républicaine » à des procédures darcane, indignes des nécessités du moment et de ses propres promesses. Ce faisant, il consacre le déséquilibre patent des moyens respectivement accordés au juge et au policier, et se contente pour toute politique de la ville de jeter ce dernier en pâture à la misère sociale. Travestissant ses propres peurs des habits de la loi, le gouvernement vide celle-ci de sa substance, et léloigne un peu plus dun social, auquel il ne réserve que son impuissance.
La LSQ se veut une réponse à linsécurité de nos grandes agglomérations et à la menace terroriste, toutes deux bien sûr indéniables. La loi touche à des aspects fondamentaux de nos libertés, à « la conciliation entre la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens, et lexercice des libertés publiques ». Cette expression avait été employée par le Conseil constitutionnel en 1995 lorsque, déclarant non conformes à la Constitution certains passages dune « loi Pasqua », il avait tracé des limites claires en ce qui concerne la sécurité.
La LSQ, à bien des égards, présente des risques bien plus considérables datteintes aux libertés individuelles que les lois Pasqua de 1993 et 1995. Lune de ces dispositions autorise par exemple les officiers de police judiciaire, sur réquisition écrite du Procureur, à pratiquer la fouille des véhicules circulant ou arrêtés sur la voie publique. Rien que de bien ajusté à la lutte anti-terroriste, pourrait-on dire. Mais une petite incidente sest glissée dans cette disposition : la suppression, justement, de la nullité des procédures incidentes. Auparavant, si des policiers agissaient sur réquisition du Procureur, ils devaient limiter leurs recherches à lobjet fixé par le Procureur. Toute procédure dite « incidente » devait être frappée de nullité, ce qui permettait de borner lintervention des policiers au cadre strictement fixé par lautorité judiciaire, afin déviter tout arbitraire dans limmixtion dagents de la force publique dans la vie privée.
Aujourdhui, ces nullités ne sont plus prévues. De fait, la « réquisition » du Procureur est vidée de son sens. Le gouvernement le sait bien, puisque, par ailleurs, la réquisition écrite quil exige est elle-même extrêmement floue : le Procureur nest en effet désormais plus tenu de la motiver. Il peut se contenter dévoquer la lutte contre le terrorisme ou le trafic et/ou la consommation de stupéfiants ; terrorisme et stupéfiants étant rangés sous le même chapitre dans la procédure pénale française. Or, il ne sagit pas seulement, dans cette lutte contre les stupéfiants, de la haute croisade contre le trafic international et le blanchiment, mais de la poursuite quotidienne des délits ordinaires de consommation et de trafic de doses et produits de routine. Espère-t-on vraiment abattre les marchés illicites de la drogue en ouvrant les coffres de voiture ? Ou en contrôlant sans réserve les identités ?
Car cette liberté concédée aux policiers, on la retrouve presque à lidentique dans le nouvel article 78-2-2 du Code de procédure pénale, introduit par la LSQ. Le « -2 » de lart. 78, cest la réforme introduite par la loi Pasqua de 1993, qui permettait le contrôle des identités « quel que soit le comportement » des personnes susceptibles dêtre contrôlées. Le « -2-2 » rétablit à présent les razzias et contrôles coups de poing dans les cafés, commerces et autres « lieux accessibles au public » que désigne la LSQ de ses vapeurs dimprécision. Pris au titre des dispositions contre le terrorisme, ce « -2-2 » permet en effet les contrôles didentité sur « réquisition » (voir plus haut !) du Procureur en matière de terrorisme, armes ou stupéfiants (voir plus haut !) dans les « lieux accessibles au public ». Seuls restent préservés, donc, de larbitraire conjugué du Procureur sans phrase et du policier sans mandat, les espaces strictement privés, comme lappartement ou le bureau. Ces razzias que la LSQ restaure, le gouvernement Balladur navait pas osé les rétablir, certain de la censure à venir du Conseil constitutionnel. La Cour de cassation elle-même, du reste, les avait bannies, par un arrêt prononcé en 1973. Quant à la fouille des véhicules, que lon vient également dévoquer, le Conseil constitutionnel lavait déclarée inconstitutionnelle, en 1977. Un seul regard jeté à la loi montre la voie tracée par le gouvernement, la voie vers le passé.
A ces deux exemples, dautres sajoutent, tous introduits par voie damendements, sur le contrôle des voyageurs démunis de titres de transport, sur les palpations de sécurité par des agents privés, sur la suppression de lassentiment de la personne visée dans les perquisitions qui auparavant lexigeaient, sur les rassemblements dans les halls dimmeuble. Pourtant, en dépit de limportance de ses enjeux (lutter contre le terrorisme, assurer la préservation de nos libertés individuelles et la garantie de notre sécurité), le gouvernement et les parlementaires ont refusé à la LSQ toute procédure démocratique. Pendant la procédure législative, ils ont étouffé le débat parlementaire. Et pour quil ny ait pas daprès, ils ont empêché toute saisie du Conseil constitutionnel. Celui-là même qui en 1977, en 1980, en 1993, en 1995, avait censuré des dispositions sécuritaires, bien moins sécuritaires, on la dit, que celles défendues par le gouvernement Jospin.
Il faudrait prendre pourtant le gouvernement Jospin à son propre mot. A Villepinte, il élevait en grande pompe la sécurité au rang de « première de nos libertés ». Il promettait de la rendre au bien public. Par la LSQ, il a en réalité abaissé la sécurité au rang de fait du Prince. Sous le prétexte de lurgence, il a imposé une série damendements substantiels en toute fin de procédure, pour les soustraire ainsi à lexamen du Conseil dEtat et des parlementaires. Il savait quil sexposait par cette manuvre à la déclaration dinconstitu-tionnalité, au nom de la « limite du droit damendement ». Mais, plutôt que le débat parlementaire et le contrôle par le juge, le gouvernement a choisi le marchandage avec les parlementaires, pour éviter la saisie du Conseil constitutionnel et clore ainsi par une manigance dalcôve des manuvres procédurales indignes des textes quil a fait adopter. La sécurité est-elle élevée, comme on le voulait, au rang de bien public ? Non : le gouvernement préfère en faire sa petite chose, camouflée par des procédures iniques.
Lurgence nappelle pourtant ni le secret, ni le camouflage. Le gouvernement a drapé ses dispositions des atours de la loi, sans leur en donner la substance. Il sait que le Conseil constitutionnel nest pas avare des libertés quil soctroie et quil ne sest jamais privé dexaminer les lois au regard des circonstances du moment, par exemple des « exigences de sauvegarde de lordre public ». Il ny a donc aucune raison de se défier du contrôle de constitutionnalité sauf lorsque lon a toutes les raisons de craindre, précisément, que les textes adoptés outrepassent les mesures nécessaires que les circonstances appellent.
Car la loi ne lutte pas contre linsécurité et le terrorisme. Elle veut tout simplement offrir aux institutions répressives des compétences toujours plus étendues, sans donner ni aux citoyens, ni à la justice, les moyens de les contrôler, et dassurer ainsi léquilibre entre les libertés individuelles et les mesures qui en limitent lexercice. Etendue des pouvoirs confiés aux autorités répressives, généralité dexercice des dits pouvoirs, imprécision du cadre, garanties insuffisantes de contrôle et de recours : toutes ces raisons sont invoquées par le Conseil constitutionnel chaque fois quil est appelé à examiner la conformité de dispositions sécuritaires à la Constitution, et leur nécessité. Ces dispositions que le gouvernement a fait adopter par la ruse, nous aurions aimé savoir de la part du Conseil si elles sont « adaptées aux circonstances ». Mais le gouvernement a préféré le secret à la publicité. Il a rejeté la sécurité à la bassesse dont il promettait de la sauver.
De toutes ces manuvres, on ne voit en vérité qui pourrait se réjouir. La justice déchante déjà, qui doit une fois encore concéder de ses moyens et de ses prérogatives à la police judiciaire. Mais la police ne se réjouira pas non plus. Non seulement elle est appelée à partager une part de sa compétence avec des agents et services de sécurité privée, en partie hors de son contrôle, mais en plus, elle se voit confier non pas le mandat dassurer lordre et la sécurité publiques, mais la mission autrement plus large, dans toute une partie de lespace social, de nêtre que la seule présence possible de lEtat. Le gouvernement croit aujourdhui satisfaire les contradictions structurelles des policiers par des mesures qui, lorsquelles ne se contentent pas de la distribution de lots de gilets pare-balles, ont pour effet de faire des policiers les seuls interlocuteurs de la misère sociale. Ce nest pas une sécurité publique et égale pour tous que la loi veut restaurer. Son effet, si ce nest son intention, est daccroître linégalité devant lEtat de droit et lEtat social, et dabandonner aux policiers la mission de faire, à linsu du juge et du public, avec les moyens du bord.
On comprend mieux les manuvres procédurales du gouvernement et des parlementaires. Soustraire une loi inique au contrôle de constitutionnalité, tant lors de la procédure qui lui a donné naissance que dans le cours de son application à venir. Ôter à la représentation nationale la compétence den débattre, et aux citoyens le privilège den disposer de manière égale et démocratique. Lorsquun ministre que lon disait « sécuritaire », M. Pasqua, sindignait que le Conseil constitutionnel déclarât quelques-uns de ses projets non conformes à la Constitution, en 1993, que fit-il ? Et bien il modifia la Constitution, pour la rendre conforme à ses vux. Au moins rendait-il par-là au Parlement sa prérogative, celle de faire les lois, y compris les lois fondamentales. Au moins ne se soustrayait-il pas au contrôle de constitutionnalité, même sil nen pensait et nen disait pas moins.
Aujourdhui, lors quil sagit, dans les conditions durgence que lon sait et que lon ne saurait dénier, rendre la sécurité au bien public, le gouvernement choisit de remettre des dispositions, selon les propres termes dun sénateur socialiste, en marge de « la légalité républicaine » à des procédures darcane, indignes des nécessités du moment et de ses propres promesses. Ce faisant, il consacre le déséquilibre patent des moyens respectivement accordés au juge et au policier, et se contente pour toute politique de la ville de jeter ce dernier en pâture à la misère sociale. Travestissant ses propres peurs des habits de la loi, le gouvernement vide celle-ci de sa substance, et léloigne un peu plus dun social, auquel il ne réserve que son impuissance.
Repères :
D. Duprez et M. Kokoreff, Les mondes de la drogue, O. Jacob, Paris, 2000.
F. Jobard, Bavures policières ? Donner force à la loi.
La Découverte, Paris, sortie en avril 2002.
L. Mucchielli, et P. Robert (dir.), Etat des savoirs sur
linsécurité et la délinquance, La Découverte, Paris, sortie
en mars 2002.
D. Duprez et M. Kokoreff, Les mondes de la drogue, O. Jacob, Paris, 2000.
F. Jobard, Bavures policières ? Donner force à la loi.
La Découverte, Paris, sortie en avril 2002.
L. Mucchielli, et P. Robert (dir.), Etat des savoirs sur
linsécurité et la délinquance, La Découverte, Paris, sortie
en mars 2002.