Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
Retour
© Passant n°39 [mars 2002 - avril 2002]
© Passant n°39 [mars 2002 - avril 2002]
par La Rédaction
Imprimer l'articleLe Passant a aimé
Lawrence Block : Trompe la mort (trad. de laméricain par Etienne Ménanteau, Seuil, 18 _). Au fond, ce qui caractérise le mieux Matt Scudder, détective privé sans licence et alcoolique repenti, cest le sentiment de culpabilité, certes maintenant très atténué, quil trimballe en permanence avec lui. Après plus dune vingtaine daventures et dêtre vraiment sorti des difficultés qui furent les siennes, il exerce toujours une grande fascination sur le lecteur. Sans doute est-ce sa marginalité à légard du système qui le rend si intéressant. Ici, le voici enquêtant sur un cambriolage banal qui sest terminé en meurtre ; il manque de mettre à jour les agissements dun mystérieux personnage, tueur en série. Et cest cette insatisfaction que ressent le lecteur devant cette enquête criminelle menée de main de maître qui fait en grande partie le prix du roman.
B.D.
Patrick Declerck : Les naufragés Avec les clochards de Paris (Plon, Terre humaine, 2001, 458 p., 23 _). Avec cet ouvrage, le vu de Marc Augé contre lexotisme, faire de lanthropologie dans le métro a été exaucé au-delà de toute attente. Mais létrange étrangeté nest pas là où lon a pu le croire. Elle est à nos pieds, à nos genoux : ces clochards assis ou couchés, aux côtés desquels nous cheminons chaque jour. Premier choc, premier privilège du lecteur : Patrick Declerck a dabord laissé la parole aux clochards quil a côtoyés, écoutés et, selon ses propres termes, soulagés plutôt que soignés. Il entrecroise, selon un tissage subtil et surprenant, récits de garde et transcriptions dentretiens psychiatriques, et laisse transparaître, au gré de dessins et danecdotes, lautre discours, celui dune société qui qualifie de clochards ceux à qui elle peut sidentifier avec compassion, et de monstres les autres. Second choc, plein denseignement : une analyse qui refuse de sen tenir à largument sociologique de la pauvreté et de lexclusion pour rendre compte de la clochardisation, mais tente, en ne cédant jamais à la facilité de privilégier un facteur explicatif, de le combiner à un examen psychiatrique des pathologies caractéristiques des clochards ; une argumentation convaincante en faveur dune pratique asilaire qui rompe avec le pacte tacite déchange entre le soin et la parole du clochard je te soigne si tu me racontes ta vie et avec lobjectif de réinsertion : « le clochard est le ftus de lui-même » ; ne nous escrimons pas vainement à « laccoucher à la vie ».
Marie Gaille-Nikodimov
Aïda Mady Diallo : Kouty, mémoire de sang (Série Noire, 7 _). Cest un polar en forme de conte africain, un conte cruel de la jeunesse. Kouty est une petite malienne de 10 ans dont toute la famille a été massacrée par des pillards touaregs. Elle va passer à Bamako, capitale du pays, les dix années suivantes à préparer et accomplir sa vengeance. « Je tai épousé pour mieux te dévorer, comme le loup du conte » dit-elle à lune de ses victimes. Sur un arrière-plan politique, social et ethnique du Mali, la linéarité de la violence individuelle est comme un champ de force de limpidité au milieu du désordre ambiant.
B.D.
Bret Easton Ellis : Glamorama (trad. de laméricain par Pierre Guglielmina, 10/18, 8,38 _). Qui est vraiment Victor Ward Johnson : mannequin, chanteur et compositeur dun groupe new-yorkais, personnage glamour qui saffiche sur les revues les plus « people » en compagnie de mannequins femmes aussi belles quil est gracieux ? Ou bien un personnage un peu mafieux en cheville avec le milieu pour ouvrir une boîte de nuit branchée à New York ? Ou encore un alcoolique carburant à la coke, aux amphés, au prozac et au xanax, et qui a toujours froid ? Ou finalement le fils du prétendant (plutôt démocrate, mais rien de certain) à lélection présidentielle, perpétuellement sous le feu des caméras, manipulé par des terroristes qui font sauter un peu de Londres et beaucoup de Paris en sa compagnie ? Vous avez un peu plus de 500 pages pour le découvrir, un roman-feuilleton plutôt débridé, où Victor subit un véritable cauchemar ballotté du Nouveau au Vieux continent.
B.D.
Fabien Jobard, Bavures policières, la force publique et ses usages (Ed. La Découverte, 280 p., 19 _, 2002). « Bavures » : le terme semble avoir de place uniquement dans la rubrique des faits divers. Il offre une prise à des dénonciations de la police qui perdent souvent de vue les véritables enjeux de lusage de la force publique. Car ce sont bien les modes contemporains de gouvernement qui sont en jeu lorsquil est question de lemploi de la force par la police : que devient lEtat moderne, lorsque la force physique est employée par ses agents de la force publique?
Dans cet ouvrage passionnant, Fabien Jobard prend la question à bras le corps, et étudie dans le détail les violences policières qualifiées d« illégitimes », survenues dans la France contemporaine. Cette analyse se porte à la racine du phénomène, en interrogeant dabord la fiabilité des récits de ceux qui se disent victimes de violence : lauteur examine la crédibilité de « faits » qui, parfois, deviennent « affaires », mais plus souvent ne laissent pas plus de traces que celles portées par le souvenir individuel, lorsquils ne sont pas, tout simplement, le fruit de limagination.
Examinant les constructions sociales et judiciaires de la preuve de tels évènements, louvrage met en lumière les logiques constitutives des violences policières. Sans les réduire aux responsabilités individuelles de policiers déviants ou, au contraire, à une nature structurellement répressive de lEtat, lauteur contribue ainsi à éclairer les conditions sociales des violences, et des formes de leur déroulement. Ne cédant ni au soupçon ni au déni, il éclaire le rôle social de la force policière et contribue à lélaboration dune théorie de la force publique. Retrouvez Fabien Jobard, politologue, dans ce numéro.
Lucie Peytermann, Anibaara ! (Ed. Atlantica). Ecrit à la première personne, cest le carnet de voyage (de pistes) entre Burkina Faso et Mali de Lucie Peytermann, passante, (PO n°38) et journaliste à LAFP en charge du secteur Afrique. Un récit au plus près des gens, de leurs joies, de leurs souffrances. Des mangeuses dâme chassées de leurs villages et réfugiées dans des foyers à Ouagadougou, aux villages Dogons accrochés à la falaise, un beau reportage (enrichi de nombreuses photos) toujours très respectueux de ces « Afriques » et de ceux qui les peuplent.
J.-F. M.
Rodrigo Rey Rosa : Lange boiteux (trad. de lespagnol Guatemala par André Gabastou, Gallimard, 15_). Comme la plupart des enlèvements contre demande de rançon, celui-là ne tourne pas exactement comme ses investigateurs lavaient prévu. Pourtant, il y a toutes les composantes nécessaires : quelques voyous sans envergure, un riche homme daffaires italo-guatémaltèque et son bon à rien de fils, dont le pied gauche est proprement découpé et expédié au père pour le convaincre de mettre la main à la poche ; et plus tard la vie de lex-otage, écrivain et oisif de luxe à Tanger puis au pays, par la grâce de son père, lequel veut rattraper son faux pas initial, en quelque sorte. Malgré les apparences, ce livre nest pas (seulement) un polar, mais un récit curieux de tout : par sa limpidité, la facilité avec laquelle il livre les ressorts secrets de ses personnages, il dégage une magie romanesque qui tarde à se dissiper dans lesprit du lecteur.
B.D.
B.D.
Patrick Declerck : Les naufragés Avec les clochards de Paris (Plon, Terre humaine, 2001, 458 p., 23 _). Avec cet ouvrage, le vu de Marc Augé contre lexotisme, faire de lanthropologie dans le métro a été exaucé au-delà de toute attente. Mais létrange étrangeté nest pas là où lon a pu le croire. Elle est à nos pieds, à nos genoux : ces clochards assis ou couchés, aux côtés desquels nous cheminons chaque jour. Premier choc, premier privilège du lecteur : Patrick Declerck a dabord laissé la parole aux clochards quil a côtoyés, écoutés et, selon ses propres termes, soulagés plutôt que soignés. Il entrecroise, selon un tissage subtil et surprenant, récits de garde et transcriptions dentretiens psychiatriques, et laisse transparaître, au gré de dessins et danecdotes, lautre discours, celui dune société qui qualifie de clochards ceux à qui elle peut sidentifier avec compassion, et de monstres les autres. Second choc, plein denseignement : une analyse qui refuse de sen tenir à largument sociologique de la pauvreté et de lexclusion pour rendre compte de la clochardisation, mais tente, en ne cédant jamais à la facilité de privilégier un facteur explicatif, de le combiner à un examen psychiatrique des pathologies caractéristiques des clochards ; une argumentation convaincante en faveur dune pratique asilaire qui rompe avec le pacte tacite déchange entre le soin et la parole du clochard je te soigne si tu me racontes ta vie et avec lobjectif de réinsertion : « le clochard est le ftus de lui-même » ; ne nous escrimons pas vainement à « laccoucher à la vie ».
Marie Gaille-Nikodimov
Aïda Mady Diallo : Kouty, mémoire de sang (Série Noire, 7 _). Cest un polar en forme de conte africain, un conte cruel de la jeunesse. Kouty est une petite malienne de 10 ans dont toute la famille a été massacrée par des pillards touaregs. Elle va passer à Bamako, capitale du pays, les dix années suivantes à préparer et accomplir sa vengeance. « Je tai épousé pour mieux te dévorer, comme le loup du conte » dit-elle à lune de ses victimes. Sur un arrière-plan politique, social et ethnique du Mali, la linéarité de la violence individuelle est comme un champ de force de limpidité au milieu du désordre ambiant.
B.D.
Bret Easton Ellis : Glamorama (trad. de laméricain par Pierre Guglielmina, 10/18, 8,38 _). Qui est vraiment Victor Ward Johnson : mannequin, chanteur et compositeur dun groupe new-yorkais, personnage glamour qui saffiche sur les revues les plus « people » en compagnie de mannequins femmes aussi belles quil est gracieux ? Ou bien un personnage un peu mafieux en cheville avec le milieu pour ouvrir une boîte de nuit branchée à New York ? Ou encore un alcoolique carburant à la coke, aux amphés, au prozac et au xanax, et qui a toujours froid ? Ou finalement le fils du prétendant (plutôt démocrate, mais rien de certain) à lélection présidentielle, perpétuellement sous le feu des caméras, manipulé par des terroristes qui font sauter un peu de Londres et beaucoup de Paris en sa compagnie ? Vous avez un peu plus de 500 pages pour le découvrir, un roman-feuilleton plutôt débridé, où Victor subit un véritable cauchemar ballotté du Nouveau au Vieux continent.
B.D.
Fabien Jobard, Bavures policières, la force publique et ses usages (Ed. La Découverte, 280 p., 19 _, 2002). « Bavures » : le terme semble avoir de place uniquement dans la rubrique des faits divers. Il offre une prise à des dénonciations de la police qui perdent souvent de vue les véritables enjeux de lusage de la force publique. Car ce sont bien les modes contemporains de gouvernement qui sont en jeu lorsquil est question de lemploi de la force par la police : que devient lEtat moderne, lorsque la force physique est employée par ses agents de la force publique?
Dans cet ouvrage passionnant, Fabien Jobard prend la question à bras le corps, et étudie dans le détail les violences policières qualifiées d« illégitimes », survenues dans la France contemporaine. Cette analyse se porte à la racine du phénomène, en interrogeant dabord la fiabilité des récits de ceux qui se disent victimes de violence : lauteur examine la crédibilité de « faits » qui, parfois, deviennent « affaires », mais plus souvent ne laissent pas plus de traces que celles portées par le souvenir individuel, lorsquils ne sont pas, tout simplement, le fruit de limagination.
Examinant les constructions sociales et judiciaires de la preuve de tels évènements, louvrage met en lumière les logiques constitutives des violences policières. Sans les réduire aux responsabilités individuelles de policiers déviants ou, au contraire, à une nature structurellement répressive de lEtat, lauteur contribue ainsi à éclairer les conditions sociales des violences, et des formes de leur déroulement. Ne cédant ni au soupçon ni au déni, il éclaire le rôle social de la force policière et contribue à lélaboration dune théorie de la force publique. Retrouvez Fabien Jobard, politologue, dans ce numéro.
Lucie Peytermann, Anibaara ! (Ed. Atlantica). Ecrit à la première personne, cest le carnet de voyage (de pistes) entre Burkina Faso et Mali de Lucie Peytermann, passante, (PO n°38) et journaliste à LAFP en charge du secteur Afrique. Un récit au plus près des gens, de leurs joies, de leurs souffrances. Des mangeuses dâme chassées de leurs villages et réfugiées dans des foyers à Ouagadougou, aux villages Dogons accrochés à la falaise, un beau reportage (enrichi de nombreuses photos) toujours très respectueux de ces « Afriques » et de ceux qui les peuplent.
J.-F. M.
Rodrigo Rey Rosa : Lange boiteux (trad. de lespagnol Guatemala par André Gabastou, Gallimard, 15_). Comme la plupart des enlèvements contre demande de rançon, celui-là ne tourne pas exactement comme ses investigateurs lavaient prévu. Pourtant, il y a toutes les composantes nécessaires : quelques voyous sans envergure, un riche homme daffaires italo-guatémaltèque et son bon à rien de fils, dont le pied gauche est proprement découpé et expédié au père pour le convaincre de mettre la main à la poche ; et plus tard la vie de lex-otage, écrivain et oisif de luxe à Tanger puis au pays, par la grâce de son père, lequel veut rattraper son faux pas initial, en quelque sorte. Malgré les apparences, ce livre nest pas (seulement) un polar, mais un récit curieux de tout : par sa limpidité, la facilité avec laquelle il livre les ressorts secrets de ses personnages, il dégage une magie romanesque qui tarde à se dissiper dans lesprit du lecteur.
B.D.