Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°38 [janvier 2002 - février 2002]
© Passant n°38 [janvier 2002 - février 2002]
par Bernard Traimond
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L'introduction de leuro suscite diverses réactions comme peut-être la brusque augmentation du prix de mon café bordelais passé de 7 à 8 francs en septembre 2001 (+ 14%) mais la plus curieuse me semble-t-il est la façon dont les « autorités » prétendent nous préparer à ce changement. Sous prétexte de nous aider, brochures, prospectus, articles de journaux dans les rubriques pratiques... veulent nous imposer certaines façons de voir la monnaie et de lutiliser. Singulièrement, toutes ces recettes puisque ces documents se présentent ainsi posent le passage dune monnaie à lautre en terme de conversion et supposent quà tout moment nous allons changer les euros en francs et réciproquement. Pour elles, quand nous payons, nous évaluons le prix du produit acheté par rapport à une autre monnaie. Or cette préoccupation ne se rencontre jamais sauf chez les banquiers dont la profession consiste justement à tirer profit des différences de prix entre différentes monnaies, en mesurant le montant dun crédit par rapport à un autre. Jamais le consommateur ne raisonne ainsi. Lart du banquier est celui de la conversion car, outre les services quil se fait rémunérer, il gagne de largent en passant dune monnaie à une autre ou, ce qui revient au même, en jouant sur les taux dintérêt et la durée des crédits. En un mot, il emprunte à court terme et prête à long terme ce qui justifie la différence du prix des différents emprunts et assure son profit. Mais nous ne sommes pas des banquiers, et au mieux, lappréciation du prix que nous payons se fait par rapport au montant antérieur si nous ne lavons pas oublié ou à celui que nous rencontrons ailleurs, si nous daignons aller voir. Notre regard est comparatif car, pour nous, la monnaie nest pas un objet de spéculation. Nous jouons parfois sur les marchandises (et leur prix) mais jamais sur les instruments qui les mesurent, la monnaie.
Déjà en son temps le « nouveau franc » avait multiplié les difficultés. En effet, à la fin des années 50, il avait été imaginé de diviser le montant des prix par 100, système paradoxalement particulièrement complexe. En effet, si les petites sommes (100, 1 000) sont évidemment divisibles, dès que lon passe à dix mille, cela se complique. En effet, cent ne se trouve exprimé ni dans dix, ni dans mille, ni dans million ou milliard. Lutilisateur doit donc se familiariser avec le centième de dix mille, de million et de milliard alors quil sagit de sommes quil ne rencontre jamais. Et cétait pire avant, avant les années 80, quand nos salaires mensuels natteignaient jamais les alentours de dix-mille francs. Depuis peu, nous avons eu loccasion de nous familiariser avec cette somme et à connaître mentalement le résultat de sa multiplication par cent. Mais la malheureuse expérience des nouveaux francs ne signifie pas que le changement de monnaie soit une chose compliquée. Il suffit de passer à peine plus de quarante-huit heures dans un pays étranger quelle que soit la difficulté apparente de son système, comme la Grande-Bretagne avant le système décimal. En effet, nous nachetons quun nombre limité de produits et généralement nous connaissons le prix de chacun deux. Dès que les pièces et les billets sont familiers (sils ne se ressemblent pas trop), payer devient automatique et donc simple, dautant que les sommes rendues sont à peu près les mêmes pour chaque type de transaction (jachète mon journal avec une pièce de 10 francs et on me rend 5,10 francs). Mais en fait, les nouveaux francs nétaient simples que si le paiement se faisait par écrit. Alors, il suffisait simplement de déplacer la virgule. Mais les seuls à effectuer ces opérations étaient les comptables (et les banquiers) ainsi que les utilisateurs de chèques. Nous avons là certainement lexplication tant recherchée de cette singularité qui étonne lunivers : la France est le seul pays au monde à utiliser massivement les chèques y compris pour des sommes relativement faibles (au grand dam des banques car, selon elles, leur traitement serait onéreux). Ailleurs, ils ne servent que pour les grosses transactions et sont réservés aux commerçants. Sur un chèque, avec un crayon, nous divisons ou multiplions par cent sans difficulté aucune, sans risque derreur, ce qui est beaucoup plus difficile mentalement cest-à-dire en monnaie fiduciaire. Arrivés en même temps que la multiplication des comptes-courants imposés aux salariés par les patrons et les banques, les nouveaux francs expliquent le recours massif aux chèques.
En tirant les leçons de cette expérience, on aurait pu imaginer autrement le passage à leuro dautant que le taux de change « compliqué », impossible à faire mentalement, le permettait. Or, cest le contraire que nous constatons. Toutes les réclames sur le sujet ne parlent que de conversion, de machines fabriquées à cet effet, de procédés à utiliser... On dirait quils veulent nous faut apprendre la table de multiplication par 6,55957 ! Ces « conseils » affirment ainsi, non une rupture avec lancienne monnaie, mais le jeu sur les deux, lancienne et la nouvelle. Cette singulière position sexplique évidemment sur la nécessité de ne pas se faire escroquer, de ne pas payer plus cher en euros quon ne le faisait en francs. Cest supposer que les prix ne soient pas modifiés (alors quen effet à cette occasion des prix augmentent comme le billet de train, le tarif de lEDF ou mon café) et que le client ait la possibilité de changer de fournisseur. Si cette possibilité soffre, ce qui est rarement le cas, la conversion devient encore plus ridicule car dans ces circonstances, il suffit daller là où lachat est le plus avantageux. Dans lautre cas, savoir quon se fait escroquer ne sert à rien dans la mesure où le client na généralement pas les moyens de se défendre. On sait depuis longtemps la dépendance de lacheteur vis-à-vis du vendeur que nient les tenants du libéralisme économique et leur habituelle mauvaise foi. En fait, lattitude qui affirme la conversion permanente ne fait que transposer la façon de voir des banquiers chez les particuliers, ce qui peut paraître singulier. Pourquoi les catégories et les préoccupations dune corporation devraient-elles simposer à tous ?
En fait, pour arriver à ce type de préoccupation et cette façon de voir, cette conception fait un détour par une discipline qui utilise les catégories et les raisonnements de la corporation des banquiers et qui sest attribuée le monopole des études sur la monnaie, léconomie politique. Catherine Larrère a montré comment, lors de sa constitution, cette discipline sest fondée sur les catégories de la comptabilité. En outre, son objet se présente toujours comme la réalité fondamentale que ce soit au travers de limage de linfrastructure ou celle du tangible qui sopposerait à limaginaire. La proposition selon laquelle intervenir dans le domaine économique cest agir sur la réalité fait partie de la doxa des classes dirigeantes et de ceux qui les écoutent et les croient. Dès lors une action sur la monnaie ne peut se penser que dans les termes fournis par léconomie politique, cest à dire selon les catégories des banquiers, celles de la conversion et du change.
Le passage à leuro illustre également une autre singularité française, la pédagogie de la progression fondée sur lidée que pour arriver à une connaissance (complexe) tous les individus doivent suivre un chemin unique constitué par des savoirs intermédiaires plus simples et surtout ordonnés selon les difficultés croissantes. Cette fiction donne à lenseignant et à ses chefs la mainmise sur lapprentissage, ses rythmes et ses modalités. Cependant, cette façon de voir nest pas universelle (dans les universités américaines le professeur trouve dans un cours des étudiants de tous niveaux de la première année à la thèse) et surtout, il suffit dobserver un minimum les élèves (sauf peut être les plus dociles) pour sapercevoir que leur apprentissage seffectue par sauts, arrêts, accélérations, retours en arrière, oublis ... En un mot, alors que jamais le processus nest linéaire, les pédagogues français imposent une progression unique, normée et obligatoire. Cest la même chose avec leuro lorsquon prétend nous familiariser avec lui alors quon ne le voit nulle part et quil sera si facile de ladopter brusquement. Mais cette rupture utilisée comme instrument cognitif soppose au dogme pédagogique de la progression.
Enfin, ce nest pas un hasard si nous voyons fleurir dans la presse féminine des conseils adressées directement aux consommatrices1. Cela suppose que les dépenses sont effectuées par les femmes mais en outre, ce type de propos sinscrit dans un type de littérature celui des conseils aux Dames qui leur propose des thèmes particuliers et surtout, une présentation spécifique, la réalisation pratique. Il ne sagit pas de leur présenter un examen de lobjet dans toute son ampleur, ses fondements et son histoire mais seulement les conséquences concrètes afin de donner des recettes empiriques pour lutiliser, des modes demploi. Leuro nous montre que ces conceptions nées selon Deborah Cameron au Moyen-Age et qui sappliquent aujourdhui encore aux sujets les plus divers de lorthographe à la sexualité, se perpétuent aussi chez ceux qui nous dirigent.
Pour montrer linadaptation des diverses procédures imaginées par ces « autorités », il suffit dexaminer la façon dont les individus utilisent les monnaies et ce quils en disent (et non ce quelles disent de ce que nous faisons). Ce type denquête auxquels peu de chercheurs cités en biographie ont procédé demande simplement de changer déchelle (abandonner le cadre national), de regarder ce qui se fait et se dit, interrogations qui apparaissent insolites. On saperçoit alors facilement que les pratiques monétaires suivent des configurations singulières. Quelques exemples : dans les années 95, des rumeurs se sont répandues affirmant que des pièces de 10 francs étaient fausses et des commerçants refusaient certaines dentre elles. Or, cétait le cas de 20% des exemplaires de la forme antérieure dessinée par Mathieu selon la presse utilisant des sources policières. Mais aucun refus ne sest jamais manifesté à leur encontre. En effet, pour une monnaie, ce qui importe cest lacceptation de celui qui la reçoit, pas ses qualités intrinsèques ou une authenticité réelle ou imaginaire. En revanche, quand en certaines circonstances apparaissent des pénuries, généralement lors des guerres, aussitôt surgissent des monnaies de substitution souvent sous forme de bons comme dans quelques régions françaises en 1968 mais aussi de caramels ou de nimporte quel objet comme dans lItalie des années 70.
Comprendre la monnaie implique adopter donc le point de vue des utilisateurs et non celui des dirigeants, refuser les catégories pré-construites que nous fournit léconomie politique, constater les comportements réels et non ceux imaginés selon les préjugés des princes qui nous gouvernent, des politiques aux « experts ». Les « savoir assujettis » des utilisateurs de la monnaie constituent lobjet des enquêtes et la matière première de tout travail sérieux sur la question qui seul peut nous proposer une procédure permettant de faciliter le changement de monnaie. Pour ces raisons et dautres, je crois aux vertus de la rupture. Ainsi examiné, le passage à leuro ne pose aucun problème majeur. En quelques jours, les nouveaux prix seront assimilés et le franc oublié. A moins que les nouvelles monnaies manquent, que des rumeurs sur leur authenticité ne circulent, que les commerçant nen profitent pour augmenter les prix ou que quelques consommateurs trop bons élèves narrivent pas à oublier les premières leçons de leur progression et continuent inutilement à transformer les euros en francs. Mais il sagit alors dune question de bonne gestion gouvernementale et non de ces ridicules conversions auxquelles on veut nous obliger ou de ces ridicules progressions que lon prétend en vain nous faire suivre.
Bernard Traimond*
Déjà en son temps le « nouveau franc » avait multiplié les difficultés. En effet, à la fin des années 50, il avait été imaginé de diviser le montant des prix par 100, système paradoxalement particulièrement complexe. En effet, si les petites sommes (100, 1 000) sont évidemment divisibles, dès que lon passe à dix mille, cela se complique. En effet, cent ne se trouve exprimé ni dans dix, ni dans mille, ni dans million ou milliard. Lutilisateur doit donc se familiariser avec le centième de dix mille, de million et de milliard alors quil sagit de sommes quil ne rencontre jamais. Et cétait pire avant, avant les années 80, quand nos salaires mensuels natteignaient jamais les alentours de dix-mille francs. Depuis peu, nous avons eu loccasion de nous familiariser avec cette somme et à connaître mentalement le résultat de sa multiplication par cent. Mais la malheureuse expérience des nouveaux francs ne signifie pas que le changement de monnaie soit une chose compliquée. Il suffit de passer à peine plus de quarante-huit heures dans un pays étranger quelle que soit la difficulté apparente de son système, comme la Grande-Bretagne avant le système décimal. En effet, nous nachetons quun nombre limité de produits et généralement nous connaissons le prix de chacun deux. Dès que les pièces et les billets sont familiers (sils ne se ressemblent pas trop), payer devient automatique et donc simple, dautant que les sommes rendues sont à peu près les mêmes pour chaque type de transaction (jachète mon journal avec une pièce de 10 francs et on me rend 5,10 francs). Mais en fait, les nouveaux francs nétaient simples que si le paiement se faisait par écrit. Alors, il suffisait simplement de déplacer la virgule. Mais les seuls à effectuer ces opérations étaient les comptables (et les banquiers) ainsi que les utilisateurs de chèques. Nous avons là certainement lexplication tant recherchée de cette singularité qui étonne lunivers : la France est le seul pays au monde à utiliser massivement les chèques y compris pour des sommes relativement faibles (au grand dam des banques car, selon elles, leur traitement serait onéreux). Ailleurs, ils ne servent que pour les grosses transactions et sont réservés aux commerçants. Sur un chèque, avec un crayon, nous divisons ou multiplions par cent sans difficulté aucune, sans risque derreur, ce qui est beaucoup plus difficile mentalement cest-à-dire en monnaie fiduciaire. Arrivés en même temps que la multiplication des comptes-courants imposés aux salariés par les patrons et les banques, les nouveaux francs expliquent le recours massif aux chèques.
En tirant les leçons de cette expérience, on aurait pu imaginer autrement le passage à leuro dautant que le taux de change « compliqué », impossible à faire mentalement, le permettait. Or, cest le contraire que nous constatons. Toutes les réclames sur le sujet ne parlent que de conversion, de machines fabriquées à cet effet, de procédés à utiliser... On dirait quils veulent nous faut apprendre la table de multiplication par 6,55957 ! Ces « conseils » affirment ainsi, non une rupture avec lancienne monnaie, mais le jeu sur les deux, lancienne et la nouvelle. Cette singulière position sexplique évidemment sur la nécessité de ne pas se faire escroquer, de ne pas payer plus cher en euros quon ne le faisait en francs. Cest supposer que les prix ne soient pas modifiés (alors quen effet à cette occasion des prix augmentent comme le billet de train, le tarif de lEDF ou mon café) et que le client ait la possibilité de changer de fournisseur. Si cette possibilité soffre, ce qui est rarement le cas, la conversion devient encore plus ridicule car dans ces circonstances, il suffit daller là où lachat est le plus avantageux. Dans lautre cas, savoir quon se fait escroquer ne sert à rien dans la mesure où le client na généralement pas les moyens de se défendre. On sait depuis longtemps la dépendance de lacheteur vis-à-vis du vendeur que nient les tenants du libéralisme économique et leur habituelle mauvaise foi. En fait, lattitude qui affirme la conversion permanente ne fait que transposer la façon de voir des banquiers chez les particuliers, ce qui peut paraître singulier. Pourquoi les catégories et les préoccupations dune corporation devraient-elles simposer à tous ?
En fait, pour arriver à ce type de préoccupation et cette façon de voir, cette conception fait un détour par une discipline qui utilise les catégories et les raisonnements de la corporation des banquiers et qui sest attribuée le monopole des études sur la monnaie, léconomie politique. Catherine Larrère a montré comment, lors de sa constitution, cette discipline sest fondée sur les catégories de la comptabilité. En outre, son objet se présente toujours comme la réalité fondamentale que ce soit au travers de limage de linfrastructure ou celle du tangible qui sopposerait à limaginaire. La proposition selon laquelle intervenir dans le domaine économique cest agir sur la réalité fait partie de la doxa des classes dirigeantes et de ceux qui les écoutent et les croient. Dès lors une action sur la monnaie ne peut se penser que dans les termes fournis par léconomie politique, cest à dire selon les catégories des banquiers, celles de la conversion et du change.
Le passage à leuro illustre également une autre singularité française, la pédagogie de la progression fondée sur lidée que pour arriver à une connaissance (complexe) tous les individus doivent suivre un chemin unique constitué par des savoirs intermédiaires plus simples et surtout ordonnés selon les difficultés croissantes. Cette fiction donne à lenseignant et à ses chefs la mainmise sur lapprentissage, ses rythmes et ses modalités. Cependant, cette façon de voir nest pas universelle (dans les universités américaines le professeur trouve dans un cours des étudiants de tous niveaux de la première année à la thèse) et surtout, il suffit dobserver un minimum les élèves (sauf peut être les plus dociles) pour sapercevoir que leur apprentissage seffectue par sauts, arrêts, accélérations, retours en arrière, oublis ... En un mot, alors que jamais le processus nest linéaire, les pédagogues français imposent une progression unique, normée et obligatoire. Cest la même chose avec leuro lorsquon prétend nous familiariser avec lui alors quon ne le voit nulle part et quil sera si facile de ladopter brusquement. Mais cette rupture utilisée comme instrument cognitif soppose au dogme pédagogique de la progression.
Enfin, ce nest pas un hasard si nous voyons fleurir dans la presse féminine des conseils adressées directement aux consommatrices1. Cela suppose que les dépenses sont effectuées par les femmes mais en outre, ce type de propos sinscrit dans un type de littérature celui des conseils aux Dames qui leur propose des thèmes particuliers et surtout, une présentation spécifique, la réalisation pratique. Il ne sagit pas de leur présenter un examen de lobjet dans toute son ampleur, ses fondements et son histoire mais seulement les conséquences concrètes afin de donner des recettes empiriques pour lutiliser, des modes demploi. Leuro nous montre que ces conceptions nées selon Deborah Cameron au Moyen-Age et qui sappliquent aujourdhui encore aux sujets les plus divers de lorthographe à la sexualité, se perpétuent aussi chez ceux qui nous dirigent.
Pour montrer linadaptation des diverses procédures imaginées par ces « autorités », il suffit dexaminer la façon dont les individus utilisent les monnaies et ce quils en disent (et non ce quelles disent de ce que nous faisons). Ce type denquête auxquels peu de chercheurs cités en biographie ont procédé demande simplement de changer déchelle (abandonner le cadre national), de regarder ce qui se fait et se dit, interrogations qui apparaissent insolites. On saperçoit alors facilement que les pratiques monétaires suivent des configurations singulières. Quelques exemples : dans les années 95, des rumeurs se sont répandues affirmant que des pièces de 10 francs étaient fausses et des commerçants refusaient certaines dentre elles. Or, cétait le cas de 20% des exemplaires de la forme antérieure dessinée par Mathieu selon la presse utilisant des sources policières. Mais aucun refus ne sest jamais manifesté à leur encontre. En effet, pour une monnaie, ce qui importe cest lacceptation de celui qui la reçoit, pas ses qualités intrinsèques ou une authenticité réelle ou imaginaire. En revanche, quand en certaines circonstances apparaissent des pénuries, généralement lors des guerres, aussitôt surgissent des monnaies de substitution souvent sous forme de bons comme dans quelques régions françaises en 1968 mais aussi de caramels ou de nimporte quel objet comme dans lItalie des années 70.
Comprendre la monnaie implique adopter donc le point de vue des utilisateurs et non celui des dirigeants, refuser les catégories pré-construites que nous fournit léconomie politique, constater les comportements réels et non ceux imaginés selon les préjugés des princes qui nous gouvernent, des politiques aux « experts ». Les « savoir assujettis » des utilisateurs de la monnaie constituent lobjet des enquêtes et la matière première de tout travail sérieux sur la question qui seul peut nous proposer une procédure permettant de faciliter le changement de monnaie. Pour ces raisons et dautres, je crois aux vertus de la rupture. Ainsi examiné, le passage à leuro ne pose aucun problème majeur. En quelques jours, les nouveaux prix seront assimilés et le franc oublié. A moins que les nouvelles monnaies manquent, que des rumeurs sur leur authenticité ne circulent, que les commerçant nen profitent pour augmenter les prix ou que quelques consommateurs trop bons élèves narrivent pas à oublier les premières leçons de leur progression et continuent inutilement à transformer les euros en francs. Mais il sagit alors dune question de bonne gestion gouvernementale et non de ces ridicules conversions auxquelles on veut nous obliger ou de ces ridicules progressions que lon prétend en vain nous faire suivre.
Bernard Traimond*
* Ethnologue.
** Tendance Floue. Voir note de lecture p. 67.
(1) Voir le supplément Fémina de Sud Ouest Dimanche du 4 novembre 2001.
Deborah Cameron, Verbal Hygiene, London, New York, Routledge, 1995.
Catherine Larrère, Linvention de léconomie au XVIIIe siècle, Paris, PUF, Léviathan, 1992.
« Les usages de largent », Terrain, n°23, octobre 1994.
Jean-Michel Servet, Nomismata. État et origines de la monnaie, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1984.
Guy Thillier, La monnaie en France au début du XIXe siècle, Genève, Droz, 1983.
** Tendance Floue. Voir note de lecture p. 67.
(1) Voir le supplément Fémina de Sud Ouest Dimanche du 4 novembre 2001.
Deborah Cameron, Verbal Hygiene, London, New York, Routledge, 1995.
Catherine Larrère, Linvention de léconomie au XVIIIe siècle, Paris, PUF, Léviathan, 1992.
« Les usages de largent », Terrain, n°23, octobre 1994.
Jean-Michel Servet, Nomismata. État et origines de la monnaie, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1984.
Guy Thillier, La monnaie en France au début du XIXe siècle, Genève, Droz, 1983.