Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°37 [novembre 2001 - décembre 2001]
© Passant n°37 [novembre 2001 - décembre 2001]
par Mark Etc
Imprimer l'articleDu tiers état au tiers secteur
Message de lEtat tout puissant
Bonjour,
Je suis sans corps, sans sexe, mais omnipotent et indivisible, vous avez souvent entendu parler de moi : les universités, les autoroutes cest moi, la santé, la coopération et la paix cest encore moi, la sécurité sociale, votre temps de travail cest aussi un peu moi, vous êtes moi je suis à vous, on mappelle lEtat ; mais appelez-moi aussi « puissance publique », « Etat-nation », « ordonnateur-des-moyens-dont-se-dotent-les-citoyens-pour-satisfaire lintérêt général », enfin bref, appelez-moi comme vous voulez puisque vous savez tout ça, on est entre gens de culture et la culture ça me connaît vous le savez : que le vent vienne de gauche ou de droite, la culture est la base de tout, surtout de la cohésion sociale, la culture a toujours soufflé dans mes bronches, elle inspire tout le territoire et se jette bleue comme une orange dans toutes nos campagnes gonflées de reconnaissance tel le fleuve dans locéan ; je sais que vous, gens de culture, avez célébré autant que conspué le monde, jaime beaucoup ce que vous faites, mais ne parlons pas de cela, plus jamais, je suis sans corps, sans sexe, même si des femmes et des hommes se battent en mon sein et lient un temps leur nom au mien.
Donc je suis lEtat, vous nignorez pas que jai beaucoup travaillé à vos côtés, ensemble nous avons distribué vos uvres comme on distribue leau, lélectricité, le lait et le pain dépice à quatre heures ; ensemble nous avons créé les maisons de la culture, puis le ministère de la Culture, ensemble nous avons préservé le patrimoine de lhumanité en vitrifiant les villages dans des écomusées, ensemble nous avons démocratisé laccès à loffre culturelle, même si personne ne nous avait rien demandé. Mais à ce point, je veux vous dire que personne ne demande jamais rien, personne na jamais demandé que nous jetions le RER de Marne la Vallée dans la gueule dEurodisney, que nous privatisions les chaînes TV publiques, pas plus que nous laissions saucissonner vos films préférés par Justin Bridou Personne ne demande jamais rien, on créé le besoin. Chez nous lEtat, nous savons bien que pour ne pas déprimer les forces vives de la nation, nous ne devons plus nous mêler de réguler loffre et de la demande. Quand il ny a pas de demande, le marché créé le besoin, cela sappelle léconomie de marché, vous le savez bien, vous artistes de rue qui êtes au chiffre daffaire estival des petits commerçants ce que le cinéma est à la publicité : du pain béni.
Alors, jai su que vous vouliez me voir. Vous avez raison, jai beaucoup à apprendre de vous. Jai bien compris que vous considériez que nous ne consacrions pas assez de moyens au spectacle vivant et plus particulièrement aux formes émergentes. Là-dessus daccord, excusez-nous, cest un vieux réflexe bien français, notre amour des vieilles pierres et des incunables a toujours eu tendance à retarder la béatification du vivant, mais vous ne perdez rien pour attendre : le cinéma a son Festival de Cannes et ses multiplexes, la peinture ses rétrospectives et ses musées, le spectacle de scène ses services de recherche du public Soyez-en sûrs, nous sommes bien partis pour que les arts de la rue aient à leur tour leur scène urbaine à 360°, jadore les villes parcs de loisir : déjà, vos uvres ont su enseigner aux élus de lhexagone les vertus sociologiques de la fête, vous avez réussi à impliquer les élus bien au-delà de nos espérances, ça nous a conforté dans notre idée de subsidiarité au local. En gros, je vous souhaite plein succès avec les Maires qui sont des gens très bien.
De toute façon, à Paris, on sest fait dépouiller par la décentralisation, maintenant on na plus un rond. Mais cest avec les élus, vos élus que nous travaillons à dessiner un paysage culturel plus proche des réalités du territoire. Aussi, je serais très peiné que vous continuiez de penser que ma perte de centralité moi votre Etat un et indivisible brouille les responsabilités, dilue vos interlocuteurs, vous place dans linégalité de traitement et fasse le jeu dune politique culturelle made in « M. le Maire ». Mais, rassurez-vous, si les collectivités territoriales snobent votre désir transi daction dans nos magnifiques banlieues, ne craignez rien : nous, lEtat votre serviteur, nous interviendrons.
Dabord, dès 2002, cette fois cest promis juré, nous franchirons la barre fatidique des 1% du budget consacré à la culture ! Et ce nouvel essor, que dis-je, ce « new deal » de la culture, bénéficiera directement au fameux titre IV, cest-à-dire, petits veinards, à la bande dindépendants que vous êtes, vous, compagnies, artistes, organisateurs !
Encore ceci : votre dépendance chronique de mes largesses financières, votre précarité structurelle, vos petits soucis dintermittents du cénacle et tout ça, bref, votre histoire, me rappelle celle des doux dingues de léconomie sociale et solidaire, vous savez ceux qui proposent des services dintérêts généraux non satisfaits par le marché : assistance à personnes à mobilité réduite ils ont tellement pleurniché sur labsence despace économique clair que pour les calmer, jai fini par commander un rapport sur lutilité sociale de leurs activités à Alain Lipietz. Il est bien ce moustachu. Son rapport, bien rangé dans mes tiroirs entre le portefeuille du sous-secrétariat détat à léconomie sociale et mes notes de restaurant avec le MEDEF, préconise dengager une bonne fois lEtat et les collectivités territoriales aux côtés des entreprises dutilité sociale. Il y a même écrit, que la culture cest quand même dintérêt social et que par conséquent, ce serait assez cohérent de bien identifier les entreprises qui ne font pas tout à fait la même chose que lindustrie de façon à leur reconnaître des droits et des obligations différenciés et un espace économique décent.
Je serais vous (mais vous savez que vous êtes moi, Etat unique et indivisible), je rappellerais à mon prochain locataire présidentiel quune politique ambitieuse pourrait opportunément sinspirer de ce rapport pour dessiner un espace économique culturel clair. Cest quand même pas si compliqué de vous reconnaître le droit de disposer dune entité juridique nouvelle, éventuellement spécifique, pour vous flécher nos moyens, nos meilleurs professionnels, et nos meilleurs vux !
Non à la vérité, même si vous nêtes rien dautre que des chômeurs au verbe haut, je dois dire que je suis enchanté de vous avoir rencontrés vos mains dans les miennes, indivisibles.
Je suis sans corps, sans sexe, mais omnipotent et indivisible, vous avez souvent entendu parler de moi : les universités, les autoroutes cest moi, la santé, la coopération et la paix cest encore moi, la sécurité sociale, votre temps de travail cest aussi un peu moi, vous êtes moi je suis à vous, on mappelle lEtat ; mais appelez-moi aussi « puissance publique », « Etat-nation », « ordonnateur-des-moyens-dont-se-dotent-les-citoyens-pour-satisfaire lintérêt général », enfin bref, appelez-moi comme vous voulez puisque vous savez tout ça, on est entre gens de culture et la culture ça me connaît vous le savez : que le vent vienne de gauche ou de droite, la culture est la base de tout, surtout de la cohésion sociale, la culture a toujours soufflé dans mes bronches, elle inspire tout le territoire et se jette bleue comme une orange dans toutes nos campagnes gonflées de reconnaissance tel le fleuve dans locéan ; je sais que vous, gens de culture, avez célébré autant que conspué le monde, jaime beaucoup ce que vous faites, mais ne parlons pas de cela, plus jamais, je suis sans corps, sans sexe, même si des femmes et des hommes se battent en mon sein et lient un temps leur nom au mien.
Donc je suis lEtat, vous nignorez pas que jai beaucoup travaillé à vos côtés, ensemble nous avons distribué vos uvres comme on distribue leau, lélectricité, le lait et le pain dépice à quatre heures ; ensemble nous avons créé les maisons de la culture, puis le ministère de la Culture, ensemble nous avons préservé le patrimoine de lhumanité en vitrifiant les villages dans des écomusées, ensemble nous avons démocratisé laccès à loffre culturelle, même si personne ne nous avait rien demandé. Mais à ce point, je veux vous dire que personne ne demande jamais rien, personne na jamais demandé que nous jetions le RER de Marne la Vallée dans la gueule dEurodisney, que nous privatisions les chaînes TV publiques, pas plus que nous laissions saucissonner vos films préférés par Justin Bridou Personne ne demande jamais rien, on créé le besoin. Chez nous lEtat, nous savons bien que pour ne pas déprimer les forces vives de la nation, nous ne devons plus nous mêler de réguler loffre et de la demande. Quand il ny a pas de demande, le marché créé le besoin, cela sappelle léconomie de marché, vous le savez bien, vous artistes de rue qui êtes au chiffre daffaire estival des petits commerçants ce que le cinéma est à la publicité : du pain béni.
Alors, jai su que vous vouliez me voir. Vous avez raison, jai beaucoup à apprendre de vous. Jai bien compris que vous considériez que nous ne consacrions pas assez de moyens au spectacle vivant et plus particulièrement aux formes émergentes. Là-dessus daccord, excusez-nous, cest un vieux réflexe bien français, notre amour des vieilles pierres et des incunables a toujours eu tendance à retarder la béatification du vivant, mais vous ne perdez rien pour attendre : le cinéma a son Festival de Cannes et ses multiplexes, la peinture ses rétrospectives et ses musées, le spectacle de scène ses services de recherche du public Soyez-en sûrs, nous sommes bien partis pour que les arts de la rue aient à leur tour leur scène urbaine à 360°, jadore les villes parcs de loisir : déjà, vos uvres ont su enseigner aux élus de lhexagone les vertus sociologiques de la fête, vous avez réussi à impliquer les élus bien au-delà de nos espérances, ça nous a conforté dans notre idée de subsidiarité au local. En gros, je vous souhaite plein succès avec les Maires qui sont des gens très bien.
De toute façon, à Paris, on sest fait dépouiller par la décentralisation, maintenant on na plus un rond. Mais cest avec les élus, vos élus que nous travaillons à dessiner un paysage culturel plus proche des réalités du territoire. Aussi, je serais très peiné que vous continuiez de penser que ma perte de centralité moi votre Etat un et indivisible brouille les responsabilités, dilue vos interlocuteurs, vous place dans linégalité de traitement et fasse le jeu dune politique culturelle made in « M. le Maire ». Mais, rassurez-vous, si les collectivités territoriales snobent votre désir transi daction dans nos magnifiques banlieues, ne craignez rien : nous, lEtat votre serviteur, nous interviendrons.
Dabord, dès 2002, cette fois cest promis juré, nous franchirons la barre fatidique des 1% du budget consacré à la culture ! Et ce nouvel essor, que dis-je, ce « new deal » de la culture, bénéficiera directement au fameux titre IV, cest-à-dire, petits veinards, à la bande dindépendants que vous êtes, vous, compagnies, artistes, organisateurs !
Encore ceci : votre dépendance chronique de mes largesses financières, votre précarité structurelle, vos petits soucis dintermittents du cénacle et tout ça, bref, votre histoire, me rappelle celle des doux dingues de léconomie sociale et solidaire, vous savez ceux qui proposent des services dintérêts généraux non satisfaits par le marché : assistance à personnes à mobilité réduite ils ont tellement pleurniché sur labsence despace économique clair que pour les calmer, jai fini par commander un rapport sur lutilité sociale de leurs activités à Alain Lipietz. Il est bien ce moustachu. Son rapport, bien rangé dans mes tiroirs entre le portefeuille du sous-secrétariat détat à léconomie sociale et mes notes de restaurant avec le MEDEF, préconise dengager une bonne fois lEtat et les collectivités territoriales aux côtés des entreprises dutilité sociale. Il y a même écrit, que la culture cest quand même dintérêt social et que par conséquent, ce serait assez cohérent de bien identifier les entreprises qui ne font pas tout à fait la même chose que lindustrie de façon à leur reconnaître des droits et des obligations différenciés et un espace économique décent.
Je serais vous (mais vous savez que vous êtes moi, Etat unique et indivisible), je rappellerais à mon prochain locataire présidentiel quune politique ambitieuse pourrait opportunément sinspirer de ce rapport pour dessiner un espace économique culturel clair. Cest quand même pas si compliqué de vous reconnaître le droit de disposer dune entité juridique nouvelle, éventuellement spécifique, pour vous flécher nos moyens, nos meilleurs professionnels, et nos meilleurs vux !
Non à la vérité, même si vous nêtes rien dautre que des chômeurs au verbe haut, je dois dire que je suis enchanté de vous avoir rencontrés vos mains dans les miennes, indivisibles.