Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°37 [novembre 2001 - décembre 2001]
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La grande mascarade
Mêmes devoirs, mêmes droits : lidéal républicain prône légalité pour tous les citoyens
résidant sur le sol français, dans un but dintégration et de paix sociale. Malheureusement, les pratiques des tenants de lordre public tranchent avec limage véhiculée par la France.
Samedi 30 juin 2001, jour de la Saint Martial à laéroport Roissy-Charles de Gaulle : baillonné et ligoté, Benyounes Elagba est emmené dans des conditions particulièrement troubles et humiliantes à bord dun avion dAir France à destination de Casablanca. La P.A.F. (police de lair et des frontières) lexpulse vers son pays dorigine. Pourtant, Benyounes habite en France depuis plus de 30 ans. Pour lui aussi, le Maroc, cest létranger. Sa femme, son fils et toute sa fratrie sont français. Son avenir est-il à Oujda ou bien à Bègles ?
Jeudi 5 avril 2001, une belle journée de printemps sur le port de Sète. Un ferry baptisé « Marrakech » de la Compagnie marocaine de navigation est amarré quai du Maroc. Tout est calme. Le gros bateau blanc doit partir dans laprès-midi pour Tanger. Lun des passagers sappelle Mustapha El Amraoui. Il na pas eu besoin de prendre un billet, on lui offre un aller simple dans une cabine bien gardée par des policiers français. Mustapha retourne dans un pays quil ne connaît plus. Agrippés à la passerelle du ferry, les membres de son comité de soutien ne peuvent que retarder son départ de quelques heures. Indifférents, incrédules, gênés ou décidément agacés par le temps perdu, les autres passagers sinstallent à bord.
Pendant que le bateau séloigne dans la nuit méditerranéenne, le commissaire de police serre les mains comme après un match viril mais loyal et dit : « Ne vous inquiétez pas ! Dans deux semaines, il est de retour. Ils reviennent tous, par un moyen ou un autre ». Il sait bien que tôt ou tard, nombre dexpulsés traversent à nouveau le détroit de Gibraltar. Cependant, le périlleux voyage se fait souvent à bord dune coquille de noix. De retour en Europe, ces nouveaux « sans papiers » ne peuvent que survivre dans la marge, risquant ainsi de donner une réalité au mythe de Sisyphe.
Peu importe, la France a trouvé voici plusieurs décennies sa solution pour délivrer un signal fort et dissuasif aux apprentis délinquants : cest la double peine. Elle savère une des casseroles que traîne la République. Généralement motivée par le danger de trouble à lordre public, cette mesure est hypocrite, injuste et inhumaine. Chaque année, elle sépare environ 3 000 anciens condamnés de leurs familles. Quelle que soit la gravité de la faute commise, le principe de la double peine, méconnu de la population, a de quoi étonner. Dans tous les cas, on associe une peine de prison et une mesure complémentaire déloignement. En clair, après avoir payé sa dette à la société, le fautif est banni : interdiction de territoire français, arrêté de reconduite à la frontière, confiscation de ce quil lui reste de papiers, déni de toute appartenance sociale, et cela même sil a grandi en France.
Entre leurre et mensonge
Pour préserver la paix civile, il ny aurait pas dalternative à cette forme délimination physique et à la rupture de tout lien antérieur. Cette grave décision appartient tantôt à la justice des hommes, par lintermédiaire dun juge, tantôt au ministre de lIntérieur ou à son digne représentant, le préfet. En loccurrence, cest une décision administrative, autrement dit une porte ouverte à larbitraire. Les hauts-fonctionnaires se soucient peu de la Convention Européenne des Droits de lHomme dont la France est signataire et qui institue le respect de la vie privée familiale de tout un chacun. Dautre part, la double peine est contraire au principe républicain selon lequel nul ne peut être puni deux fois pour le même délit.
Oui, mais il en irait de la survie de notre démocratie, qui par ailleurs est ostensiblement inéquitable au vu de limpunité de certains de ses dirigeants impliqués dans des « affaires ». Y aurait-il en France une justice à géométrie variable ? Pour retrouver sa famille et samender, faudrait-il être « national », mais pas « ressortissant » étranger ? Éluder demblée le rôle rédempteur de lemprisonnement est un aveu déchec du système répressif. Refuser léventualité dune réinsertion de létranger au terme de son incarcération est un choix politique lourd de sens. De fait, le Droit ne serait pas le même pour tous en France, comme on voudrait nous le faire croire. Il y a celui du peuple français et le « droit des étrangers », citoyens au rabais. Les dérives xénophobes trouvent donc une justification dans notre arsenal juridique.
François Mitterrand avait promis dabolir « ces pratiques inacceptables », un engagement pris en 1981 dans une lettre adressée au président de la Cimade. Cest la seule association dentraide habilitée à rendre visite aux futurs expulsés dans les centres de rétention, ces antichambres de lexil réparties sur le territoire national (rue Castéja en plein cur de Bordeaux, hangar du port de Marseille, etc.). Ancien homme de loi, le président socialiste avait réitéré son opposition à la double peine en 1989 : « Ceux qui commettraient la faute par voie de délinquance de sécarter des intérêts de notre pays doivent subir la loi que subirait tout Français dans la même situation, mais non point avec une exclusion supplémentaire. » Ces déclarations dintention nont jamais été suivies deffets.
Peu de temps avant dêtre nommé premier ministre, Lionel Jospin sétait également prononcé pour labrogation des lois Pasqua-Debré qui ont renforcé lapplication de la double peine. Résultat : la circulaire Chevènement du 11 octobre 1999 est venue en appui de ces lois iniques et selon les associations de défense des libertés, la législature en cours na rien à envier aux précédentes en matière dexpulsions des « double peine ». Un manque de courage que lon retrouve dans labsence de règlement du sort des sans-papiers. Et puis la tendance du moment nest vraiment pas de se soucier du sort des repris de justice nés en dehors de nos frontières. Doù un statu quo bien singulier dans un pays qui un jour aurait inventé les Droits de lHomme.
résidant sur le sol français, dans un but dintégration et de paix sociale. Malheureusement, les pratiques des tenants de lordre public tranchent avec limage véhiculée par la France.
Samedi 30 juin 2001, jour de la Saint Martial à laéroport Roissy-Charles de Gaulle : baillonné et ligoté, Benyounes Elagba est emmené dans des conditions particulièrement troubles et humiliantes à bord dun avion dAir France à destination de Casablanca. La P.A.F. (police de lair et des frontières) lexpulse vers son pays dorigine. Pourtant, Benyounes habite en France depuis plus de 30 ans. Pour lui aussi, le Maroc, cest létranger. Sa femme, son fils et toute sa fratrie sont français. Son avenir est-il à Oujda ou bien à Bègles ?
Jeudi 5 avril 2001, une belle journée de printemps sur le port de Sète. Un ferry baptisé « Marrakech » de la Compagnie marocaine de navigation est amarré quai du Maroc. Tout est calme. Le gros bateau blanc doit partir dans laprès-midi pour Tanger. Lun des passagers sappelle Mustapha El Amraoui. Il na pas eu besoin de prendre un billet, on lui offre un aller simple dans une cabine bien gardée par des policiers français. Mustapha retourne dans un pays quil ne connaît plus. Agrippés à la passerelle du ferry, les membres de son comité de soutien ne peuvent que retarder son départ de quelques heures. Indifférents, incrédules, gênés ou décidément agacés par le temps perdu, les autres passagers sinstallent à bord.
Pendant que le bateau séloigne dans la nuit méditerranéenne, le commissaire de police serre les mains comme après un match viril mais loyal et dit : « Ne vous inquiétez pas ! Dans deux semaines, il est de retour. Ils reviennent tous, par un moyen ou un autre ». Il sait bien que tôt ou tard, nombre dexpulsés traversent à nouveau le détroit de Gibraltar. Cependant, le périlleux voyage se fait souvent à bord dune coquille de noix. De retour en Europe, ces nouveaux « sans papiers » ne peuvent que survivre dans la marge, risquant ainsi de donner une réalité au mythe de Sisyphe.
Peu importe, la France a trouvé voici plusieurs décennies sa solution pour délivrer un signal fort et dissuasif aux apprentis délinquants : cest la double peine. Elle savère une des casseroles que traîne la République. Généralement motivée par le danger de trouble à lordre public, cette mesure est hypocrite, injuste et inhumaine. Chaque année, elle sépare environ 3 000 anciens condamnés de leurs familles. Quelle que soit la gravité de la faute commise, le principe de la double peine, méconnu de la population, a de quoi étonner. Dans tous les cas, on associe une peine de prison et une mesure complémentaire déloignement. En clair, après avoir payé sa dette à la société, le fautif est banni : interdiction de territoire français, arrêté de reconduite à la frontière, confiscation de ce quil lui reste de papiers, déni de toute appartenance sociale, et cela même sil a grandi en France.
Entre leurre et mensonge
Pour préserver la paix civile, il ny aurait pas dalternative à cette forme délimination physique et à la rupture de tout lien antérieur. Cette grave décision appartient tantôt à la justice des hommes, par lintermédiaire dun juge, tantôt au ministre de lIntérieur ou à son digne représentant, le préfet. En loccurrence, cest une décision administrative, autrement dit une porte ouverte à larbitraire. Les hauts-fonctionnaires se soucient peu de la Convention Européenne des Droits de lHomme dont la France est signataire et qui institue le respect de la vie privée familiale de tout un chacun. Dautre part, la double peine est contraire au principe républicain selon lequel nul ne peut être puni deux fois pour le même délit.
Oui, mais il en irait de la survie de notre démocratie, qui par ailleurs est ostensiblement inéquitable au vu de limpunité de certains de ses dirigeants impliqués dans des « affaires ». Y aurait-il en France une justice à géométrie variable ? Pour retrouver sa famille et samender, faudrait-il être « national », mais pas « ressortissant » étranger ? Éluder demblée le rôle rédempteur de lemprisonnement est un aveu déchec du système répressif. Refuser léventualité dune réinsertion de létranger au terme de son incarcération est un choix politique lourd de sens. De fait, le Droit ne serait pas le même pour tous en France, comme on voudrait nous le faire croire. Il y a celui du peuple français et le « droit des étrangers », citoyens au rabais. Les dérives xénophobes trouvent donc une justification dans notre arsenal juridique.
François Mitterrand avait promis dabolir « ces pratiques inacceptables », un engagement pris en 1981 dans une lettre adressée au président de la Cimade. Cest la seule association dentraide habilitée à rendre visite aux futurs expulsés dans les centres de rétention, ces antichambres de lexil réparties sur le territoire national (rue Castéja en plein cur de Bordeaux, hangar du port de Marseille, etc.). Ancien homme de loi, le président socialiste avait réitéré son opposition à la double peine en 1989 : « Ceux qui commettraient la faute par voie de délinquance de sécarter des intérêts de notre pays doivent subir la loi que subirait tout Français dans la même situation, mais non point avec une exclusion supplémentaire. » Ces déclarations dintention nont jamais été suivies deffets.
Peu de temps avant dêtre nommé premier ministre, Lionel Jospin sétait également prononcé pour labrogation des lois Pasqua-Debré qui ont renforcé lapplication de la double peine. Résultat : la circulaire Chevènement du 11 octobre 1999 est venue en appui de ces lois iniques et selon les associations de défense des libertés, la législature en cours na rien à envier aux précédentes en matière dexpulsions des « double peine ». Un manque de courage que lon retrouve dans labsence de règlement du sort des sans-papiers. Et puis la tendance du moment nest vraiment pas de se soucier du sort des repris de justice nés en dehors de nos frontières. Doù un statu quo bien singulier dans un pays qui un jour aurait inventé les Droits de lHomme.
Journaliste.
À lire : Voyage au pays de la double peine de Michaël Faure, Editions lEsprit frappeur, 2000, 85 pages, 10 francs.
À voir : Les exclus de la loi, documentaire de Valérie Casalta, Callysta productions-Citizen TV, 2000, 57 minutes.
À lire : Voyage au pays de la double peine de Michaël Faure, Editions lEsprit frappeur, 2000, 85 pages, 10 francs.
À voir : Les exclus de la loi, documentaire de Valérie Casalta, Callysta productions-Citizen TV, 2000, 57 minutes.