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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°37 [novembre 2001 - décembre 2001]
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La boursouflure


Le XXe siècle s’était achevé par la victoire du capitalisme paré de superlatifs grandiloquents : nouvelle technologie, nouvelle économie, nouvelle croissance. Tout était nouveau, tout serait beau. Le XXIe siècle commence au Nord par la récession, le dégonflement de la bulle financière, la ruine des start up, et au Sud par l’appauvrissement des plus pauvres, leur écrasement sous le poids de la dette, toiles de fond du creusement des inégalités, des conflits ouverts ou larvés et du terrorisme.



La crise est systémique



Depuis l’année 2000, les Etats-Unis connaissent un ralentissement spectaculaire de leur croissance économique qui a contribué à stopper net le renouveau de celle de l’Europe, avant d’entraîner dans la chute la plupart des Bourses. Pendant toute la période précédente de la décennie 1990 qui a correspondu au triomphe des politiques libérales, les hérauts du système nous avaient expliqué que les capitaux libres comme le vent s’investiraient là où ils seraient le plus efficace pour le plus grand bien de tous. Ils nous rassuraient en disant que l’écart grandissant entre, d’un côté, les flux financiers et les valeurs boursières, et, de l’autre, la production et les flux commerciaux, était le signe positif de la déconnexion entre le monde de la finance et celui du travail : nous entrions dans l’ère où les richesses naîtraient du virtuel et ne dépendraient plus de contingences bassement matérielles.

Il y avait certes de temps à autre quelques soubresauts : la crise du Sud-est asiatique, de la Russie et du Brésil en 1997-98, et celle récurrente depuis 1982 des pays latino-américains comme le Mexique ou l’Argentine. Mais cela n’était, nous disait-on, que l’indice d’une obéissance insuffisante des pays émergents aux principes d’austérité du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, ou bien la conséquence d’un léger défaut de régulation du crédit à l’échelle internationale ou celle d’une mauvaise gestion par des Etats peu rigoureux, ou encore le résultat des pratiques mimétiques normales des spéculateurs. Pourquoi alors les pays élèves modèles du FMI sont-ils le plus durement touchés ? Pourquoi faut-il réguler un marché soi-disant auto-régulateur ? Pourquoi les Etats-Unis dégageant des excédents budgétaires ont-ils été les premiers à entrer en récession ? Et pourquoi la loi de l’offre et de la demande ne calme-t-elle pas la spéculation ?

C’est que la crise financière s’enracine dans les contradictions que le capitalisme ne peut jamais résoudre définitivement car elles sont constitutives de sa dynamique. La crise est toujours l’expression de contradictions qui se situent dans la sphère productive et, plus précisément dans les rapports de production. Qu’est-ce que cela signifie ?

Sans création monétaire par le crédit, les capitalistes ne pourraient pas récupérer plus que leurs avances en salaires et machines, et ainsi transformer le surtravail en profit monétaire. Le financement du système est

donc essentiel à son développement. Développement qui voit, à long terme, la production, la productivité du travail et donc les profits, progresser moins rapidement que l’accumulation du capital parce que seule la force de travail crée de la valeur nouvelle. Le crédit permet alors de faire tourner le capital plus vite et de s’emparer des secteurs les plus prospères. Les licenciements attisant la flambée boursière, un apport permanent de liquidité monétaire nouvelle est nécessaire pour pouvoir entrer dans la bulle, participer aux concentrations ou racheter ses propres actions dans le but d’augmenter le taux de rendement.

La monnaie exprime la contradiction du rapport social opposant le capital et le travail : le premier cherche à se débarrasser le plus possible du second dont il a pourtant besoin pour l’exploiter. Car la privatisation progressive de la monnaie et des institutions telles que la Banque centrale européenne qui assurent la régulation de sa création pour le compte des groupes financiers et de leurs actionnaires durcit le conflit pour le partage de la valeur et en même temps lamine la possibilité d’un consensus social minimum nécessaire à la bonne marche des affaires. L’euphorie boursière cesse dès que le système productif rencontre des problèmes d’écoulement des marchandises et que les salariés relèvent la tête.



Le moment de la crise est imprévisible

mais sa venue est certaine



Aux Etats-Unis, le décalage entre le taux d’accumulation et l’augmentation de la productivité a fini par créer une tension débouchant sur une baisse de la rentabilité, pour peu que les salaires se mettent à croître quand le chômage faible donne un rapport de forces favorable aux travailleurs. Pourquoi l’accumulation du capital n’avait-elle pas engendré une hausse de la productivité du travail proportionnelle ? Parce que la hausse de la productivité concerne avant tout l’industrie et cela se traduit par une baisse de tous les prix industriels qui induit une demande sociale de plus en plus tournée vers les services dans lesquels les gains de productivité potentiels et donc de profit sont plus faibles.

Résultat : Marx appelait cela la suraccumulation de capital par rapport aux possibilités de profit qui provoque la surproduction générale périodique. Celle-ci touche aujourd’hui tous les grands secteurs industriels, les anciens comme l’automobile, ou les nouveaux comme l’électronique. D’où l’effondrement des cours des actions des firmes produisant les téléphones portables ou de celles des télécommunications, et, en même temps, l’évanouissement de la « nouvelle éco-nomie ». De septembre 2000 à septembre 2001, l’action Alcatel a baissé de 85%. De mars 2000 à septembre 2001, l’action France Telecom a perdu 85% et l’indice NASDAQ des valeurs des nouvelles techniques a baissé des deux tiers. Les indices globaux ont également chuté depuis le milieu de l’année 2000 : DOWN JONES : –14% ; CAC 40 : –36% ; NIKKEI : –50%1.

Les domaines qui pourraient servir de ballon d’oxygène au profit capitaliste sont les services pour lesquels existe une demande immense, déjà structurée et garantie par une couverture publique : la santé, l’éducation et les retraites. On comprend l’acharnement de l’OCDE, de l’Union européenne et des gouvernements libéraux et sociaux-libéraux, pressés par les lobbies financiers, à libéraliser le commerce des services dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services préparé au sein de l’OMC, et à légaliser la brevetabilité des découvertes génétiques.

Le capitalisme est un cancer et ses métastases ont une propension à se répandre partout. Sa vitrine boursière est, au sens propre du terme, une excroissance, une boursouflure qui n’enfle que par la ponction opérée sur le travail humain, c’est-à-dire sur la vie, et qui s’éventre lorsque celle-ci est tellement pressurée que le capital doit lâcher du lest, c’est-à-dire du cours boursier.

(1) Tous ces chiffres ont été pris à la veille des attentats du 11 septembre 2001 sur le sol américain.

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