Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°37 [novembre 2001 - décembre 2001]
© Passant n°37 [novembre 2001 - décembre 2001]
par Hervé Le Corre
Imprimer l'articlePourquoi tant de haine ?
Depuis le 11 septembre dernier, où les tours du World Trade Center ont été rasées par les attentats suicides quon sait, et que six mille personnes (aussi innocentes que vous et moi : ça donne à penser, non ? ) ont péri dans ce cataclysme, on aura tout lu, tout entendu, et presque1 tout vu. Ajouter son grain de sel, ici, dans cette rubrique, napporterait rien à la sauce qui nait déjà été goûtée, ingurgitée, vomie. Pourtant... Sur ce sujet, comme sur les autres, le pire est de se taire sous prétexte que dautres, experts, commentateurs patentés, lettrés (et illettrés...), etc., se sont exprimés dautorité.
Risquons donc quelques modestes remar-ques de citoyen de base.
Contrairement à ce que voudraient nous faire croire à la fois les media et les terroristes, la haine anti-américaine nest pas la question. Raccourci piégé qui, de quelque côté quon le prenne, conduit au même point des abrutis qui se retrouvent dos-à-dos, larme au poing.
Ainsi, ceux quon a entendus ici et là se réjouir plus ou moins ouvertement des attentats et donc des morts civils quils ont causés , dans le genre : « Les Ricains lont pas volé, depuis le temps quils font chier tout le monde... », ceux-là se trompent de cible, et transforment les dingos fondamentalistes en combattants valeureux de leur cause. Et ils prouvent par là que leur morale est à géométrie variable, puisquils condamnaient à juste titre, en 1999, les bombardements massifs de lOTAN sur la Serbie et le Kosovo en dénonçant la punition collective infligée à une population civile coupable des crimes de ses dirigeants. Indignations sélectives ? Pacifisme flexible ?
Le capitalisme na pas de patrie, et de moins en moins, ça commence à se savoir. Cest même cette idée qui fonde le développement des luttes contre la « mondialisation libérale » (euphémisme ramollo dont usent ceux quune remise en cause de léconomie de marché défrise trop, et qui se contenteraient dune gentille régulation des échanges mondiaux), contre des marchés financiers de plus en plus fluides, voire gazeux, puisquon parle volontiers de bulle financière. Si bien que le cur de lhydre est partout et nulle part, et quon pourrait filer la métaphore en comparant cette circulation-là à un énorme système artériel : ça bat, ça pulse, mais va chercher la muscle...
Le World Trade Center était peut-être un symbole, mais est-il permis de rappeler quil en est dautres, de par le monde, sans paraître encourager dautres attentats aussi barbares quinutiles ? En gros, se réjouir de cet acte-là cest faire de ses commanditaires des stratèges dun genre nouveau qui auraient tout compris et montreraient la voie à suivre.
Malgré les déclarations de Ben Laden, les terroristes du 11 septembre nont vengé personne, ne cherchent à libérer aucun peuple de la moindre oppression, ne défendent rien quune foi dévoyée et fanatique, alimentée par dobscurs réseaux financiers profitant du marché capitaliste mondial, des paradis fiscaux, des banques suisses ou britanniques, liés aux tyrans milliardaires du Golfe.
Le monstre du docteur Frankenstein a souvent été évoqué ces derniers temps, et cest assez juste : le pouvoir américain, soutenu depuis des années par lensemble des puissances occidentales, voit sa créature anticommuniste se retourner contre lui, et le capitalisme, qui fabrique et laisse prospérer des masses financières dargent « sale »2, les voit en partie détournées de leur seul objet, le profit, pour venir perturber un instant le cours en apparence tranquille des choses. La misère des peuples, lobscurantisme dans lesquels on les maintient, forment le terreau fertile qui donnera encore de terrifiantes moissons, nen doutons pas.
Ce sont les soldats fous du capitalisme, monstre cynique, terroriste, qui tuent
à New York, qui bombardent en Afghanistan, qui continueront, dans létat actuel des choses, à saigner la planète.
Alors cest la guerre ?
Ben oui, mes canards. Et elle na pas commencé le 11 septembre 2001, et cest pas George Junior Bush, ou ce brave socialiste de Tony Blair, qui lont déclarée ; ils se contentent de la faire où on leur dit de la faire. Cette guerre, mondiale autant que le capitalisme est mondialisé, est livrée depuis une dizaine dannées par la finance internationale et les pays du nord aux plus pauvres de la planète. À lintérieur des forteresses, fragiles comme on voit, des puissances « occidentales », contre leurs salariés dont la précarité et la misère ne cessent de saggraver. Et contre les pays du Sud, où des peuples entiers sont maintenus sous le seuil de pauvreté.
Guerre économique, donc, mais accompagnée dopérations de police militaires (Panama, Nicaragua, Golfe, Kosovo, et autres...) et de police militarisée (répression ultra-violente des manifestations à Seattle ou Gènes, par exemple). Dans les deux cas de figures, les états-majors ne cessent dadapter leur armement à ces nouveaux types de maintien de lordre, local et mondial. Les Etats-Unis jouent là-dedans un rôle prépondérant, écrasant, cest le cas de le dire à la lueur des bombardements actuels sur lAfghanistan, par leur surpuissance, mais que pourraient-ils sans laval ni laide active des autres nations ?
En outre, et je me permets demprunter cette idée à Paul Virilio3, il semble bien que lun des champs de bataille à venir sera lespace urbain. Dune part, il a montré son extrême vulnérabilité lors de lattaque de septembre dont leffet sur les populations civiles, en temps de paix théorique, se fait sentir bien au-delà du bilan humain, déjà considérable, sans précédent (10% de Nagasaki à la pointe de quelques cutters) : une arme nouvelle apparaît : la panique, résultant dévénements tenant à la fois de lacte terroriste, ou guerrier, et de laccident4.
Dautre part, la ville, comme on la vu lors des manifestations anti-OMC ou anti-G8, peut parfaitement, en certaines de ses zones, être interdite à lexpression démocratique, et la reconquête physique de lespace de non-droit ainsi délimité sera sans doute lobjet de véritables combats de rues.
Nul doute que dans les deux cas la réponse des gouvernements sera sécuritaire, et que sous prétexte délimination ou de limitation du risque, la loi elle-même viendra renforcer les arsenaux policiers.
État de siège ?
La tentation sera grande non de le proclamer, puisquon sait quil ne peut être que transitoire et que lopinion publique sen lasse assez vite, mais de létablir insensiblement à la faveur des situations de crise, et sous prétexte, évidemment, de préserver la démocratie. Déjà, le ministre socialiste de lIntérieur, Daniel Vaillant, prévoit de faire évoluer la législation pour autoriser la police à fouiller les coffres des véhicules, disposition proposée dans les années 70 et 80 par des ministres de droite, et combattue alors par la gauche comme dinacceptables atteintes aux libertés individuelles. Et les partenaires de la gauche plurielle ne protestent pas : Verts et communistes sembarquent sur la douteuse galère : après leur soutien aux bombardements de lUS air force, ils ne sinterrogent même pas sur les conséquences immédiates, concrètes, de ces nouveaux pouvoirs donnés à la police : délit de faciès, traque aux clandestins (mais pas à ceux qui les emploient ou les convoient jusquici), bref, institutionnalisation du racisme, de la peur de lautre.
Alors ?
De sorte que le combat ne peut que continuer pour arracher ce monde à la domination capitaliste, puisquen franchissant océans et frontières ses ravages changent de forme mais demeurent toujours aussi terrifiants. Se battre, aussi, encore, pour préserver et conquérir des espaces démocratiques destinés, précisément, à promouvoir les alternatives urgentes au chaos répressif quon nous prépare. Que dire dautre ? Quelle alternative, sinon cette lutte politique, acharnée, sans complexe (ni illusions), et la réflexion qui va évidemment avec, par-delà les slogans confortables et les faux ennemis ?
Cest décevant, pas vrai ? Sisyphe remplissant le tonneau des Danaïdes, malgré la fatigue.
À bon entendeur
Risquons donc quelques modestes remar-ques de citoyen de base.
Contrairement à ce que voudraient nous faire croire à la fois les media et les terroristes, la haine anti-américaine nest pas la question. Raccourci piégé qui, de quelque côté quon le prenne, conduit au même point des abrutis qui se retrouvent dos-à-dos, larme au poing.
Ainsi, ceux quon a entendus ici et là se réjouir plus ou moins ouvertement des attentats et donc des morts civils quils ont causés , dans le genre : « Les Ricains lont pas volé, depuis le temps quils font chier tout le monde... », ceux-là se trompent de cible, et transforment les dingos fondamentalistes en combattants valeureux de leur cause. Et ils prouvent par là que leur morale est à géométrie variable, puisquils condamnaient à juste titre, en 1999, les bombardements massifs de lOTAN sur la Serbie et le Kosovo en dénonçant la punition collective infligée à une population civile coupable des crimes de ses dirigeants. Indignations sélectives ? Pacifisme flexible ?
Le capitalisme na pas de patrie, et de moins en moins, ça commence à se savoir. Cest même cette idée qui fonde le développement des luttes contre la « mondialisation libérale » (euphémisme ramollo dont usent ceux quune remise en cause de léconomie de marché défrise trop, et qui se contenteraient dune gentille régulation des échanges mondiaux), contre des marchés financiers de plus en plus fluides, voire gazeux, puisquon parle volontiers de bulle financière. Si bien que le cur de lhydre est partout et nulle part, et quon pourrait filer la métaphore en comparant cette circulation-là à un énorme système artériel : ça bat, ça pulse, mais va chercher la muscle...
Le World Trade Center était peut-être un symbole, mais est-il permis de rappeler quil en est dautres, de par le monde, sans paraître encourager dautres attentats aussi barbares quinutiles ? En gros, se réjouir de cet acte-là cest faire de ses commanditaires des stratèges dun genre nouveau qui auraient tout compris et montreraient la voie à suivre.
Malgré les déclarations de Ben Laden, les terroristes du 11 septembre nont vengé personne, ne cherchent à libérer aucun peuple de la moindre oppression, ne défendent rien quune foi dévoyée et fanatique, alimentée par dobscurs réseaux financiers profitant du marché capitaliste mondial, des paradis fiscaux, des banques suisses ou britanniques, liés aux tyrans milliardaires du Golfe.
Le monstre du docteur Frankenstein a souvent été évoqué ces derniers temps, et cest assez juste : le pouvoir américain, soutenu depuis des années par lensemble des puissances occidentales, voit sa créature anticommuniste se retourner contre lui, et le capitalisme, qui fabrique et laisse prospérer des masses financières dargent « sale »2, les voit en partie détournées de leur seul objet, le profit, pour venir perturber un instant le cours en apparence tranquille des choses. La misère des peuples, lobscurantisme dans lesquels on les maintient, forment le terreau fertile qui donnera encore de terrifiantes moissons, nen doutons pas.
Ce sont les soldats fous du capitalisme, monstre cynique, terroriste, qui tuent
à New York, qui bombardent en Afghanistan, qui continueront, dans létat actuel des choses, à saigner la planète.
Alors cest la guerre ?
Ben oui, mes canards. Et elle na pas commencé le 11 septembre 2001, et cest pas George Junior Bush, ou ce brave socialiste de Tony Blair, qui lont déclarée ; ils se contentent de la faire où on leur dit de la faire. Cette guerre, mondiale autant que le capitalisme est mondialisé, est livrée depuis une dizaine dannées par la finance internationale et les pays du nord aux plus pauvres de la planète. À lintérieur des forteresses, fragiles comme on voit, des puissances « occidentales », contre leurs salariés dont la précarité et la misère ne cessent de saggraver. Et contre les pays du Sud, où des peuples entiers sont maintenus sous le seuil de pauvreté.
Guerre économique, donc, mais accompagnée dopérations de police militaires (Panama, Nicaragua, Golfe, Kosovo, et autres...) et de police militarisée (répression ultra-violente des manifestations à Seattle ou Gènes, par exemple). Dans les deux cas de figures, les états-majors ne cessent dadapter leur armement à ces nouveaux types de maintien de lordre, local et mondial. Les Etats-Unis jouent là-dedans un rôle prépondérant, écrasant, cest le cas de le dire à la lueur des bombardements actuels sur lAfghanistan, par leur surpuissance, mais que pourraient-ils sans laval ni laide active des autres nations ?
En outre, et je me permets demprunter cette idée à Paul Virilio3, il semble bien que lun des champs de bataille à venir sera lespace urbain. Dune part, il a montré son extrême vulnérabilité lors de lattaque de septembre dont leffet sur les populations civiles, en temps de paix théorique, se fait sentir bien au-delà du bilan humain, déjà considérable, sans précédent (10% de Nagasaki à la pointe de quelques cutters) : une arme nouvelle apparaît : la panique, résultant dévénements tenant à la fois de lacte terroriste, ou guerrier, et de laccident4.
Dautre part, la ville, comme on la vu lors des manifestations anti-OMC ou anti-G8, peut parfaitement, en certaines de ses zones, être interdite à lexpression démocratique, et la reconquête physique de lespace de non-droit ainsi délimité sera sans doute lobjet de véritables combats de rues.
Nul doute que dans les deux cas la réponse des gouvernements sera sécuritaire, et que sous prétexte délimination ou de limitation du risque, la loi elle-même viendra renforcer les arsenaux policiers.
État de siège ?
La tentation sera grande non de le proclamer, puisquon sait quil ne peut être que transitoire et que lopinion publique sen lasse assez vite, mais de létablir insensiblement à la faveur des situations de crise, et sous prétexte, évidemment, de préserver la démocratie. Déjà, le ministre socialiste de lIntérieur, Daniel Vaillant, prévoit de faire évoluer la législation pour autoriser la police à fouiller les coffres des véhicules, disposition proposée dans les années 70 et 80 par des ministres de droite, et combattue alors par la gauche comme dinacceptables atteintes aux libertés individuelles. Et les partenaires de la gauche plurielle ne protestent pas : Verts et communistes sembarquent sur la douteuse galère : après leur soutien aux bombardements de lUS air force, ils ne sinterrogent même pas sur les conséquences immédiates, concrètes, de ces nouveaux pouvoirs donnés à la police : délit de faciès, traque aux clandestins (mais pas à ceux qui les emploient ou les convoient jusquici), bref, institutionnalisation du racisme, de la peur de lautre.
Alors ?
De sorte que le combat ne peut que continuer pour arracher ce monde à la domination capitaliste, puisquen franchissant océans et frontières ses ravages changent de forme mais demeurent toujours aussi terrifiants. Se battre, aussi, encore, pour préserver et conquérir des espaces démocratiques destinés, précisément, à promouvoir les alternatives urgentes au chaos répressif quon nous prépare. Que dire dautre ? Quelle alternative, sinon cette lutte politique, acharnée, sans complexe (ni illusions), et la réflexion qui va évidemment avec, par-delà les slogans confortables et les faux ennemis ?
Cest décevant, pas vrai ? Sisyphe remplissant le tonneau des Danaïdes, malgré la fatigue.
À bon entendeur
(1) Oui, presque, puisque aucune image du moindre mort américain, pas même dobsèques, na été diffusée. On a parlé ici et là de dignité, de respect dû aux morts... de pudeur. Et puis, fin septembre, Paris-Match publie les photos de la catastrophe de Toulouse. Alors ?
(2) Oui, bon, argent propre ou sale, hein, une truie ny retrouverait pas ses petits. Larsabal ou Harribey doivent savoir ces choses-là dans le détail (Sur les capitaux, pas les gorets !).
(3) Lire de lui linterview dans lHumanité du 11 octobre, implacablement lucide, et deux bouquins précieux : La bombe informatique et surtout Stratégies de la déception, aux éditions Galilée. Et les articles quil a donnés ces dernières années au Monde diplomatique.
(4) Sans parler du retentissement médiatique : heure, choix des cibles, (la ville est un lieu banalité saisissante où tout devient soudain spectaculaire...), tout a été fait pour que ça passe à la télé. Propagande et contre-propagande sannulent pour laisser les peuples dans lignorance et leffroi.
(2) Oui, bon, argent propre ou sale, hein, une truie ny retrouverait pas ses petits. Larsabal ou Harribey doivent savoir ces choses-là dans le détail (Sur les capitaux, pas les gorets !).
(3) Lire de lui linterview dans lHumanité du 11 octobre, implacablement lucide, et deux bouquins précieux : La bombe informatique et surtout Stratégies de la déception, aux éditions Galilée. Et les articles quil a donnés ces dernières années au Monde diplomatique.
(4) Sans parler du retentissement médiatique : heure, choix des cibles, (la ville est un lieu banalité saisissante où tout devient soudain spectaculaire...), tout a été fait pour que ça passe à la télé. Propagande et contre-propagande sannulent pour laisser les peuples dans lignorance et leffroi.