Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°36 [septembre 2001 - octobre 2001]
© Passant n°36 [septembre 2001 - octobre 2001]
par La Rédaction
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Hannah Arendt Martin Heidegger, Lettres et autres documents 1925-1975 (Gallimard). On peut se demander lintérêt quil y avait à publier la correspondance entre Heidegger et Hannah Arendt. Elle est frustrante et pour ceux qui en attendraient quelque révélation croustillante et pour ceux qui chercheraient à mieux comprendre le contexte de cette histoire damour. Les lettres que Heidegger envoie à la jeune étudiante qui est devenue sa maîtresse nenrichiront guère la littérature amoureuse, et les poèmes qui les accompagnent la poésie allemande contemporaine : tout cela aurait pu (aurait dû ?) demeurer dans lordre du privé. Nous ne savons pas ce quHannah répondait, Heidegger ayant préféré brûler ces lettres compromettantes, alors quHannah a conservé celles de Martin.
Lorsque léchange reprend, en 1950, il est surtout consacré à des problèmes de traduction ou dédition et napporte guère déléments importants sur le débat proprement philosophique qui pourrait sinstaurer entre deux philosophes à ce point différents ni de lumière sur la question de lengagement nazi de Heidegger. Pourtant la coupure de 1933 à 1950 ne marque pas simplement une rupture amoureuse mais un abîme de drames et de morts. À peine, hors des excuses habituelles, cet aveu, dans un poème : « Cinq fois cinq ans / longtemps, très longtemps,/ nous a le temps occulté / en ses désarrois / lun à lautre / te fit cheminer, me fit errer » (p. 106). Et, dans léloge de Heidegger par Hannah Arendt pour son 80e anniversaire, ceci : « quant à nous qui voulons honorer les penseurs (...) nous ne pouvons guère nous empêcher de trouver frappant, et peut-être scandaleux, que Platon comme Heidegger, alors quils sengageaient dans les affaires humaines, aient eu recours aux tyrans et aux dictateurs ». ça jette un froid !
Reste quils se sont aimés, quil y a dans cette relation amoureuse comme dans dautres une part dirrationnel. Quun nazi ait aimé une juive, quune juive ait aimé un nazi ne saurait ledit nazi davoir été ce quil a été : aurions-nous là la clé de cette édition ? Ils sont encore quelques-uns à se laisser prendre au piège du renard Heidegger.
P.R.
Christopher Brookmyre, Le royaume des aveugles (Série Noire, traduit de langlais par Nicolas Mesplède et revu par Catherine Boudigues). Les flamboyantes années Thatcher ont aussi fait du dégât en Ecosse. En décrivant la machination par laquelle deux ministres tories se sont débarrassés dun magnat de la presse, devenu un allié trop encombrant, Brookmyre pilonne les services secrets britanniques et la morgue des conservateurs. Heureusement, il y a encore de modernes Robin des Bois, y compris au nord du mur dHadrien, pour semer un peu de désordre dans lordre conservateur, pour notre plus grand plaisir. B.D.
Charles Dickens et Wilkie Collins, Voie sans issue (10/18, traduit par Mme Judih et Marie- Louise Ripamonti). Comme souvent dans les romans que Collins a écrits solo, il sagit de captation dhéritage par de sombres crapules et du mystère des origines. Ici, un des héros sapercevant quil nest plus ce quil croyait être, dépouillé de son identité, en meurt. On perçoit un peu de la jubilation avec laquelle les deux auteurs se sont amusés à confectionner ce petit roman cousu main, maniant tour à tour avec un égal bonheur le cocasse et le tragique.
B.D.
Martin Heidegger, De lessence de la vérité. Approche de 1allégorie de la caverne, et du Théétète de Platon. (Gallimard). Il sagit dun cours professé par Heidegger en 1931/32. II marque un moment important dans la pensée heideggerienne, un tournant dans son approche de la philosophie antique : Platon séloigne, dit-il, de la question de lEtre qui illuminait les uvres résocratiques et inaugure une conception de la vérité comme rectitude qui sera la caractéristique de la métaphysique occidentale devenue sourde à lappel de lEtre. Ne doutons pas que les heideggeriens feront leur miel de cette lecture, patiente à en devenir piétinante, de ces textes phares du platonisme, quils y trouveront des formulations plus claires de certains thèmes heideggeriens (la différence entre lEtre et létant, la sagesse de la langue etc.). Ils ne seront sans doute pas choqués par la parenté dautres thèmes avec ceux de la révolution conservatrice allemande qui fut le terreau idéologique du nazisme (la décadence, la critique de la démocratie, etc.). Ils sarcbouteront sur la distinction entre lhistorique (négligeable) et lhistorial (essentiel) pour répéter quil sagit là dun exercice de pensée et que nous ne sommes pas fondés à trouver sinistres certains passages, comme celui de la page 146 : « Il que lalètheia devienne, pour nous, histoire, tant que nous restons décidés à nous maintenir dans lexistence. Cela veut dire (...) dans la manifesteté de létant en tant que tel et à être dans cette décision ; à comprendre quil y a étant et étant, que nimporte qui, sous prétexte quil est venu un jour au monde na pas un droit sur tout et nest pas digne de tout (...) ; à comprendre que chaque étant possède sa loi, son origine, son ordre, que sans sol, sans origine et sans ordre assurés, lêtre est moins que rien ; qualors le rien ne peut même plus être compris et que lexistence humaine, dans labsence de loi où se déploie tout ce qui, déraciné, a été rendu pareil, ne peut plus quêtre broyée. »
Faut-il le répéter ? En 1931/1932, ces phrases, même chez les plus obtus des étudiants, devaient éveiller quelques échos et le ton guerrier des appels à la « pensée » ne pas laisser indifférents. Mais les heideggeriens sont sourds.
P.R.
George Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres (10/18, traduit de langlais par Michel Pétris). Je défie quiconque après avoir lu ce récit sur la « débine » dans laquelle Orwell tomba momentanément au début des années 30 doublier les affres du métier de plongeur quand il sassiéra à la table dun restaurant. À Paris comme à Londres, il a appris à vivre avec seulement une poignée de kopecks, à fréquenter en Angleterre les asiles de nuit et à Paris les beuglants, dernier refuge des pauvres. De cette quête sans fin pour survivre jour après jour, Orwell tire quelques enseignements sur le métier de mendiant, à la manière des aphorismes de Swift. Dans ce journal de la misère quotidienne, quon lit dune traite, une seule interrogation : pourquoi le futur auteur dHommage à la Catalogne se laisse-t-il aller à des réflexions antisémites ? B.D.
Olivier Pasquiers, photographe du bar Floréal (Paris) apporte à louvrage De lautre côté de la rue, Histoire des boutiques Solidarité (Ed. Flammarion / Fondation Abbé Pierre, 2001, 136 p.) une très belle contribution qui, sur fond de distance respectueuse des personnes et des situations, renforce la qualité de la rencontre, humaine, juste et sans fard du lecteur avec les personnes accueillies et celles qui les accueillent (Voir la photographie, extraite de louvrage, ci-dessus).
V.L.
Lorsque léchange reprend, en 1950, il est surtout consacré à des problèmes de traduction ou dédition et napporte guère déléments importants sur le débat proprement philosophique qui pourrait sinstaurer entre deux philosophes à ce point différents ni de lumière sur la question de lengagement nazi de Heidegger. Pourtant la coupure de 1933 à 1950 ne marque pas simplement une rupture amoureuse mais un abîme de drames et de morts. À peine, hors des excuses habituelles, cet aveu, dans un poème : « Cinq fois cinq ans / longtemps, très longtemps,/ nous a le temps occulté / en ses désarrois / lun à lautre / te fit cheminer, me fit errer » (p. 106). Et, dans léloge de Heidegger par Hannah Arendt pour son 80e anniversaire, ceci : « quant à nous qui voulons honorer les penseurs (...) nous ne pouvons guère nous empêcher de trouver frappant, et peut-être scandaleux, que Platon comme Heidegger, alors quils sengageaient dans les affaires humaines, aient eu recours aux tyrans et aux dictateurs ». ça jette un froid !
Reste quils se sont aimés, quil y a dans cette relation amoureuse comme dans dautres une part dirrationnel. Quun nazi ait aimé une juive, quune juive ait aimé un nazi ne saurait ledit nazi davoir été ce quil a été : aurions-nous là la clé de cette édition ? Ils sont encore quelques-uns à se laisser prendre au piège du renard Heidegger.
P.R.
Christopher Brookmyre, Le royaume des aveugles (Série Noire, traduit de langlais par Nicolas Mesplède et revu par Catherine Boudigues). Les flamboyantes années Thatcher ont aussi fait du dégât en Ecosse. En décrivant la machination par laquelle deux ministres tories se sont débarrassés dun magnat de la presse, devenu un allié trop encombrant, Brookmyre pilonne les services secrets britanniques et la morgue des conservateurs. Heureusement, il y a encore de modernes Robin des Bois, y compris au nord du mur dHadrien, pour semer un peu de désordre dans lordre conservateur, pour notre plus grand plaisir. B.D.
Charles Dickens et Wilkie Collins, Voie sans issue (10/18, traduit par Mme Judih et Marie- Louise Ripamonti). Comme souvent dans les romans que Collins a écrits solo, il sagit de captation dhéritage par de sombres crapules et du mystère des origines. Ici, un des héros sapercevant quil nest plus ce quil croyait être, dépouillé de son identité, en meurt. On perçoit un peu de la jubilation avec laquelle les deux auteurs se sont amusés à confectionner ce petit roman cousu main, maniant tour à tour avec un égal bonheur le cocasse et le tragique.
B.D.
Martin Heidegger, De lessence de la vérité. Approche de 1allégorie de la caverne, et du Théétète de Platon. (Gallimard). Il sagit dun cours professé par Heidegger en 1931/32. II marque un moment important dans la pensée heideggerienne, un tournant dans son approche de la philosophie antique : Platon séloigne, dit-il, de la question de lEtre qui illuminait les uvres résocratiques et inaugure une conception de la vérité comme rectitude qui sera la caractéristique de la métaphysique occidentale devenue sourde à lappel de lEtre. Ne doutons pas que les heideggeriens feront leur miel de cette lecture, patiente à en devenir piétinante, de ces textes phares du platonisme, quils y trouveront des formulations plus claires de certains thèmes heideggeriens (la différence entre lEtre et létant, la sagesse de la langue etc.). Ils ne seront sans doute pas choqués par la parenté dautres thèmes avec ceux de la révolution conservatrice allemande qui fut le terreau idéologique du nazisme (la décadence, la critique de la démocratie, etc.). Ils sarcbouteront sur la distinction entre lhistorique (négligeable) et lhistorial (essentiel) pour répéter quil sagit là dun exercice de pensée et que nous ne sommes pas fondés à trouver sinistres certains passages, comme celui de la page 146 : « Il que lalètheia devienne, pour nous, histoire, tant que nous restons décidés à nous maintenir dans lexistence. Cela veut dire (...) dans la manifesteté de létant en tant que tel et à être dans cette décision ; à comprendre quil y a étant et étant, que nimporte qui, sous prétexte quil est venu un jour au monde na pas un droit sur tout et nest pas digne de tout (...) ; à comprendre que chaque étant possède sa loi, son origine, son ordre, que sans sol, sans origine et sans ordre assurés, lêtre est moins que rien ; qualors le rien ne peut même plus être compris et que lexistence humaine, dans labsence de loi où se déploie tout ce qui, déraciné, a été rendu pareil, ne peut plus quêtre broyée. »
Faut-il le répéter ? En 1931/1932, ces phrases, même chez les plus obtus des étudiants, devaient éveiller quelques échos et le ton guerrier des appels à la « pensée » ne pas laisser indifférents. Mais les heideggeriens sont sourds.
P.R.
George Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres (10/18, traduit de langlais par Michel Pétris). Je défie quiconque après avoir lu ce récit sur la « débine » dans laquelle Orwell tomba momentanément au début des années 30 doublier les affres du métier de plongeur quand il sassiéra à la table dun restaurant. À Paris comme à Londres, il a appris à vivre avec seulement une poignée de kopecks, à fréquenter en Angleterre les asiles de nuit et à Paris les beuglants, dernier refuge des pauvres. De cette quête sans fin pour survivre jour après jour, Orwell tire quelques enseignements sur le métier de mendiant, à la manière des aphorismes de Swift. Dans ce journal de la misère quotidienne, quon lit dune traite, une seule interrogation : pourquoi le futur auteur dHommage à la Catalogne se laisse-t-il aller à des réflexions antisémites ? B.D.
Olivier Pasquiers, photographe du bar Floréal (Paris) apporte à louvrage De lautre côté de la rue, Histoire des boutiques Solidarité (Ed. Flammarion / Fondation Abbé Pierre, 2001, 136 p.) une très belle contribution qui, sur fond de distance respectueuse des personnes et des situations, renforce la qualité de la rencontre, humaine, juste et sans fard du lecteur avec les personnes accueillies et celles qui les accueillent (Voir la photographie, extraite de louvrage, ci-dessus).
V.L.