Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°36 [septembre 2001 - octobre 2001]
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Sur la mondialisation : les faux débats
Un énorme contresens sest installé dans le débat public dont la responsabilité incombe en partie aux faiseurs dopinion qui propagent lidéologie favorable au système économique capitaliste, mais également aux contestataires les plus radicaux qui se sont enfermés eux-mêmes dans une suite de faux débats. Lévolution économique contemporaine est appelée « mondialisation libérale » tant par ses apologistes que par ses critiques. Ce consensus est un piège redoutable pour ceux qui luttent contre les méfaits de la dite « mondialisation libérale » et qui affirment qu « un autre monde est possible ». Il repose sur un glissement sémantique aussi absurde que pervers qui a rendu obscure la différence entre capitalisme et libéralisme, la critique du second se substituant à celle du premier, mais au prix dune contradiction théorique et dune paralysie politique.
La mondialisation nest pas dabord libérale
Qualifier le processus de mondialisation des activités économiques de « libéral » est une erreur. Parce que le libéralisme nest pas un système entendu comme une organisation économique et sociale concrète mais relève du domaine des idées. Lerreur est dautant plus regrettable que le libéralisme présente deux facettes distinctes quoique liées entre elles. Le libéralisme est une philosophie politique qui met lindividu libre au centre de sa problématique. Cest aussi une doctrine économique qui elle-même contient deux volets. Le premier est une justification du capitalisme fondée sur le fait que la propriété privée serait un droit naturel et non pas circonstanciel et lié à une société particulière, datée historiquement et quainsi la recherche de lintérêt individuel conduirait au bien-être général. Il en découle un discours normatif sur ce capitalisme qui constitue le second volet du libéralisme économique : la régulation de la société doit se faire par le libre jeu des mécanismes de marché, hors de toute intervention publique.
Nous avons vu certes à la fin du XXe siècle se répandre dans le monde entier certains des préceptes libéraux : le libéralisme politique a, dune part, été réduit au libéralisme économique, et dautre part, celui-ci a été défini par la seule liberté de circuler pour les capitaux. Le libéralisme économique a pour linstant incontestablement gagné la bataille des idées dans le monde. Mais cette victoire nest que la partie visible dune autre bien plus profonde qui senracine dans une réalité matérielle. En dépit de ou peut-être grâce à ses crises, le capitalisme, dont lunique but est la recherche de profit, connaît aujourdhui une mutation de grande ampleur. Sous légide de la finance devenue mondiale, il porte lexploitation du travail salarié à un point jamais atteint dans la mesure où toutes les activités humaines sont soumises à limpératif de rentabilité, où la concurrence finit de ruiner toutes les petites productions individuelles surtout dans les pays pauvres, et où la privatisation des services publics et des ressources naturelles est programmée par les élites économiques et politiques.
Ce nest donc pas la régulation de plus en plus libérale du capitalisme qui est la cause des dégradations sociales et écologiques. Cest le système lui-même dont la survie exige pour ses privilégiés que soit portée atteinte aux équilibres sociaux et écologiques fondamentaux. La hausse des cours boursiers suppose des plans de licenciement à répétition et la hausse des dividendes versés aux actionnaires impose que les salaires augmentent moins vite que la productivité du travail. Et les grandes puissances sapprêtent à faire de la protection de la nature un nouveau gisement de profit : polluer pour pouvoir dépolluer ensuite et en confier la maîtrise à un marché des droits de polluer.
Elle est capitaliste
Le piège se referme donc. Au lieu de remettre en cause le système capitaliste et, par voie de conséquence, sa justification et le projet de ses idéologues libéraux, le combat est dévié et dévoyé vers la seule contestation de la forme libérale de sa régulation. Or, suffirait-il de limiter la spéculation permise par louverture des frontières financières ? Ce serait oublier que derrière la spéculation il y a toujours un renforcement de lexploitation capitaliste. Si lon en veut une preuve, on peut la trouver chez les partisans de la régulation du capitalisme. On se souvient quun député « de gauche » affirmait quil fallait faire payer nos retraites par les Chinois1. Une équipe déconomistes bien en vue persiste en signant : « La population à forte épargne des pays développés et vieillissants subirait une baisse de rentabilité de sa richesse financière si elle devait investir exclusivement dans des droits de propriété sur le capital interne. Cependant, lintégration mondiale des marchés de capitaux lui permet dinvestir dans les droits de propriété sur le capital productif des zones où la population active est en forte croissance. [ ] Les épargnants des zones riches seront donc mieux rémunérés quils ne le seraient en autarcie. »2
Le contresens qui aboutit à substituer le qualificatif de libéral à celui de capitaliste affaiblit le mouvement social car il débouche sur une contradiction : alors que lon lutte contre le libéralisme, lexigence du profit capitaliste le fait renaître sans cesse par nécessité dun discours de légitimation du système et dune pratique politique pour le mettre en uvre. La lutte contre le capitalisme englobe celle contre le libéralisme économique mais linverse nest pas vrai. La difficulté politique vient du fait quil faut modifier les règles de régulation pour préparer les conditions de la fin du capitalisme et non pour en assurer la pérennité.
Parler de mondialisation et danti-mondialisation sans qualification ou sans autre qualification que libérale à la place de capitaliste est un non-sens. Léloge du mondialisme est bâti sur une hypothèse douteuse qui renoue avec le naturalisme libéral : il existerait des droits humains indépendamment de lorganisation sociale. Mais, à linverse, la négation dans labsolu de luniversalisme de certaines valeurs se fait au nom dune valeur jugée universelle : le respect de toutes les cultures. Pour ou contre la mondialisation est le genre de faux débat qui évite le vrai : pour ou contre la marchandisation capitaliste.
La mondialisation nest pas dabord libérale
Qualifier le processus de mondialisation des activités économiques de « libéral » est une erreur. Parce que le libéralisme nest pas un système entendu comme une organisation économique et sociale concrète mais relève du domaine des idées. Lerreur est dautant plus regrettable que le libéralisme présente deux facettes distinctes quoique liées entre elles. Le libéralisme est une philosophie politique qui met lindividu libre au centre de sa problématique. Cest aussi une doctrine économique qui elle-même contient deux volets. Le premier est une justification du capitalisme fondée sur le fait que la propriété privée serait un droit naturel et non pas circonstanciel et lié à une société particulière, datée historiquement et quainsi la recherche de lintérêt individuel conduirait au bien-être général. Il en découle un discours normatif sur ce capitalisme qui constitue le second volet du libéralisme économique : la régulation de la société doit se faire par le libre jeu des mécanismes de marché, hors de toute intervention publique.
Nous avons vu certes à la fin du XXe siècle se répandre dans le monde entier certains des préceptes libéraux : le libéralisme politique a, dune part, été réduit au libéralisme économique, et dautre part, celui-ci a été défini par la seule liberté de circuler pour les capitaux. Le libéralisme économique a pour linstant incontestablement gagné la bataille des idées dans le monde. Mais cette victoire nest que la partie visible dune autre bien plus profonde qui senracine dans une réalité matérielle. En dépit de ou peut-être grâce à ses crises, le capitalisme, dont lunique but est la recherche de profit, connaît aujourdhui une mutation de grande ampleur. Sous légide de la finance devenue mondiale, il porte lexploitation du travail salarié à un point jamais atteint dans la mesure où toutes les activités humaines sont soumises à limpératif de rentabilité, où la concurrence finit de ruiner toutes les petites productions individuelles surtout dans les pays pauvres, et où la privatisation des services publics et des ressources naturelles est programmée par les élites économiques et politiques.
Ce nest donc pas la régulation de plus en plus libérale du capitalisme qui est la cause des dégradations sociales et écologiques. Cest le système lui-même dont la survie exige pour ses privilégiés que soit portée atteinte aux équilibres sociaux et écologiques fondamentaux. La hausse des cours boursiers suppose des plans de licenciement à répétition et la hausse des dividendes versés aux actionnaires impose que les salaires augmentent moins vite que la productivité du travail. Et les grandes puissances sapprêtent à faire de la protection de la nature un nouveau gisement de profit : polluer pour pouvoir dépolluer ensuite et en confier la maîtrise à un marché des droits de polluer.
Elle est capitaliste
Le piège se referme donc. Au lieu de remettre en cause le système capitaliste et, par voie de conséquence, sa justification et le projet de ses idéologues libéraux, le combat est dévié et dévoyé vers la seule contestation de la forme libérale de sa régulation. Or, suffirait-il de limiter la spéculation permise par louverture des frontières financières ? Ce serait oublier que derrière la spéculation il y a toujours un renforcement de lexploitation capitaliste. Si lon en veut une preuve, on peut la trouver chez les partisans de la régulation du capitalisme. On se souvient quun député « de gauche » affirmait quil fallait faire payer nos retraites par les Chinois1. Une équipe déconomistes bien en vue persiste en signant : « La population à forte épargne des pays développés et vieillissants subirait une baisse de rentabilité de sa richesse financière si elle devait investir exclusivement dans des droits de propriété sur le capital interne. Cependant, lintégration mondiale des marchés de capitaux lui permet dinvestir dans les droits de propriété sur le capital productif des zones où la population active est en forte croissance. [ ] Les épargnants des zones riches seront donc mieux rémunérés quils ne le seraient en autarcie. »2
Le contresens qui aboutit à substituer le qualificatif de libéral à celui de capitaliste affaiblit le mouvement social car il débouche sur une contradiction : alors que lon lutte contre le libéralisme, lexigence du profit capitaliste le fait renaître sans cesse par nécessité dun discours de légitimation du système et dune pratique politique pour le mettre en uvre. La lutte contre le capitalisme englobe celle contre le libéralisme économique mais linverse nest pas vrai. La difficulté politique vient du fait quil faut modifier les règles de régulation pour préparer les conditions de la fin du capitalisme et non pour en assurer la pérennité.
Parler de mondialisation et danti-mondialisation sans qualification ou sans autre qualification que libérale à la place de capitaliste est un non-sens. Léloge du mondialisme est bâti sur une hypothèse douteuse qui renoue avec le naturalisme libéral : il existerait des droits humains indépendamment de lorganisation sociale. Mais, à linverse, la négation dans labsolu de luniversalisme de certaines valeurs se fait au nom dune valeur jugée universelle : le respect de toutes les cultures. Pour ou contre la mondialisation est le genre de faux débat qui évite le vrai : pour ou contre la marchandisation capitaliste.
(1) J.C. Boulard, « Réflexion faite, oui aux fonds de pension », Le Monde, 13 novembre 1998
(2) M. Aglietta et al., « Lavenir de nos retraites face à la globalisation financière : une exploration du modèle INGENUE », La Lettre du CPII, n°200, avril 2001.
(2) M. Aglietta et al., « Lavenir de nos retraites face à la globalisation financière : une exploration du modèle INGENUE », La Lettre du CPII, n°200, avril 2001.