Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°36 [septembre 2001 - octobre 2001]
© Passant n°36 [septembre 2001 - octobre 2001]
par Emmanuel Renault
Imprimer l'articleDans peu nom de dieu ?
« Ecoutez
ah, joubliais, voleurs, nous avons tenté de dérober votre beau langage. Menteurs, les noms que je vous ai livrés sont faux. Ecoutez
» (J. Genet, Les nègres)
Cest pas un peu débile un Père Duchêne au XXIe siècle ? Fait plus de deux siècles quça dure, cette affaire, ça risque pas un peu de dvenir complètement ringard ? Depuis 1793, 1848, la Commune, etc., il en est pas passé de leau sous les ponts ?
Putain mais quand même ! Jusquà ya pas longtemps, yen a avait toujours pour croire qules mauvais jours finiront, et qules morts des barricades, qules militants de laurore, du soir et dla nuit, qutous ceux là quy se sont flingués pour quon vive une vie meilleure, y se sont pas flingués pour rien. Yen avait toujours pour croire qula Commune elle est pas morte, hein Nicolas ! Et qutout cqui sest passé doit rester dans notmémoire, parce quon va tôt ou tard y donner valeur, en passant dces espoirs déçus à la bonne vraie réalité.
Et basta ! On dirait quaujourdhui, ya plus rien à transmettre, quceux des luttes qui sont encore dans toutes nos mémoires, celles de 68 et des années 70, y veulent plus avoir dmémoire, quy veulent plus quun jour tout ça ait à la fin un sens. Rien de rien quy transmettent, soit y scommémorent, soit y scrachent dessus. Cest quand même drôle quau moment où on nous bassine avec cte « fin de lhistoire »» et l « devoir dmémoire », on veut plus se souvenir de tout ça qui voulait nous offrir à nous une vie meilleure.
Alors lPère Duchêne est bien content dparler encore. Et dfaire parler tous ces morts, car ils ont pas fini dhanter not train-train. Tiens par exemple, cet obscur tricard quétait pote avec Marx et Bakounine, tu lconnais toi, Oppenheimer Vas-y, dis-moi quy décrivait pas la mouise où quon est encore : « Autrefois la misère répandue se logeait dans labsence dhonneur et de liberté ; elle est aujourdhui débridée, déversée sur les marchés comme une marchandise hissée à une hauteur effrayante par lapparence même de liberté ( ). Certes, on a souvent opposé à limpossibilité de notre société des problèmes tout aussi impossibles. Mais le sauvetage doit-il passer pour impossible sous prétexte que nous ne sommes pas encore daccord sur les moyens appropriés ? ! »1. Et puis tiens, ces obscurs cocos des années 30 que jai trouvés dans un bac de bouquiniste, pour 10 balles, sûrement quy savaient pas encore cqui allait réellement leur tomber sur la tronche, mais y savaient quand même cqui leur restait à faire : « Tout le problème paraît être de savoir qui crèvera le premier, et chacun est satisfait de son sort dans la mesure où il voit le voisin tourner de lil avant lui [ ]. Et tout se passe comme si de stupides locataires sattardaient à sécraser dans lescalier de la maison qui sécroule, au lieu de gagner tout bonnement la porte de sortie. »2
Tout ça plus personne nen parle, jme trompe ? Et comme ce silence, cest aussi celui dla fin dla vraie politique, dune politique qui perd tout rapport avec les souffrances et les misères, dune politique qui sréfugie dans des phrases creuses et des promesses vides, lPère Duchêne y voudrait vraiment parler autrement. Alors y jure.
Cest sûr quy faudrait pas scontenter dparler autrement ; quy faudrait aussi cogiter et sdémerder autrement, stirer dla tête tout ces trucs coincés quempêchent quon trouve la sortie. Mais dun autre côté, cest vrai aussi, qupour vraiment cogiter autrement, faut tchatcher autrement. Et ça tu vois, y paraît quy a même des philosophes qui ldisent, tiens par exemple, un certain Ernest Bloch. Y faut « soumettre la langue à la critique de lidéologie »3 quy dit. A mon avis, cest pas parce qule langage des romans ou des professeurs il est forcément faux, mais cest parce que, dtemps en temps, y faut des grandes secousses pour pas quy sendorme. Dces secousses des cocus de lhistoire, dces secousses dont sont crevés des types comme, tiens, par exemple, Eugene Varlin, tu sais, lmembre dla deuxième internationale, lfondateur dla société de secours mutuel des relieurs, celui qui sétait opposé à lexécution des otages avant de sbattre jusquau bout sur les barricades de Belleville, puis qui sest fait reconnaître ; massacré avant dêtre fusillé puis transpersé, on dirait quy résume à lui seul la Commune4. En plus, faut bien dire quces secousses, elles sortent pas de rien, au contraire même ! Elles sortent de tout ctravail de sape qules prolétaires faisaient pendant, et après surtout, leur satanée journée dtravail. De tout ctravail de sape des copains relieurs, peintres ou serruriers, dtout ces copains qui, dans les années 1830, nvoulaient pas scontenter dse reposer après une journée épuisante, qui voulaient pas scontenter dsoigner lanimal juste pour pouvoir à nouveau supporter la même merde le lendemain, mais qui préféraient sréunir pour discuter et apprendre ensemble, rêver au monde meilleur lsoir et la nuit, faire dla politique non ! Tous ces ouvriers écrivains ou militants du soir et dla nuit, tous ces utopistes à la double journée dtravail5, y paraît quy zont parlé trop décousu et trop étrange, comme qui dirait : trop mal pour quon sen garde un souvenir. Nempêche que cest deux quest montée toute cette effervescence avant dexploser en grandes secousses, et aussi que cest eux quont mis dans lbain toutes les grosses têtes du socialisme, tous ceux dont la pensée est restée célèbre, comme, tiens, par exemple, Marx quy sest frotté à eux après quon la exilé doffice à Paris.
Voilà cqui faudrait pour trouver la sortie, qula pensée sremette à grouiller un bon coup.
Jen rêve et crois-moi, si la politique continue à staire comme ça, ça va bientôt lui grouiller en plein ddans.
(
Cest pas un peu débile un Père Duchêne au XXIe siècle ? Fait plus de deux siècles quça dure, cette affaire, ça risque pas un peu de dvenir complètement ringard ? Depuis 1793, 1848, la Commune, etc., il en est pas passé de leau sous les ponts ?
Putain mais quand même ! Jusquà ya pas longtemps, yen a avait toujours pour croire qules mauvais jours finiront, et qules morts des barricades, qules militants de laurore, du soir et dla nuit, qutous ceux là quy se sont flingués pour quon vive une vie meilleure, y se sont pas flingués pour rien. Yen avait toujours pour croire qula Commune elle est pas morte, hein Nicolas ! Et qutout cqui sest passé doit rester dans notmémoire, parce quon va tôt ou tard y donner valeur, en passant dces espoirs déçus à la bonne vraie réalité.
Et basta ! On dirait quaujourdhui, ya plus rien à transmettre, quceux des luttes qui sont encore dans toutes nos mémoires, celles de 68 et des années 70, y veulent plus avoir dmémoire, quy veulent plus quun jour tout ça ait à la fin un sens. Rien de rien quy transmettent, soit y scommémorent, soit y scrachent dessus. Cest quand même drôle quau moment où on nous bassine avec cte « fin de lhistoire »» et l « devoir dmémoire », on veut plus se souvenir de tout ça qui voulait nous offrir à nous une vie meilleure.
Alors lPère Duchêne est bien content dparler encore. Et dfaire parler tous ces morts, car ils ont pas fini dhanter not train-train. Tiens par exemple, cet obscur tricard quétait pote avec Marx et Bakounine, tu lconnais toi, Oppenheimer Vas-y, dis-moi quy décrivait pas la mouise où quon est encore : « Autrefois la misère répandue se logeait dans labsence dhonneur et de liberté ; elle est aujourdhui débridée, déversée sur les marchés comme une marchandise hissée à une hauteur effrayante par lapparence même de liberté ( ). Certes, on a souvent opposé à limpossibilité de notre société des problèmes tout aussi impossibles. Mais le sauvetage doit-il passer pour impossible sous prétexte que nous ne sommes pas encore daccord sur les moyens appropriés ? ! »1. Et puis tiens, ces obscurs cocos des années 30 que jai trouvés dans un bac de bouquiniste, pour 10 balles, sûrement quy savaient pas encore cqui allait réellement leur tomber sur la tronche, mais y savaient quand même cqui leur restait à faire : « Tout le problème paraît être de savoir qui crèvera le premier, et chacun est satisfait de son sort dans la mesure où il voit le voisin tourner de lil avant lui [ ]. Et tout se passe comme si de stupides locataires sattardaient à sécraser dans lescalier de la maison qui sécroule, au lieu de gagner tout bonnement la porte de sortie. »2
Tout ça plus personne nen parle, jme trompe ? Et comme ce silence, cest aussi celui dla fin dla vraie politique, dune politique qui perd tout rapport avec les souffrances et les misères, dune politique qui sréfugie dans des phrases creuses et des promesses vides, lPère Duchêne y voudrait vraiment parler autrement. Alors y jure.
Cest sûr quy faudrait pas scontenter dparler autrement ; quy faudrait aussi cogiter et sdémerder autrement, stirer dla tête tout ces trucs coincés quempêchent quon trouve la sortie. Mais dun autre côté, cest vrai aussi, qupour vraiment cogiter autrement, faut tchatcher autrement. Et ça tu vois, y paraît quy a même des philosophes qui ldisent, tiens par exemple, un certain Ernest Bloch. Y faut « soumettre la langue à la critique de lidéologie »3 quy dit. A mon avis, cest pas parce qule langage des romans ou des professeurs il est forcément faux, mais cest parce que, dtemps en temps, y faut des grandes secousses pour pas quy sendorme. Dces secousses des cocus de lhistoire, dces secousses dont sont crevés des types comme, tiens, par exemple, Eugene Varlin, tu sais, lmembre dla deuxième internationale, lfondateur dla société de secours mutuel des relieurs, celui qui sétait opposé à lexécution des otages avant de sbattre jusquau bout sur les barricades de Belleville, puis qui sest fait reconnaître ; massacré avant dêtre fusillé puis transpersé, on dirait quy résume à lui seul la Commune4. En plus, faut bien dire quces secousses, elles sortent pas de rien, au contraire même ! Elles sortent de tout ctravail de sape qules prolétaires faisaient pendant, et après surtout, leur satanée journée dtravail. De tout ctravail de sape des copains relieurs, peintres ou serruriers, dtout ces copains qui, dans les années 1830, nvoulaient pas scontenter dse reposer après une journée épuisante, qui voulaient pas scontenter dsoigner lanimal juste pour pouvoir à nouveau supporter la même merde le lendemain, mais qui préféraient sréunir pour discuter et apprendre ensemble, rêver au monde meilleur lsoir et la nuit, faire dla politique non ! Tous ces ouvriers écrivains ou militants du soir et dla nuit, tous ces utopistes à la double journée dtravail5, y paraît quy zont parlé trop décousu et trop étrange, comme qui dirait : trop mal pour quon sen garde un souvenir. Nempêche que cest deux quest montée toute cette effervescence avant dexploser en grandes secousses, et aussi que cest eux quont mis dans lbain toutes les grosses têtes du socialisme, tous ceux dont la pensée est restée célèbre, comme, tiens, par exemple, Marx quy sest frotté à eux après quon la exilé doffice à Paris.
Voilà cqui faudrait pour trouver la sortie, qula pensée sremette à grouiller un bon coup.
Jen rêve et crois-moi, si la politique continue à staire comme ça, ça va bientôt lui grouiller en plein ddans.
(
1) H. B. Oppenheimer, Philosophie des Recht und der Gesellschaft, 1850, p. 153-154
(2) Jove et Jean Nocher, Révolutionnaires, où allez vous ? , 1935, p. 14-15.
(3) Ernst Bloch, Expérimentum Mundi, Payot, 1981, p. 31.
(4) P. O. Lissagaray, Histoire de la commune de 1871, Maspéro : « Par les rues écarpées de Montmartre, [ ] il fut traîné pendant une heure. Sous la grêle des coups, sa jeune tête méditative devint un hachis de chair, lil pendant hors de lorbite. Quant il arriva rue des Rosiers, à létat-major, il ne marchait plus : on le portait. On lassit pour le fusiller. Les soldats crevèrent son cadavre à coup de crosse [ ] Toute la vie de Varlin est un exemple ».
(5) J. Rancière, La nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier, Fayard, 1981 (Hachette-Pluriel, 1997).
(2) Jove et Jean Nocher, Révolutionnaires, où allez vous ? , 1935, p. 14-15.
(3) Ernst Bloch, Expérimentum Mundi, Payot, 1981, p. 31.
(4) P. O. Lissagaray, Histoire de la commune de 1871, Maspéro : « Par les rues écarpées de Montmartre, [ ] il fut traîné pendant une heure. Sous la grêle des coups, sa jeune tête méditative devint un hachis de chair, lil pendant hors de lorbite. Quant il arriva rue des Rosiers, à létat-major, il ne marchait plus : on le portait. On lassit pour le fusiller. Les soldats crevèrent son cadavre à coup de crosse [ ] Toute la vie de Varlin est un exemple ».
(5) J. Rancière, La nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier, Fayard, 1981 (Hachette-Pluriel, 1997).